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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 27 septembre 2018, n° 17-01099

PARIS

PARTIES

Demandeur :

Sanrival Jardin (SAS)

Défendeur :

Colruyt Retail France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mmes Schaller, du Besset

Avocats :

Mes Menu, Maison, Seifert

T. com. Valenciennes, du 19 mai 2015

19 mai 2015

La société Colruyt Retail France (ci-après la société " Colruyt ") et la société Sanrival Jardin (ci-après " Sanrival "), étaient en relation d'affaires depuis plusieurs années et ce, sans contrat écrit, ni engagement d'exclusivité ou de partenariat à long terme.

La société Sanrival fournissait des semences végétales, des bulbes à fleurs et autres végétaux ou articles de jardin à la société Colruyt qui les proposait à la vente dans ses différents magasins et supermarchés. Les parties renégociaient annuellement les tarifs et les conditions sans formalisme particulier.

Début 2013, elles ont, comme chaque année, entamé des négociations pour la poursuite de cette relation commerciale. Celles-ci n'ayant pas abouti, après plusieurs échanges de mails, les relations ont été rompues.

Par lettre RAR du 13 mars 2013, la société Colruyt a pris acte de la rupture des relations commerciales et a indiqué qu'elle était dans l'attente du règlement d'une somme de 79 291 euros correspondant aux avoirs sur reprise du stock invendu de l'année précédente. Par LRAR du 15 mars 2013, la société Sanrival a contesté cette rupture et a rappelé l'article 10 des conditions générales de vente qui stipule que les avoirs ne sont pas remboursables, mais déductibles d'une prochaine commande. Le 13 juin 2013, Colruyt a réitéré sa demande de lui voir rembourser la somme de 79 291 euros et, invoquant un défaut de livraison, a indiqué qu'elle en solliciterait l'indemnisation.

Cette mise en demeure étant restée vaine, c'est dans ces conditions que par acte extrajudiciaire du 20 février 2014, la société Colruyt a fait assigner la société Sanrival devant le tribunal de commerce de Valenciennes qui s'est opposée à la demande et a formé une demande d'indemnisation pour rupture brutale.

Vu le jugement du tribunal de commerce de Valenciennes du 19 mai 2015 qui a :

- accueilli partiellement Colruyt en ses demandes,

En conséquence,

- condamné Sanrival à payer à Colruyt :

la somme de soixante-neuf mille huit cent soixante-dix-huit euros soixante-seize (69 878,76 euros), outre les intérêts calculés au taux légal à compter du 16 juin 2013, date de réception de la mise en demeure,

la somme de mille deux cents euros (1 200 euros), au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté Colruyt de sa demande de dommages-intérêts,

- débouté Sanrival de sa demande reconventionnelle,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné Sanrival aux entiers dépens de l'instance, dont frais de greffe liquidés à la somme de 71,52 euros.

Vu l'appel interjeté le 12 janvier 2017 par la SAS Sanrival Jardin,

Vu les conclusions de Sanrival signifiées le 5 juillet 2017 par lesquelles il est demandé à la cour de :

- juger la société Sanrival Jardin recevable et bien fondée en son appel,

- juger la société Colruyt Retail France recevable mais mal fondée en son appel incident,

En conséquence,

- réformer partiellement le jugement du tribunal de commerce de Valenciennes en ce qu'il a condamné la société Sanrival Jardin à verser à la société Colruyt Distribution France aujourd'hui Colruyt Retail France la somme de 69 878,76 euros correspondant au montant des avoirs outre les intérêts au taux légal,

- débouter la société Colruyt Retail France de l'ensemble de ses demandes,

À titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour confirmerait le jugement du tribunal de commerce de Valenciennes de ce chef,

- condamner la société Colruyt Retail France à payer à titre de dommages et intérêts à la société Sanrival France la somme de 69 878,76 euros sur le fondement de l'article L.442-6 I 2° du Code de commerce,

- condamner la société Colruyt Retail France à verser à la société Sanrival Jardin la somme de 205 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice sur le fondement des articles L. 442-6 I 5° du Code de commerce,

- confirmer le jugement sur le surplus,

- la condamner à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

- la condamner aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit de Maître Elise ... ... aux offres de droit.

Vu les conclusions de Colruyt signifiées le 21 août 2017 par lesquelles il est demandé à la cour de :

Et tous autres à ajouter, suppléer ou déduire s'il y a lieu,

Vu les anciens articles 1134 et suivants du Code civil,

Vu l'article 1382 du Code civil,

Vu l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce,

Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,

Vu les pièces,

- dire et juger la société Colruyt Retail France recevable et bien fondée en son appel incident,

- dire et juger que la société Sanrival Jardin est redevable à l'égard de la société Colruyt Retail France de la somme de 69 878,76 euros,

- dire et juger qu'en l'absence de nouvelle commande, le remboursement de la dette de la société Sanrival Jardin ne peut s'opérer par avoirs,

- dire et juger que la société Colruyt Retail France n'a nullement imposé la clause de reprise des invendus à la société Sanrival Jardin qui est elle-même l'auteur de cette stipulation contractuelle,

- dire et juger qu'il n'existe aucun déséquilibre significatif dans les droits et obligations liant les Sociétés Colruyt Retail France et Sanrival Jardin, En conséquence,

- confirmer le jugement rendu le 19 mai 2015 par le tribunal de commerce de Valenciennes en ce qu'il a condamné la société Sanrival Jardin à payer à la société Colruyt Retail France la somme de 69.878,76 euros, outre intérêt au taux légal à compter de la mise en demeure en date du 13 juin 2013 et ce jusqu'au jour du complet et parfait paiement,

- confirmer le jugement rendu le 19 mai 2015 par le tribunal de commerce de Valenciennes en ce qu'il a débouté la société Sanrival Jardin de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- dire et juger que les Sociétés Colruyt Retail France et Sanrival Jardin se sont accordées sur l'ensemble des conditions du contrat d'approvisionnement pour l'année 2013,

- dire et juger que la société Sanrival Jardin a commis une faute en ne procédant pas à la livraison des marchandises commandées,

- dire et juger que la résistance abusive de la société Sanrival Jardin est à l'origine de la rupture des relations commerciales existant entre elle et la société Colruyt Retail France, En conséquence,

- réformer le jugement rendu le 19 mai 2015 par le tribunal de commerce de Valenciennes en ce qu'il a débouté la société Colruyt Retail France de sa demande en réparation au titre du préjudice causé par la société Sanrival Jardin pour résistance et rupture abusive,

- condamner la société Sanrival Jardin d'avoir à payer à la société Colruyt Retail France la somme de 51 259 euros, à titre de réparation du préjudice subi par cette dernière, En toutes hypothèses,

- condamner la société Sanrival Jardin à payer à société Colruyt Retail France la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la même aux entiers dépens de l'instance.

La société Sanrival soutient qu'elle ne saurait, au regard de l'article 10 des conditions générales de vente, être tenue de rembourser des avoirs accordés pour les invendus de l'année précédente, que lesdites conditions générales sont claires, que c'est la pratique dans ce type d'accords de distribution, qu'en pratique, en cas de rupture des relations commerciales, le nouveau fournisseur assume le coût des avoirs en succédant à un précédent fournisseur, que c'est ce qui s'était passé en mai 2000 lorsque leurs relations commerciales ont démarré, la société Colruyt ayant réglé à son prédécesseur la reprise des avoirs.

Elle indique ensuite, qu'au visa de l'article L. 442-6 du Code de commerce, les clauses de reprise des invendus peuvent constituer un déséquilibre significatif si elles imputent au fournisseur la totalité des charges de la mévente d'un produit, ainsi que le coût de reprise sans aucune contrepartie, qu'en l'espèce, elle supportait la totalité des charges de la mévente d'un produit mais aussi le coût des sachets abîmés, déchirés et périmés, ainsi que le coût de la reprise, alors que Colruyt détenait tous les leviers lui permettant d'agir sur le niveau des ventes, à savoir la fixation du prix de revente, le choix de l'emplacement et les opérations promotionnelles.

Elle conteste toute violation de ses obligations contractuelles, n'ayant jamais refusé de livrer des marchandises et sollicite, à titre reconventionnel, l'indemnisation de la rupture brutale dont elle estime avoir été victime, la société Colruyt étant seule à l'origine de la rupture et n'ayant pas observé un délai de prévenance suffisant dans l'exercice de son droit de résiliation ou de non-renouvellement de la convention.

En réponse, la société Colruyt fait valoir que la société Sanrival ne conteste pas le montant des avoirs et ne justifie ni la pratique alléguée de reprise des avoirs par les successeurs, ni que son successeur aurait assumé le coût des avoirs émis, ce qui n'a pas été le cas.

Elle conteste tout déséquilibre significatif provenant de cette pratique d'avoirs, ce type de clause n'étant pas interdit, et la société Colruyt n'ayant à aucun moment tenté d'obtenir des conditions manifestement excessives concernant les prix et les modalités de vente. Sanrival étant selon elle à l'origine de la rupture, elle s'est privée de sa possibilité de recouvrer les avoirs sur facturation, et elle ne saurait invoquer la brutalité de celle-ci à l'encontre de Colruyt.

A titre subsidiaire, la société Colruyt indique que la rupture était justifiée, la société Sanrival n'ayant pas livré les produits commandés en dépit d'un accord sur la chose et le prix, qu'un tel refus de livraison constituait une résistance abusive. En tout état de cause, elle soutient que la société Sanrival a rompu de manière déloyale et sans préavis les relations contractuelles et qu'elle doit réparer le préjudice qu'elle a causé, en privant la société Colruyt de sa marge sur la période printanière de vente des semences.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

Sur ce la cour,

Considérant qu'il est constant que l'avoir est une créance destinée au règlement d'une opération ultérieure et n'est ainsi exigible, à défaut de convention contraire, que lors de ce règlement, et non au moment de la constitution de l'avoir ;

Qu'en l'espèce, il n'est pas contesté que les parties étaient liées par les conditions générales de vente de la société Sanrival, acceptées par la société Colruyt, dont l'article 10 prévoit que " la reprise graines est assujettie à un avoir qui est déductible sur une facture graines de l'année suivante et non un remboursement " ;

Que l'exigibilité des sommes constituées sous forme d'avoir est clairement liée à l'établissement d'une facture l'année suivante, ce qui suppose la poursuite des relations commerciales ;

Que certes les parties n'ont pas prévu le sort des avoirs en cas de rupture, mais que celui-ci trouvant sa cause uniquement dans la reprise des graines de l'année précédente, ce qui constitue un service dont la charge pèse sur le fournisseur, il ne saurait en être ordonné le remboursement, dès lors que l'avoir était destiné à compenser ladite reprise ;

Que sans qu'il soit nécessaire de caractériser un déséquilibre significatif entre les parties, ou une pratique dans la profession de reprise des avoirs par le nouveau fournisseur, il résulte de la convention des parties et de la compensation de l'avoir par la reprise antérieure des graines, que celle-ci s'oppose à tout remboursement, Colruyt ne justifiant d'aucune créance exigible selon les termes convenus ;

Qu'il y a lieu par conséquent d'infirmer la décision des premiers juges sur ce point et de débouter la société Colruyt de sa demande en paiement ;

Considérant qu'au regard de la rupture des relations commerciales établies depuis treize ans, dont l'existence et la durée ne sont pas remises en cause, il n'est pas contesté que les parties étaient libres de se délier moyennant préavis dont la durée n'était pas fixée ;

Mais considérant qu'il ne résulte pas des faits de l'espèce que l'une ou l'autre des parties ait consenti un quelconque préavis à l'autre, les parties ayant initié les négociations de renouvellement du contrat début février 2013 et ayant pris acte de la rupture début mars 2013 ;

Qu'il n'est pas contesté que l'échec des négociations provient d'un désaccord tant sur les remises tarifaires exigées par Colruyt, que sur les dates de livraison et les produits concernés, que sur les conditions de " remboursement " des avoirs et la durée du contrat ;

Qu'il résulte des échanges de courriels que les conditions d'exécution du contrat ont été modifiées à la demande de la société Colruyt, même si Sanrival a alors cru pouvoir considérer qu'elle pouvait solliciter la modification des conditions d'exclusivité et de durée du contrat ;

Qu'il ne s'agit clairement, au vu des échanges entre les parties, que d'une " réaction " aux nouvelles conditions exigées par Colruyt, non susceptible de rendre la rupture imputable à la société Sanrival qui a pu croire à la poursuite des relations commerciales et s'est vue refuser les conditions antérieures d'exécution du contrat ;

Qu'en conséquence, il n'y a pas lieu d'allouer à Colruyt, qui est à l'origine de la rupture, une indemnisation pour un défaut de livraison, au demeurant non établi, la décision des premiers juges devant être confirmée sur ce point ;

Considérant que la rupture des relations commerciales établies doit dès lors être imputée à la seule société Colruyt ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, "engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

... 5) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (') Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure";

Que la société Sanrival, à laquelle il ne peut être imputé l'inexécution de ses obligations, doit par conséquent être déclarée bien fondée à solliciter l'indemnisation du préjudice subi du fait du défaut de respect de tout préavis ;

Considérant qu'il résulte de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce que seuls sont indemnisables les préjudices liés à la brutalité de la rupture, à l'exclusion de ceux liés à la rupture elle-même ;

Considérant qu'il est constant que le préjudice résultant d'une rupture brutale de la relation commerciale établie doit être évalué en considération de la marge brute escomptée durant la période de préavis qu'aurait dû respecter le cocontractant;

Que la finalité du délai de préavis est de permettre au partenaire de prendre ses dispositions pour réorienter ses activités en temps utile ou pour rechercher de nouveaux clients ;

Que la durée du préavis doit tenir compte de la durée des relations commerciales ayant existé entre les parties et des autres critères liés au volume d'affaires et à la progression du chiffre d'affaires, aux investissements effectués, à l'objet de l'activité, à la dépendance économique et aux usages de la profession ;

Qu'en l'espèce, en tenant compte de la durée de la relation commerciale qui était de treize années et des autres circonstances de l'espèce qui ne permettent pas de retenir la dépendance économique, en l'absence notamment de tout accord d'exclusivité ou de clauses abusives ou exorbitantes, il y a lieu de fixer à six mois et non à deux ans la durée du préavis qui aurait dû être accordée, ouvrant droit à indemnisation en fonction de la perte économique subie qui doit s'apprécier au regard de la perte de marge brute pendant les six mois de préavis non effectués ;

Que sur la base non contestée de l'attestation de l'expert-comptable versée aux débats établissant la marge brute de la société Sanrival en 2012 à 102 651,94 euros, il y a lieu de fixer l'indemnisation de la société Sanrival au titre de la brutalité de la rupture à hauteur de 51 000 euros ;

Qu'il y a lieu de débouter la société Sanrival du surplus de ses demandes à ce titre ;

Que l'équité commande d'allouer à la société SBTT la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et d'infirmer la décision des premiers juges sur ce point, déboutant la société Colruyt à ce titre.

Par ces motifs : La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

infirme le jugement, sauf en ce qu'il a débouté la société Colruyt de sa demande de dommages et intérêts, Statuant à nouveau, déboute la société Colruyt de ses autres demandes,

condamne la société Colruyt à payer à la société Sanrival la somme de 51 000 euros au titre du préjudice subi du fait de la rupture brutale, condamne la société Colruyt à payer à la société Sanrival la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, rejette toutes autres demandes, condamne la société Colruyt aux dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Maître ..., avocat, par application de l'article 699 du Code de procédure civile.