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Décisions

Cass. crim., 23 octobre 2018, n° 17-84.018

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulard

Rapporteur :

M. Fossier

Avocat général :

M. Lagauche

Avocats :

SCP Hémery, Thomas Raquin, le Guerer, SCP de Nervo, Poupet

CA Paris, du 24 mai 2017

24 mai 2017

LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par Mme R. Marie P., et - M. Nestor D., partie civile, contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 5-13, en date du 24 mai 2017, qui, dans la procédure suivie contre la première des chefs de contrefaçon et tromperie , a prononcé sur les intérêts civils ; - Vu les mémoires en demande et en défense et les observations complémentaires produits ; - Sur le moyen unique de cassation proposé pour Mme P., pris de la violation des articles 2, 3, 6, 8, 10, 485, 591, 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ensemble le principe des droits de la défense ; "en ce que l'arrêt attaqué a dit non prescrits les faits de tromperie à l'égard de M. d. et a déclaré recevable sa constitution de partie civile ; "aux motifs qu'avant d'examiner l'existence d'une faute civile éventuelle commise par Mme P. à son encontre, il convient de revenir sur la prescription ; qu'en l'espèce, il y a lieu de retenir la prescription civile de dix ans, les faits étant antérieurs à la loi de 2008 ; que concernant le point de départ du délai de prescription, l'élément constant du dossier à compter duquel M. d. a eu connaissance d'une éventuelle tromperie à son encontre est la date de la saisie contrefaçon soit le mois d'octobre 2001, saisie levée par ordonnance de référé de décembre 2001, où les sculptures lui sont restituées ; que dès lors il apparaît qu'à la date de sa plainte de 2005 la prescription n'était pas acquise ; que reste seul en débat les faits reprochés à Mme P. au titre de l'achat supposé par M. d., en 1991, d'un exemplaire de La Vague et d'un exemplaire de La Valse ; que contrairement au délit de contrefaçon, la jurisprudence a admis, cependant postérieurement aux ventes litigieuses, que le délit de tromperie étant une infraction occulte, il convenait d'appliquer la règle qui fait courir le délai de prescription à compter du moment où le plaignant a pu avoir connaissance de l' infraction ; qu'en l'espèce, les ventes pour lesquelles la tromperie est visée auraient eu lieu en 1992 au plus tard, M. d. n'ayant jamais cru bon de présenter un quelconque justificatif de l'existence réelle de ces ventes ; qu'il a, en effet, déclaré dans un premier temps avoir acheté ces œuvres en espèces et sans facture ; puis, il a affirmé que les factures correspondantes auraient été détruites dans un accident domestique avant de revenir à l'affirmation selon laquelle les ventes auraient eu lieu sans facture ; qu'il n'a jamais non plus, mais il est vrai que le juge d'instruction n'a jamais cru bon de le lui demander, justifier de l'origine des fonds et de la réalité de leur versement, même de manière approximative ; qu'au demeurant, il existe une réelle incertitude concernant le prix éventuel puisque M. Bernard D. n'a jamais confirmé les dires de M. d. sur ce point et que le document déjà mentionné qui fait état d'une expertise, datée de 1992, précise que les œuvres attribuées à Camille C. seraient mises en vente par la galerie D. à des prix très inférieures à ceux mentionnés par M. d. ; qu'en tout état de cause, il ressort des déclarations concordantes de M. d. et de M. Bernard D. que les deux hommes savaient, en achetant les œuvres litigieuses, qu'il s'agissait de fontes posthumes en ce qui concernent les deux sculptures et d'un agrandissement en ce qui concerne spécifiquement La Valse ; que M. Léonard D., certes ancien boucher reconverti dans le commerce de l'art, reconnaissait, que dans ses galeries de Belgique, dont une organise des expositions de bronze dans un parc, il avait acquis une réelle expertise dans le domaine de vente d'œuvres d'art ; que s'agissant de la première œuvre achetée par lui était "La Vague" M. D. précisait que "la pièce, en possession de Mme P. est une œuvre unique en pierre d'onyx avec trois baigneuses en bronze vendue au Musée Rodin" et que cette dernière avait réalisé un moule de cette œuvre, pour en fabriquer plusieurs exemplaires ; qu'il indiquait avoir acheté trois sculptures en 1989 dont l'une d'elles avait été achetée par la suite par M. d., une seconde se trouvait en France et la troisième un 5/8 se trouvait actuellement dans son magasin ; qu'il déclarait qu'il en avait été de même concernant l'œuvre "La Valse", pour laquelle Mme P. avait réalisé un agrandissement du plâtre ; qu'il avait acheté deux fontes provenant de ce plâtre, dont une avait été vendue à M. d. ; qu'enfin il estimait que la définition de la fonte posthume s'appliquait "à des œuvres fondues après la mort de l'artiste" et l'œuvre originale signifie "que douze pièces sont fondues à partir du premier et unique modèle" ; que de son côté M. d. reconnaissait qu'il lui avait été dit par M. L. que la sculpture La Valse avait été fondue à la fin des années 1980, soit de manière posthume et qu'il s'agissait d'un agrandissement ; que M. Bernard D. aurait ajouté que c'était un original puisque Mme P. avait le droit d'en tirer huit exemplaires ; que c'est en raison de ces explications qu'il aurait acheté quelques mois plus tard la sculpture La Vague, que M. D. lui avait apportée à son domicile pour la lui faire apprécier, dont il savait également qu'il s'agissait d'une fonte posthume ; que M. d. reconnaît également que trois ans avant l'audition par les services de police effectuée en mai 2002, soit donc en 1998 ou 1999, il avait lu le catalogue raisonné établi par Mme Danielle G. et avait constaté qu'elle disait le contraire de M. Léonard D. ; qu'il aurait d'ailleurs eu une conversation avec ce dernier suite à cette lecture, conversation dont il ne serait sorti convaincu qu'à 80 % ; qu'enfin devant le juge d'instruction, il indique qu'il avait entamé en 1998 ou 1999 une action en résolution de la vente ; que par ailleurs, M. d. déposait également une plainte, le 12 juin 2003, en Belgique contre la société Dieleman Art et Bronze International pour escroquerie et commercialisation d'objets falsifiés mais la procédure ne donnait pas lieu à poursuite, la justice belge ayant, semble-t-il constaté la prescription ; que Mme P. reconnaît avoir remis à M. Bernard D. des certificats d'authenticité pour chacune des œuvres vendues ainsi que des éléments de son catalogue raisonné de l'œuvre de Camille C., livre à l'époque non encore publié ; que le certificat n 00051 concernant l'œuvre La Vague finalement achetée par M. Norbert d., signé par Mme Paris et daté du 1 juin 1989, atteste que l'œuvre était "une œuvre originale de l'artiste" ; que le certificat d'authenticité n 00072 concernant l'œuvre La Valse finalement achetée par M. Norbert d., signé par Mme P., daté du 1 décembre 1989, atteste que l'œuvre était "une œuvre authentique de l'artiste" (...) ;

"1 ) alors que les juridictions répressives ne sont compétentes pour connaître de l'action civile en réparation du dommage né d'une infraction qu'accessoirement à l'action publique ; qu'il en résulte que ces juridictions ne peuvent se prononcer sur l'action civile qu'autant qu'il a été préalablement statué au fond sur l'action publique ; que la prescription éteint l'action publique ; qu'en déclarant recevable la constitution de partie civile de M. d. et en disant, sur l'action civile, non prescrits les faits de tromperie à l'égard de celui-ci quand, en raison de l'extinction de l'action publique par la prescription des délits de tromperie , définitivement constatée par le tribunal correctionnel dans son jugement du 19 décembre 2014, les juges répressifs ne pouvaient pas se prononcer sur l'action civile, la cour d'appel a violé les articles susvisés ;

2 ) alors que l'action civile ne peut plus être engagée devant la juridiction répressive après l'expiration du délai de prescription de l'action publique ; qu'en déclarant recevable la constitution de partie civile de M. d. quand le tribunal correctionnel de Paris a, par jugement définitif du 19 décembre 2014, jugé que lorsqu'elle avait été engagée, l'action publique était prescrite, ce dont il résultait que l'action civile engagée accessoirement à celle-ci l'avait été après la prescription de l'action publique, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;

"3 ) alors en outre que l'action civile ne peut plus être engagée devant la juridiction répressive après l'expiration du délai de prescription de l'action publique ; qu'en retenant, pour déclarer recevable la constitution de partie civile de M. d., qu'à la date de sa plainte de 2005, la prescription n'était pas acquise dès lors qu'il y avait lieu de retenir la prescription civile de dix ans et comme point de départ de la prescription, l'élément constant du dossier à compter duquel M. d. a eu connaissance d'une éventuelle tromperie à son encontre, à savoir la date de la saisie contrefaçon, soit le mois d'octobre 2001, quand il lui appartenait de rechercher si, au jour de l'introduction de l'action civile devant les juridictions pénales, le délai de prescription de l'action pénale et non celui de l'action civile était expiré, la cour d'appel a violé les articles susvisés ;

"4 ) alors en tout état de cause que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'en retenant, d'un côté, que " Nestor d. a eu connaissance d'une éventuelle tromperie à son encontre ", tromperie qui aurait consisté à omettre que les sculptures La Vague et La Valse étaient posthumes et que la seconde était un agrandissement, à " la date de la saisie contrefaçon du mois d'octobre 2001 " et, de l'autre, qu'il " savait, en achetant les œuvres litigieuses en 1992, qu'il s'agissait de fontes posthumes en ce qui concerne les deux sculptures et d'un agrandissement en ce qui concerne spécifiquement La Valse " et qu'il avait indiqué avoir " entamé en 1998 ou en 1999 une action en résolution de la vente ", la cour d'appel s'est contredite, violant les articles susvisés" ;

Vu les articles 3, 4, 6 et 10 du Code de procédure pénale ; - Attendu qu'il résulte de ces textes que l'action civile peut être exercée en même temps que l'action publique et devant la même juridiction ; que lorsque l'action civile est exercée devant une juridiction répressive, elle se prescrit selon les règles de l'action publique ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que courant 1992, M. Nestor d. a acheté à une galerie deux bronzes attribués à Camille C. ; que le 1er octobre 2001, les consorts B.C., héritiers de la sculptrice, ont déposé plainte et se sont constitués parties civiles, contre personne non dénommée des chefs de contrefaçon d'œuvre d'art et de fraude en matière artistique, à la suite de l'éventuelle mise en vente de ces deux sculptures en bronze intitulées respectivement : " la Vague " et " la Valse ", qui seraient présentées comme des œuvres originales de l'artiste ; que le 29 mars 2005, M. D. s'est constitué partie civile par voie d'intervention en tant que propriétaire et gardien des œuvres du chef de tromperie ; que l'enquête a permis d'établir que Mme P. avait fait procéder au total à la fonte de neuf exemplaires de La Vague et de trois exemplaires de La Valse ; que par ordonnance du 16 décembre 2010, elle a été renvoyée devant le tribunal correctionnel des chefs susdits ; que par jugement en date du 19 décembre 2014, le tribunal a constaté la prescription des délits et déclaré irrecevable M. D. en sa constitution de partie civile ; que M. D. seul, a interjeté appel de ce jugement ;

Attendu que, pour déclarer non prescrite l'action civile menée par M. D. et prononcer à son sujet, la cour d'appel retient que le délai de dix années, établi par la loi civile, n'était pas écoulé au jour de la plainte de la victime des faits poursuivis ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'elle devait prononcer à nouveau sur la prescription selon les règles pénales, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés, et le principe ci-dessus rappelé ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs, et sans qu'il soit besoin de prononcer sur les moyens proposés pour M. D. : casse et annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 24 mai 2017, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, renvoie la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.