CA Pau, 2e ch. sect. 1, 25 octobre 2018, n° 17-00449
PAU
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Basco Habitat (SARL )
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Morillon
Conseiller :
M. Darracq
Avocats :
Mes Dalloz, Bouget, l'Hoiry
Exposé des faits et procédure :
Par acte du 4 décembre 2000, Monsieur Laurent G. et Monsieur Pascal F. ont créé avec Monsieur Jean Claude I., la société Basco Menuiseries située à Anglet ayant pour activité la vente et la pose de menuiserie, fermeture, agencement, pose de parquet et revêtement. Monsieur Laurent G. et Monsieur Pascal F., associés minoritaires, étaient aussi salariés de cette entreprise.
La SAS Basco Habitat, société holding créée pour l'occasion, a racheté selon acte du 12 mars 2012, 90 % des parts de la SARL Basco Menuiseries moyennant un prix global de 519 473 . A l'issue de cette opération, Monsieur Laurent G. et Monsieur Pascal F. ont chacun conservé 38 parts sociales et leur poste de technico commercial dans la SARL Basco Menuiseries.
Il était prévu dans cet acte une clause aux termes de laquelle les cédants s'engageaient à ne pas concurrencer directement ou indirectement la société cédée et ce dans un rayon de 50 kms et pour une durée de 3 ans.
Par lettre du 25 novembre 2013, Monsieur Pascal F. a donné sa démission de son poste salarié mais aucun accord n'est intervenu avec la SAS Basco Habitat pour le rachat de ses parts sociales.
Par lettre du 29 mars 2014, Monsieur Laurent G. a également donné sa démission, tout en restant détenteur de ses parts sociales dans la SAS Basco Habitat.
Se plaignant de ce que les deux cessionnaires travailleraient pour une société concurrente, par acte du 4 novembre 2015, la SAS Basco Habitat a fait assigner Monsieur Laurent G. et Monsieur Pascal F. devant le tribunal de commerce de Bayonne aux fins de :
- constater l'existence d'une clause de non concurrence dans le contrat de cession de parts sociales du 12 mars 2012 pour une durée de 3 ans,
- constater le comportement déloyal de Monsieur Laurent G. et de Monsieur Pascal F.,
- condamner solidairement Monsieur Laurent G. et Monsieur Pascal F. à lui payer la somme de 58 384,57 majorée des intérêts légaux à compter de l'assignation,
- condamner solidairement Monsieur Laurent G. et Monsieur Pascal F. à lui payer une somme de 10 000 à titre de réparation du préjudice moral majorée des intérêts légaux à compter de l'assignation,
En tout état de cause,
- ordonner l'exécution provisoire,
- condamner solidairement Monsieur Laurent G. et Monsieur Pascal F. à lui payer une somme de 3 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens,
- débouter Monsieur Laurent G. et Monsieur Pascal F. de leurs demandes.
Par jugement du 10 octobre 2016, auquel il y a lieu de se reporter pour un plus ample exposé des faits et des prétentions initiales des parties, le tribunal de commerce de Bayonne a :
- jugé que la clause de non concurrence stipulée à l'article 8 du contrat de cession portant sur les parts sociales de Basco Menuiseries est illicite en ce qu'elle ne précise aucune compensation financière,
- débouté la SAS Basco Habitat de toutes ses demandes en principal,
- jugé que Monsieur Laurent G. et Monsieur Pascal F. n'ont pas commis de faute constitutive de concurrence déloyale ,
- débouté la SAS Basco Habitat de toutes ses demandes subsidiaires,
- condamné la SAS Basco Habitat à payer à chacun de Monsieur Laurent G. et Monsieur Pascal F. la somme de 2 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civil,
- condamné la SAS Basco Habitat aux entiers dépens.
Par déclaration en date du 1er février 2017, la SAS Basco Habitat a relevé appel de ce jugement.
la clôture est intervenue le 23 mai 2018.
Prétentions et moyens des parties :
Par conclusions notifiées le 16 mai 2018, auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, la SAS Basco Habitat demande de :
- infirmer le jugement rendu,
Et statuant à nouveau,
A titre principal,
- constater que la clause de non concurrence est valable et opposable à Monsieur Laurent G. et Monsieur Pascal F.,
- constater que Monsieur Laurent G. et Monsieur Pascal F. ont violé la clause de non concurrence ,
- dire et juger qu'ils lui ont causé un préjudice et qu'ils lui doivent réparation,
En conséquence,
- condamner solidairement Monsieur Laurent G. et Monsieur Pascal F. à lui payer la somme de 58 384,57 majorée des intérêts légaux à compter de la décision à intervenir,
A titre subsidiaire,
- constater que Monsieur Laurent G. et Monsieur Pascal F. ont commis des actes de concurrence déloyale et plus largement ont eu un comportement totalement déloyal à l'encontre notamment de la SAS Basco Habitat,
- dire et juger que ce faisant, ils lui ont causé des préjudices et qu'ils lui doivent réparation,
En conséquence,
- condamner solidairement Monsieur Laurent G. et Monsieur Pascal F. à lui payer la somme de 58 384,57 à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,
- condamner solidairement Monsieur Laurent G. et Monsieur Pascal F. à lui payer la somme de 10 000 à titre de réparation du préjudice d'image et moral majorée des intérêts légaux à compter de la décision à intervenir,
En tout état de cause,
- condamner solidairement Monsieur Laurent G. et Monsieur Pascal F. à lui payer la somme de 3 600 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile outre les entiers dépens de première instance et d'appel,
- débouter Monsieur Laurent G. et Monsieur Pascal F. de l'ensemble de leurs conclusions.
Elle fait valoir que :
A titre principal,
- la contrepartie financière de la clause de non concurrence doit être recherchée dans le prix d'acquisition des parts sociales bien supérieur à leur valeur réelle, d'autant qu'elle n'avait aucune intention ni aucun intérêt à procéder à cette acquisition.
- les deux anciens salariés et associés ont accepté des fonctions de commerciaux au sein de la société Labastere 64 située à Bayonne, qui a une activité directement concurrente, au mépris de leur clause de non concurrence .
- Monsieur Laurent G. et Monsieur Pascal F. ont vis à vis de la SAS Basco Habitat un comportement déloyal alors qu'ils sont toujours associés à hauteur de 5 % chacun.
- le préjudice est égal au montant du prix d'achat de leurs parts sociales.
Subsidiairement,
- ils engagent leur responsabilité délictuelle en raison du détournement de clientèle et de ses fournisseurs en pratiquant des prix anormalement bas pour capter la clientèle de la SAS Basco Menuiseries.
- Elle en veut pour preuve la présence de Monsieur F. à une réunion d'information sur les aides à la rénovation pour le compte de son concurrent.
- Le départ de ces deux commerciaux sur quatre salariés en quelques semaines a entraîné la désorganisation de l'entreprise et la perte de 30 % du chiffre d'affaires entre 2012 et 2014.
- en votant contre les résolutions proposées en assemblée générale, les intimés entravent le bon fonctionnement social.
Par conclusions notifiées le 27 juin 2017, auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, Monsieur Laurent G. et Monsieur Pascal F. demandent de :
- débouter la SAS Basco Habitat de ses demandes,
- confirmer le jugement rendu,
Y ajoutant,
- condamner la SAS Basco Habitat à leur payer la somme de 2 000 chacun au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens en ce compris ceux de première instance.
Ils relèvent que :
- la clause de non concurrence prévue à l'égard de salariés qui sont aussi associés doit contenir une contrepartie financière.
- les parts ont été valorisées au moment de la cession de manière normale et sans tenir compte de l'obligation de non concurrence .
- on ne peut se contenter d'une présomption de concurrence déloyale et il faut fournir des preuves.
- le seul devis invoqué concerne un nouveau client et non un ancien client de la SAS Basco Menusieries.
- la participation de Monsieur F. à une seule réunion d'information professionnelle est insuffisante pour caractériser des faits de concurrence déloyale .
- aucune manœuvre de détournement n'est démontrée.
- Ils se sont bornés à exercer une activité salarié dans un secteur concurrentiel sans manœuvres tendant à capter la clientèle.
Au delà de ce qui sera repris pour les besoins de la discussion et faisant application en l'espèce des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, la cour entend se référer pour l'exposé plus ample des moyens et prétentions des parties aux dernières de leurs écritures visées ci dessus.
Motifs de la décision :
Sur les faits de concurrence déloyale :
Il est constant, ainsi que l 'a justement rappelé le premier juge, que la clause de non concurrence , lorsqu'elle a pour effet d'entraver la liberté de se rétablir d'un salarié, actionnaire ou associé de la société qui l'emploie, n'est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, limitée dans le temps et dans l'espace, qu'elle tient des spécificités de l'emploi du salarié et comporte l'obligation pour la société de verser à ce dernier une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives.
En l'espèce, l'acte de cession de parts sociales du 12 mars 2012 contenait en son article 8 une clause de non concurrence rédigée comme suit :
'les vendeurs ne pourront jusqu'au terme d'une période de trois ans à compter de la réalisation, soit pour son compte ou conjointement avec ou pour le compte d'une autre personne, association, firme ou société (que ce soit en tant qu'administrateur, gérant, directeur général, employé, consultant, actionnaire, associé, collaborateur ou autrement) être directement ou indirectement engagés, concerné ou intéressés dans aucune autre activité commerciale ou professionnelle ni aucun autre emploi d'aucune sorte susceptible de concurrencer directement ou indirectement les activités (à l'identique et/ou similaire) de la SARL Basco Menuiseries. Cet engagement s'entend sur un rayon de 50 kilomètres de l'établissement propriété de la société.'
Il est en effet considérer que les intérêts de l'entreprise, s'ils doivent être protégés, ne doivent pas entraver dans des conditions disproportionnées la liberté du travail. A défaut la clause est illicite et ne peut recevoir application.
En l'espèce, la SAS Basco Habitat prétend, sans en rapporter la preuve, que la contrepartie financière de cette interdiction imposée aux associés minoritaires, anciens salariés de l'entreprise, peut être trouvée dans le fait que le prix des parts sociales a été surévalué lors de leur acquisition. Elle ne fournit pourtant aucune estimation comptable qui permettrait de retenir cette allégation.
Aucune référence n'est faite dans l'acte à une quelconque contrepartie, alors par ailleurs qu'il y a lieu de souligner que les contrats de travail de Monsieur Laurent G. et de Monsieur Pascal F. ne comportait aucune clause restrictive de cette nature. La SAS Basco Habitat ne peut donc par le biais d'une cession de quelques parts sociales imposait à ses salariés des contraintes plus importantes que celle résultant de leur contrat de travail.
Par conséquent, il ne peut être reproché aucun manquement de Monsieur Laurent G. et de Monsieur Pascal F. aux obligations contractuelles qu'ils ont souscrit lors de la cession des parts sociales.
Que l'on se fonde sur le non respect de la clause contractuelle de non concurrence , ou sur la faute délictuelle, il appartient à celui qui se prétend victime de l'un des associés, de rapporter la preuve des agissements fautifs de ce dernier constituant des actes de concurrence illicite ou déloyale ayant une incidence directe sur le fonctionnement de l'entreprise.
Il convient de rappeler que l'obligation de non concurrence était limitée dans le temps et l'espace et prenait fin le 12 mars 2015.
Pour caractériser le comportement fautif de Monsieur Pascal F. après son départ de l'entreprise le 31 décembre 2013, la SAS Basco Habitat produit pour l'essentiel un document établissant qu'il a participé à un salon organisé par la fédération du BTP début 2015, un mail adressé par l'intimé le 20 novembre 2015 et un devis établi pour le compte de la société Labastere 64 le 20 décembre 2017, soit à une période où la clause n'avait plus d'effet. Ces documents sont totalement insuffisants à démontrer de la part de Monsieur Pascal F. l'usage de moyens déloyaux et répétés tendant à faire une concurrence directe à son ancien employeur et ayant pu avoir quelque incidence que ce soit sur l'organisation de l'entreprise Basco Menuiserie.
Les autres courriers produits émanant du dirigeant de la SAS Basco Habitat ne sont que des preuves écrites que l'appelante s'est constituée à elle même et en tant que telles sans valeur.
S'agissant de Monsieur Laurent G. qui a quitté l'entreprise le 31 mai 2014, il est produit une pièce unique datée du 28 novembre 2014 consistant en un devis établi par ses soins pour le compte de la société Labastere 64 au nom de Monsieur et Madame J. demeurant à Bayonne. Aucun autre fait positif de concurrence n'est caractérisé. La concurrence déloyale par captation de la clientèle ne peut résulter de ce fait unique.
En tout état de cause, la SAS Basco Habitat n'est pas en mesure de rapporter la preuve que l'embauche de ses deux anciens salariés par une entreprise concurrente s'est accompagnée d'agissements déloyaux à son égard, au delà des effets normaux de la libre concurrence . Le changement de fournisseurs ou la baisse du volume d'affaires avec certains d'entre eux ne permet pas d'en déduire que cette évolution est liée aux agissements de l'un ou l'autre des intimés, chaque entreprise ayant le libre choix de ses partenaires commerciaux.
La SAS Basco Habitat n'est pas plus en mesure de démontrer que la baisse de son chiffre d'affaires est en lien direct avec l'activité professionnelle de Monsieur Laurent G. et Monsieur Pascal F..
Enfin, chaque associé a le droit de voter contre les résolutions proposées en assemblée générale sans que cela puisse constituer un abus dès lors qu'avec 5% des parts sociales, il ne dispose pas d'une majorité de blocage.
Par conséquent, il y a lieu de constater que la SAS Basco Habitat ne rapporte pas la preuve qui lui incombe d'actes positifs de concurrence illicite ou déloyale de l'un ou l'autre des intimés susceptible de lui avoir occasionné un quelconque préjudice. Le jugement sera donc confirmé en toutes ses dispositions.
Sur les frais et dépens :
La SAS Basco Habitat qui succombe doit supporter les dépens de l'instance d'appel, avec application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de Monsieur Laurent G. et Monsieur Pascal F. les frais non compris dans les dépens exposés en cause d'appel. Aussi, il convient de leur allouer à chacun la somme de 1 500 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Confirme le jugement en toutes ses dispositions, Et y ajoutant, Déboute les parties de toutes demandes plus amples ou contraires, Condamne la SAS Basco Habitat aux dépens d'appel, Condamne la SAS Basco Habitat à payer à Monsieur Laurent G. la somme de 1 500 et à Monsieur Pascal F. la somme de 1500 en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Autorise les avocats de la cause qui en ont fait la demande à recouvrer directement ceux de dépens d'appel dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision, Arrêt signé par Madame Cécile Morillon, Conseiller faisant fonction de Président, et par Madame Sayous, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.