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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 19 octobre 2018, n° 17-12434

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Wellness Management (Sasu)

Défendeur :

Guerlain (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lis Schaal

Conseillers :

Mme Bel, M. Picque

Avocats :

Mes Drouard, Dupuy

T. com. Paris, du 15 mai 2017

15 mai 2017

Faits et procédure

En 2012, la société Guerlain a fait appel à la société Welness Management (ci-après Welness), spécialisée dans le conseil et la formation dans le domaine de la gestion des émotions et du stress, pour animer des formations. Les formations se sont poursuivies en 2013 et 2014, sans contrat.

En 2015, la société Guerlain a souhaité organiser des formations en binôme, le Dr Lamboley de la société Welness, travaillant avec Mme Bazzah, coach sportif. L'accord entre les parties prévoyait que la société Welness facturait l'ensemble de la prestation et prenait en charge la rémunération de Mme Bazzah.

Des dissensions entre la société Welness et Mme Bazzah sont très vite apparues concernant la rémunération de cette dernière. Face à l'impossibilité de trouver un compromis, la société Guerlain a décidé d'annuler les formations en binôme et les formations solo du Dr Lamboley.

Le 6 juillet 2015, la société Welness a mis en demeure la société Guerlain de proposer une indemnisation pour réparer le préjudice financier subi du fait de l'annulation des différentes formations. La société Guerlain a refusé toute forme d'indemnisation.

Devant le Tribunal de commerce de Paris, la société Welness a demandé de : déclarer brutale la rupture des relations commerciales établies entre la société Guerlain et la société Welness,

condamner la société Guerlain au paiement de la somme de 20 000 euros au titre du manque à gagner pour les formations annulées,

condamner la société Guerlain au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'indemnité de préavis,

Par jugement rendu le 15 mai 2017, le Tribunal de commerce de Paris a :

- dit que la relation commerciale entre les parties est établie au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, pour la période 2013-début 2015 ;

- dit que la société Guerlain n'a pas rompu de manière brutale cette relation commerciale établie ;

- débouté la société Welness de l'ensemble de ses demandes au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies ;

- condamné la société Welness à payer à la société Guerlain la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- débouté les parties de leurs demandes autres, complémentaire et contraires ;

- condamné la société Welness aux dépens.

Le Tribunal de commerce de Paris a constaté, au vu des justificatifs de chiffres d'affaires produits par la société Welness pour la période 2012-2014, que l'activité entre les deux partenaires augmentait et que la société Welness pouvait donc légitimement croire en la pérennité de la relation et anticiper une certaine continuité du flux d'affaires avec la société Guerlain. Les premiers juges ont donc dit que la relation commerciale entre la société Welness et la société Guerlain était établie.

Le Tribunal de commerce de Paris a ensuite jugé que la société Guerlain n'avait pas rompu brutalement la relation commerciale établie avec la société Welness. Les premiers juges ont en effet constaté que la société Guerlain avait essayé de trouver des arrangements pour mettre fin au conflit entre le Dr Lamboley et Mme Bazzah, lesquels ont tous été refusés par la société Welness. Ils ont estimé que par son refus de poursuivre la formation programmée dans les termes convenus, la société Welness avait rendu l'exécution des prestations en binôme impossible. Ils ont en outre constaté que le Dr Lamboley avait lui-même souhaité arrêter les formations en solo puisqu'il ne souhaitait plus assurer les formations aux dates prévues en raison d'interventions programmées ailleurs.

La société Welness a régulièrement interjeté appel de cette décision par déclaration du 21 juin 2017.

Prétentions des parties

Par ses conclusions signifiées par RPVA le 6 juillet 2018, auxquelles il est fait référence pour plus amples exposé des motifs, de leurs moyens et de leur argumentation, la société Welness sollicite de la cour de :

Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,

infirmer le jugement du Tribunal de commerce sauf en ce qu'il a reconnu l'existence de relations commerciales établies

déclarer recevable et bien fondée la société Welness en ses demandes

déclarer comme brutale la rupture des relations commerciales établies entre la société Guerlain et la société Welness

condamner la société Guerlain à payer à la société Welness la somme de 20 000 euros au titre du manque à gagner pour les formations annulées

condamner la société Guerlain à payer à la société Welness la somme de 5 000 euros au titre de l'indemnité de préavis

ordonner l'exécution provisoire

condamner la société Guerlain en tous les dépens

La société Welness soutient qu'au moment des faits, la relation commerciale qu'elle entretenait avec la société Guerlain durait depuis plus de 3 ans et lui avait rapporté plus de 45 100 euros, soit 20 % de son chiffre d'affaires. Elle explique que cette relation était donc stable, suivie et habituelle.

La société Welness soutient qu'elle n'a commis aucune faute contractuelle justifiant que la société Guerlain rompe sans préavis leur relation commerciale établie. Elle explique que les dissensions intervenues entre Mme Bazzah et M. Lamboley n'ont eu aucun impact sur les formations dispensées par ce dernier.

La société Welness explique que le 11 mai 2015, la société Guerlain a annoncé de manière brutale et sans préavis qu'elle annulait l'intégralité des formations, alors même que dix jours auparavant elle lui avait confirmé qu'elle maintenait les formations pour l'année 2015. Elle estime que la société Guerlain aurait dû respecter un préavis de 4 mois et sollicite la condamnation de celle-ci au paiement de la somme de 5 000 euros.

La société Welness ajoute qu'en annulant 9 formations contractuellement prévues, la société Guerlain lui a causé un manque à gagner d'un montant de 20 000 euros HT.

Par ses conclusions signifiées par RPVA le 3 juillet 2018, auxquelles il est fait référence pour plus amples exposé des motifs, de leurs moyens et de leur argumentation, la société Guerlain sollicite de la cour de :

Vu l'article 1134 du Code civil,

Vu l'article L. 442-6 du Code de commerce,

A titre principal,

infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 15 mai 2017 en ce qu'il a estimé que les relations commerciales des sociétés Welness et Guerlain étaient établies

débouter la société Welness de l'ensemble de ses demandes au titre de la rupture brutale d'une relation commerciale établie

A titre subsidiaire, si le jugement dont il est relevé appel n'était pas infirmé sur ce qui précède,

confirmer le jugement dont il est relevé appel en ce qu'il a estimé que la société Welness a gravement manqué à ses obligations contractuelles et dire que la société Guerlain n'a pas rompu de manière brutale cette relation commerciale établie

débouter la société Welness de l'ensemble de ses demandes au titre de la rupture brutale d'une relation commerciale établie

A titre infiniment subsidiaire,

juger que la société Welness n'a subi aucun préjudice

En tout état de cause,

débouter la société Welness de l'ensemble de ses prétentions, fins et conséquences en ce qu'elles sont dirigées à l'encontre de la société Guerlain

condamner la société Welness à payer à la société Guerlain la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile condamner la société Welness aux entiers dépens

Sur le caractère établi des relations commerciales entre la société Guerlain et la société Welness,

La société Guerlain rappelle que les relations entretenues avec la société Welness ne sont pas significatives puisqu'elles ne représentaient qu'une part infirme de l'activité de chacune d'elle. Elle estime que la société Welness n'a jamais réalisé que 5 % de son chiffre d'affaires total avec elle.

La société Guerlain soutient en outre que les relations entretenues avec la société Welness n'étaient pas régulières. Elle rappelle que leurs relations ont duré moins de 3 ans et qu'aucun contrat n'a été conclu entre elle en raison de la ponctualité des interventions de M. Lamboley. Elle indique que les besoins en formation d'une société sont nécessairement aléatoires et variés si bien que la société Welness ne pouvait croire en la poursuite d'un flux continu d'affaires. Elle affirme que leurs relations commerciales étaient ainsi frappées d'une précarité structurelle.

Sur l'absence de rupture brutale,

La société Guerlain prétend que la société Welness s'est refusée à toute exécution de la formation en binôme telle qu'elle était prévue et l'a ainsi contraint à trouver un autre prestataire afin d'assurer des prestations qui n'étaient plus honorées et exécutées. Elle explique qu'elle a tenté d'assister les deux intervenants dans la gestion de leur conflit mais que M. Lamboley a refusé tout compromis. Elle rappelle que le 29 avril 2015, la société Welness a déclaré qu'elle arrêtait les formations en binôme, alors même que le choix d'un binôme composé de M. Lamboley et de Mme Bazzah était une condition déterminante et essentielle de l'engagement. Elle en déduit que c'est la société Welness qui est à l'origine de la rupture de leur relation commerciale.

Sur l'indemnisation du préjudice de la société Welness,

La société Guerlain rappelle que la partie qui subit une rupture brutale ne peut obtenir réparation du préjudice découlant de la rupture elle-même, c'est à dire du manque à gagner. En tout état de cause elle soutient que M. Lamboley n'a pas subi de manque à gagner consécutivement à l'annulation des formations programmées puisqu'il n'était ensuite plus disponible en raison de nombreuses demandes d'intervention extérieures.

Concernant l'indemnité de préavis, la société Guerlain affirme que la société Welness s'est elle-même placée dans l'impossibilité d'exécuter ledit préavis puisque M. Lamboley s'est rendu indisponible pendant plus de 2 mois.

Sur la demande de remise des supports de formation,

La société Guerlain remarque que la société Welness n'appuie cette demande par aucun texte, fait ou argument.

A l'audience de plaidoirie du 6 septembre 2018, les parties demandent la révocation de l'ordonnace de clôture du 5 juillet 2018.

Une nouvelle ordonnance de clôture est rendue ce jour.

Sur ce ;

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies ;

Considérant que l' article L. 442-6 I 5° du Code de commerce dispose : " Engage la responsabilité de son auteur et l' oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan : (...)

5°) De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminé, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (...) ",

que l'application de ces dispositions suppose l'existence d'une relation commerciale, qui s'entend d'échanges commerciaux conclus directement entre les parties, revêtant un caractère suivi, stable et habituel laissant raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine pérennité dans la continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux,

qu'en outre la rupture doit avoir été brutale, soit sans préavis écrit soit avec un délai de préavis trop court ne permettant pas à la partie qui soutient en avoir été la victime de pouvoir trouver des solutions de rechange et de retrouver un partenaire commercial équivalent ;

Considérant qu'en l'espèce, il n'est pas contesté que les parties étaient en relations d'affaires depuis 2012, la société Guerlain confiant à la société Welness des formations, que le 11 mai 2015, la société Guerlain a annoncé qu'elle annulait l'intégralité des formations en binôme comprenant 5 dates restantes pour l'année 2015 concernant " Energie et récupération " pour les conseillères de vente,

que pour les formations " Energie et récupération " animées uniquement par M. Lambolay, Guerlain proposait de maintenir la session du 27 mai et de discuter de vive voix lors d'une rencontre des propositions de M. Lambolay pour la suite de ces formations,

que l'absence de contrat n'exclut pas l'existence d'une relation commerciale établie,

que la société Guerlain ne peut légitimement soutenir que cette relation n'était pas régulière et qu'elle était entâchée d'une précarité structurelle au motif du caractère aléatoire des besoins en formation et de la ponctualité des interventions de M. Lambolay alors qu'il résulte des pièces communiquées que ces formations étaient régulières depuis 2012 et qu'elles représentaient un chiffre d'affaire en augmentation atteignant 20 % de la société Welness Management, ce qui pouvait lui laisser raisonnablement anticiper une certaine pérennité du flux d'affaires,

que c'est donc à juste titre que les premiers juges ont qualifié la relation commerciale d'établie au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce;

Considérant que l'existence d'une relation commerciale établie n'interdit pas une rupture des relations commerciales sans préavis s'il existe des manquements à ses obligations par la partie subissant la rupture justifiant cette rupture,

qu'en effet, cette exception d'inexécution résulte de l'article L. 442-6 I 5° qui dispose: " Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. ",

qu'en l'espèce, la société Welness Management s'est trouvée dans l'impossibilité de répondre à la demande de la société Guerlain pour effectuer des formations en binôme en raison du conflit entre les deux formateurs (M. Lambolay et Mme Bazzah),

qu'ainsi M. Lambolay refusait la réunion de médiation en présence de Mme Bazzah proposée par la société Guerlain,

que par courriel du 27 avril 2015, il écrit notamment: " (...) je ne peux plus co-animer avec Samira (j'ai une sorte d'allergie vis-à-vis de la mauvaise foi et des gens pas réglo) " et dans celui du 29 avril

" Sache que je refuse toute réunion, compromis et formation avec cette fille qui n'a aucune éthique et sens des valeurs ",

que la société Guerlain écrivait le 29 avril 2015 à M. Lambolay et Mme Bazzah qu'elle espérait qu'ils allaient trouver un terrain d'entente pour honorer le contrat, 5 sessions restant à effectuer,

que M. Lambolay refusait d'assurer la formation du 1er juin " avec un intervenant qui change les règles du jeu en cours de formation et qui me traîte de menteur de surcroît ",

qu'en outre il refusait par courriel du 30 avril la réunion de médiation dans la semaine du 11 mai en présence de Mme Bazzah proposée par la société Guerlain,

que la société Guerlain s'est vue, dans ce contexte, dans l'obligation de rompre la relation commerciale avec la société Welness Management, la proposition de M. Lambolay d'assurer seul les formations ne répondant pas à la demande de la société Guerlain,

que de plus, il n'assurait pas la formation du 27 mai qui était proposée par Guerlain et repoussait sans cesse les dates de réunion prétextant d'un emploi du temps chargé, une réunion se tenant finalement le 30 juin 2015 entre les représentants de Guerlain et M. Lambolay au cours de laquelle la décision de cesser toute collaboration était notifiée avec M. Lambolay,

qu'ainsi, le refus de la société Welness Management de poursuivre la formation programmée dans les termes convenus (en binôme) et l'impossibilité d'organiser une rencontre pour la suite des formations en solo, constituent des manquements d'une gravité suffisante qui justifient une rupture des relations commerciales sans préavis,

qu'en conséquence, il convient de confimer le jugement entrepris ;

Considérant que l'équité impose de condamner la société Welness Management à payer à la société Guerlain la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement entrepris ; Condamne la société Welness Management à payer à la société Guerlain la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; La Condamne aux entiers dépens.