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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 26 septembre 2018, n° 18-01580

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Une Pièce En Plus (SAS)

Défendeur :

Annexx (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Roy-Zenati

Conseillers :

M. Vasseur, Mme Dias Da Silva

T. com. Paris, prés., du 20 déc. 2017

20 décembre 2017

La SAS Une Pièce En Plus propose des gardes-meubles sécurisés à la location en Ile de France, disposant notamment de 8 centres à Paris intra-muros. La SAS Annexx est une société qui exerce la même activité.

Sur son site internet www.annexx.com, la SAS Annexx déclare disposer prochainement de solutions " self-stockage " dans Paris, en particulier dans le 8e arrondissement, quartier Saint-Lazare, <adresse>.

Estimant que cette annonce était inexacte, l'adresse renseignée ne correspondant pas à celle d'un centre de stockage et qu'aucun permis de construire ou déclaration préalable de travaux n'aurait été déposé, la SAS Une Pièce En Plus a, par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 mai 2017, mis en demeure la SAS Annexx de modifier son site internet.

N'étant pas satisfaite de la réponse de la société Annexx, la société Une Pièce En Plus a réitéré les termes de sa mise en demeure, le 10 juillet 2017.

Par acte du 19 octobre 2017, la société Une Pièce En Plus a fait assigner la SAS Annexx devant le juge des référés, au visa de l'article 873 du Code de procédure civile, des articles L. 121-1 et L. 121-2 du Code de la consommation et 1240 du Code civil, aux fins de voir :

- Ordonner à la SAS Annexx de supprimer du site internet qu'elle édite à l'adresse www.annexx.com, ou sur tout autre site ou support qu'elle édite pour les besoins de son activité, l'ensemble des contenus relatifs à des " box " qu'elle proposerait à la location à Paris intra-muros, en particulier à " Paris Saint-Lazare " ou " Paris 8", <adresse>, sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard courant à compter de la signification de l'ordonnance,

- Faire interdiction à la SAS Annex de publier sur le site internet accessible à l'adresse www.annex.com, ou sur tout autre site ou support qu'elle édite pour les besoins de son activité, tout contenu qui laisserait indûment croire qu'elle exploiterait des gardes-meubles dans le département de Paris, sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard courant à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir,

- Condamner la SAS Annexx à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et aux dépens.

Par ordonnance du 20 décembre 2017, le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris a débouté la société Une Pièce En Plus de toutes ses demandes, la condamnant à payer à la société Annexx la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Par déclaration du 11 janvier 2018, la SAS Une Pièce En Plus a interjeté appel de cette ordonnance.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 19 juin 2018, elle demande à la cour de :

Vu l'article 873 alinéa 2 du Code de procédure civile,

Vu les articles L. 121-1 et L. 121-2 du Code de la consommation,

Vu l'article 1240 du Code civil,

Vu les pièces versées aux débats,

- La recevoir en son appel ;

- Infirmer l'ordonnance en ce qu'elle l'a déboutée de toutes ses demandes et condamnée à payer une somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

Et, statuant à nouveau,

- Ordonner à la SAS Annnexx de supprimer du site internet qu'elle édite à l'adresse www.annexx.com, ou sur tout autre site ou support qu'elle édite pour les besoins de son activité, l'ensemble des contenus relatifs à des "box" qu'elle proposerait à la location à Paris intra-muros, en particulier à "Paris Saint-Lazare" ou 'Paris 8", à l'adresse <adresse>, ou l'adresse <adresse> ou toute autre adresse à laquelle elle n'exploiterait pas effectivement et actuellement des espaces de stockage sécurisés, sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard courant à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;

- Faire interdiction à la SAS Annexx de publier sur le site internet accessible à l'adresse www.annexx.com, ou sur tout autre site ou support qu'elle édite pour les besoins de son activité, tout contenu qui laisserait indûment accroire qu'elle exploiterait ou serait sur le point d'exploiter des garde-meubles dans le département de Paris sans qu'elle ne puisse en justifier, preuves à l'appui, sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard courant à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;

- Condamner la SAS Annexx à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

Elle fait valoir :

- Que conformément aux articles L. 121-1 et L. 121-2 du Code de la consommation, l'intimée a mise en œuvre des pratiques commerciales trompeuses donc illicites,

- Qu'alors qu'elle a affirmé sur son site internet qu'elle offrait à la location des gardes-meubles sécurisés dans le 8e arrondissement de Paris, quartier Saint-Lazare, en réalité, l'adresse mentionnée correspond à un bureau de poste où aucun garde-meuble n'est exploité ni n'a vocation à l'être "dans un futur proche" par l'intimée,

- Que les copropriétaires de l'immeuble <adresse> ne sont pas en négociation avec l'intimée,

- Qu'est également mensongère la nouvelle mention portée par l'intimée sur son site internet, selon laquelle les box qu'elle exploiterait à "Paris Saint-Lazare" devraient s'ouvrir "prochainement", non plus <adresse>, mais <adresse>, les constatations faites le 16 mai 2018 par l'huissier mandaté par l'appelante établissant que l'immeuble <adresse> est impropre à accueillir des espaces de stockage sécurisés qui seraient ouverts au public,

- Que la pratique de l'intimée consistant à faire indûment croire aux consommateurs qu'elle dispose d'espaces de stockage à Paris 8e est une pratique concurrentielle déloyale qui nuit aux intérêts de l'appelante, donnant lieu à l'engagement de la responsabilité délictuelle de l'intimée sur le fondement de l'article 1240 du Code civil,

- Qu'étant la seule à pouvoir supporter les coûts d'exploitation d'espaces de stockage à Paris, il est déloyal et illicite que ses concurrents profitent et détournent ces investissements à leur profit, en captant la clientèle intéressée par des espaces de stockage à Paris intra-muros,

Dans ses dernières conclusions notifiées le 21 juin 2018, la société Annexx demande à la cour de :

Vu l'article 873 du Code de procédure civile

Vu les articles L. 121-1 et L. 121-2 du Code de la consommation

Vu l'article 1240 du Code civil

- Déclarer l'appel interjeté par la SAS Une Pièce En Plus mal fondé ;

- Confirmer l'ordonnance en toutes ses dispositions ;

- Débouter la SAS Une Pièce En Plus de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

- Condamner la SAS Une Pièce En Plus à lui verser une indemnité de 6 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle fait valoir :

- Que contrairement à ce qu'affirme l'appelante, elle n'a pas garanti au juge des référés qu'elle ouvrirait son prochain site de stockage dans les locaux qu'elle avait projeté <adresse>, que lors des débats devant le juge des référés, elle a au contraire indiqué en toute loyauté que les négociations s'avéraient plus complexes que prévues de sorte qu'un autre site, toujours dans le quartier de Saint-Lazare, était parallèlement à l'étude,

- Que depuis le prononcé de l'ordonnance entreprise ses projets se sont poursuivis de sorte qu'elle peut désormais confirmer à la cour l'ouverture prochaine d'un site dans le quartier de Saint-Lazare, comme annoncé sur son site internet, <adresse>,

- Qu'alors que l'appelante utilise le même procédé marketing pour annoncer l'ouverture de nouveaux sites, elle considère en revanche s'agissant de ses concurrents qu'il s'agit d'une pratique commerciale trompeuse constitutive à son égard de concurrence déloyale ou parasitaire,

- Qu'en effet, l'appelante a annoncé l'ouverture d'un nouveau centre de stockage en Seine et Marne, puis à Poissy, en employant sur son site internet des termes identiques à ceux qu'elle lui reproche,

- Que les consommateurs ne sont pas trompés par son annonce puisqu'il est expressément indiqué qu'un site ouvrira prochainement dans le quartier de Saint-Lazare à Paris 8e et qu'ainsi, l'information donnée est dénuée de toute équivoque, à savoir que le service n'est pas encore disponible mais existera prochainement,

- Qu'en réalité, l'appelante cherche à empêcher le libre jeu de la concurrence en défendant son monopole et en menant un combat judiciaire à l'égard de ses concurrents souhaitant s'implanter sur Paris,

- Que la clientèle de location d'espaces de garde-meuble n'appartient pas à l'appelante qui reste libre de consulter les différents sites internet, de comparer les offres et de choisir en toute connaissance de cause,

- Que son référencement en 4e position ne cause pas un préjudice anormal à l'appelante qui conserve sa place de n° 1,

Sur ce, LA COUR,

Considérant qu'aux termes de l'article 873 alinéa 1er du Code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut toujours, dans les limites de la compétence de ce tribunal, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ;

Que le dommage imminent s'entend du dommage qui n'est pas encore réalisé mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer et le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit ;

Qu'il s'ensuit que pour que la mesure sollicitée soit prononcée, il doit nécessairement être constaté à la date à laquelle la cour statue et avec l'évidence qui s'impose à la juridiction des référés, l'imminence d'un dommage ou la méconnaissance d'un droit sur le point de se réaliser et dont la survenance et la réalité sont certaines ;

Considérant qu'à l'appui de son appel la société Une Pièce En Plus fait valoir que la pratique de la société Annexx consistant à prétendre sur son site internet qu'elle dispose de centres de stockage à Paris intra muros pour attirer trompeusement la clientèle de ses concurrents constitue une publicité mensongère destinée à tromper le consommateur et fausse déloyalement le jeu de la concurrence, qu'elle en déduit qu'il s'agit d'un trouble manifestement illicite qu'il convient de faire cesser sans délai ;

Considérant que le message critiqué par l'appelante contenu sur le site internet www.annexx.com indique " Annexx Paris Saint Lazare <adresse> prochaine " ainsi qu'il ressort du procès verbal de constat d'huissier établi le 20 février 2018 à la requête de l'appelante ; qu'ainsi que l'a à juste titre indiqué le premier juge, ce constat d'huissier ne contient aucun élément permettant de contester les intentions de la société Annexx, qu'elle avait alors d'ouvrir une activité commerciale à l'adresse indiquée sur son site ;

Considérant que la société intimée fait valoir que les négociations concernant l'ouverture de son lieu de stockage à l'adresse initialement indiquée <adresse> n'ont pas abouti et qu'elle a poursuivi ses recherches et a trouvé un autre site dans le même quartier de Saint Lazare <adresse>, le local se situant à 290 mètres du <adresse> ; qu'elle justifie ses dires par la production aux débats de la page de son site internet mentionnant l'ouverture prochaine de son site <adresse> (pièce 5) ainsi que de l'extrait du bail commercial qu'elle a signé le 22 avril 2018 pour exercer dans ces locaux une activité de stockage de biens meubles, consignes à bagages, location de box de stockage et activités annexes (pièce 7), du planning des travaux ainsi que des devis de travaux afférents à cette adresse (pièces 8 à 10) ; qu'elle produit encore un procès-verbal de constat d'huissier daté du 13 juin 2018 qui "constate la présence d'une boutique avec une façade en métal grise et une enseigne apposée au-dessus indiquant " Annexx " en couleur rouge <adresse>", l'huissier précisant qu'il constate que les travaux d'aménagement sont en cours et qu'il existe déjà des casiers en cours d'installation ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que le message incriminé présent sur le site de la société Annexx concernant l'ouverture prochaine d'un lieu de stockage dans le quartier Saint Lazare de Paris ne peut manifestement être qualifié de mensonger ; qu'à l'évidence il n'a pas pu porter atteinte aux droits des consommateurs dès lors qu'il ne faisait état que d'une ouverture prochaine laquelle aura effectivement lieu à une adresse, qui, si elle est différente de celle indiquée initialement, se situe néanmoins dans le même quartier et donc dans la même zone de chalandise ; que ce message ne peut manifestement pas plus être considéré comme une pratique commerciale trompeuse constitutive d'une concurrence déloyale commise au préjudice de la société appelante, cette dernière utilisant d'ailleurs exactement le même procédé publicitaire consistant à annoncer l'ouverture de nouveaux centres de stockages (pièce 11 de l'intimée) ; que dès lors faute pour l'appelante de justifier de l'existence du trouble manifestement illicite allégué l'ordonnance doit être confirmée;

Considérant que le sort des dépens et de l'indemnité de procédure a été exactement réglé par le premier juge ;

Qu'à hauteur de cour, il convient d'accorder à la société Annexx, contrainte d'exposer de nouveaux frais pour se défendre, une indemnité complémentaire sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile dans les conditions précisées au dispositif ci-après;

Que partie perdante la société Une Pièce En Plus ne peut prétendre à l'allocation d'une indemnité de procédure et supportera les dépens d'appel ;

Par ces motifs, LA COUR, Confirme l'ordonnance entreprise ; Y ajoutant ; Condamne la société Une Pièce En Plus à payer à la société Annexx la somme de 4 000 euros au titre des dispositions prévues par l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette la demande de la société Une Pièce En Plus faite à ce titre ; Condamne la société Une Pièce En Plus aux dépens d'appel.