CA Rennes, 3e ch. com., 13 novembre 2018, n° 16-00246
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Cyand (SARL)
Défendeur :
CMA Concept Machines Alimentaires (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents :
M. Calloch, Conseillers : Mme Jeorger Le Gac, M. Garet
Avocats :
Mes Fedon, Grenard, Giudicelli
Faits et procédure
Suivant devis du 3 mai 2012, la SARL Cyand (ci après Cyand), entreprise ayant pour activité la fabrication et le négoce de pâtes alimentaires et plats cuisinés, a passé commande auprès de la SARL Concept Machines Alimentaires (ci après CMA) d'un ensemble de machines neuves destinées à la fabrication de pâtes, précisément d'une presse 'MAC 60", d'un séchoir, d'une chambre froide et d'une raviolatrice, le tout pour un prix de 38 272 TTC; le devis comprenait non seulement la fourniture des machines, mais également leur installation ainsi qu'une 'formation' dispensée au profit de l'acquéreur.
Un acompte a été versé par Cyand lors de la commande.
Le 12 octobre 2012, le matériel a été livré, sans aucune réserve de l'acheteur qui a alors réglé le solde du prix.
Le 14 juin 2013, Cyand a fait constater par huissier de justice plusieurs anomalies et difficultés de fonctionnement affectant la presse ainsi que le séchoir.
Sur saisine de Cyand, le juge des référés du tribunal de commerce de Rennes, statuant par ordonnance du 5 novembre 2013, a commis Monsieur René J. en qualité d'expert afin de vérifier la réalité, la nature et l'origine des dysfonctionnements allégués.
Après avoir déposé un pré rapport le 7 février 2014 et répondu aux dires des parties, l'expert a déposé son rapport définitif le 4 avril 2014.
Par acte du 29 septembre 2014, Cyand a fait assigner CMA devant le tribunal de commerce de Rennes aux fins de voir constater l'existence de vices cachés affectant les machines vendues et, par suite, ordonner la résolution de la vente et la restitution du prix, outre la condamnation de CMA à indemniser Cyand de l'ensemble de ses préjudices.
Par jugement du 6 octobre 2015, le tribunal a jugé que la demanderesse ne rapportait pas la preuve de vices cachés affectant les machines ni de manquements contractuels imputables à CMA et, en conséquence, a débouté Cyand de l'ensemble de ses demandes.
Suivant déclaration reçue le 8 janvier 2016, Cyand a interjeté appel de ce jugement.
Moyens et prétentions des parties
Aux termes de ses dernières conclusions auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé de ses demandes et argumentations, Cyand demande à la cour d'infirmer le jugement déféré et, par suite, de' :
- prononcer la résolution de la vente, désormais uniquement en ce qu'elle concerne le séchoir, et d'ordonner en conséquence la restitution dudit séchoir défectueux ainsi que la restitution du prix correspondant que la cour fixera à 12 000 à défaut de prix individualisé sur la facture litigieuse ';
- condamner CMA au paiement d'une somme de 55.257,10 à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice subi par Cyand du fait des manquements contractuels imputables à CMA, et ce avec intérêts au taux légal à compter du 12 juin 2015, date à laquelle cette demande a été présentée pour la première fois devant le tribunal de commerce,
- condamner CMA au paiement d'une somme de 3 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre aux entiers dépens, en ce compris les éventuels frais d'exécution forcés, dont distraction au profit de l'avocat de l'appelante conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.
A l'appui de ses demandes, Cyand fait essentiellement valoir :
- que le séchoir a été mal installé par CMA, laquelle a en effet omis d'avertir Cyand de la nécessité de faire procéder à différents travaux de maçonnerie et de percement des murs destinés à permettre l'évacuation des vapeurs d'eau ou d'air chaud produits par la machine en fonctionnement ; à cet égard, Cyand considère que c'est à tort que, sur ce point, l'expert a envisagé un partage de responsabilité entre l'acheteur et le vendeur, alors en effet que Cyand n'avait aucune compétence pour apprécier la nécessité de tels travaux et que c'était à CMA, en sa qualité de professionnelle spécialisée dans la vente et l'installation de ce type de machines, de préconiser tous travaux nécessaires au bon fonctionnement du séchoir ;
- que CMA n'a pas assuré à Cyand une formation suffisante pour lui permettre de faire fonctionner correctement la machine, l'appelante développant cette argumentation en réponse aux propos de l'expert selon lesquels Cyand 'ne maîtrise ni la fabrication des pâtes, ni le fonctionnement des machines', la société rappelant à cet égard que CMA s'était contractuellement engagée à former sa cliente' ;
- que le séchoir est atteint de vices qui en empêchent le fonctionnement normal, Cyand précisant d'ailleurs que l'appareil est en panne depuis juin 2013, ce que l'expert a d'ailleurs lui même constaté, la société ayant dès lors été contrainte d'en acquérir un second ; Cyand dénonce encore les déformations affectant les portes du séchoir, lesquelles, non visibles à l'origine, sont apparues ensuite et trouvent leur origine dans un défaut de planéité du sol qui aurait dû être anticipé par le vendeur.
Finalement, outre la résolution de la vente du séchoir, Cyand réclame aujourd'hui l'indemnisation de son préjudice qu'elle décline en trois postes :
- 3 017,70 correspondant à la perte économique consécutive à la fabrication de pâtes non conformes au résultat attendu' ;
- 11 840 correspondant à l'achat d'un nouveau séchoir ';
- et 40 400 correspondant au manque à gagner, en l'occurrence la perte de marge brute calculée par référence à un chiffre d'affaires espéré mais non réalisé du fait du dysfonctionnement de la machine.
Au contraire, aux termes de ses dernières conclusions auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé de ses demandes et argumentations, CMA demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Cyand de l'intégralité de ses demandes, l'intimée faisant observer que l'expert lui même a constaté qu'elle n'avait rien à se reprocher, et notamment :
- qu'elle n'a pas manqué à son obligation d'installation du matériel fourni, de même qu'à son obligation de conseil et de formation, CMA rappelant en effet qu'il a été constaté que le séchoir ne souffrait que d'un simple défaut de géométrie, d'ailleurs sans conséquence sur son fonctionnement ; à cet égard, CMA rappelle que ce défaut est apparu plusieurs mois après la livraison du matériel qui a été accepté sans réserves de l'acheteur, et considère qu'il est la conséquence de déplacements intempestifs de la machine par Cyand elle même ; s'agissant du défaut d'évacuation des vapeurs produites par la machine, CMA rappelle qu'elle n'a pas de compétence dans le domaine de la construction, et que c'était à Cyand elle même qu'il incombait de faire réaliser les travaux de percement des murs aux fins de raccordement des tuyaux d'évacuation de l'air chaud jusqu'à l'extérieur du bâtiment, ce que l'acheteur, même non spécialiste, était à même de comprendre sans que le vendeur ait à le lui rappeler ; CMA considère également avoir respecté son obligation de formation, d'ailleurs non contractuellement définie quant à sa durée, en dispensant à Cyand, elle même professionnelle de la fabrication de pâtes alimentaires, une formation suffisante pour lui permettre de maîtriser le fonctionnement de la machine' ;
- que le séchoir n'est pas non plus atteint de quelque vice que ce soit, qu'il s'agisse de sa déformation sans conséquence sur son fonctionnement, ou encore de sa panne actuelle qui, ainsi que l'expert l'a lui même constaté, ne relève pas d'un vice caché, s'agissant d'une panne seulement partielle et aisément réparable, la machine demeurant en état de servir à l'usage auquel elle est destinée.
Enfin et en toute hypothèse, CMA conteste les préjudices allégués par Cyand, faisant en effet observer :
- que la perte de quelques centaines de kilos de pâtes alimentaires ne saurait lui être imputée, Cyand étant seule responsable de son incapacité à faire fonctionner correctement une machine pour laquelle elle a reçu toutes instructions utiles ;
- que Cyand n'était nullement tenue de changer de séchoir, ne pouvant dès lors réclamer à CMA le remboursement de la nouvelle machine qu'elle a achetée ;
- qu'enfin, la perte de marge brute d'exploitation alléguée par Cyand n'est en réalité que la conséquence d'une incapacité de l'entreprise à maîtriser le processus de fabrication de pâtes, ainsi que l'expert l'a lui même relevé.
Finalement, CMA demande à la cour de débouter Cyand de l'intégralité de ses demandes, et de la condamner au paiement d'une somme de 5 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
La mise en état du dossier a été clôturée par ordonnance du 4 juillet 2018 et l'affaire renvoyée à l'audience de jugement du 25 septembre 2018.
Motifs de la décision
Sur la demande en résolution de la vente du séchoir pour vices cachés ':
Il convient d'observer que Cyand ne se prévaut que de la garantie légale des vices cachés, au sens des articles 1641 et suivants du Code civil dans leurs numérotation et rédaction applicables au contrat litigieux, et non d'une éventuelle garantie contractuelle de bon fonctionnement que l'acheteur a pu souscrire auprès du vendeur et dont la cour ne sait rien.
En conséquence, la cour se bornera à vérifier si les anomalies relevées par l'expert sont ou non des "'défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus'".
Force est de constater que tel n'est pas le cas, alors en effet qu'il résulte des pièces du dossier, notamment du rapport d'expertise' :
- que si les portes du séchoir présentent des défauts de géométrie qui ne permettent pas une fermeture parfaite de la machine, pour autant le séchoir demeure conforme à l'usage auquel il est destiné ';
- que par ailleurs, ou bien cette anomalie, aujourd'hui "'perceptible à l'oeil nu'", l'était déjà au moment de la livraison, auquel cas il s'agit d'un vice apparent dont l'acheteur aurait dû se convaincre lui même, le privant par là même de toute garantie légale par application de l'article 1642 du Code civil, ou bien cette anomalie est apparue depuis la livraison et, dans cette hypothèse, ne relèverait pas non plus de la garantie des vices cachés et ce, faute de preuve que le vice pré existait à la vente.
En réalité et ainsi qu'il résulte du rapport d'expertise, cette déformation est la conséquence d'un déplacement de la machine effectué sur un sol non plane, ce qui en soi ne relève pas d'un vice caché affectant la machine elle même' ; dès lors, l'acheteur ne peut se prévaloir d'aucune garantie à ce titre.
De même, l'absence de raccordement du séchoir à l'extérieur du bâtiment aux fins d'évacuation des vapeurs générées par son fonctionnement ne relève pas davantage d'un vice caché, tout au plus d'une installation inachevée.
Enfin, la panne du séchoir constatée lors de l'expertise ne relève pas non plus d'un vice caché au sens de la loi, alors en effet que l'expert a constaté, d'une part qu'il ne s'agissait que d'une panne partielle, d'autre part qu'elle était aisément réparable, s'agissant d'un simple dysfonctionnement électro mécanique qui ne retirait rien au fait que la machine demeure propre à l'usage auquel elle est destinée.
Ici encore, la cour rappelle qu'une panne ne signe pas nécessairement l'existence d'un vice caché au sens des articles 1641 et suivants du Code civil, pouvant le cas échéant relever d'une garantie contractuelle de bon fonctionnement qui n'est pas même invoquée en l'espèce et qui, en toute hypothèse, ne justifierait pas la résolution de la vente, mais seulement la réparation voire le remplacement de l'appareil aux frais du vendeur, toutes demandes non formulées par Cyand.
En conséquence, les conditions de mise en œuvre de la garantie légale des vices cachés n'étant pas réunies, le jugement déféré ne pourra qu'être confirmé en ce qu'il a débouté Cyand de sa demande tendant à la résolution de la vente et à la restitution du prix.
Sur la demande en dommages intérêts ':
Il est constant que cette demande, qui est indépendante de l'action en garantie des vices cachés, est susceptible de prospérer sur le fondement de l'article 1147 du Code civil, dans ses numérotation et
rédaction applicables au litige, qui sanctionne de dommages intérêts tout manquement aux obligations contractuelles.
Pour autant, c'est vainement que Cyand reproche à CMA ':
- d'abord de ne pas l'avoir mise en garde contre les conséquences à attendre de l'installation du séchoir sur un sol insuffisamment plane, en l'occurrence la déformation des portes de la machine'; en effet, la cour rappelle que cette déformation est la conséquence, non pas du défaut de planéité lui même, mais du déplacement de la machine opérée maladroitement par Cyand elle même, l'appelante ne pouvant pas, dès lors, reprocher à CMA les conséquences de sa propre maladresse, le devoir de conseil ainsi invoqué par l'acheteur à l'encontre du vendeur trouvant sa limite dans la connaissance qu'il aurait dû avoir lui même des conséquences nécessairement attendues de son action malhabile' ; au surplus, CMA n'était pas censée savoir que la machine serait ainsi déplacée ';
- ensuite de ne pas l'avoir avertie de la nécessité de procéder au raccordement à l'extérieur du bâtiment des tuyaux d'évacuation des vapeurs générées par la machine en fonctionnement, de même que de ne pas avoir exécuté ces travaux à ses frais alors qu'elle s'y serait contractuellement engagée' ; ici encore, la cour observe que si le devis du 3 mai 2012 comprenait "'l'installation'" de la machine par CMA, cette opération ne pouvait pas s'entendre de travaux de gros œuvre destinés à percer les murs d'un immeuble pour y raccorder des tuyaux d'évacuation, étant en effet rappelé que CMA n'a aucune compétence en cette matière' ; dès lors, "'l'installation'" à laquelle CMA s'est engagée se limitait nécessairement aux branchements électriques de la machine'; de même, CMA ne saurait se voir reprocher à nouveau un manquement à son devoir de conseil vis-à- vis de sa cliente pour avoir omis de l'avertir de la nécessité de ce système d'évacuation, la cour rappelant que l'obligation de conseil ne s'étend pas aux faits qui sont de la connaissance de tous, a fortiori d'un professionnel de la fabrication de pâtes alimentaires qui prétend se servir d'un séchoir, soit une machine industrielle qui produit nécessairement de la vapeur en quantité importante, ce qu'un professionnel de cette spécialité n'est pas fondé à ignorer lui même ';
- enfin de ne pas lui avoir apporté une formation suffisante et adaptée à l'utilisation de la machine, la cour observant en effet' :
* que Cyand ne conteste pas avoir reçu une formation de la part de CMA, l'appelant en dénonçant seulement l'insuffisance et l'inadaptation à ses besoins ';
* qu'en l'absence de précisions contractuelles quant à la durée de cette formation, l'engagement contracté par CMA ne pouvait pas excéder le seul apprentissage du fonctionnement de la machine vendue, la pleine acquisition par Cyand des techniques de fabrication de pâtes alimentaires relevant en revanche de la seule responsabilité de celle ci, étant encore observé que CMA, qui n'est qu'un vendeur de machines alimentaires, n'a jamais prétendu être un fabricant de pâtes alimentaires ni un organisme de formation' ;
* que dès lors, Cyand ne peut s'en prendre qu'à elle-même de n'avoir pas réussi à maîtriser correctement le processus de fabrication de pâtes, CMA ne s'étant quant à elle jamais engagée à le lui apprendre.
En conséquence, aucun manquement contractuel ne pouvant être reproché à CMA, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Cyand de l'ensemble de ses demandes indemnitaires, qu'il s'agisse du préjudice commercial allégué par elle, du préjudice économique consécutif à la fabrication de pâtes impropres à la vente, ou encore du coût assumé par Cyand pour acheter un nouveau séchoir en remplacement du précédent qui n'avait nulle vocation à être remplacé.
Partie perdante, Cyand sera condamnée à payer à CMA une somme de 3 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Cyand supportera enfin les entiers dépens de première instance et d'appel, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR : Confirme le jugement en toutes ses dispositions, et déboute la SARL Cyand de l'ensemble de ses demandes' ; Y ajoutant, condamne la SARL Cyand à payer à la SARL CMA une somme de 3 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la SARL Cyand aux entiers dépens de première instance et d'appel, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.