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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 6 novembre 2018, n° 16-00301

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Alliot (SABF) (SARL)

Défendeur :

Fabory France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Calloch

Conseillers :

Mme Jeorger le Gac, M. Garet

Avocats :

Mes Demidoff, Salagnon, Raffin, Marquis, Amoyel Vicquelin, Gambert

T. com. Nantes, du 2 juin 2014

2 juin 2014

Faits et procédure

La société Fabory France (ci après Fabory), dont le siège social est situé à Chassieu (Rhône), a pour activité la commercialisation d'articles de boulonnerie et visserie'; elle dispose de plusieurs établissement répartis sur l'ensemble du territoire français, dont l'un, à l'époque des faits, était situé à Rezé (Loire Atlantique).

Après avoir été salarié de cet établissement de 2000 à 2008, date de sa démission, Bruno A. a été ré embauché par Fabory à compter du 1er juillet 2010, cette fois en qualité de chef de projet achats France, toujours à Rezé.

Le 6 décembre 2011, alors que Bruno A. venait d'informer son employeur de son intention de quitter l'entreprise dans le cadre d'une rupture conventionnelle, Fabory a signé avec Bruno A. un avenant à son contrat de travail précisant ce qui suit ':

'Compte tenu des fonctions de chef de projet achats France exercées par Monsieur Bruno A., et plus particulièrement de sa connaissance de la politique commerciale de la société et de son intervention récurrente auprès de la clientèle, Monsieur Bruno A. est soumis à un devoir de loyauté contractuel. Il est convenu qu'en cas de rupture du présent contrat pour quelque cause et à quelque époque que ce soit, il s'interdira de prospecter, démarcher ou détourner, directement ou indirectement, les clients qui lui sont directement rattachés dans le cadre de ses fonctions et qui constituent actuellement son portefeuille comme en atteste le document signé le 30 janvier 2011 mis en annexe. Ce devoir de loyauté se limitera à une période d'un an courant à compter de la date de rupture effective du contrat de travail'.

Etait ainsi annexée à l'avenant une liste de clients attribués à Bruno A., comprenant une quarantaine de noms parmi lesquels la société Sodikart.

Le 31 janvier 2012 a pris effet la rupture conventionnelle du contrat de travail de Bruno A..

Le 9 février 2012, Bruno A. a constitué la SARL Alliot Bruno F. (ci après SABF) dont il a fixé le siège social à Saint Mars du Désert (Loire Atlantique), cette société ayant pour activité le négoce de produits de fixation, visserie, boulonnerie, ancrages et clous.

Dénonçant les comportements déloyaux de son nouveau concurrent, notamment le débauchage illicite de son personnel ainsi que le détournement de sa clientèle, Fabory, après avoir fait diligenter, sur autorisation du président du tribunal de commerce de Nantes, un constat d'huissier de justice au sein des locaux de SABF, a fait assigner cette dernière, par acte du 20 mai 2014, devant le même tribunal aux fins de la voir condamner pour concurrence déloyale , ordonner la cessation de son activité illicite, et obtenir l'indemnisation des préjudices qui en seraient résultés pour Fabory.

Par un premier jugement du 2 juin 2014, le tribunal de commerce de Nantes, constatant la tardiveté de l'assignation délivrée par Fabory, a ordonné la 'radiation administrative' de l'affaire.

Le 3 juin 2014, Fabory a fait délivrer à SABF une nouvelle assignation tendant aux mêmes fins que la précédente.

Par jugement du 14 décembre 2015, le tribunal, statuant avec exécution provisoire, a fait droit à une partie des demandes de Fabory, consacrant notamment les actes de concurrence déloyale reprochés à SABF et condamnant celle ci à indemniser Fabory à hauteur de 200 000 €, déboutant en revanche Fabory de sa demande tendant à voir interdire à SABF de poursuivre son activité.

Suivant déclaration du 11 janvier 2016, SABF a interjeté appel de ce jugement.

Par ordonnance du 24 février 2016, le Premier Président de la cour d'appel de Rennes a cantonné l'exécution provisoire du jugement à hauteur d'une somme de 104 710 € dont une partie déjà payée par voie de saisie attribution à concurrence de 54 710 €.

Moyens et prétentions des parties

Aux termes de ses dernières conclusions auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé de ses demandes et argumentations, SABF fait essentiellement valoir':

- à titre principal, que les demandes de Fabory sont irrecevables en ce que Fabory a engagé parallèlement deux instances ayant le même objet, la première, momentanément interrompue par le jugement de radiation, pouvant toujours être réactivée à l'initiative de Fabory qui, en effet, ne s'en est jamais désistée '; dès lors, la persistance de cette première instance fait obstacle à la seconde en ce qu'elle permettrait qu'il soit statué deux fois sur les mêmes demandes '; par ailleurs, Fabory n'est pas recevable à se prévaloir de la péremption de cette première instance, dès lors qu'elle n'a pas soulevé cette exception in limine litis conformément aux exigences de l'article 388 du Code de procédure civile'; finalement, c'est à tort que le tribunal a statué sur le fond des demandes de Fabory, ayant au surplus qualifié de "'nulle'" l'assignation délivrée dans le cadre de la première instance, ce qu'il ne pouvait pas faire en examinant l'autre instance' ;

- à titre subsidiaire, que le jugement doit être infirmé en ce qu'il a pu, à tort, reprocher des actes de concurrence déloyale à SABS, l'appelante rappelant en effet' :

* qu'en quittant Fabory, Bruno A. était libre de reprendre une activité concurrente de celle de son ancien employeur et ce, au nom du principe constitutionnellement protégé de la liberté d'entreprendre, alors par ailleurs que son contrat ne comportait pas de clause de non concurrence, la

clause dite de loyauté contractuelle ajoutée par avenant du 6 décembre 2011 étant dépourvue de valeur en ce qu'elle ne comporte aucune limite géographique, qu'elle est disproportionnée et dépourvue de contrepartie financière' ;

* que SABF n'a commis aucun acte de concurrence déloyale à l'égard de Fabory, n'ayant pas détourné ses salariés, certains d'entre eux ayant d'ailleurs démissionné avant même la création de SABF tandis que d'autres, au contraire, n'ont rejoint SABF que beaucoup plus tard, alors au surplus que ces salariés n'avaient pas de clause de non concurrence dans leurs propres contrats de travail, SABF ajoutant qu'elle n'a pas davantage détourné la clientèle de Fabory, le départ des clients de celle ci s'expliquant, non pas par des manœuvres déloyales de SABF, mais par les mauvais choix commerciaux de Fabory : diversification ratée de ses activités, suivi défaillant de la clientèle, absence de compétitivité tarifaire etc ; SABF conteste aussi la liste de clients prétendument détournés par elle, notamment de Sodikart, entreprise qui, selon SABF, n'est partie à la concurrence que parce que Fabory n'a pas répondu à son dernier appel d'offres '; SABF conteste aussi avoir détourné quelque fichier que ce soit chez Fabory, notamment le fichier excel retrouvé chez SABF par l'huissier de justice, ce document n'étant qu'un fichier comparatif de prix qui n'appartient pas à Fabory ; SABF conteste également toute pratique abusive de "'prix cassés'", revendiquant en effet le droit d'appliquer une politique tarifaire certes plus compétitive que celle qui aurait provoqué le déclin de Fabory ; SABF conteste enfin le préjudice allégué par Fabory, faisant valoir que les difficultés de celle ci dépassent largement le cadre de son seul établissement de Rezé, Fabory ayant en effet dû fermer plusieurs établissements en France, et non pas seulement celui de Rezé, l'entreprise devant dès lors rechercher l'origine de telles difficultés ailleurs que dans la seule concurrence, au demeurant loyale, de SABF ; quant à l'essor commercial de cette dernière, il s'explique seulement par le travail et l 'expérience de son dirigeant de même que de ses collaborateurs.

SABF demande en conséquence à la cour d'infirmer le jugement déféré et de débouter Fabory de l'ensemble de ses demandes indemnitaires ; elle s'oppose enfin à toute communication de pièces supplémentaires, et ce, conformément à ce que le conseiller de la mise en état a décidé par une ordonnance du 28 septembre 2016 rejetant la même demande déjà formée en ce sens par Fabory.

Reconventionnellement, SABF réclame la condamnation de Fabory au paiement d'une indemnité de 40 000 € en réparation des préjudices matériels et moraux que lui a causés la campagne de dénigrement entreprise par Fabory auprès de leurs clients communs, de même qu'une somme de 3 000 € à titre de dommages intérêts pour procédure abusive outre 20 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, SABF sollicitant enfin que Fabory soit condamnée aux entiers dépens dont distraction au profit de l'avocat de l'appelante.

Au contraire, aux termes de ses dernières conclusions auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé de ses demandes et argumentations, Fabory fait valoir :

- que la fin de non recevoir qui lui est opposée par SABF n'est pas sérieuse, alors en effet, d'une part que le jugement de radiation du 2 juin 2014 n'est pas doté de l'autorité de la chose jugée, ce qui explique qu'une nouvelle assignation ait pu être valablement délivrée à SABF dès le lendemain, d'autre part qu'à supposer même que cette première instance ait été susceptible de réactivation dans le délai de péremption, tel n'est plus le cas aujourd'hui puisque plus de deux années se sont écoulées depuis la radiation, ce dont il résulte que la péremption de l'instance est désormais acquise '; à cet égard, Fabory s'estime fondée à s'en prévaloir sans qu'on puisse lui opposer la tardiveté de ce moyen qu'elle ne soulève pas à titre d'exception de procédure au sens des articles 73 et 74 du Code de procédure civile, mais comme une défense au fond, pouvant être invoquée en tout état de cause et ce, en réponse à la fin de non recevoir soulevée par SABF, Fabory ajoutant en outre qu'elle n'aurait pas pu invoquer la péremption de l'instance initiale avant le 2 juin 2016 puisque, par définition, celle ci n'est intervenue qu'à cette date, soit à une époque où les deux parties avaient déjà conclu sur le fond ;

- que la concurrence déloyale de SABF est avérée, celle ci ayant pris essentiellement deux formes' :

* d'abord un débauchage illicite et massif des salariés de Fabory, précisément de trois commerciaux sur les quatre qui travaillaient dans l'établissement Fabory de Rezé, et d'un magasinier sur deux de ce même établissement, certains d'entre eux ayant d'ailleurs démissionné quasi concomitamment au départ de Bruno A. pour être immédiatement réembauchés par la société que celui ci venait de créer; bien plus, l'un de ces salariés, Lionel B., qui avait pour mission essentielle d'approvisionner Sodikart, soit l'un des clients les plus importants de Fabory, a démissionné au moment même où cette entreprise dénonçait son contrat d'approvisionnement chez Fabory pour devenir cliente de SABF; quand bien même ces salariés n'avaient pas de clause de non concurrence dans leurs contrats de travail, pour autant SABF ne pouvait pas, sans faute, les débaucher de la sorte, ayant par là même privé Fabory de l'essentiel de sa force de vente et désorganisé son établissement de Rezé, un tel procédé étant déloyal ;

* ensuite un détournement illicite de la clientèle de Fabory, précisément des clients qui faisaient partie du portefeuille précédemment géré par Bruno A., cette captation s'étant traduite par l'effondrement simultané du chiffre d'affaires de l'établissement Fabory de Rezé, par ailleurs strictement concomitant au développement spectaculaire de celui de SABF, un tel transfert de chiffre d'affaires ne pouvant s'expliquer que par le détournement des plus gros comptes de Fabory, soit 49 clients dont Sodikart '; l'effet s'en est d'ailleurs fait immédiatement ressentir par Fabory qui, subissant un effondrement de son chiffre d'affaires, a été contrainte de fermer son établissement de Rezé.

Fabory reproche ainsi à SABF une concurrence déloyale et ce, quand bien même le contrat de travail de Bruno A. ne contenait pas de clause formelle de non concurrence, l'ex salarié n'en demeurant pas moins tenu d'un devoir de loyauté envers son ex employeur, ce qui lui avait d'ailleurs été rappelé peu avant son départ de la société par la signature d'un avenant à son contrat de travail.

Fabory dénonce encore les manœuvres opérées par SABF pour tenter d'échapper à la découverte des preuves susceptibles de l'accabler, notamment l'envoi d'un e mail à l'un de ses collaborateurs, Jérôme L., ancien salarié de Fabory, pour lui demander de faire disparaître de son ordinateur tout document pouvant faire référence à Fabory, ce qui, néanmoins, n'a pas empêché l'huissier de justice de retrouver plusieurs documents confidentiels en provenance de celle ci, notamment un fichier excel listant les prix et marges pratiqués par Fabory, ce qui a permis ensuite à SABF d'adapter sa propre politique tarifaire, notamment par une pratique très agressive de "'prix cassés'" afin de concurrencer Fabory de manière déloyale' ; à cet égard, remarquant que la dernière modification du fichier litigieux date du 24 novembre 2008, Fabory en déduit qu'il n'a pas pu être fabriqué par SABF elle même puisque la société n'existait pas encore à cette époque, le fichier ayant dès lors et nécessairement été détourné chez Fabory alors que Bruno A. y travaillait encore.

En définitive, Fabory demande à la cour :

- de confirmer le jugement en ce qu'il a reconnu la concurrence déloyale de SABF, en ce qu'il a ordonné la publication de la décision dans cinq journaux ou magazines au choix de Fabory et aux frais de SABF et ce, dans la limite de 5 000 € HT par insertion, enfin en ce qu'il a ordonné la publication de sa décision sur le site internet de SABF ;

- de réformer le jugement pour le surplus de son dispositif et, statuant à nouveau' :

* d'ordonner à SABF de produire, sous astreinte de 500 € par jour de retard, le chiffre d'affaires, tel que figurant sur ses grands livres, dégagé par elle sur les anciens clients de Fabory listés en pièce n° 17 pour l'année 2014 et pour la période du 1er janvier au 30 juin 2015, date de la fermeture de l'établissement nantais de Fabory, étant précisé que cette production concernera également les sociétés Renault Trucks et Orexad ayant acheté respectivement les sociétés Acmat et Fillon Fauconnet ';

* de condamner d'ores et déjà SABF à payer à Fabory, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil et à titre de dommages intérêts ':

° en réparation du préjudice commercial subi par Fabory en 2012 et 2013, une somme de 316.227,50 € correspondant à une perte de marge brute égale à 50,7 % du chiffre d'affaires généré par SABF sur les clients détournés par elle ;

° en réparation du préjudice commercial subi par Fabory en 2014 et 2015, une somme de 237 014 € correspondant à une perte de marge brute égale à 38 % du même chiffre d'affaires généré par SABF sur les clients détournés par elle' ;

° une somme de 50 000 € en réparation de son préjudice moral, Fabory se plaignant en effet d'avoir été dénigrée par SABF auprès de ses anciens clients' ;

* de faire interdiction à SABF de poursuivre ses agissements fautifs et ses actes de concurrence déloyale et ce, sous astreinte de 10 000 € par infraction constatée et par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, l'infraction s'entendant de tout acte de prise de contact, démarchage et détournement des clients de Fabory ainsi que de tout acte de débauchage illicite de ses salariés' ;

* d'ordonner à SABF d'effacer de ses ordinateurs, tablettes, serveurs, clouds, téléphones portables et plus généralement de tous supports informatiques, les fichiers détournés ainsi que toute copie détenue sous quelque forme que ce soit et à quelque titre que ce soit et ce, sous astreinte définitive de 10 000 € par infraction commise et par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir.

Subsidiairement, Fabory demande à la cour de réserver le montant des dommages intérêts susceptibles de lui être alloués pour les préjudices commerciaux subis par elle au titre de l'année 2014 ainsi que pour les six premiers mois de l'année 2015 et ce, dans l'attente de la communication par SABF des chiffres d'affaires qu'elle a réalisés sur les ex clients de Fabory qu'elle a détournés.

Motifs de la décision

I - Sur la fin de non recevoir tirée de l'existence d'une autre instance tendant aux mêmes fins' :

Il résulte des pièces du dossier que Fabory a fait assigner une première fois SABF devant le tribunal de commerce de Nantes qui, par jugement du 2 juin 2014, a prononcé la radiation administrative de l'affaire au motif que l'assignation n'avait pas été délivrée dans le délai de quinze jours précédant l'audience.

L'article 383 du Code de procédure civile prévoit que la radiation est une mesure d'administration judiciaire, par là même dépourvue d'autorité de la chose jugée, et que l'affaire peut être rétablie sur justification de l'accomplissement des diligences dont le défaut a entraîné la radiation, sous réserve seulement que la péremption de l'instance ne soit pas déjà acquise, celle ci l'étant, par application de l'article 386 du même Code, lorsqu'aucune des parties n'a accompli de diligences pendant un délai de deux ans.

Tel est le cas en l'occurrence puisqu'il est constant que tant Fabory que SABF se sont désintéressées des suites de l'instance radiée le 2 juin 2014 pour ne poursuivre que celle initiée par la nouvelle assignation délivrée par Fabory le 3 juin 2014, tendant aux mêmes fins que la précédente, mais juridiquement distincte de celle ci.

Dès lors, doit être écartée la fin de non recevoir soulevée par SABF, une seule instance opposant désormais les deux parties, Fabory étant en effet évidemment fondée à se prévaloir de la péremption de l'instance initiale sans que SABF puisse lui opposer sérieusement la tardiveté de ce moyen au nom d'une disposition du Code de procédure civile, en l'occurrence son article 388, qui n'a pas vocation à s'appliquer à une partie qui, en invoquant ce moyen, ne fait que se défendre, au sens de l'article 71 du même Code, contre la fin de non recevoir que la partie adverse lui oppose.

Il s'ensuit que l'action de Fabory est recevable.

II - Sur la demande principale de Fabory tendant à la reconnaissance de la concurrence déloyale de SABS' :

Il est constant que c'est à celui qui l'invoque qu'il incombe de rapporter la preuve des comportements déloyaux imputés au concurrent, étant rappelé que la concurrence est en soi licite dans un monde économique ouvert et libéralisé.

A - Sur le prétendu débauchage des salariés de Fabory ':

Pour qu'il soit déclaré illicite et constitutif d'une manœuvre déloyale, le débauchage doit non seulement procéder d'une initiative du nouvel employeur, mais également avoir provoqué une désorganisation au sein de l'entreprise quitté par le salarié.

Or, en l'espèce, force est de constater que Fabory ne rapporte pas cette double preuve, la cour observant en effet':

- que l'ex employeur des salariés considérés ne verse aux débats aucune pièce justifiant d'une initiative prise par SABF pour les inciter à quitter Fabory, la seule concomitance entre ces départs et la création de SABF ne suffisant pas à caractériser cette preuve, étant au surplus observé que cette concomitance n'est même pas caractérisée pour certains des salariés en cause, notamment pour Messieurs B. et R. qui ont quitté Fabory, soit plusieurs mois avant, soit plusieurs mois après la création de SABF' ;

- que les salariés considérés n'avaient pas de clause de non concurrence dans leurs propres contrats de travail, ce dont il résulte qu'ils ont pu quitter Fabory sans commettre de faute, ayant d'ailleurs de bonnes raisons de le faire puisqu'il est constant que l'entreprise connaissait déjà des difficultés économiques, non seulement en son établissement de Rezé, mais plus généralement encore dans l'ensemble du groupe dont plusieurs établissements ont d'ailleurs fermé, les salariés pouvant dès lors avoir intérêt à quitter l'entreprise avant que d'être eux mêmes licenciés ';

- que s'il est exact que l'établissement Fabory de Rezé a ainsi perdu une large partie de son personnel, pour autant il paraît étonnant qu'il n'ait pas réussi à le remplacer par d'autres salariés, le cas échéant en provenance du même groupe, la cour observant en outre que le départ de magasiniers ou même de commerciaux ne saurait être de nature à désorganiser durablement une entreprise tant il paraît aisé de les remplacer' ; dès lors, s'il est possible que l'établissement Fabory de Rezé ait été temporairement perturbé par ces départs, pour autant il aurait pu y remédier rapidement en procédant à de nouvelles embauches.

En conséquence, la preuve du débauchage illicite du personnel de SABORY n'est pas rapportée.

B - Sur le prétendu détournement illicite de clientèle :

Il convient encore de rappeler que n'est pas fautif en soi le fait pour une entreprise commerciale d'attirer à elle des clients précédemment liés à une autre entreprise, la volatilité de la clientèle étant inhérente à tout marché concurrentiel ; dès lors, cette captation de clientèle ne saurait présenter un caractère illicite que pour autant qu'elle s'accompagne d'actes illégaux, déloyaux et/ou contraires aux usages du commerce.

La cour en déduit d'abord qu'est sans effet sur la présente procédure la clause dite de loyauté contractuelle insérée dans l'avenant signé par Bruno A. le 6 décembre 2011, soit quelques semaines avant son départ de l'entreprise Fabory, s'agissant là manifestement d'une clause de non concurrence déguisée qui serait nulle en tant que telle en l'absence de contrepartie financière consentie au salarié ainsi bridé dans ses recherches d'emploi.

Dès lors, est également sans valeur cette clause en ce qu'elle fait interdiction à Bruno A. de prospecter, démarcher ou détourner, directement ou indirectement, les clients dont il avait la charge lorsqu'il travaillait pour Fabory.

Bruno A. n'en demeurait pas moins tenu d'une obligation générale de loyauté à l'égard de son ex employeur.

A ce titre, Fabory lui reproche une captation illicite de sa clientèle favorisée par le détournement d'un fichier excel lui appartenant et qui a été saisi par l'huissier de justice lors de sa visite effectuée sur autorisation judiciaire au sein des locaux de SABF.

Pour autant, la cour observe, au vu de la pièce litigieuse, qui figure en annexe du procès verbal de constat dressé par l'officier ministériel le 10 mars 2014, qu'il s'agit d'un fichier de prix dont la dernière modification remonte au 24 novembre 2008, soit plus de trois ans avant la création de SABF.

Dès lors, on comprend mal l'intérêt d'un tel fichier, du fait de sa péremption, pour SABF qui, d'évidence, n'en avait nul besoin pour déterminer sa propre politique tarifaire.

Aussi, s'il est anormal que Bruno A. ait conservé ce document dans ses archives, pour autant il ne lui a été d'aucune utilité pour constituer sa nouvelle entreprise et, plus précisément, pour détourner l'ancienne clientèle de Fabory.

De même, en dépit des recherches approfondies effectuées par l'huissier assisté d'un expert en informatique, aucun document réellement compromettant n'a été retrouvé chez SABF, le seul courrier électronique du 6 février 2014, par lequel Fabrice A. a demandé à Monsieur L., ex employé de Fabory embauché par SABF, de "'jeter'" tous les "'dossiers sur Fabory'" qu'il était susceptible de détenir sur son ordinateur, constituant tout au plus un indice, et non une preuve de concurrence déloyale , dès lors en effet que nul ne sait de quel type de documents il pouvait s'agir, et si leur origine était licite ou non, puisque l'huissier de justice n'en a retrouvé aucun, à l'exception du seul fichier excel dont il a été précédemment démontré qu'il ne s'était avéré d'aucune utilité pour SABF.

Fabory reproche encore à SABF d'avoir détourné de manière déloyale son ancienne cliente Sodikart, en captant simultanément le magasinier chargé de l'approvisionner ainsi que la cliente elle même qui, au même moment, mettait fin à son contrat d'approvisionnement auprès de Fabory.

Ici encore, ce reproche est infondé, étant à nouveau observé, d'une part qu'il n'est pas démontré que le salarié considéré - Monsieur B. - ait quitté Fabory à l'initiative de SABF, d'autre part que c'est sans faute que Sodikart a pu mettre fin à son contrat d'approvisionnement chez Fabory, la société ayant en effet respecté le préavis contractuel auquel elle était tenue, ainsi qu'il résulte des pièces versées aux débats'; dès lors, aucun acte de concurrence déloyale ne saurait être reproché à SABF à ce titre.

Fabory reproche enfin à SABF d'avoir pratiqué une politique tarifaire de " prix cassés " afin d'attirer ses anciens clients.

Ce reproche est à nouveau infondé dès lors qu'il n'est pas soutenu que le marché de la visserie serait réglementé, ni que SABF aurait ainsi pratiqué des tarifs illégaux, notamment en vendant à perte' ; ainsi, le seul fait que SABF soit parvenue à capter la clientèle de Fabory par des tarifs plus attractifs que ceux pratiqués par celle ci n'est pas en soi déloyal, la preuve n'étant pas non plus rapportée que SABF ait perturbé le marché ou rompu l'égalité avec sa concurrente par des méthodes déloyales ou contraires aux usages du commerce.

Fabory ne justifie pas davantage des actes de dénigrement qu'elle impute à SABF, alors par ailleurs que SABF lui reproche elle même un comportement similaire à son égard.

Il résulte de tout ce qui précède que Fabory ne rapporte pas la preuve des actes de concurrence déloyale qu'elle impute à SABF ; en conséquence, et sans même qu'il y ait lieu de s'interroger sur l'existence du préjudice allégué, la cour ne pourra que débouter Fabory de la demande indemnitaire qu'elle forme à ce titre, le jugement déféré devant être infirmé en ce sens.

III - Sur la demande reconventionnelle de SABF tendant à la condamnation de Fabory pour dénigrement et tentative de débauchage de ses propres salariés' :

SABF se plaint de ce que Fabory aurait essayé de débaucher ses salariés, notamment en tentant de faire revenir chez elle ses anciens collaborateurs partis rejoindre SABF.

Cependant, les seuls éléments produits par SABF, notamment des témoignages en ce sens, ne sont pas probants d'une faute que Fabory aurait ainsi commise, alors au surplus qu'il est constant que ces tentatives ont échoué, SABF n'ayant en toute hypothèse subi aucune conséquence dommageable.

Quant à la prétendue campagne de dénigrement reprochée à Fabory, elle n'est pas davantage établie, SABF se bornant à produire, pour tenter d'en justifier, l'attestation d'une cliente selon laquelle un collaborateur de Fabory lui aurait dit qu'il était prêt "'à faire des prix plus bas que ceux que SABF pour récupérer'" la cliente, de tels propos n'étant pas constitutifs d'un dénigrement, comportement consistant en une appréciation péjorative, faisant défaut en l'espèce, quant aux prestations de l'entreprise dénigrée.

Aucune faute n'étant établie à l'encontre de Fabory, SABF ne pourra donc qu'être déboutée de toute demande indemnitaire formée à son encontre.

Bien qu'étant vouée à l'échec, l'action intentée par Fabory ne présente pas non plus le caractère d'une procédure abusive au sens de l'article 32-1 du Code de procédure civile, SABF devant par suite être déboutée de sa demande de dommages intérêts formée sur ce fondement.

En revanche, partie perdante, Fabory sera condamnée à payer à SABF une somme de 10 000 € au titre des frais irrépétibles exposés par celle ci depuis l'origine de la procédure.

Enfin et pour la même raison, Fabory sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, - Confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré la société Fabory France recevable en son action ; - L'infirmant pour le surplus de ses dispositions, et statuant à nouveau : * Déboute la société Fabory France de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre de la société A. Bruno F. ; * Déboute la société A. Bruno F. de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre de la société Fabory France '; * Condamne la société Fabory France à payer à la société A. Bruno F. une somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; * condamne la société Fabory France aux entiers dépens de première instance et d'appel, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.