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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 31 octobre 2018, n° 14-21461

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Meala International (Taïwan) Limited (Sté)

Défendeur :

CFEB Sysley (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Teytaud, Rouhette, Vignes, Touraille

T. com. Paris, du 11 sept. 2014

11 septembre 2014

Faits et procédure

Vu le jugement rendu le 11 septembre 2014 par le Tribunal de commerce de Paris qui a :

- débouté la société Meala international (Taiwan) limited de sa demande en nullité du protocole transactionnel du 23 novembre 2007 et de sa demande de dommages-intérêts,

- débouté la société CFEB Sisley de sa demande reconventionnelle,

- condamné la société Meala international (Taïwan) limited à payer la somme de 25 000 euros à la société CFEB Sisley par application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire,

- débouté les parties de toutes leurs autres demandes,

- condamné la société Meala international (Taïwan) aux dépens ;

Vu la déclaration d'appel et les dernières conclusions notifiées le 2 octobre 2017 par lesquelles la société Meala international (Taïwan) limited demande à la cour, au visa des articles 1111, 1112 et 2053 anciens du Code civil, de :

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de l'intégralité de ses demandes,

- dire que l'accord transactionnel conclu entre elle et la société CFEB Sisley le 23 novembre 2007 doit être rescindé car vicié par la violence économique exercée par la société CFEB Sisley à son encontre pour la contraindre à contracter,

- condamner la société CFEB Sisley à lui payer la somme de 31 316 037 euros, au titre des restitutions en valeur consécutives à la rescision de l'accord transactionnel, avec intérêts au taux légal à compter du 23 mai 2011,

- débouter la société CFEB Sisley de toutes ses demandes,

- condamner la société CFEB Sisley aux dépens et à lui payer la somme de 60 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions notifiées le 18 juillet 2018 par lesquelles la société CFEB Sisley demande à la cour, au visa des articles 1111, 1112, 2040 et suivants du Code civil, dans leur version en vigueur avant le 1er octobre 2016, de :

- à titre principal, confirmer le jugement, débouter la société Meala international de son appel et la condamner au paiement de la somme de 100 000 euros pour procédure abusive,

- à titre subsidiaire, si par extraordinaire la nullité du protocole transactionnel était prononcée, condamner la société Meala international à lui rembourser la somme de 4 312 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 12 février 2014, date de ses conclusions devant le tribunal demandant sa restitution,

- en tout état de cause, condamner la société Meala international aux dépens et au paiement de la somme de 80 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Sur ce

La société CFEB, ci-après la société Sisley, conçoit, fabrique et commercialise, sous sa propre marque, des produits de soin et de maquillage ainsi que des parfums. Dans le cadre de son développement à l'international, par contrat du 28 décembre 1988, elle a confié à la société Sunnyville Trading Co, dirigée par M. et Mme X, la distribution exclusive de ses produits à Taïwan. Puis la société Sunnyville Trading Co a créé une filiale, la société Meala international (Taïwan) Ltd, ci-après la société Meala, pour prendre en charge l'importation et la distribution des produits Sisley à Taïwan. Par deux contrats successifs des 3 janvier 1990 et 1er janvier 1992, la société Sisley a alors confié à la société Meala la distribution de ses produits à Taïwan.

Le dernier contrat de distribution, conclu pour une durée initiale de deux ans, soit jusqu'au 1er janvier 1994, était renouvelable par tacite reconduction, sauf dénonciation par l'une ou l'autre des parties en respectant un préavis de trois mois.

Les relations entre les parties se sont poursuivies sur la base de ce contrat tacitement reconduit mais par lettre du 10 août 2007, la société Sisley a informé la société Meala qu'elle avait décidé d'ouvrir une succursale à Taïwan et que, par conséquent, elle ne reconduirait pas le contrat de distribution à la fin de l'année 2017. Elle y précisait :

"Même si celle-ci était sans doute prévisible, je suis certain que ce n'est pas la meilleure nouvelle que vous souhaitiez apprendre de Sisley.

Les raisons pour lesquelles nous avons retardé la création d'une filiale à Taïwan sont liées à notre histoire : le souvenir des débuts de Sisley à Taïwan à vos côtés il y a 18 ans, l'implication personnelle et fortement appréciée de Mme X, notre attachement à votre famille et la relation spéciale que nous avons nouée avec vous au fil des ans.

Aujourd'hui, nous estimons que nous ne pouvons plus retarder davantage ce processus pour les raisons suivantes : la création de notre succursale à Hong Kong il y a presque 2 ans, la mise en place d'une organisation plus importante pour gérer l'Asie, la croissance constante de notre société à l'échelle mondiale et la nécessité de structurer."

Il s'en est suivi des échanges entre les parties qui ont abouti à la signature d'un accord de résiliation le 23 novembre 2007 ; cet accord contient notamment les stipulations suivantes :

- les parties ont décidé de prolonger le préavis de résiliation jusqu'au 30 juin 2008,

- la société Meala s'est engagée à poursuivre le programme de fidélité actuel jusqu'au 30 juin 2008, la société Sisley ou la société affiliée s'engageant à exécuter les obligations en découlant après le 30 juin 2008,

- les sociétés Meala et Sisley ont décidé d'envoyer ensemble à tous les grands magasins une lettre d'information signée conjointement, avant le 1er avril 2008, et d'établir un calendrier pour se rendre dans les grands magasins afin de présenter la nouvelle direction,

- la société Sisley s'est engagée à payer à la société Meala :

* les salaires et autres avantages habituels des conseillers beauté et des responsables de corners (points de vente dans les grands magasins) pour la période du 1er janvier au 30 avril 2008 s'engageant à embaucher ces salariés à compter du 1er mai 2008, s'ils en exprimaient le désir avant le 15 avril 2008,

* une remise de 15 % sur la base de tous les achats nets effectués au premier semestre 2008,

* les stocks et la somme de 650 000 euros correspondant à la valeur non amortie des corners,

- la société Meala s'est engagée de son côté à :

* maintenir les conditions de vente et de promotions habituelles jusqu'au terme du préavis,

* transmettre l'intégralité des fichiers clients et VIP,

* vendre à Sisley la totalité des corners, y compris leurs équipements, mobiliers et aménagements, moyennant 650 000 euros,

* transférer à Sisley les contrats conclus ou en cours de négociation avec chacun des grands magasins,

* restituer à Sisley toutes les informations confidentielles communiquées dans le cadre du contrat de distribution,

- M. X s'est vu attribuer le titre honorifique de président de la succursale Sisley pendant 5 ans accompagné du versement d'une indemnité de 210 000 euros.

Sous l'article 5 de l'accord, intitulé "règlement définitif", les parties indiquent qu'il est conclu aux conditions des articles 2044 et suivants du Code civil et elles déclarent renoncer à toute prétention ou action relative à la résiliation du contrat de distribution. Elles reconnaissent respectivement que leur consentement au présent accord n'a en aucun cas fait l'objet d'une contrainte et qu'il exprime leurs intentions en pleine connaissance des faits et des conséquences.

Le 8 novembre 2012, la société Meala a fait assigner la société Sisley devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins d'obtenir l'annulation de cet accord de résiliation et la condamnation de la société Sisley à lui payer la somme de 31 316 037 euros, à titre de dommages-intérêts ; le tribunal, par le jugement déféré, l'a déboutée de toutes ses demandes et a rejeté la demande de la société Sisley pour procédure abusive.

La société Meala, appelante, reproche à la société Sisley :

- d'avoir décidé, de longue date et avant la résiliation unilatérale du 10 août 2007, de créer sa propre filiale à son détriment, sans rechercher à la prévenir plus en amont alors qu'elle dépendait entièrement de son fournisseur,

- de lui avoir imposé la résiliation à ses conditions en organisant des rencontres très rapidement, en lui posant un ultimatum le 28 septembre 2007 et, après sa réponse du 10 octobre 2007, en exerçant un chantage sur elle le 12 octobre 2007.

Elle analyse l'attitude la société Sisley comme un refus de négocier loyalement les conséquences de la rupture du contrat.

Soutenant que son consentement à l'accord transactionnel du 27 novembre 2007 a été vicié par la violence économique exercée par la société Sisley, la société Meala allègue d'abord qu'elle se trouvait en état de dépendance économique à l'égard de la société Sisley. Elle expose en ce sens qu'elle était liée par une clause d'exclusivité lui interdisant de vendre même en dehors du territoire concédé toute ligne de produits cosmétiques concurrente en termes de prix, de positionnement et de distribution et que la part de son chiffre d'affaires provenant de la distribution des produits Sisley s'élevait à 80 %. Elle souligne que depuis sa création, son activité n'a pu qu'être exclusivement dédiée au développement de la marque Sisley à Taïwan, qu'elle a dû s'acquitter d'un certain nombre de frais (enregistrement des formules de Sisley, coût de lancement des nouveaux produits, frais relatifs à la livraison des produits) et qu'elle devait réaliser un minimum de 75 % du chiffre d'affaires défini au contrat sous peine de résiliation.

L'appelante prétend ensuite que la société Sisley a abusé de son état de dépendance économique pour obtenir la conclusion de l'accord transactionnel : en brandissant des menaces et posant des ultimatums entre août et novembre 2007, en évoquant la rumeur négative qui se répandrait sur elle si aucun accord n'était rapidement conclu et annoncé au marché, et, enfin, en affirmant que sa proposition était plus avantageuse que ce que conférait la loi française au titre de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.

Comparant les propositions faites par la société Sisley en septembre 2007 à ses contre-propositions d'octobre 2007 et aux termes de l'accord transactionnel, la société Meala en déduit que la société Sisley, qui n'a versé aucune indemnité compensant la résiliation du contrat, a eu l'intention dès le départ de la spolier de son fonds de commerce qu'elle avait créé et développé pendant 18 ans et qui a été valorisé à 30 000 000 euros par le cabinet Primexis ; elle fait valoir que les prétendues concessions accordées par la société Sisley l'ont été en fait au profit de celle-ci, lui permettant d'organiser au mieux la reprise de la distribution des produits en récupérant la totalité de sa clientèle, la totalité des contrats avec les grands magasins de Taïwan, le bénéfice de ses investissements réalisés dans ses points de vente, ses principaux actifs et ses salariés hautement qualifiés qu'elle avait formés.

La société Meala ajoute que la violence économique exercée par la société Sisley a été déterminante de son consentement puisque l'annonce publique de la résiliation de son contrat le 31 décembre 2007, dont la société Sisley la menaçait, aurait entraîné la suspension de ses lignes de crédit et jeté le discrédit sur elle dans son domaine d'activité.

En conséquence, elle estime bien fondée sa demande en paiement de la somme de 31 316 037 euros, au titre des restitutions par équivalent consécutives à la rescision de l'accord transactionnel.

Il convient d'observer, à titre préliminaire, que la société Sisley était en droit de ne pas renouveler le contrat de distribution sous réserve de respecter un préavis suffisant pour permettre à la société Meala de réorganiser son activité. Le protocole transactionnel signé le 27 novembre 2007 avait pour objet de régler le litige opposant les parties sur les conditions dans lesquelles devait intervenir le non-renouvellement du contrat.

Il apparaît des pièces versées au dossier que :

- par courriel du 28 septembre 2007 adressé à M. X, la société Sisley s'est référée aux rencontres ayant eu lieu entre les parties les 5 et 7 septembre 2007, a re-formulé ses propositions portant en particulier sur sa reprise des salariés et celle des corners avec paiement de la part non amortie, un poste honorifique pour M. X pour une durée de 3 ans assorti d'une rémunération et "un calendrier" au 31 décembre 2007 ou 31 mars 2008,

- la société Meala a répondu le 10 octobre 2007 en rappelant qu'elle avait travaillé avec la société Sisley pendant 18 ans avec dévouement et qu'elle se demandait pourquoi celle-ci ne lui offrait pas la possibilité de l'aider à surmonter progressivement ce problème inattendu et préjudiciable ; elle formulait alors les contre-propositions suivantes : délai de préavis de 2 ans, transfert à Sisley des points de vente pour 5 500 000 euros et des instituts pour 500 000 euros, transfert à Sisley de son fichier client VIP pour 9 000 000 euros, transfert de certains salariés pour 1 500 000 euros, paiement par Sisley de 1 500 000 euros au titre des indemnités de licenciement que Meala devrait verser aux salariés non transférés et paiement par Sisley de la somme de 7 000 000 euros au titre du préjudice subi du fait de la résiliation ; elle insistait sur l'importance d'une communication conjointe au marché sur la résiliation du contrat, ménageant ses intérêts,

- par lettre du 12 octobre 2007, la société Sisley a fait part à la société Meala de sa surprise sur le contenu de sa lettre du 10 octobre et de ses propositions irréalistes ne pouvant servir de base à aucun accord, lui précisant que si elle n'était pas intéressée par sa proposition, elle-même respecterait strictement les conditions contractuelles et prendrait des dispositions pour l'annonce au marché le 1er novembre, mais se déclarait toujours ouverte à la discussion sous réserve d'une réponse avant le 1er novembre,

- le 28 octobre 2007, Primexis a transmis à la société Meala une évaluation de son activité de distributeur des produits Sisley,

- le 16 novembre 2007, la société Meala a transmis les commentaires de son conseil juridique sur le projet de protocole transactionnel, la société Sisley précisant dans ses écritures, sans être démentie, que les commentaires apparents sur ce projet émanaient de son avocat Me Y.

Les discussions entre les parties se sont donc déroulées pendant plus de 3 mois, période au cours de laquelle la société Meala a bénéficié de conseils d'ordre juridique, économique et financier.

Même si la société Meala était tenue par une clause lui interdisant de vendre ou livrer, même en dehors du territoire concédé, toute ligne de produits cosmétiques concurrente en terme de prix, positionnement et distribution, elle restait libre de commercialiser d'autres marques de son choix définies comme non concurrentes des produits Sisley. Ayant choisi de limiter son activité aux produits Sisley, elle ne démontre pas la réalité de l'état de dépendance économique allégué.

Il n'est pas contestable qu'un accord amiable était favorable à la société Meala dans la mesure où sa bonne santé financière et sa réputation auraient pu être mises à mal à l'annonce unilatérale par la société Sisley de la cessation de leur collaboration.

Contrairement à ce que soutient la société Meala, le protocole transactionnel renferme des concessions réciproques telles qu'énumérées plus haut, profitant aux deux parties, sans que la société Sisley, qui a consenti à un préavis de 10 mois et demi et versé la somme totale de 4 132 000 euros, bénéficie d'un avantage manifestement excessif.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, la société Meala ne rapporte par la preuve que son consentement a été vicié par violence économique ; en conséquence, toutes ses demandes doivent être rejetées.

Afin d'étayer sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, la société Sisley énonce :

- que la remise en cause d'une transaction sur le fondement de prétentions vouées à l'échec peut dégénérer en abus du droit d'ester en justice,

- que tel est le cas en l'espèce, la société Meala remettant en cause la validité du protocole sur la base d'une présentation inexacte des faits et d'arguments juridiques infondés, son action étant dépourvue de justification économique ou financière,

- que compte tenu des sommes considérables réclamées par la société Meala, elle a dû faire établir un rapport par le cabinet d'expert et conseil financier Finexsi, engendrant des coûts significatifs et la mobilisation de ses collaborateurs.

Mais d'une part la société Meala n'a pas fait dégénérer en abus son droit d'agir en justice et de relever appel, d'autre part les coûts invoqués par l'intimée relèvent de l'application de l'article 700 du Code de procédure civile ; par conséquent la société Sisley sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts.

Par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, il y a lieu d'allouer la somme supplémentaire de 40 000 euros à la société Sisley et de débouter la société Meala de sa demande de ce chef.

Par ces motifs LA COUR, Confirme le jugement en toutes ses dispositions ; y ajoutant, Déboute les parties de toutes leurs autres demandes ; Condamne la société Meala international (Taïwan) limited aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile ; Condamne la société Meala international (Taïwan) limited à payer à la société CFEB Sisley la somme de 40 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile.