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Décisions

Cass. crim., 17 octobre 2018, n° 17-86.910

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulard

Rapporteur :

M. Stephan

Grenoble, ch. corr., du 8 nov. 2017

8 novembre 2017

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par M. X contre l'arrêt de la Cour d'appel de Grenoble, chambre correctionnelle, en date du 8 novembre 2017, qui, pour abus de faiblesse, l'a condamné à deux ans d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve et a prononcé sur les intérêts civils ; - Vu le mémoire produit ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, du jugement qu'il confirme et des pièces de procédure que Mme Y a déposé plainte pour abus de faiblesse contre son neveu, M. X, lequel, pour satisfaire son addiction aux jeux d'argent, s'était fait régulièrement remettre par sa tante des sommes évaluées à un montant global de 200 000 euros, entre le 5 août 2010 et le 9 octobre 2013 ; que M. X, poursuivi devant le tribunal correctionnel, a été reconnu coupable et condamné à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve et condamné à indemniser la victime ; que le prévenu et le ministère public ont interjeté appel de cette décision ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 223-15-2, 223-15-3 du Code pénal, 592 et 597 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a condamné le prévenu du chef d'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse de Mme Y ;

"aux motifs notamment que l'ensemble des éléments précédemment analysés démontrent amplement qu'âgée de 80 ans au moment des faits litigieux, Mme Y a été à cette date et depuis 2008, affaiblie physiquement et psychologiquement, son état étant aggravé par le fait qu'elle n'avait jamais eu en charge la comptabilité de son foyer ni complètement assimilé le passage à l'euro, l'ampleur de son appauvrissement confirmant qu'alors qu'elle n'avait, selon ses propres termes " pas l'habitude d'avoir des découverts ", son état de la mettait plus en mesure de vérifier le bien-fondé des actes auxquels elle était conduite ; que M. X qui a côtoyé Mme Y, notamment pour obtenir régulièrement d'elle de très importantes sommes d'argent, qui a admis l'avoir conduite à l'hôpital pour qu'elle y subisse une lourde opération chirurgicale le 17 avril 2012, ne peut sérieusement prétendre n'avoir pas relevé son état de grande fragilité, fragilité décrite par les médecins qui n'a échappé ni aux banquiers chargés de la conseiller, ni à ses proches ni aux enquêteurs ; que M. X soutient d'autre part avoir toujours eu l'intention de rembourser à Mme Y les sommes qu'il prétend n'avoir fait que lui emprunter ; qu'il se prévaut du testament olographe par lequel il l'a institué en tant que sa légataire universelle, de l'engagement écrit daté du 4 septembre 2013 " d'hypothéquer sa maison située à Montluel s'il n'avait pas remboursé Mme Y au 1er mai 2014 ; que le Jugement déféré a cependant exactement relevé que le document du 4 septembre 2013 est très postérieur aux remises d'argent obtenues de Mme Y ; qu'il observe en outre avec bons sens que M. X a 17 ans de moins que cette dernière, qu'il était donc peu probable qu'elle décède après lui et puisse réellement bénéficier de son héritage ; qu'à la barre de la juridiction de première instance, le prévenu a en outre annoncé comme imminent le remboursement promis ; que reconnaissant à l'audience du 11 octobre 2017 devoir une somme supérieure à 154 000 euros, il n'a donc pas procédé au remboursement annoncé depuis le 1er mai 2014 remboursement dont il a réitéré faussement la promesse à la barre du tribunal correctionnel ; que M. X a enfin, le 12 septembre 2017, soit quelques semaines avant l'audience de la cour, fait donner une forme authentique à son engagement hypothécaire pour garantir une dette de 157 374 euros ; que pour autant, il sera observé qu'alors qu'il promettait à l'audience du tribunal correctionnel du 3 février 2016 qu'il allait vendre sa maison, il n'a signé un mandat de vente que le 21 février 2017 ; que la décision déférée a encore justement relevé que M. X savait qu'il était interdit bancaire lorsqu'il a remis le chèque de 154 774 euros puisqu'il a demandé à Mme Y de ne pas encaisser ce chèque pour cette raison ; que la décision a par conséquent justement conclu que M. X a perçu d'importantes sommes d'argent de Mme Y dont il ne pouvait ignorer la particulière vulnérabilité et sans aucune intention sincère de la rembourser ; qu'il sera constaté que cette résistance s'est maintenue jusque peu avant l'audience de la cour ; que le jugement critiqué sera dès lors confirmé en ce qu'il a déclaré M. X coupable dans les termes de la prévention ;

"1°) alors que le délit de l'article 223-15-2 du Code pénal suppose que la victime de l'abus soit une personne d'une " particulière vulnérabilité " ; que le seul affaiblissement physique et psychologique d'une personne âgée ne peuvent suffire à caractériser un état de particulière vulnérabilité pour l'accomplissement sans menace ni contrainte d'actes pour lesquels elle avait toute capacité en droit qu'en fait ; que dès lors l'arrêt attaqué n'a pas caractérisé la particulière vulnérabilité de Mme Y et a privé en conséquence la condamnation prononcée de toute base légale ;

"2°) alors que le délit prévu par l'article 223-15-2 du Code pénal suppose que la personne particulièrement vulnérable a commis des actes qui lui sont gravement préjudiciables ; que les prêts d'argent consentis par la personne vulnérable à un membre de sa famille qui lui est très proche, ne lui sont gravement préjudiciables que s'ils compromettent les éléments de son train de vie ; qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué qui n'a procédé à aucune constatation sur les ressources dont disposait la victime, ni sur la conséquence sur son train de vie des prêts qu'elle avait consentis au prévenu, qu'elle considérait comme son fils, n'est pas légalement justifié ;

"3°) alors que l'arrêt attaqué constate que le prévenu avait souscrit une reconnaissance de dette pour le montant des sommes prêtées ; que ce dernier faisait valoir qu'il disposait d'un patrimoine permettant de couvrir le montant de la dette résultant de ces emprunts ; qu'en considérant dès lors, en l'absence d'appauvrissement définitif de la victime, que les prêts consentis au prévenu lui étaient gravement préjudiciables, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations de fait" ;

Attendu que pour confirmer le jugement sur la culpabilité du prévenu du chef d'abus de faiblesse, l'arrêt attaqué relève qu'un certificat médical établi en 2013, émanant du médecin traitant, évoquant l'âge de Mme Y, son état dépressif dû à la disparition de son mari en 2016 puis d'une belle-soeur dont elle était proche, entraînant, depuis 2010, une perte de l'élan vital et des capacités de discernement, concluait à la particulière vulnérabilité de l'intéressée à d'éventuelles malversations ; qu'une expertise ordonnée par le tribunal a fait ressortir, pour la victime, une détérioration intellectuelle légère liée à l'âge mais également un syndrome parkinsonien, des séquelles d'une intervention neuro-chirurgicale, des troubles de l'équilibre, une faiblesse des membres, l'expert confirmant les conséquences importantes du décès du mari en 2006 et le sentiment pour elle, depuis lors, de se sentir perdue ; que les juges, après avoir relevé que cet état ne pouvait être méconnu du prévenu, ajoutent notamment que le compte de Mme Y s'est trouvé débiteur du fait des sommes régulièrement remises à M. X, que les engagements de remboursement pris par le prévenu, interdit bancaire, y compris devant le tribunal, n'ont pas été respectés, à l'exception d'un remboursement partiel intervenu en 2012, et que, Mme Y étant plus âgée de dix-sept ans, le fait pour le prévenu de l'avoir désignée par testament en qualité de légataire universelle, postérieurement aux remises de fond, rendait peu probable l'exécution de cet engagement ;

Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Mais sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 132-1 et 132-19 du Code pénal, 485, 592 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a condamné le prévenu à la peine de deux années d'emprisonnement avec sursis avec mise à l'épreuve pendant une durée de trois ans ;

"aux motifs que la peine infligée à M. X sera en revanche portée par voie de réformation partielle à deux ans d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve pendant trois ans, peine sanctionnant plus justement la gravité des faits et d'abus frauduleux de la faiblesse commis au préjudice de Mme Y et permettant d'assurer de façon plus effective compte-tenu de la résistance de M. X le dédommagement de la victime ;

"alors que toute peine prononcée par la juridiction doit être individualisée et son quantum et son régime déterminés en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur, ainsi que de sa situation matérielle familiale et sociale ; qu'en l'espèce, pour prononcer la peine à l'encontre de M. X l'arrêt attaqué n'a tenu compte ni de sa personnalité, ni de sa situation matérielle familiale et sociale ; ainsi l'arrêt attaqué n'est pas motivé en violation des articles susvisés 132-1 du Code pénal et 485 du Code de procédure pénale" ;

Vu l'article 132-1 du Code pénal et les articles 485, 512 et 593 du Code de procédure pénale ; - Attendu qu'en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de son auteur et de sa situation personnelle ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que, pour condamner M. X à la peine de deux ans d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve, l'arrêt attaqué retient que cette peine est de nature à sanctionner plus justement la gravité des actes commis et de permettre de façon plus effective le dédommagement de la victime, compte tenu de la résistance du prévenu ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, sans s'expliquer sur la personnalité du prévenu et sa situation personnelle, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

Par ces motifs : casse et annule l'arrêt susvisé de la Cour d'appel de Grenoble, en date du 8 novembre 2017, mais en ses seules dispositions relatives à la peine prononcée, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ; et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée, renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Lyon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.