CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 11 octobre 2018, n° 18-00427
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Castorama France (SAS)
Défendeur :
Assistance Conseil contre l'insecurité (SAS) , Jeannerot (ès qual.), Rogeau (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chevalier
Conseillers :
Mmes Bodard-Hermant, Dellelis
Avocats :
Mes Flauraud, Harang, Ottaway, Stene
La société Castorama France (ci-après Castorama) dont le siège est à Templemars (59175) était en relation commerciale avec la société Assistance conseil contre l'insécurité (ci-après Accli) dont le siège est à Sartrouville (78500) depuis le 1er décembre 2004, par un contrat national de maintenance pour " vérification des extincteurs, RIA, Gondoles, Portes CF et Poteaux Incendie " et par deux autres types de contrat de vérification concernant des magasins spécifiques.
Le Tribunal de commerce de Versailles a prononcé :
- par jugement du 2 février 2017, l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire au bénéfice d'Accli, la Selarl Philippe Jeannerot et associés, prise en la personne de Me Philippe Jeannerot étant désignée en qualité d'administrateur judiciaire, puis remplacée par la Selarl AJRS prise en la personne de Me Jeannerot suivant ordonnance du président de ce tribunal du 17 octobre 2017,
- et par jugement du 1er février 2018, la liquidation judiciaire d'Accli, suite de la validation d'un plan de cession de l'entreprise au 1er janvier 2018, la société ML Conseil étant désignée en qualité de liquidateur.
Prétendant que Castorama a brutalement mis fin à ses relations commerciales avec elle par courriers des 27 octobre et 7 novembre 2017, Accli l'a faite assigner par acte du 1er février 2017 devant le président du Tribunal de commerce de Paris qui :
- s'est déclaré compétent ;
- a dit n'y avoir lieu à ordonner la continuation forcée des relations commerciales ;
- a condamné Castorama à payer à Accli à titre de provision la somme de 204 000 euros outre une indemnité de procédure de 3 000 euros et aux dépens.
Castorama est appelante de cette ordonnance suivant déclaration du 9 janvier 2018 et demande à la cour par conclusions communiquées par voie électronique le 20 mars 2018 de :
- in limine litis se déclarer territorialement incompétent au profit du juge des référés du Tribunal de commerce de Lille métropole et donc infirmer cette ordonnance,
- subsidiairement, dire n'avoir lieu à référé, débouter Accli, la Selarl AJRS et la Selarl ML Conseils de leurs demandes,
- en tout état de cause, les condamner à lui payer la somme de 3 000 euros, chacune, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
Elle soutient :
- sur la compétence, que la clause attributive de compétence trouve à s'appliquer en matière de rupture brutale de relations commerciales établies et que le juge des référés doit s'appuyer exclusivement sur le contrat-cadre dont l'article 14 attribue compétence au Tribunal de Lille dès lors qu'il fonde l'essentiel des demandes indemnitaires adverses,
- sur la provision, qu'Accli a elle-même mis fin à leurs relations commerciales par email du 6 septembre 2017 et en tout état de cause, qu'elle a respecté un préavis suffisant pour chaque contrat, que le préjudice est affirmé et que son évaluation ne peut se faire que contrat par contrat.
Accli et les sociétés AJRS et ML Conseils, intimées par conclusions transmises par voie électronique le 21 février 2018 demandent à la cour de :
- mettre hors de cause la Selarl AJRS,
- débouter Castorama de ses demandes ;
- confirmer l'ordonnance entreprise sauf à porter le montant de la provision à 255 000 euros ;
- condamner Castorama à verser à Accli en cause d'appel la somme de 4 000 euros au visa de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
Elles soutiennent :
- sur la compétence, que la juridiction parisienne est compétente du fait de la loi et qu'au demeurant nombre des interventions de la société Accli sont justifiées par la conclusion d'autres contrats que le contrat national mentionnant des clauses attributives à Paris,
- sur la provision, que Castorama a rompu les relations commerciales établies avec Accli depuis 2004 de façon brutale par courriers recommandés des 27 octobre et 7 novembre 2017, qu'elle-même n'a pas souhaité se porter candidate à l'appel d'offre du contrat-cadre dont les conditions financières étaient drastiquement revues à la baisse, qu'elle s'est trouvée en péril imminent du fait de cette rupture et que l'indemnité de rupture doit être calculée sur la base de 14 mois et non 8.
LA COUR renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du Code de procédure civile.
Sur ce LA COUR :
Sur la demande de mise hors de cause :
Il résulte de ce qui précède que la mission de la Selarl AJRS a pris fin si bien que sa mise hors de cause s'impose.
Sur la compétence :
Vu les articles 46 et 48 du Code de procédure civile,
Vu l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce qui fonde au principal les demandes d'Accli et D. 442-3 de ce code, ensemble son annexe 4-2-1,
Il n'est pas contesté qu'une relation commerciale établie existe entre les parties depuis 2004, qu'elle a été rompue en 2017 et qu'elle comprend trois types de contrats : un contrat national comprenant une clause attributive de compétence au Tribunal de Lille Métropole en son article 14, un contrat de vérification du désenfumage concernant 3 magasins et comprenant une clause attributive de compétence au Tribunal de Versailles en son article 8 et un contrat de vérification des alarmes concernant 11 magasins comprenant une clause attributive de compétence au Tribunal de Versailles ou de Nanterre, selon le cas, en son article 8.
Les parties s'opposent sur l'imputabilité de la rupture que Accli, demandeur initial, qualifie de brutale.
Il est constant qu'une clause attributive de compétence ne peut faire obstacle à l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce de sorte que la clause attributive de compétence des contrats en cause (pièces intimée 13,14, 15 et 17 à 25) qui renvoie au Tribunal de commerce de Versailles ou Nanterre, lesquels ne sont pas spécialement compétents en vertu de ces textes, ne peut recevoir application (Com., 1er mars 17, 15-22.675 et Com., 11 mai 17, 15-21.913)
Toutefois, au vu des pièces produites, la quasi totalité des contrats amènent Accli à intervenir essentiellement sur des entités Castorama situées dans le ressort de la juridiction parisienne où se trouve également le siège d'Accli. Le présent litige relève donc bien de la compétence spéciale du Tribunal de commerce de Paris telle qu'elle résulte des textes susvisés, comme étant celle du lieu d'exécution de la prestation de services ou des dommages allégués.
Pour s'y opposer Castorama invoque vainement la clause attributive de compétence au Tribunal de commerce de Lille Métropole, juridiction désignée par l'article 14 du seul contrat national et de même spécialement désignée pour connaître d'un litige comme celui en examen, motif pris, non sans paradoxe, de ce que l'essentiel des demandes est fondé sur le contrat national qui génère le chiffre d'affaires le plus important (conclusions p. 6 in fine et 10) et en même temps de ce que les contrats ne peuvent être amalgamés artificiellement en se basant sur certains d'entre eux plutôt que sur d'autres (conclusions p. 11).
En effet, à supposer même que cette clause attributive de compétence au Tribunal de Lille s'applique au litige comme visant l'exécution du contrat qu'elle régit, la circonstance que ce contrat national génère l'essentiel du chiffre d'affaires sur lequel est évaluée l'indemnité de rupture, en ce qu'elle n'est pas corrélée à la volonté des parties de choisir une compétence dérogatoire, ne suffit pas à en justifier l'extension aux autres contrats en examen, une telle extension, contestée, n'étant étayée par aucun autre argumentaire.
Enfin, faute d'identifier suffisamment précisément les demandes échappant à la compétence du juge saisi sur le fondement de cette clause, Castorama ne met pas la cour en mesure de faire droit à l'exception soulevée.
L'ordonnance du premier juge qui s'est déclaré compétent pour connaître de l'ensemble du litige doit donc être confirmée.
Au principal :
Aux termes de l'article 873 alinéa 1er du Code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut toujours, dans les limites de la compétence de ce tribunal, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Par mail du 6 septembre 2017 produit aux débats, Accli annonce à Castorama son refus de participer à l'appel d'offre concernant le contrat-cadre précité et précise " nous continuerons nos prestations jusqu'à fin décembre. En ce qui concerne les contrats SSI, merci de prendre contacts avec notre société pour voir les modalités de résiliation de ces contrats ".
En cet état, l'imputabilité de la rupture de tous les contrats dépend du sens et de la portée de ce document eu égard aux conditions de cet appel d'offre, étant toutefois observé que la rupture, sinon son imputabilité, est expressément annoncée clairement et sans équivoque.
Le bien-fondé manifeste de la demande indemnitaire d'Accli dépend ainsi de l'imputabilité de la rupture qui ne relève pas de l'évidence si bien que cette société ne justifie pas d'un trouble manifestement illicite, ni, partant d'un dommage imminent manifestement imputable à Castorama.
Il n'y a donc pas lieu à référé et l'ordonnance entreprise doit donc être infirmée de ce chef.
Conformément aux articles 696 et 700 du Code de procédure civile, chacune des parties, partiellement perdante, conservera la charge de ses dépens et l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile. L'ordonnance entreprise sera donc infirmée de ces chefs aussi.
Par ces motifs : LA COUR, Met hors de cause la Selarl AJRS, en qualité d'administrateur judiciaire de la société Assistance conseil contre l'insécurité (Accli) ; Confirme l'ordonnance entreprise du chef de la compétence ; L'infirme pour le surplus ; Statuant à nouveau et y ajoutant, Dit n'y avoir lieu à référé ; Laisse à chacune des parties la charge de ses dépens et dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.