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Décisions

CA Pau, 1re ch., 16 novembre 2018, n° 16-01599

PAU

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

La commune de Biarritz

Défendeur :

Société Engie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brengard

Conseillers :

M. Castagne, Mme Rosa Schall

Avocats :

Mes Crepin, Le Roy Gleizes

TGI Bayonne, du 4 avr. 2016

4 avril 2016

La Compagnie du Bourbonnais a exploité une usine de fabrication de gaz à partir de houille sur un terrain lui appartenant, quartier Saint Charles à Biarritz, devenu, après la seconde guerre mondiale, propriété de la société Gaz de France.

Par acte authentique du 19 octobre 1976, la société Gaz de France a vendu à la commune de Biarritz une partie de ce terrain, cadastrée A 5470, 6155, 6157 et 6159, d'une superficie de 71 a 28 ca.

Envisageant la réalisation d'un programme immobilier social, la commune de Biarritz a, courant 2005, confié à la société Veritas une étude de la qualité environnementale des sols, suite à la découverte d'odeurs d'hydrocarbures lors d'un sondage géotechnique.

Sur la base du rapport du Bureau Veritas qui constatait la pollution des sols, la commune a fait assigner la société Gaz de France devant le juge des référés qui, par ordonnance du 15 mars 2006, a prescrit une mesure d'instruction et désigné M. L. pour y procéder.

En cours d'expertise, la commune a fait procéder à des travaux de dépollution du site par la société ICF Environnement avant d'en céder partie à la société Sogicoba, selon acte du 21 février 2007.

L'expert L. a déposé le 2 novembre 2010 un rapport définitif puis, le 7 septembre 2012, un rapport complémentaire

Par acte du 11 mars 2011, la commune de Biarritz a fait assigner la SA GDF Suez en indemnisation de ses préjudices, sur le fondement des articles L514-20 du Code de l'environnement et 1117 et 1644 du Code civil.

Par jugement du 4 avril 2016, le tribunal de grande instance de Bayonne a déclaré l'action de la commune de Biarritz irrecevable à défaut de justification de son intérêt à agir, considérant :

- que la commune n'est plus propriétaire de la plus grande partie de la parcelle litigieuse, cédée à Sogicoba mais qu'elle ne produit pas l'acte de cession permettant de vérifier si elle s'est réservée un droit d'action,

- qu'il n'est pas établi que les conditions d'exploitation et/ou de démantèlement de l'usine de fabrication de gaz appartenant à la compagnie du Bourdonnais puissent entraîner une responsabilité de la sociéét GDF alors que la commune a eu jusqu'en 1931 la qualité de concédant et, ainsi, toute latitude pour s'informer des conditions de fin d'activité en formulant notamment des recommandations relatives à celle ci,

- que l'expertise n'a absolument pas pu prouver qui avait procédé aux opérations de démantèlement des éléments hors sol et des travaux de remblai et qu'il n'est pas à exclure, au regard de l'action 'à la hussarde' de la commune, que celle ci ait pu mener ou participer à des opérations de démantèlement du site avant même son achat en 1976,

- que la commune a travaillé 'en marche forcée' pour faire avancer son projet, qu'elle a procédé unilatéralement à des investigations parallèles, sans respect du contradictoire et en prenant le risque d'une déperdition des preuves, en remettant à l'expert des échantillons dont il était impossible de vérifier la provenance,

- que la commune n'a pas respecté les contraintes impératives de l'expertise judiciaire qu'elle avait elle même sollicitée, qu'elle a mené une autre étude environnementale, une sélection des terres à traiter, la mise en place de traitements et les modifications des bâtiments,

- qu'un certain nombre de demandes financières de la commune concerne le projet d'aménagement foncier sur lequel il n'est fourni aucune explication et ne peut être imputé à la société Engie, venderesse en 1976 d'un terrain 'en l'état' (dont la commune connaissait parfaitement l'origine pour y avoir autorisé une concession de fabrication de gaz), en ce compris des ouvrages techniques existants dont al commune s'engageait seule à supporter le coût du démantèlement.

La commune de Biarritz a interjeté appel de cette décision, selon déclaration transmise au greffe de la cour le 3 mai 2016.

La clôture de l'instruction a été fixée au 13 juin 2018, par ordonnance du magistrat de la mise en état en date du 31 mai 2018.

Dans ses dernières conclusions déposées le 11 mai 2018, la commune de Biarritz demande à la cour, réformant le jugement entrepris, au visa de l'article 126 du Code de procédure civile, de la loi du 19 juillet 1976 et des articles 1648 et 1603 du Code civil, de condamner la société Engie à lui payer les sommes de :

- 1 005 134 € en principal, en réparation de son préjudice,

- 80 000 € à titre de dommages intérêts compensatoires,

- 25 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens avec bénéfice de distraction au profit de la Selarl Etche Avocats.

Elle soutient en substance :

1 - sur l'intérêt à agir :

- que dès lors qu'à la date de réitération de la vente de la parcelle AC598 à la société Sogicoba, la pollution du terrain avait été constatée par des analyses scientifiques et que le rapport d'expertise judiciaire, ordonné le 15 mars 2006, n'avait toujours pas été déposé, elle a été contrainte, compte tenu de ses obligations en matière de logements sociaux, de conclure la vente tout en veillant à ce que soit stipulé dans l'acte de vente qu'elle assurerait sous sa responsabilité et à ses frais la dépollution du site en vue de son utilisation comme terrain à bâtir, dans les douze mois de la vente, et qu'elle conservait la faculté de poursuivre l'action engagée contre GDF et celle d'engager toutes autres actions ayant un objet connexe, à ses risques et périls,

- qu'elle justifie ainsi de son intérêt à agir, peu important la cession subséquente du terrain à une tierce dès lors qu'il est établi qu'elle n'a pas cédé le droit d'agir contre la société GDF,

- que, par ailleurs, elle s'est engagée à supporter les frais de dépollution préalablement à la vente et que l'actualisation des marchés Sogicoba en euros de base ainsi que les préconisations entraînant une influence sur le coût de la construction constituent la conséquence directe de la pollution du site ayant entraîné une nécessaire adaptation du projet,

2 - sur l'expertise judiciaire :

- que l'expert judiciaire n'a pas rempli sa mission sur divers points (historique détaillé de l'activité et du démantèlement du site, investigations et analyses techniques insuffisantes et contredites par des éléments objectifs versés aux débats s'agissant notamment de la nature, de la localisation et de l'extension des pollutions, de leur origine et de leurs causes et de la compatibilité du site avec un usage industriel ou résidentiel),

- que le rapport de l'expert judiciaire est inexploitable alors que les rapports de son propre sapiteur (Apave) et des bureaux d'études par elle missionnés (Veritas, Arcagee) établissent tous que GDF a procédé au stockage puis à l'enfouissement avant la vente de déchets dangereux dans les parties non détruites du terrain et qu'elle a dans ces conditions sciemment vendu un terrain qu'elle savait pollué tant en raison des de l'enfouissement par elle de tels déchets dangereux qu'en raison des infrastructures qu'elle avait incomplètement démolies, circonstances ayant nécessairement pour effet de rendre le site incompatible avec un usage résidentiel, sauf adaptation préalable par des travaux de dépollution,

3 - Sur les fondements juridiques de la demande :

- que la demande est fondée à titre principal sur l'obligation de remise en état du site au titre de l'article L512-6-1 du Code de l'environnement, pesant sur la société Engie en sa qualité d'ayant droit du dernier exploitant d'une installation classée pour la protection de l'environnement, chacun des moyens opposés par Engie (prétendu défaut d'exploitation, prescription de l'action, absence de fait générateur, absence de dommage réparable, absence de lien de causalité, impossibilité d'invoquer une faute délictuelle en raison du contrat de vente liant les parties, limitation de l'obligation de remise en état) devant être rejeté pour des motifs exposés en pages 26 à 37 de ses conclusions auxquelles il convient ici de se référer purement et simplement,

- que la demande est fondée subsidiairement dur l'obligation de remise en état au titre de la garantie des vices cachés, étant considéré :

que l'action n'est pas prescrite dès lors que le point de départ du délai de prescription doit en l'espèce être fixé au 2 novembre 2010, date de dépôt du rapport d'expertise judiciaire,

que la clause d'exclusion de garantie ne peut recevoir application s'agissant d'un vendeur de mauvaise foi et/ou professionnel,

que la garantie est due pour des motifs développés en pages 39 à 43 de ses conclusions,

- que la demande est, très subsidiairement fondée sur l'obligation de remise en état au titre de l'obligation de délivrance conforme , non prescrite pour les mêmes motifs que ci dessus exposés s'agissant de la garantie des vices cachés,

4 - sur les demandes indemnitaires : qu'elles sont justifiées par les éléments produits dans le cadre de l'expertise judiciaire.

Dans ses dernières conclusions déposées le 16 mai 2018, la SA Engie demande à la cour :

- à titre principal, de constater que la commune de Biarritz ne justifie pas d'un intérêt à air et que son action est prescrite tant sur le plan contractuel que délictuel, et, en conséquence, de prononcer l'irrecevabilité de son action,

- subsidiairement :

; de dire que les parties avaient organisé leurs relations contractuelles concernant la situation environnementale du terrain vendu par GDF à la commune en 1976 et qu'en conséquence, en application du principe de non cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle, la commune de Biarritz ne peut fonder ses demandes sur la prétendue responsabilité délictuelle de la société Engie,

; de dire, s'il était jugé que l'action de la ville ne méconnaît pas le principe de non cumul, que la société Engie n'a pas méconnu l'obligation administrative de remise en état du site, que l'action de la commune est dépourvue d'objet compte tenu de la prescription de l'obligation de remise en état et qu'en toute hypothèse, cette obligation ne couvre pas le changement d'usage décidé par la commune de Biarritz,

; de dire que la commune de Biarritz n'est pas fondée à faire valoir qu'il existerait un fait générateur de la prétendue responsabilité délictuelle de la société Engie,

; de dire que la commune de Biarritz n'est pas fondée à exercer une action au titre de la garantie des vices cachés, compte tenu de la bonne foi de la société Engie et de l'absence d'impropriété à usage, ou d'un prétendu manquement à l' obligation de délivrance conforme ( la société Engie n'ayant pas indiqué vendre un terrain dépollué pour un usage résidentiel et le terrain n'étant pas impropre à cet usage) ou sur un quelconque autre fondement contractuel,

; de dire qu'il n'existe pas de lien de causalité entre le prétendu dommage subi par la commune de Biarritz et les activités conduites par la société Engie;,

; de dire que la commune de Biarritz ne justifie pas d'un dommage réparable, en l'absence de dommage personnel et de bien fondé de ses demandes de réparation pour chacun des chefs de préjudice invoqués,

; de rejeter l'ensemble des demandes de la commune de Biarritz et de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- en toute hypothèse, de condamner la commune de Biarritz lui payer la somme de 30 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens, avec bénéfice de distraction au profit de la Selarl Lexavoué Pau Toulouse.

Exposant à titre liminaire que le terrain n'a pas été vendu pour un usage résidentiel, que les rapports Veritas et Apave sur lesquels se fonde la commune ne sont pas pertinents, que l'expert a conclu à un risque acceptable pour un usage résidentiel ainsi que pour un usage industriel et qu'aucun élément ne permet d'affirmer qui de la société Engie, après démolition, ou de la commune, après l'acquisition du terrain, aurait effectué les travaux de remblaiement en sorte qu'aucun lien de causalité n'est établi entre les activités de la société Engie et les prétendus préjudices subis par la commune, l'intimée soutient, pour l'essentiel :

- que la commune de Biarritz ne justifie pas d'un intérêt à agir dès lors que, nonobstant la production de l'acte de vente du 21 février 2007, elle ne fournit aucune explication sur les conditions dans lesquelles le terrain litigieux a été cédé à un sous acquéreur et les travaux de construction réalisés et qu'elle n'établit pas avoir gardé à sa charge les différents coûts dont elle fait état alors même que certains postes de préjudice sont en réalité afférents à l'exécution du marché de construction,

- que l'action de la commune de Biarritz est prescrite :

; tant sur le fondement délictuel dès lors que l'obligation de remise en état est prescrite, plus de trente ans s'étant écoulés depuis que l'administration a eu connaissance de la cessation d'activité intervenue en 1929 et qu'il n'est pas établi que la société GDF ait entendu procéder à la vente du site pour un usage d'espace vert, en ayant eu connaissance d'une pollution et en l'ayant dissimulée,

; que sur le fondement contractuel, la commune n'ayant pas agi dans le délai de deux ans édicté par l'article 1648 du Code civil et que, s'agissant de l'action fondée sur le manquement à l'obligation de délivrance, il y a lieu de considérer qu'en sa qualité d'autorité concédante de l'ancienne usine à gaz, elle en connaissait les dangers et les inconvénients, que l'expert judiciaire a conclu qu'il n'est pas exclu qu'elle ait participé à la démolition et au démantèlement des installations,

- que la commune de Biarritz ne caractérise pas l'existence d'un fait générateur de responsabilité :

; tant délictuelle dès lors que le dernier exploitant n'a pas à indemniser l'acquéreur lorsque son obligation de remise en état est prescrite et à l'occasion d'un changement de destination du bien (article R. 512-39-5 du Code de l'environnement) et que la preuve d'un manquement à l'obligation de remise en état n'est pas établie, l'expert judiciaire ayant relevé que les parties ont produit des rapports concluant à l'existence d'un risque acceptable tant pour un usage résidentiel que pour un usage industriel, alors même que les initiatives intempestives de la commune de Biarritz n'ont pas permis à l'expert de se prononcer sur la nature des pollutions susceptibles d'affecter le terrain ou sur la nécessité, les conditions de réalisation et la pertinence des opérations engagées au regard de l'état du terrain,

; que contractuelle dès lors que :

* s'agissant de la garantie des vices cachés, sa mauvaise foi n'est pas établie (puisqu'elle n'a jamais été l'exploitante de l'usine à gaz et n'a pu avoir connaissance des impacts passés de l'exploitation, qu'il n'est pas établi qu'elle a procédé à la déconstruction et à un enfouissement volontaire de déchets et qu'elle n'a pas la qualité de professionnel de l'immobilier, alors même que l'acquéreur connaissait l'existence de l'activité et ses conséquences) et qu'elle n'a jamais cédé le terrain litigieux pour un usage résidentiel, en sorte que la commune ne peut demander la prise en charge des conséquences d'un changement d'usage qu'elle a décidé unilatéralement,

* s'agissant d'un prétendu manquement à l'obligation de délivrance, que celui ci ne peut être caractérisé que si le vendeur s'est engagé à vendre un bien dépollué ou si l'ensemble des éléments entrés dans le champ contractuel pouvait laisser l'acquéreur penser que le bien serait exempt de toute pollution,

- que la commune de Biarritz ne démontre par l'existence d'un lien de causalité entre l'exploitation et/ou les conditions de démantèlement de l'ancienne usine à gaz et la situation environnementale du terrain, étant considéré que l'expertise judiciaire n'a pas permis d'établir qui de GDF ou de la commune a, entre 1946 et le jour de l'expertise, démonté les éléments hors sol constitutifs de l'usine ou réalisé les travaux de remblaiement,

- s'agissant du préjudice indemnisable :

; que la commune ne justifie pas avoir exposé personnellement le coût des travaux dont elle demande remboursement,

; que divers postes (clôtures, pompage, frais de maîtrise d'œuvre, frais d'expertises privées, préconisations entraînant une influence sur le coût de la construction, actualisation des marchés Sogicoba en euros de base) ne sont pas justifiés ou rattachables à la pollution alléguée.

Motifs

Sur la fin de non recevoir tirée d'un prétendu défaut d'intérêt à agir :

En cause d'appel, la commune de Biarritz verse aux débats (pièce n°5) l'acte authentique du 21 février 2007 emportant cession de la parcelle litigieuse à la société Sogicoba qui stipule en pages 8 et 9 :

- que le vendeur déclare ne pas avoir personnellement exploité sur les lieux une installation soumise à autorisation ou qui aurait dû l'être et que ses investigations lui permettent de supposer :

que la ville de Biarritz a acquis par acte du 19 octobre 1976 de l'entreprise GDF le terrain qui provenait de l'ex compagnie du Bourbonnais, celle ci y exploitant jusqu'en 1929 une usine à gaz,

qu'à la suite d'analyses du Bureau Veritas des 20 octobre et 14 novembre 2005, il était constaté la pollution des sols composant le terrain et que ce rapport a été complété par un autre du cabinet Alios du 27 juillet 2005,

que par acte d'huissier du 3 janvier 2006, la commune a fait assigner devant le juge des référés la SA GDF aux fins de voir ordonner une expertise, en expliquant que sa demande pourrait être fondée sur la notion de vices cachés et qu'elle a pour objet de pouvoir éventuellement et ultérieurement demander à la SA GDF de financer les opérations de dépollution,

que la SA GDF a fait valoir notamment qu'elle n'a pas exploité elle même les terrains, en ayant acquis la propriété par l'effet de la loi de nationalisation de 1946, l'exploitation industrielle du terrain ayant cessé en 1929 et qu'elle estime en conséquence être fondée à se prévaloir de la clause de non garantie,

que par ordonnance du 15 mai 2006, le juge des référés a ordonné une expertise....,

- que les parties déclarent que :

la dépollution du site en vue de son utilisation comme terrain à bâtir des logements sociaux sera assurée sous la responsabilité et aux frais de la ville de Biarritz,

que la ville de Biarritz conserve la faculté de poursuivre l'action engagée contre GDF et celle d'engager toutes autres ayant un objet connexe, à ses risques et périls,

que la présente déclaration est faite par les comparants pour conférer expressément à la ville de Biarritz intérêt à agir contre GDF, ancien propriétaire,

- qu'en outre, la ville de Biarritz s'engage à faire réaliser à ses frais et sous sa responsabilité, les mesures de dépollution nécessaires à l'utilisation du terrain pour la construction de logements locatifs conventionnés,

- que la ville de Biarritz et la société Sogicoba conviennent que la réalisation de ces mesures de dépollution devra être entreprise au plus tard dans les douze mois de l'acte.

L'appelante justifie ainsi de son intérêt à agir, nonobstant le transfert de la propriété du terrain litigieux, pour s'être, aux termes clairs et univoques de l'acte de cession, réservé la faculté de poursuivre l'action engagée contre GDF, en contre partie de l'engagement de prendre à sa charge la réalisation des travaux de dépollution du site.

Le jugement déféré sera en conséquence réformé en ce qu'il a déclaré l'action de la commune irrecevable pour défaut d'intérêt à agir.

Sur la demande fondée sur les dispositions de la loi du 19 juillet 1976 :

L'analyse du dossier permet de considérer comme constant et acquis :

qu'à la date de la cession intervenue entre la commune de Biarritz et la société Sogicoba, la parcelle litigieuse était constituée d'une partie enrobée utilisée pour la circulation, le stationnement et la manœuvre de véhicules (zone aménagée avec raquette de retournement) et d'une partie en terrasse, enherbée et bordée d'un muret de pierres, sans bâtiments ou installations en surface (cf. rapport Apave du 29 janvier 2007, page 59),

que l'existence de la pollution des sols a été découverte à l'occasion des études géotechniques préparatoires au projet de construction de logements sociaux sur le site,

qu'à cet égard, les niveaux de contamination ont été essentiellement détectés dans un horizon de remblais hétérogènes de mauvaise qualité présentant des résidus de charbons, coke et goudron et des odeurs notables de type solvant et hydrocarbures ( rapport Apave précité, page 66),

qu'au cours des travaux de construction entrepris par la société Sogicoba ont été découvertes deux cuves contenant des goudrons, au droit même de l'ancien bâtiment des fours à charbon.

Le vendeur d'un bien immobilier, en sa qualité de dernier exploitant du site est tenu, par application de la loi du 19 juillet 1976 et de son décret d'application du 21 septembre 1977, d'une obligation de remise en état des lieux pollués qui obéit à des dispositions destinées à assurer la protection de l'environnement et la sécurité des personnes et présentent un caractère d'ordre public en sorte qu'il ne peut prétendre s'en exonérer par application du principe de non cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle.

La responsabilité de la société Engie venant aux droits de GDF ne peut être recherchée en qualité de dernier exploitant du site dès lors :

- que l'exploitation de l'usine à gaz a définitivement cessé en 1931,

- qu'il n'est pas établi que l'activité de dépôt de liquides inflammables de 1 500 litres pour laquelle GDF a régularisé le 7 février 1951 une déclaration au titre des I. C.P. E. de 3ème classe était exploitée sur l'une des parcelles cédées à la commune en 1976,

- qu'en toute hypothèse, aucun lien n'est caractérisé entre cette activité et la pollution des remblais - qui trouve son origine dans les déchets toxiques résultant du démantèlement des installations de l'usine à gaz, démantèlement qui, même en ce qu'il serait l'œuvre de GDF, ne peut être qualifié d'acte d'exploitation au sens de la loi du 19 juillet 1976.

Cependant, la société Engie, en sa qualité d'ayant droit (par l'effet de la loi de nationalisation de 1946 dont l'article 6 prévoit le transfert de l'ensemble des biens, droits et obligations des entreprises 'nationalisées') de la Compagnie du Bourdonnais, dernier exploitant de l'usine à gaz, peut, à ce titre, voir sa responsabilité engagée sur le fondement de la loi du 19 juillet 1976, sous réserve de la prescription trentenaire, applicable sauf dans le cas où les dangers ou inconvénients présentés par le site auraient été dissimulés, la charge de la preuve de la dissimulation incombant au demandeur à la remise en état.

A cet égard, il y a lieu de considérer :

- que les photographies aériennes reproduites dans le rapport Arcagée, dont l'authenticité même n'est pas contestée, établissent que les superstructures (gazomètres, tour de décompression, bâtiments d'exploitation dont les bâtiments 1 et 2 abritant les fours à charbon) ont été - progressivement et jusqu'en 1972 - démantelées, avant la vente du terrain à la commune,

- que les déchets de déconstruction, les résidus de charbon, coke et goudron et la contamination par divers produits toxiques (arsenic, plomb, hydrocarbure) dont la présence a été constatée dans le remblai recouvrant le terrain naturel constitué d'argile proviennent du démantèlement de l'usine à gaz,

- que la comparaison des photographies aériennes du 3 août 1976 (antérieure à la vente) et de 1977 (postérieure à celle ci) ne permet pas de déterminer à quelle date précise a été exécuté le remblaiement dans l'épaisseur duquel ont été intégrés les résidus toxiques et les déchets de déconstruction, étant constaté que le commentaire de la société Arcagée est ainsi rédigé : 'indices d'un remaniement important des sols au droit des anciens bâtiments 1 et 2 (enfouissement de déchets industriels et des restes de déconstruction ')',

- qu'aucun autre élément n'est produit permettant d'imputer à la société GDF la réalisation du remblai litigieux, alors même qu'il résulte du procès verbal de délibération du conseil municipal de la ville de Biarritz en date du 20 février 1976 que l'acquisition du site a été décidée, avec prise en charge par la commune du déplacement des ouvrages enterrés dans le sous sol de la parcelle acquise (obligation retranscrite en page 10 de l'acte de vente du 19 octobre 1976, engagement exclusif d'un remblaiement préalable du site par la société venderesse,

- que dans ces conditions, la preuve de la dissimulation par la société GDF des dangers ou inconvénients présentés par le site n'est pas rapportée,

- que l'action de la commune, fondée sur les dispositions de la loi du 19 juillet 1976, doit être déclarée prescrite.

Sur la demande fondée sur les dispositions de l'article 1641 du Code civil :

S'agissant de la fin de non recevoir soulevée par la société Engie au titre des dispositions de l'article 1648 du Code civil, il y a lieu de considérer :

- qu'en l'espèce, le point de départ du délai de prescription édicté par ce texte doit être fixé au 24 octobre 2015, date du rapport du Bureau Veritas faisant état de l'existence de la pollution du sol, explicitant de manière univoque son étendue et sa nature, son ampleur et ses conséquences,

- que la prescription édictée par l'article 1648 alinéa 1 du Code civil, en sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 17 février 2005 (s'agissant d'un contrat de vente conclu antérieurement à cette dernière date) a été interrompue par l'assignation en référé expertise du 3 janvier 2006 et est demeurée suspendue, (dès lors que ledit délai ne constitue pas un délai de forclusion) jusqu'au 2 mai 2011 (soit six mois après le rapport d'expertise judiciaire du 2 novembre 2010, article 2239 alinéa 2 du Code civil), en sorte que l'action introduite par assignation du 11 mars 2011 doit être déclarée non prescrite.

Sur le fond, il y a lieu de rappeler qu'aux termes de l'article 1641 du Code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.

Les conditions d'application de ce texte ne sont pas en l'espèce réunies dès lors :

- qu'il résulte de l'impossibilité de datation précise et d'imputation des opérations de remblaiement dans le

cadre desquelles des matériaux et produits toxiques provenant de la déconstruction de l'usine à gaz ont été incorporés au remblai (ou n'en ont pas été retirés) (cf. ci dessus) que la condition d'antériorité du vice requise par l'article 1641 du Code civil n'est pas établie,

- que la seule mention, dans l'acte de vente, d'une acquisition réalisée en vue de la constitution d'une réserve foncière est insuffisante à caractériser une contractualisation d'un futur usage résidentiel,

- qu'en toute hypothèse, la commune a, par l'enlèvement unilatéral des remblais litigieux et la dépollution d'office du site, rendu impossible, par la compromission des éléments de preuve, tout constat contradictoire et objectif de l'incidence de la pollution en termes d'atteinte à un quelconque usage, résidentiel et/ou simplement industriel, les analyses jusqu'alors opérées s'étant révélées contradictoires et contestées et l'expert judiciaire n'ayant pu procéder aux mesures de l'air ambiant et des pollutions volatiles et organoleptiques nécessaires à l'accomplissement de sa mission.

Il convient dès lors de débouter la commune de Biarritz des demandes subsidiaires par elle formées sur le fondement des articles 1641 et suivants du Code civil.

Sur la demande formée sur le fondement de l'article 1603 du Code civil :

S'agissant de la fin de non recevoir soulevée par la société Engie du chef d'une prétendue prescription de la demande, il ya lieu de considérer :

- que le point de départ du délai de prescription doit être fixé au au 24 octobre 2015, date du rapport du Bureau Veritas faisant état de l'existence de la pollution du sol, explicitant de manière univoque son étendue et sa nature, son ampleur et ses conséquences,

- que par application combinée des articles 2224 en sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008 et de l'article 26- II de ladite loi, la commune de Biarritz disposait d'un délai expirant le 17 juin 2013 pour engager l'action en garantie, délai au demeurant interrompu par l'assignation en référé expertise du 3 janvier 2006 et est demeurée suspendue, (dès lors que ledit délai ne constitue pas un délai de forclusion) jusqu'au 2 mai 2011 (soit six mois après le rapport d'expertise judiciaire du 2 novembre 2010, article 2239 aliéna 2 du Code civil), en sorte que l'action introduite par assignation du 11 mars 2011 doit être déclarée non prescrite.

Il y a lieu sur le fond de considérer qu'aucun manquement à l' obligation de délivrance conformepesant sur le vendeur n'est en l'espèce caractérisé en termes de pollution dès lors :

- qu'il n'est pas établi que l'enfouissement des déchets à l'origine de la pollution est intervenu antérieurement à la vente,

- qu'en toute hypothèse, l'absence de pollution du site n'a pas été érigée, expressément ou implicitement mais de manière non équivoque, en caractéristique du bien cédé.

La commune de Biarritz sera en conséquence déboutée de ce chefs de demande subsidiaire.

Il convient en définitive, réformant le jugement entrepris et statuant à nouveau :

- de déclarer l'action de la commune de Biarritz recevable,

- de déclarer prescrite la demande principale de la commune de Biarritz fondée sur les dispositions de la loi du 19 juillet 1976,

- de déclarer recevable la demande subsidiaire fondée sur les dispositions de l'article 1641 du Code civil et de débouter la commune de Biarritz de l'intégralité de ses prétentions en ce qu'elles reposent sur ce fondement,

- de déclarer recevable la demande plus subsidiairement fondée sur les dispositions de l'article 160 du Code civil et de débouter la commune de Biarritz de l'intégralité de ses prétentions en ce qu'elles reposent sur ce fondement.

Sur les demandes accessoires :

Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a condamné la commune de Biarritz aux entiers dépens de première instance et à payer à la SA Engie, en application de l'article 700 du Code de procédure civile, la somme de 10 000 € au titre des frais irrépétibles par elle exposés en première instance.

La commune de Biarritz sera condamnée aux entiers dépens de la procédure d'appel, avec bénéfice de distraction au profit de la Selarl Lexavoué Pau Toulouse et à payer à la société Engie, au titre des frais irrépétibles par elle exposés en cause d'appel, la somme de 5 000 €.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort : Vu le jugement du tribunal de grande instance de Bayonne en date du 4 avril 2016, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il condamné la commune de Biarritz aux entiers dépens de première instance et à payer à la SA Engie, en application de l'article 700 du Code de procédure civile, la somme de 10 000 € au titre des frais irrépétibles par elle exposés en première instance, Réformant la décision entreprise pour le surplus et statuant à nouveau : - Déclare l'action de la commune de Biarritz recevable, - Déclare prescrite la demande principale de la commune de Biarritz fondée sur les dispositions de la loi du 19 juillet 1976, - Déclare recevable la demande subsidiaire fondée sur les dispositions de l'article 1641 du Code civil et déboute la commune de Biarritz de l'intégralité de ses prétentions en ce qu'elles reposent sur ce fondement, - Déclare recevable la demande plus subsidiairement fondée sur les dispositions de l'article 160 du Code civil et déboute la commune de Biarritz de l'intégralité de ses prétentions en ce qu'elles reposent sur ce fondement, Ajoutant au jugement entrepris : - Condamne la commune de Biarritz à payer à la SA Engie, en application de l'article 700 du Code de procédure civile, la somme de 5 000 € au titre des frais irrépétibles par elle exposés en cause d'appel, - Condamne la commune de Biarritz aux entiers dépens d'appel, avec bénéfice de distraction au profit de la Selarl Lexavoué Pau Toulouse. Le présent arrêt a été signé par Mme Marie Florence Brengard, Président, et par Mme Julie Fittes Pucheu, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.