CA Amiens, 1re ch. civ., 15 novembre 2018, n° 17-00485
AMIENS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
De Freitas Freres (SARL)
Défendeur :
Sovim (SAS), Renault Trucks (Sasu), Renault (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Coulange
Conseillers :
M. Maimone, Mme Piedagnel
Avocats :
Mes Delarue Schuller, Delahousse Fourcade, Benitah Laporte, Orts, Bocquet
Décision :
La SARL De Freitas Frères (société De Freitas) a acquis le 1er juin 2011 auprès de la SAS Sovim un véhicule Renault Master assorti d'une benne basculante hydraulique pour un montant de 36.238,80 euros TTC.
En avril 2013, la société De Freitas, constatant l'existence de fissures sur les longerons du châssis du véhicule, a fait appel à sa protection juridique qui a mandaté le cabinet Sedex en vue d'une expertise amiable qui s'est déroulée le 5 septembre 2013.
Par acte d'huissier en date du 5 novembre 2014, la société De Freitas a assigné la Sovim devant le tribunal de grande instance d'Amiens aux fins de résolution de la vente du véhicule.
Suivant exploit d'huissier du 7 janvier 2015, la Sovim a appelé en garantie R. qui a elle même appelé en garantie la SAS Renault suivant acte d'huissier du 27 avril 2015.
Les procédures ont été jointes.
Aux termes de leurs dernières conclusions, la société De Freitas sollicitait la résolution de la vente conclue entre elle et la Sovim, la mise à disposition de la Sovim du véhicule après paiement de l'intégralité des sommes mises à sa charge ou à la charge des autres sociétés, les frais de déplacement du véhicule étant mis à la charge de la Sovim, la restitution de la somme de 36.238,80 euros sous astreinte de 100 euros par jour de retard 15 jours après que la décision soit définitive.
La Sovim concluait au débouté des prétentions de la société De Freitas estimant que cette dernière ne rapportait pas la preuve de l'existence d'un vice rédhibitoire et à titre subsidiaire, sollicitait la condamnation de R. à la garantir et la résolution de la vente conclue entre elle et R..
R. concluait au débouté des prétentions de la société De Freitas au motif que les conditions de l'article 1641 du Code civil n'étaient par remplies et des prétentions de la Sovim à son encontre. A titre subsidiaire, elle sollicitait la condamnation de Renault à la garantir et à titre encore plus subsidiaire, elle demandait la limitation du montant de la demande en résolution de la vente à sa valeur actuelle estimée à 9.400 euros HT compte tenu de l'usage du véhicule depuis le 1er juin 2011 et la résolution de la vente intervenue entre elle et Renault.
Enfin, Renault concluait au débouté des prétentions de R..
C'est dans ces conditions que le tribunal de grande instance d'Amiens a, par jugement rendu le 21 décembre 2016, débouté la société De Freitas de sa demande de résolution de la vente du véhicule Renault Master en date du 1er juin 2011, condamné la société De Freitas aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Delarue et rejeté tout autre demande plus ample ou contraire.
Par déclaration au greffe en date du 9 février 2017, la société De Freitas a interjeté appel de cette décision.
Dans ses dernières écritures (conclusions récapitulatives transmises par la voie électronique le 5 septembre 2017) la société De Freitas demande à la Cour, au visa de des articles 1641 et suivants du Code civil, de :
- dire et juger la société De Freitas recevable et bien fondée en son appel
- en conséquence, infirmer le jugement entrepris
Statuant à nouveau
- prononcer la résolution du contrat de vente en date du 1er juin 2011 entre la société De Freitas et la Sovim
- dire et juger que la société De Freitas devra mettre à la disposition de la Sovim le véhicule Renault Master, après paiement de l'intégralité des sommes mises à la charge de Sovim et/ou de R. et/ou de Renault
- dire que les frais de déplacement du véhicule seront à la charge de la Sovim
- dire et juger que la Sovim devra restituer à la société De Freitas la somme de 36.238,80 euros et ce, sous astreinte de 100 euros par jour de retard 15 jours après que la décision à intervenir soit définitive
- débouter la Sovim de toutes ses demandes, fins, moyens et prétentions
- débouter R. de toutes ses demandes, fins, moyens et prétentions
- débouter Renault de toutes ses demandes, fins, moyens et prétentions
- condamner la Sovim à payer à la société De Freitas 4 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile
- condamner la Sovim aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de la SCP Delarue Valera & Associés.
A l'appui de son recours, la société De Freitas soutient en substance que:
Sur l'existence du désordre et sa préexistence à la vente
- les conclusions de l'expertise amiable au contradictoire des sociétés Sovim, R. et Renault ne laissent nullement la place au doute quant à l'existence, l'origine et la certitude du désordre
- R. était assistée d'un expert en la personne de M. C., Renault d'un conseiller technique en la personne de M. Gibouin et la Sovim de son responsable de service après vente en la personne de M. M. : en l'espèce, toutes les parties ont été à même de faire valoir leurs points de vue et de discuter les différentes questions soulevées : le rapport d'expertise est parfaitement opposable aux différentes parties
- les fissures constatées sur les deux longerons arrière du véhicule étaient consécutives à une faiblesse des pièces ; cette faiblesse existait dès la construction du véhicule
Sur la demande de résolution judiciaire
- les désordres ne diminuent pas seulement l'agrément de la chose mais sont constitutifs d'un véritable danger pour la sécurité du conducteur et les autres
- de jurisprudence constante, dès lors que le vice caché est établi l'acheteur a le choix entre se faire restituer le prix, garder la chose et se faire rendre une partie du prix sans qu'il ait à justifier son choix
- la juridiction n'a pas à prendre en considération ces interventions pour remédier au vice caché
- le juge n'a pas à motiver sa décision et n'est pas tenu de procéder à une recherche sur la possibilité de réparer les défauts à un faible coût
- la Sovim a notifié à la société De Freitas par courrier du 13 mai 2014 un risque de desserrage des vis de l'accouplement pont/transmission, retenant qu'il s'agit d'un incident potentiel mineur mais susceptible de mettre en cause la sécurité
Dans ses dernières conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 23 mai 2018, la Sovim demande à la Cour, au visa des articles 1641 et suivants du Code civil, de :
A titre principal
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions
- dire et juger que la société De Freitas ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un vice antérieur à la vente et rédhibitoire
- en conséquence, débouter la société De Freitas de sa demande en résolution de la vente et donc de son appel
- débouter la société De Freitas de ses plus amples demandes
A titre subsidiaire
- condamner R. à garantir la Sovim de l'ensemble des condamnations éventuellement prononcées à son encontre
- s'il devait être fait droit à la demande de résolution de vente formée par la demanderesse, prononcer la résolution de la vente conclue entre la Sovim et R.
En toute hypothèse
- condamner la société De Freitas ou tout succombant au paiement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens.
La Sovim soutient en substance que :
Sur l'absence de démonstration du vice caché
- les fissures sont apparues plus de deux ans après la vente alors que le véhicule avait roulé plus de 20 000 km
- l'apparition de ces fissures s'explique plus sérieusement par un usage non conforme du véhicule et de la benne
- la société De Freitas ne présente aucun justificatif qui pourrait attester du respect des préconisations d'entretien du véhicule
- le rapport du cabinet Setex qui constitue l'unique pièce concluant à sa responsabilité est un rapport
technique établi par un expert privé mandaté directement par la compagnie d'assurance de la société De Freitas et ne remplit pas les conditions d'objectivité et d'impartialité que doit revêtir tout document susceptible de constituer une preuve judiciaire ; en toute hypothèse, ce document en saurait à lui seul fonder la décision d'un juge
- il est de jurisprudence constante que l'action en résolution fondée sur le vice caché doit être rejetée lorsque les désordres constatés sont facilement réparables et a fortiori lorsqu'ils ont été réparés
- la société De Freitas a prétendument constaté les fissures au mois de juillet 2013 alors que le véhicule avait déjà comptabilisé 19.469 Km
- le véhicule litigieux est susceptible d'être réparé facilement
- la société De Freitas continue d'utiliser le véhicule quotidiennement en dépit des désordres qui fondent sa demande en résolution : elle rapporte elle même la preuve concrète que les désordres allégués ne rendent pas le bien impropre à son usage
- le courrier du 13 mai 2014 a été notifié à la société De Freitas dans le cadre d'une campagne de rappel destiné à remédier au point technique évoqué et ne concerne pas le désordre allégué, à savoir les fissurations du châssis
Subsidiairement, sur la garantie de R.
- le constructeur est tenu de garantir intégralement son cocontractant de l'ensemble des conséquences dommageables compte tenu de la présomption irréfragable de connaissance du défaut, même indécelable qui pèse sur lui et ce même s'il a contracté avec un professionnel en application de l'article 1645 du Code civil
- il est jurisprudence établie qu'un vendeur intermédiaire est parfaitement fondé à demander la garantie du constructeur automobile ou du vendeur originaire des condamnations prononcées à son encontre, incluant la restitution du prix de vente à l'acheteur final
- si la résolution de la vente du véhicule devait être prononcée par la cour au profit de la société De Freitas, elle prononcera nécessairement la résolution de la vente intervenue entre la concluante et R. et la condamnera à supporter l'ensemble des condamnations susceptibles d'être dirigées contre la Sovim.
Dans ses dernières écritures en défense (conclusions d'intimé n° 2 et récapitulatives transmises par voie électronique le 24 janvier 2017), R. demande à la Cour, au visa des articles 1641 et suivants du Code civil, de :
A titre principal:
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions
- dire que les conditions des articles 1641 et suivants du Code civil ne sont pas remplies et que la société De Freitas ne rapporte pas la démonstration d'aucun vice ayant affecté le véhicule en cause
- débouter la Sovim de sa demande de garantie à l'encontre de R.
A titre subsidiaire
- constater que R. forme une demande de garantie à l'encontre de Renault
- condamner Renault a relever R. indemne de toutes condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre
A titre encore plus subsidiaire
- limiter le montant de la demande en résolution de la vente de la société De Freitas à sa valeur actuelle estimée à 9 400 euros HT compte tenu de l'usage du véhicule depuis le 1er juin 2011
- prononcer la résolution de la vente intervenue entre R. et Renault
En tout état de cause
- débouter les sociétés De Freitas Frères, Sovim et Renault de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions et les dires mal fondées
- condamner la Sovim ou tous succombant à payer à R. la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
R. soutient en substance que :
Sur l'absence de preuve d'un vice inhérent à la chose
- il n'existe pas de présomption suivant la quelle tout désordre sur un véhicule serait nécessairement consécutif à un vice caché
- selon une jurisprudence constante il convient de comparer la durée d'utilisation ou le nombre de kilomètres parcourus par un véhicule entre sa date d'acquisition et la date de révélation dudit vice afin d'apprécier son caractère antérieur à la vente
- sur le caractère insuffisant du rapport d'expertise : un expert amiable n'a ni les responsabilités ni les devoirs qui incombent à un expert judiciaire dont les missions sont encadrées par le Code de procédure civile ; l'indépendance et l'impartialité d'un expert mandaté par une partie pose une difficulté pour la manifestation de la vérité et ce, que le rapport ait été ou non contradictoire à l'égard d'une partie ; un tel rapport ne revêt aucunement les caractères d'impartialité et d'objectivité attendus d'une preuve recevable en justice ; les expertises non judiciaires peuvent, certes être examinée par le juge mais doivent être corroborées par d'autres éléments de preuve
- sur l'absence de vice originel : l'expertise sur laquelle se fonde l'appelante n'a pas permis de déterminer si la fissure constatée provenait d'un défaut du châssis ou d'une charge excessive ; il est constant que les fissures en cause sont apparues plus de deux ans après la vente ; il n'est donc pas possible de considérer qu'il s'agit d'un vice originel, ce véhicule ayant roulé 20 000 km sans qu'aucune fissure n'apparaisse ; le fait qu'une campagne de rappel ait été lancée en vue de corriger, à titre préventif, 'un incident potentiel mineur' au niveau du desserrage des vis d'accouplement pont/transmission ne saurait constituer un élément propre à caractériser l'existence d'un vice susceptible de décharge la société De Freitas de la charge de la preuve
- sur l'absence d'élément en ce qui concerne l'usage du véhicule par son utilisateur : le vendeur n'est pas tenu de la garantie des vices cachés dans la mesure où le produit en cause aurait été utilisé de façon défectueuse par l'acheteur ; en l'espèce, il est constant que les conditions d'utilisation, d'entretien, de maintenance du véhicule, ainsi que les interventions sur le véhicule postérieures à la vente demeurent inconnues ; l'apparition des fissures peut s'expliquer par un usage non conforme du véhicule et de la benne
- sur le caractère facilement réparables des désordres : il est de jurisprudence constante qu'une action
en résolution de la vente fondée sur le vice caché doit être rejetée lorsque les désordres constatés sont facilement réparables ; en l'espèce, le véhicule est susceptible d'être réparé ; la société De Freitas a refusé cette réparation accompagnée d'une proposition de prêt d'un véhicule de remplacement le temps des travaux ; dans la mesure où il n'est pas démontré qu'une qualité particulière aurait été expressément convenue entre les parties, il convient de se référer à des qualités requises pour un usage courant de la chose conformément à l'utilité qui doit en être objectivement attendue ; l'inaptitude à circuler ne peut résulter que d'une impossibilité totale d'utilisation du véhicule vendu alors que le véhicule en cause a été utilisé depuis ces constats et continue à l'être et n'a pas été immobilisé ; si la société De Freitas considérait vraiment le véhicule comme étant dangereux, comment expliquer qu'elle continue à la mettre à la disposition de son personnel, de l'utiliser et qu'elle n'ait pas fait réaliser les réparations utiles '
Sur l'irrecevabilité subséquente de l'action en garantie exercée par la Sovim:
- compte tenu de l'absence de fondement de l'appel principal de la société De Freitas contre la Sovim, le cour ne pourra que débouter cette dernière de son action à être garantie par R. de toute condamnation à son encontre
- à défaut, la cour ne pourra que débouter Sovim de sa demande en garantie, cette dernière ne rapportant à l'encontre de R. la preuve aucun vice du châssis fourni par cette dernière
A titre subsidiaire, sur la garantie de Renault:
- le véhicule litigieux a été acquis auprès de Renault qui est le fabricant et le concepteur du Master
- l'implication de Renault est enfin avérée compte tenu de la participation de M. Gibouin, conseiller technique de Renault à l'expertise amiable
- en vertu de la jurisprudence en vigueur, le constructeur vendeur originaire doit garantir son co contractant de l'ensemble des conséquences dommageables mêmes indécelables qui pèsent sur lui
A titre encore plus subsidiaire, sur la résolution de la vente:
- si la cour accordait la résolution de la vente à la société De Freitas, le prix qui devrait lui être restitué ne saurait correspondre au prix d'acquisition du véhicule compte tenu de la dépréciation du fait de l'usage qui a été fait de ce véhicule depuis le 1er juin 2011, date de sa mise en circulation
- en effet, du fait de la résolution de la vente, la remise en état des parties suppose la restitution du véhicule dans son état initial puisqu'elle a pour objet de replacer rétroactivement les parties comme si le contrat n'a jamais existé, or, en l'espèce, le véhicule a été utilisé depuis le 1er juin 2011, ce dont il doit être tenu compte
- si l'action en résolution de la vente devait être prononcée, la cour prononcera nécessairement la résolution de la vente intervenue entre Renault et R..
Dans ses dernières conclusions récapitulatives n° 2 transmises par voie électronique le 27 mars 2018, Renault demande à la Cour, au visa des articles 1641 et suivants du Code civil, de:
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé établie l'existence d'un défaut préexistant à la vente
- le confirmer pour le surplus
Et statuant à nouveau:
- considérer que R. et la société De Freitas et le cas échéant la Sovim ne rapportent pas la preuve incontestable de l'existence d'un vice caché, précis et déterminé, en l'état d'un document amiable insuffisant, empreint de partialité et qui conclut que l'origine des désordres procède de la transformation du véhicule postérieurement à la vente par les soins de Renault
A titre subsidiaire:
- considérer que R. et la société De Freitas et le cas échéant la Sovim ne rapportent pas la preuve incontestable de l'antériorité des désordres qui ne se sont produits que près de deux ans après la prise de possession du véhicules litigieux et après avoir parcouru plus de 20 000 km
A titre très subsidiaire:
- considérer que R. et la société De Freitas et le cas échéant la Sovim ne rapportent pas la preuve incontestable de l'existence d'une défaut grave, de nature rendre le véhicule impropre à sa destination, en l'état d'une réparation facilement réalisable, mineure et sans frais pour la société De Freitas alors que le véhicule est utilisé par la société De Freitas depuis près de 7 ans
En conséquence:
- considérer que les conditions légales et jurisprudentielles pour que prospère l'action rédhibitoire tirée de la garantie légales des vices cachés ne sont pas réunies
- débouter la société De Freitas de sa demande dirigée à l'encontre de la Sovim tenant à la résolution de la vente
- débouter par voie de conséquence Renault Trucks et le cas échéant la Sovim de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de Renault
A titre infiniment subsidiaire:
- considérer que la demande de la Sovim dirigée à l'encontre de R. visant à être relevée et garantie de la demande principale de résolution de la vente formée par la société De Freitas à l'encontre de la Sovim ne peut prospérer et par voie de conséquence de la même manière à l'égard de Renault
- considérer que seul le montant hors taxes du châssis (19.675,20 euros) ne saurait être retenu à l'encontre de Renault, somme de laquelle il conviendra de déduire celle de 15 000 euros au titre des bénéfices retirés de l'usage du véhicule et de sa dépréciation
En toute hypothèse:
- condamner tout succombant à verser à Renault la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile
- condamner en outre tout succombant en tous dépens.
La SAS Renault soutient en substance que :
Sur la preuve incontestable de l'existence d'un vice caché, précis et déterminé, à l'origine des fissures survenues
- un document établi par un expert privé mandaté et rémunéré par les soins de l'assurance protection juridique de la partie demanderesse elle même est insuffisant ; le principe du contradictoire n'a sa
place que dans le cadre d'une procédure et non d'une expertise amiable ; une expertise amiable est un document partial au regard de la qualité de son rédacteur et du lien économique existant avec la partie prenante à la procédure
- le cabinet Setex ne met pas en cause un défaut de châssis du véhicule à l'origine du désordre mais la transformation réalisée sur ledit châssis par la Sovim, ce qui engage uniquement la responsabilité de cette dernière ; outre la surcharge due à l'installation de la benne hydraulique basculante, le cabinet Setex a également relevé un montage non conforme de la benne en raison de l'absence de rondelles élastiques sur ses deux points de fixation ; Renault qui s'est limitée à vendre à R. un châssis non pourvu de l'élément à l'origine des désordres à un double titre (surcharge et mauvais montage) ne saurait voir sa responsabilité engagée
- le document paraît quelque peu insuffisant d'un point de vu technique dans la mesure où seules des constatations visuelles sans aucune autre investigation ni recherche ont été effectuées ; or et notamment compte tenu que le véhicule était âgé de deux ans et totalisait plus de 20 000 km au compteur
- le courrier de rappel concernant un potentiel risque de desserrage des vis de l'accouplement pont/transmission ne permet pas de présumer de l'existence d'un défaut et est au surplus dans aucun lien avec les fissurations au niveau des longerons ; ce courrier est l'initiative de R. et non de Renault
A titre subsidiaire, sur l'absence de preuve incontestable de l'existence d'un vice caché précis et déterminé, antérieur à la vente
- il est peu crédible de faire valoir qu'aurait existé en germe un prétendu défaut qui ne se serait manifesté que près de deux ans plus tard et après plus de 20 000 km
- en réalité, le désordre procède de la transformation du châssis en suite de la vente par Renault et tendant en l'adjonction d'une benne basculante
A titre très subsidiaire, sur l'absence de preuve de l'existence d'un défaut de nature à rendre le véhicule impropre à sa destination
- le choix laissé à la discrétion de l'acquéreur est soumis à l'appréciation des juges
- d'une manière générale, l'action rédhibitoire sera rejetée, notamment lorsque le défaut n'est pas d'une gravité suffisante et est réparable
- la gravité du défaut sera appréciée bien plus sévèrement par les juges dans le cadre d'une action rédhibitoire que dans le cadre d'une action estimatoire
- selon la doctrine, il est souhaitable d'admettre que dans la mesure où il est possible d'offrir à l'acquéreur une exécution parfaitement satisfactoire, la proposition faite par le vendeur d'exécuter en nature la garantie devrait être entendue ; cette position est conforme à la bonne foi qui s'impose à chacune des deux parties dans l'exécution du contrat
- le véhicule litigieux est parfaitement réparable
- la Sovim a proposé de réaliser cette intervention ce qu'aurait refusé la société De Freitas
- une proposition par la Sovim de reprise du véhicule et acquisition d'un nouveau véhicule a été de la même manière refusée par la société De Freitas
- le véhicule n'a jamais cessé d'être fonctionnel et a continué d'être utilisé par la société De Freitas ; on ignore tout de son kilométrage actuel mais on peut l'estimer à 50 000 km
A titre infiniment subsidiaire, sur les demandes de la société de Freitas:
- aucune demande de résolution de la vente pour le montant réclamé par la société De Freitas ne saurait être dirigée à l'encontre de Renault qui s'est limitée à vendre le seul châssis nu, dépourvu de toute benne hydraulique basculante, pièce à l'origine manifestement des désordres survenus et à laquelle Renault se trouve totalement étrangère
- Renault ne saurait donc, le cas échéant, être tenue que du seul montant du châssis; pour un montant hors taxes s'agissant d'une vente entre professionnels susceptibles de déduire la TVA, soit la somme de 19.675,20 euros HT
- il ne saurait être fait abstraction de l'utilisation du véhicule par la société De Freitas et ce durant près de sept ans et sur un kilométrage ignoré faute de précision sur ce point mais que l'on peut toutefois estimé à 50 000 km au regard de l'utilisation moyenne du véhicule
Sur les demandes des autres parties :
- la Sovim ne forme aucune demande à l'encontre de Renault
- dans la mesure où la société De Freitas sollicite la résolution de la vente intervenue avec la Sovim, la demande de relevé et garantie formée par la Sovim à l'encontre de Renaults Trucks ne peut prospérer au regard de la jurisprudence constante de la cour de cassation sur ce point et par voie de conséquence de la même manière à l'égard de Renault
- si par extraordinaire, la résolution de la vente venait à être prononcée à l'encontre de Renault, seul le montant HT du châssis devrait être retenue, soit la somme de 219.675,20 euros HT dont il devra être déduit les bénéfices retirés de l'usage du véhicule et sa dépréciation pour un montant de 15 000 euros.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, il est fait expressément référence aux conclusions des parties, visées ci dessus, pour l'exposé de leurs prétentions et moyens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 30 mai 2018 et l'affaire a reçu fixation pour être plaidée à l'audience rapporteur du 14 juin 2018. Le prononcé de l'arrêt, par mise à disposition du greffe, a été fixé au 18 octobre 2018 prorogé au 15 novembre 2018.
Sur ce, la cour
A titre liminaire
Il convient de rappeler qu'en application de l'article 954 du Code de procédure civile, la cour ne doit statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif.
Ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du Code de procédure civile les demandes des parties tendant à voir 'constater' ou 'donner acte' ou encore 'considérer que' et la cour n'a dès lors pas à y répondre.
Sur l'opposabilité du rapport d'expertise amiable
D'une part, si le juge ne peut se foncer exclusivement sur une expertise réalisée à la demande de l'une des parties, celles ci peuvent néanmoins s'en prévaloir si elle corroborée d'autres éléments.
D'autre part, une expertise, certes amiable, mais à laquelle des parties ont assisté, est contradictoire à l'égard desdites parties dans la mesure où le rapport a été soumis au débat contradictoire dans le cadre de l'instance.
En l'espèce, suivant facture en date du 1er juin 2011, la SARL De Freitas Frères a acquis auprès de la SAS Sovim un véhicule Renault Master avec benne basculante hydraulique 3.50 (M. J. - M. Benoit) au prix de 30.300 euros HT, soit 36.238,80 euros TTC.
Une expertise a été réalisée par le Cabinet Sedex à la demande de l'assureur Aviva protection juridique de la société De Freitas le 5 septembre 2013.
Etaient présents :
- M. De freitas, propriétaire du véhicule
- M. D., assureur Aviva de M. D.
- M. J., gérant de la société Jocquin
- M. M., responsable service après vente des ETS Sovim
- M. C., expert R.
- M. Gibouin, conseiller technique Renault.
Le rapport d'expertise amiable est signé par toutes les personnes présentes.
Il résulte de ce qui précède que toutes les parties étaient présentes lors des opérations d'expertise amiable, certaines accompagnée d'un technicien (MM. M. et Gibouin) et que ce rapport a été soumis au débat contradictoire des parties dans le cadre de l'instance ayant donné lieu au jugement du 21 décembre 2016, lesquelles ont eu tout le loisir de l'examiner, de le critiquer, voire de solliciter une contre expertise contradictoire, ce qu'elles n'ont pas fait et étant remarqué que sociétés Sovim, R. et Renault n'apportent aucun élément technique susceptible de remettre en cause l'analyse de l'expert et qu'il convient dès lors de considérer que dans ces conditions le rapport amiable établi par le cabinet Sedex le 5 septembre 2013 est contradictoire à l'égard de toutes les parties.
Sur la résolution de la vente sur le fondement de la garantie des vices cachés
Aux termes de l'article 1641 du Code civil :
" Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus. "
Le vice doit être inhérent à la chose, être antérieur à la vente ou au moins être en germe au moment de la vente et caché. C'est à l'acquéreur exerçant l'action en garantie des vices cachés qu'il appartient de rapporter la preuve de l'existence et de la cause des vices qu'il allègue, en sollicitant au besoin une mesure d'expertise.
Selon l'article 1642 du même Code : " Le vendeur n'est pas tenu des vices apparents et dont l'acheteur a pu se convaincre lui même. "
L'article 1644 du même Code dans sa rédaction applicable au litige précise que 'l'acheteur a le choix
de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix, telle qu'elle sera arbitrée par experts.'
Le choix entre l'action estimatoire et l'action rédhibitoire appartient à l'acheteur qui n'a pas à en justifier et non au juge qui n'a pas à motiver sa décision sur ce point. L'offre du vendeur d'effectuer les réparations nécessaires à la remise en état du véhicule ne fait pas obstacle, même si ces réparations sont modiques, à l'action en résolution.
La restitution à laquelle un contractant est condamné à la suite de la réduction du prix de vente prévue à l'article 1644 du Code civil ne constitue pas un préjudice indemnisable ouvrant droit à réparation au profit de ce cocontractant. Lorsque l'acquéreur exerce l'action rédhibitoire, le vendeur, tenu de restituer le prix reçu, n'est pas fondé à obtenir une indemnité liée à l'utilisation de la chose vendue ou à l'usure résultant de cette utilisation.
En vertu des articles 1645 et 1646 du même Code, 'Si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur' et 'Si le vendeur ignorait les vices de la chose, il ne sera tenu qu'à la restitution du prix, et à rembourser à l'acquéreur les frais occasionnés par la vente.'
Le vendeur professionnel est réputé connaître les vices de la chose et doit réparer les conséquences du dommages causé par ce vice. Le vendeur qui n'a pas connu le vice ne peut être condamné à garantie l'acheteur des conséquences du dommage causé par le vice.
Enfin, conformément à l'article 1648 du même Code en vigeur depuis le 28 mars 2009, 'L'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice.'
En l'espèce, l'expert amiable a fait les constatations suivantes :
- Sur le longeron arrière droit, un début de fissuration sur la partie extérieure du longeron ; cette fissure est longue d'environ trois centimètres et est localisée à environ mi hauteur du longeron ; pas de présence de fissure en partie inférieure, intérieure et supérieurs
- Sur le longeron arrière gauche, une fissure localisée sur la partie extérieure du longeron ; Cette fissure est longue d'environ dix centimètres et démarre à trois centimètres du bas de longeron jusqu'à mi hauteur en partant vers l'avant ; pas de présence de fissure en partie inférieure, intérieure et supérieurs
- Sur le montage de la benne Jocquin, l'absence de rondelles élastiques sur les deux points de fixation positionnés en partie avant juste derrière la cabine.
S'agissant de l'imputabilité, selon l'expert amiable :
'Les fissures constatées sur les deux longerons arrière du véhicule sont consécutives à une faiblesse des pièces.
Le désordre est localisé à hauteur de points d'ancrage de l'essieu arrière.
Les deux longerons ne sont pas suffisamment renforcés pour supporter les contraintes liées notamment au porte à faux.
En effet, ce châssis cabinet est équipé d'une double cabine, d'un coffre à outils et d'une benne basculante.
L'ensemble et a configuration de ce véhicule dont qu'il présente un porte à faux de la benne en partie arrière important.
Le changement de la benne avec ce porte à faux fait qu'une faiblesse apparaît sur les longerons arrière au point de provoquer des cassures des tôles.'
Dans ses conclusions, l'expert amiable expose que les techniciens du constructeur R. ont trouvé une solution technique à ce désordre, 'ce problème ayant été référencé au sein de leur réseaux SAV, un kit de réparation est disponible pour la remise en état des deux longerons', la réparation consistant à positionner le véhicule sur un marbre, déposer la benne basculante, ouvrir les deux longerons, ressouder et renforcer les deux longerons fissurés puis les refermer et repositionnner la benne basculante. Il indique que cette intervention est référencée chez le constructeur R. et a déjà été réalisée sur d'autres véhicules présentant un désordre similaire.
D'après l'expert amiable la société De Freitas a refusé cette intervention, celle-ci n'étant garantie qu'un an pièce et main d'œuvre.
Enfin, l'expert amiable fait état d'une proposition de remise en état du véhicule avec prêt d'un véhicule de remplacement pendant les travaux prise en charge à 100 % par le constructeur dans le cadre de la garantie, refusée par la société De Freitas, aucune garantie écrite n'étant donnée concernant la longévité de cette intervention, ainsi qu'une proposition de reprise du véhicule dans le cadre de la vente d'un véhicule neuf mais à laquelle la Sovim n'a pas donné suite.
Il convient de remarquer que les raisons pour lesquelles la société de Freitas a fait appel à son assurance protection juridique ne sont pas connues, l'appelant indiquant seulement dans ses conclusions 'en avril 2013, M. D., gérant de la société de Freitas Frères a constaté des fissures au niveau des longerons du véhicule'. Le rapport d'expertise amiable est tout à fait taisant sur ce point et ne fait état d'aucun dommage, risque, inconvénient ou même gêne subis de la part de la société du fait des 'désordres'.
Il ressort de ce qui précède que les premiers juges ont fait une juste appréciation des éléments de la cause en estimant que si les désordre consistant en des fissures sur les longerons arrières droit et gauche était bien préexistants à la vente et que les modalités d'utilisation de la benne par la société De Freitas n'étaient pas remis en cause, les fissures apparaissant dans le cadre d'un usage normal du véhicule, lesdits désordres affectant le véhicule étaient réparables pour un coût très modestes par rapport au prix du véhicule, lui ôtant son caractère de gravité et ne pouvait recevoir la qualification de vice rédhibitoire au sens de l'article 1641 du Code civil.
Le jugement sera par conséquent confirmé en toutes ses dispositions.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Le société De Freitas qui succombe à l'instance supportera les dépens d'appel.
Il n'y a pas lieu de faire droit aux demandes présentées au titre des frais irrépétibles par les parties.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 21 décembre par le tribunal de grande instance d'Amiens ; Y ajoutant, Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile pour aucune des parties ; Condamne la SARL De Freitas Frères aux dépens d'appel.