Cass. com., 14 novembre 2018, n° 17-16.577
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Selarl Alliance MJ (ès qual.)
Défendeur :
SED Exploitation (Sté) , Orange (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Le Bras
Avocat général :
Mme Beaudonnet
Avocats :
SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, SCP Marc Lévis
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que leurs relations contractuelles étant devenues conflictuelles en 2003, la société SED Exploitation (la société SED), spécialisée dans l'installation et l'équipement d'antennes de télécommunications, ayant reproché à la société Orange de ne pas respecter les délais de paiement contractuels, ces sociétés ont conclu, le 12 juillet 2004, un accord transactionnel portant sur les modalités de paiement des sommes dues par la société Orange, puis, le 26 avril 2006, un contrat stipulant qu'en cas de litige relatif au contrat, les parties convenaient de se réunir dans les sept jours à compter de la réception d'une lettre recommandée avec demande d'avis de réception notifiant le litige, envoyée par la partie la plus diligente à l'autre partie, en vue de trouver une solution amiable et que si, au terme d'un délai d'un mois à compter de la date de la première réunion entre les parties, celles-ci ne parvenaient pas à se mettre d'accord sur une solution amiable, le litige pourrait alors être soumis par la partie la plus diligente aux tribunaux compétents de Paris auxquels les parties attribuaient exclusivement compétence ; que la société SED a été mise en liquidation judiciaire, M. Dubois et la société Alliance MJ étant désignés successivement liquidateur ; qu'ayant reproché à la société Orange de payer avec retard, M. Dubois, ès qualités, a assigné la société Orange en paiement de dommages-intérêts et d'une certaine somme au titre de l'exécution du protocole transactionnel ; que cette dernière a soulevé l'irrecevabilité de la demande pour défaut de mise en œuvre de la tentative préalable de règlement amiable prévue au contrat ;
Sur le moyen unique, pris en ses première, deuxième et troisième branches : - Attendu que la société Alliance MJ, ès qualités, fait grief à l'arrêt de la déclarer irrecevable en sa demande alors, selon le moyen : 1°) que l'article 23 du contrat du 26 avril 2006, intitulé " Litiges - attribution de juridiction ", stipulait qu'en cas de litige relatif au contrat, les parties convenaient de se réunir, dans les 7 jours à compter de la réception d'une lettre recommandée avec avis de réception notifiant le litige, en vue de trouver une solution amiable, et qu'en l'absence d'une telle solution dans le délai d'un mois à compter de cette réunion, le litige pourrait être soumis aux tribunaux compétents de Paris auxquels les parties attribuaient exclusivement compétence ; que les parties n'avaient donc pas expressément prévu que la réunion en vue de parvenir à une solution amiable était obligatoire, ni que le non-respect de la clause était sanctionné par l'irrecevabilité de l'action devant le juge ; qu'en jugeant néanmoins que " la mise en œuvre de la clause de conciliation [était] obligatoire avant toute saisine du juge " et qu'elle " constitu[ait] une fin de non-recevoir ", la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ; 2°) qu'une clause contractuelle ne peut être invoquée de mauvaise foi ; que lorsque le contrat comporte une clause de conciliation amiable et préalable à la saisine du juge, la partie qui n'a pas répondu aux sollicitations de son cocontractant, manifestant ainsi son refus de tout accord amiable, se trouve privée de la possibilité de se prévaloir de la fin de non-recevoir qui résulte de cette clause ; qu'en l'espèce, la société Allianz MJ, ès qualités, faisait valoir que la société SED avait sollicité à plusieurs reprises la société Orange afin de trouver une issue amiable à leur litige, se prévalant notamment d'une lettre recommandée avec accusé de réception le 22 janvier 2007 relative au litige qui les opposait, et qui rappelait plusieurs sollicitations antérieures afin de résoudre ce différend, et d'un nouveau courrier avec la même teneur, le 4 mai suivant ; qu'ayant rappelé que la société Orange n'avait pas répondu à ces différents courriers, elle en déduisait qu'elle n'avait aucune intention de trouver une solution amiable au litige ; que la cour d'appel, pour retenir la fin de non-recevoir tirée de l'absence de mise en œuvre de la clause de conciliation litigieuse, s'est bornée à relever que la lettre du 22 janvier 2007 ne constituait pas une proposition de recherche amiable de solution au sens de la clause litigieuse, et que l'ordonnance du 25 avril 2008 ne portait pas sur un litige spécifique opposant SED à Orange ; qu'en se prononçant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la société Orange n'avait pas répondu à plusieurs courriers adressés en 2007 par la société SED, évoquant le litige qui les opposait afin d'y remédier, et s'il résultait de son silence fautif l'absence de volonté de trouver une issue amiable, ce qui la privait de la possibilité de se prévaloir de la fin de non-recevoir résultant de la clause de conciliation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ; 3°) que le liquidateur judiciaire de la société SED faisait valoir que le conseil de ladite société, M. Borel, avait, par lettre adressée à la société Orange le 4 mai 2007, demandé qu'un règlement amiable soit trouvé, qu'un mandataire ad hoc, M. Bauland, avait par ailleurs été désigné par ordonnance du 25 avril 2008 et que, par lettre adressée à M. Bauland le 8 août 2008, la société Orange avait indiqué ne pas vouloir régler amiablement le litige avec la société SED ; qu'il résultait de la lettre du 8 août 2008 que les sociétés Orange et SED s'étaient réunies en présence du mandataire ad hoc et que la société Orange précisait récuser formellement les accusations de la société SED ; qu'en jugeant que l'ordonnance du 25 avril 2008 ne portait pas sur le litige spécifique opposant les sociétés SED et Orange et en déclarant le liquidateur judiciaire irrecevable en ses demandes, sans procéder à la moindre analyse, même sommaire, des lettres des 4 mai 2007 et 8 août 2008, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, que les parties étant convenues, en cas de litige, d'une procédure de conciliation amiable, la cour d'appel n'a pas dénaturé cette clause en retenant que la mise en œuvre de cette procédure était obligatoire avant toute saisine du juge ;
Et attendu, en second lieu, qu'après avoir relevé que la lettre du 22 janvier 2007 adressée à la société Orange dans laquelle la société SED l'invitait à se rapprocher de son service juridique pour prendre connaissance des dispositions du Code de commerce concernant la rupture des relations commerciales établies ne pouvait constituer une proposition de recherche d'une solution amiable au litige au sens de l'article 23 du contrat, et que l'ordonnance de désignation d'un administrateur ad hoc aux fins de rechercher avec les sociétés requérantes les solutions permettant de remédier à leurs difficultés ne portait pas sur le litige spécifique opposant les parties mais sur un différend entre la société SED et d'autres opérateurs, l'arrêt constate que si la société SED avait, par une lettre du 6 juillet 2011, invité la société Orange dans ses locaux afin de trouver une solution amiable au litige, l'assignation qui était jointe avait été délivrée à cette dernière le 30 juillet 2010 devant le tribunal de commerce, soit antérieurement à toute négociation amiable, en violation de la clause stipulée au contrat ; qu'il relève que la lettre ajoutait que, faute d'accord entre les parties, la procédure judiciaire en cours serait menée à son terme ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, d'où il résultait que la société SED n'avait pas mis en œuvre la procédure de conciliation amiable avant toute saisine du juge, la cour d'appel qui n'était pas tenue de procéder à la recherche invoquée à la deuxième branche, que ses constatations et appréciations rendaient inopérante, ni de s'expliquer sur les éléments de preuve qu'elle décidait d'écarter, a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le moyen, pris en sa quatrième branche : - Vu l'article 122 du Code de procédure civile, ensemble l'article 1134 du Code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
Attendu que l'arrêt déclare irrecevables toutes les demandes de la société Alliance MJ, ès qualités ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans préciser si chacune des demandes formées par la société Alliance MJ était fondée sur les contrats du 26 avril 2006, qui seuls contenaient la clause de conciliation préalable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Par ces motifs : casse et annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 février 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.