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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 26 septembre 2018, n° 15-09659

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Soletec (Sté)

Défendeur :

L'Air Liquide (SA), Société pour l'étude et l'exploitation des procédés Georges Claude (SA), Air Liquide Middle East(SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Fisselier, Vignes, Borysewicz

T. com. Paris, du 16 févr. 2015

16 février 2015

Faits et procédure :

La société Soletec SAL Off. Engineering Company (ci-après Soletec), membre du groupe Soletec, est une société de conseil en management industriel et d'ingénierie de droit libanais. Elle permet d'offrir à ses clients une intervention adaptée pour leur permettre de s'implanter dans les pays du Golfe.

La société L'Air Liquide et la société Air Liquide Middle East sont des sociétés du Groupe Air Liquide, dont l'activité est axée sur la vente de gaz industriels, de gaz extraits de l'air et de gaz rares.

Le 8 févier 2002, la société Soletec et la société Air Liquide Engineering ont conclu un contrat de consulting dans le cadre d'un projet de vente d'unités de séparation de l'air à un groupement d'entreprises constitué par Qatar Petroleum et Sasol.

Le 25 novembre 2003, un autre contrat a été conclu dans le cadre du projet Helium Recovery, (" Hery ") qui consiste dans la construction et l'installation d'une unité de récupération de l'hélium sur le site de Ras Laffan au Qatar pour le compte de la société Rasgas Company.

Le 12 juin 2013 la société Soletec a assigné les sociétés L'Air liquide et Air Liquide Middle East devant le Tribunal de commerce de Paris.

Par jugement du 16 février 2015 le Tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la société Soletec de l'ensemble de ses demandes,

- débouté la société L'Air Liquide et Air Liquide Middle East de leur demande reconventionnelle,

- condamné la société Soletec à payer à la société L'Air Liquide et Air Liquide Middle East la somme de 5 000 euros chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné la société Soletec aux dépens, dont ceux à recouvrir par le greffe, liquidés à la somme de 144,84 euros.

LA COUR

Vu l'appel interjeté par la société Soletec SAL Off. Engineering Company et ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 9 octobre 2015, par lesquelles il est demandé à la cour de :

vu les articles 1134 du Code civil et L. 442-6, I, 4 du Code de commerce,

- ordonner aux sociétés L'Air Liquide et Air Liquide Middle East de produire, au besoin sous astreinte journalière :

* au sujet des salariés du groupe Air Liquide

- A

- B

- C

- D

- E

* leurs coordonnées actuelles et complètes,

* le récapitulatif de leurs postes depuis 1994 au sein du groupe Air Liquide,

* leur position actuelle,

* les différents organigrammes du groupe depuis 1994,

* les documents suivants :

* des comptes sociaux de L'Air Liquide et Air Liquide Middle East avec le Qatar depuis 1994,

* les rapports d'activités de L'Air Liquide et Air Liquide Middle East avec le Qatar depuis 1994,

* la copie du contrat avec Air Liquide Middle East, Qatar Nitrogen Company (QAN) et Qatar Petroleum (QP) établissant un contrat de joint-venture en date du 5 juillet 2005,

- réformer en son entier le jugement entrepris,

- dire que :

* le Groupe Air Liquide, en particulier les sociétés L'Air Liquide et Air Liquide Middle East ont bénéficié des conseils, introductions, recommandations et bons offices de X et du Groupe Soletec auprès des sociétés suivantes :

- la société Qatar Petroleum

- la société Qatargas

- la société Quimco

- la société Qasco

- la société Qatar Petrochamical Company

- la société Qatar Vinyl Company

* le Groupe Air Liquide, en particulier les sociétés Air Liquide et Air Liquide Middle East ont pu signer des accords commerciaux, et notamment une joint-venture avec la société Quimco et une autre joint-venture avec la société Qatar Petroleum uniquement et grâce aux conseils, introductions, recommandations et bons offices de X, les sociétés Soletec Liban et Soletec WLL Qatar,

* Un accord contractuel accordant une rémunération sur les contrats signés grâce aux conseils, introductions, recommandations et bons offices de X, les sociétés Soletec Liban et Soletec WLL Qatar existe avec la société Air Liquide et la société L'Air Liquide Middle East est complice de la violation de cet accord,

- dire les sociétés L'Air Liquide et Soletec liées par un contrat verbal au titre duquel Soletec avait obligation de réaliser des démarches de prospective commerciale et développement et le groupe Air Liquide avait obligation de rémunérer Soletec pour les contrats qui seraient signés grâce à ces démarches effectuées par Soletec,

- dire en tout état de cause :

* l'existence d'une rupture brutale par le groupe Air Liquide, et en particulier les sociétés L'Air Liquide et Air Liquide Middle East, des relations commerciales établies avec X depuis 1996, l'intervention de la société Air Liquide Middle East est une action tierce complice par la violation des accords intervenus avec Air Liquide,

* l'existence de manœuvres déloyales, à titre subsidiaire, constitutives d'actes de parasitisme au visa de l'article 1382 du Code civil,

* la captation des conseils et des travaux menés par X et le Groupe Soletec par le Groupe Air Liquide, sans bourse délié,

* la captation de recommandations, introductions et relations commerciales développées par X et le groupe Soletec par le Groupe Air Liquide, sans bourse délier, sans investissements, constitutive de parasitisme,

- condamner les sociétés Air Liquide et Air Liquide Middle East solidairement, ou à tout le moins in solidum, à payer à la société Soletec Liban les sommes suivantes

* une commission de 5 % pour 120 000 000 $, soit 6 000 000 $,

* une somme de 3 000 000 $ à titre de rupture des relations commerciales établies pour la perte indue des rémunérations et la captation des fruits des diligences et investissements

- dire que l'ensemble des sommes portera intérêts au taux légal, à compter du 5 juillet 2005, sous le bénéfice de la capitalisation de l'article 1154 du Code civil,

- condamner les sociétés Air Liquide et Air Liquide Middle East au paiement la somme de 35 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions de la société L'Air Liquide et Air Liquide Middle East, intimées, déposées et notifiées le 3 décembre 2015, par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu les articles 1315, 1134 et 1382 du Code civil, L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, 32-1 du Code de procédure civile,

- dire que les sociétés L'Air Liquide et Air Liquide Middle East ne sont redevables d'aucune obligation contractuelle à l'égard de Soletec,

- dire qu'Air Liquide Middle East n'est en aucun cas tiers complice à la violation de quelque contrat que ce soit,

- dire que la responsabilité d'Air Liquide et Air Liquide Middle East n'est en rien engagée et que les allégations de rupture brutale de relations commerciales établies et de parasitisme sont infondées,

en conséquence,

- rejeter l'ensemble des allégations et prétentions de Soletec, notamment sa demande de paiement des sommes de 6 000 000 USD au titre de l'article 1134 et 3 000 000 USD au titre de l'article 1382 et confirmer le jugement déféré en ses dispositions ne faisant pas grief aux intimées,

- dire que Soletec a agi avec une légèreté blâmable et avec mauvaise foi,

- faisant droit à l'appel incident, condamner Soletec à payer à Air Liquide et Air Liquide Middle East la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en application des dispositions de l'article 32-1 du Code de procédure civile,

en tout état de cause :

- condamner Soletec à payer à Air Liquide et Air Liquide Middle East chacune la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, en sus des 5 000 euros dus par Soletec à chacune d'entre elles au titre du même article, en application du jugement du 16 février 2015, et non encore payés par Soletec,

- condamner Soletec aux entiers dépens de première instance et d'appel et autoriser Me Marie Catherine Vignes à en poursuivre le recouvrement en application de l'article 699 du Code de procédure civile ;

SUR CE

Sur l'absence de contrat liant les sociétés Soletec et Air Liquide

La société Soletec prétend avoir poursuivi sa mission d'introduction, de présentation et de qualification des sociétés Air Liquide au Qatar. Selon elle, et via son agent X, la société Air Liquide a obtenu les projets Hélium I, les tranches Hélium II et Hélium III, ainsi que l'ensemble des contrats de " Gas management " au Qatar, notamment en devenant l'associée et partenaire de la joint-venture avec Qatar Petroleum. Elle demande le paiement de ses commissions à ce titre.

Les intimées contestent l'existence de quelque contrat que ce soit entre elles et la société Soletec, qu'il soit écrit ou verbal et affirment que les seuls contrats de consulting, en date des 8 avril 2002 et 25 mars 2003, ont été conclus entre les sociétés Air Liquide Engineering et Soletec.

Il y a lieu d'approuver les premiers juges qui, aux termes d'une motivation que la cour reprend à son compte, ont débouté la société Soletec de sa demande.

Il sera simplement rappelé que la preuve de l'existence d'un accord de volontés, définissant un cadre général de coopération entre les parties, n'est pas établie par la société Soletec. En effet, en l'absence de contrats écrits formels, à l'exception des deux contrats de 2002 et 2003, conclus avec une personne morale distincte, et portant sur des missions déterminées et circonscrites, il incombait à la société Soletec de rapporter la preuve, d'une part, d'une ou plusieurs commandes des sociétés Air Liquide, d'autre part de leur acceptation de ces commandes et de leur exécution. À cet égard, la société Soletec ne produit ni rapport, ni mémorandum, ni même une simple note, de nature à établir l'exécution de sa mission.

Sur la violation de la bonne foi et de la loyauté des engagements contractuels de Air Liquide

La société Soletec rappelle que les conventions doivent être exécutées de bonne foi, que cette exigence est de portée générale et d'ordre public, et ce pendant la phase d'exécution du contrat ainsi que dès le commencement des pourparlers. Selon la société Soletec, c'est uniquement grâce à l'intervention de X que les sociétés intimées ont pu constituer une joint-venture avec QIMCO (Qatar Industrial Manufacturing Company) et avec Qatar Petroleum. Elle souligne que l'implantation d'une société étrangère sur le territoire qatari est soumise à des conditions particulières, et que son appui a été fondamental pour la société Air Liquide.

Mais elle n'expose pas le lien de causalité entre ces circonstances factuelles, au demeurant non établies, et un dommage.

Sur la rupture brutale

Si la société Soletec soutient que des relations commerciales établies la liaient au groupe Air Liquide depuis 1994 et que la rupture des relations commerciales est intervenue sans préavis, les intimées répliquent à juste raison qu'aucune relation commerciale établie entre les parties n'est établie, les deux seuls contrats conclus, ponctuels, ayant des objets différents. Le premier contrat n'a pas donné lieu à rémunération de la société Soletec, puisque ce contrat ne prévoyait une rémunération que dans le cas où le projet serait conclu, ce qui ne fut pas le cas. Le second contrat a été entièrement exécuté par les deux parties.

Sur le parasitisme par Air Liquide

La société Soletec souligne que le parasitisme est une appropriation injuste du travail d'autrui, qu'en l'espèce le groupe Air Liquide était dans l'incapacité d'obtenir un rendez-vous avec une société qatarie et qu'en s'appropriant la notoriété de X et du groupe Soletec en se voulant introduit et recommandé par eux, le groupe Air Liquide a commis un acte illicite de parasitisme.

Mais la société Air Liquide réplique à juste titre que le simple fait de prétendre avoir exécuté une prestation de service, et de n'avoir pas été rémunéré à ce titre, ne saurait ouvrir droit à une action pour parasitisme. La demande en l'espèce est fondée sur des faits qui n'entrent pas dans le champ d'application du parasitisme. Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

Sur la demande de communication

La société Soletec sollicite, depuis octobre 2013, la communication des coordonnées actuelles et complètes, le récapitulatif des postes depuis 1994 au sein du groupe Air Liquide et les positions actuelles de A, B, C, D et E. De plus, elle demande que soient communiqués les différents organigrammes du groupe depuis 1994, ainsi que les comptes sociaux des sociétés Air Liquide et Air Liquide Middle East avec le Qatar depuis 1994, leurs rapports d'activités avec le Qatar depuis 1994 et la copie du contrat avec Air Liquide Middle East, QAN et QP établissant un contrat de joint-venture le 5 juillet 2005.

Selon la société Soletec, ces éléments permettront de comprendre l'étendue de la dissimulation et du détournement du groupe Air Liquide qui a voulu s'abstenir de payer sa rémunération et ses animateurs pour un travail commencé en 1994 et qui fut grandement profitable pour le groupe Air liquide.

Mais la société L'Air Liquide souligne à juste titre qu'il appartient à la société Soletec d'apporter la preuve des faits qu'elle allègue et qu'elle ne saurait pallier sa complète carence par une demande de communication de pièces étrangères à la résolution du litige.

Sur la procédure abusive

Les intimées exposent qu'en présentant la présente instance en paiement de la somme totale de 9 millions USD alors qu'il apparaît manifeste qu'aucun titre contractuel ne l'y autorise, et après avoir été déboutée plusieurs fois en première instance, la société Soletec a agi avec une légèreté blâmable. Elles demandent à ce titre l'allocation d'une somme de 15 000 euros pour procédure abusive.

L'appréciation inexacte qu'une partie fait de ses droits ne caractérise pas à elle seule l'abus du droit d'agir et ce n'est que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que le fait d'intenter une action en justice est susceptible de constituer un abus, l'accès au juge étant un droit fondamental et un principe général garantissant le respect du droit. L'exercice d'une action en justice ne dégénère en abus que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équivalente à un dol, les juges du fond ayant l'obligation de caractériser les circonstances ayant fait dégénérer en abus le droit d'agir.

En l'espèce, la société Soletec a été déboutée en première instance pour faute de preuves, aux termes d'un arrêt clair et motivé. Elle a cependant engagé la présente procédure d'appel de façon téméraire et abusive, témoignant d'un acharnement caractérisé en réitérant ses demandes, pourtant rejeté dans deux instances de premier degré précédentes, sans développer d'autres moyens et sans produire de nouvelles pièces devant la cour. Son recours, non étayé, contenant un long historique sans valeur juridique, caractérise une intention de nuire aux sociétés Air Liquide et une légèreté blâmable à l'égard de la cour d'appel et fait dégénérer en abus cette voie de droit.

Ayant abusé de son droit d'agir, la société Soletec sera condamnée à payer aux sociétés L'Air Liquide et Air Liquide Middle East la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Sur les dépens et frais irrépétibles

Succombant au principal, la société Soletec sera condamnée aux dépens d'appel ainsi qu'à payer à chacune des sociétés L'Air Liquide et Air Liquide Middle East la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, y ajoutant, Condamne la société Soletec à payer aux sociétés L'Air Liquide et Air Liquide Middle East la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, Condamne la société Soletec aux dépens d'appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, Condamne la société Soletec à payer à chacune des sociétés L'Air Liquide et Air Liquide Middle East la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.