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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 21 novembre 2018, n° 16-03979

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Multiprotect Plus (SARL)

Défendeur :

Checkpoint Systems France (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Ohana, Duquesnoy

T. com. Paris, du 14 déc. 2015

14 décembre 2015

Faits et procédure

La société Multiprotect Plus est une société de droit tunisien, spécialisée dans l'importation et la distribution d'équipements antivol.

La société Checkpoint Systems France, filiale de la société Checkpoint Systems, de droit américain, active dans les systèmes de surveillance électroniques et de lutte contre le vol (EAS), a été immatriculée en juin 2000 et commercialise les produits Checkpoint dans les zones Europe et Moyen-Orient.

Le 1er décembre 1999, Monsieur Slimi et la société Checkpoint Systems ont conclu un contrat dit de " représentation exclusive ", stipulé pour une durée d'un an (article 26), aux termes duquel était confiée à Monsieur Slimi la distribution exclusive des produits Checkpoint sur les territoires de l'Algérie et de la Tunisie, ce contrat étant soumis à la loi de l'État de Pennsylvanie (EU).

Le 27 février 2002 a été conclu un accord pour une durée d'un an, du 1er janvier au 31 décembre 2002, entre la société Chekpoint Systems et la société Samy Slimi, Multiprotect, appelé " protocole d'accord EAS RF/EM Année 2002 ", mettant en place le " versement par Chekpoint Meto de commissions et reversions pour l'année 2002 au profit de la société Samy Slimi, Multiprotect ". Ces commissions en " pourcentage sur les ventes réalisées facturées et réglées par les clients finaux " grands comptes rémunéraient l'action commerciale (installation, réglage, maintenance des systèmes) de la société Samy Slimi, Multiprotect auprès de Carrefour, Monoprix/Casino, Bon Prix/Batam et " toute autre enseigne dépendant des Groupes Français s'implantant en Tunisie, Algérie et Lybie ".

Par courrier du 12 juillet 2002 adressé à M. Slimi, Multiprotect, la société Checkpoint Meto déclarait : " nous vous confirmons que vous êtes les distributeur Checkpoint Meto depuis 1999, ceci sur les secteurs : Algérie, Tunisie, Lybie ".

Par lettre du 28 novembre 2005, adressée à M. Slimi, directeur de la société Multiprotect Plus, la société Checkpoint Meto " certifi(ait) que la société Checkpoint Meto est représentée en Tunisie, Algérie et Lybie par M. Samy Slimi, directeur de la société Multiprotect Plus, en tant que distributeur exclusif ".

Il n'est pas contesté que la société Checkpoint Systems France a régulièrement commercé avec la société Multiprotect Plus, mais les conséquences qu'en tire la société Multiprotect Plus au soutien de ses demandes font l'objet d'un désaccord.

Dans le courant de l'année 2008, les relations entre les parties se sont détériorées, des reproches ayant été formulés par la société Checkpoint Systems France à la société Multiprotect Plus, dans un mail du 12 novembre 2008, puis par lettre recommandée avec accusé de réception du 10 juillet 2009. Il était fait état, dans le courrier de 2008, de stagnation du chiffre d'affaires, d'une situation débitrice et de la perte d'un gros client, Carrefour Tunisie ; dans celui de 2009, la société Checkpoint Systems signifiait " la résiliation de toute représentation par votre entreprise de notre marque et de nos produits sur le marché tunisien ".

Par acte du 3 octobre 2012, la société Multiprotect Plus a assigné la société Checkpoint Systems France devant le tribunal de commerce de Versailles, en indemnisation pour rupture brutale des relations commerciales établies.

Par jugement du 24 janvier 2014, le tribunal de commerce de Versailles a débouté la société Checkpoint Systems France de ses fins de non recevoir tenant à la nullité de l'assignation pour inexistence à cette date de la société Multiprotect Plus. En effet, selon le tribunal, la société Multiprotect Plus devait être considérée comme demanderesse à la dite assignation et cette société avait été immatriculée le 30 janvier 2004 au registre de commerce de Tunis sous le n° B015532004 avec un siège social à Tunis, son gérant étant Monsieur Slimi.

Le tribunal de commerce de Versailles a aussi écarté l'exception d'incompétence soulevée par la société Checkpoint Systems France au profit des tribunaux de l'État de Pennsylvanie. Il l'a fait en considération du fait que la société Checkpoint Systems France a pris la suite de sa société mère américaine et qu'elle a signé un accord de commissionnement de 2002, une lettre du 12 juillet 2002 lui confirmant " par les présentes que vous êtes le distributeur de Checkpoint METO depuis 1999, ceci sur les secteurs Algérie, Tunisie et Libye '', ainsi qu'une lettre du 28 novembre 2005 qui déclare la société Multiprotect Plus " distributeur exclusif pour l'Algérie, la Tunisie et la Libye ". Il a donc été définitivement jugé que la relation rompue liait la société Multiprotect Plus à la société Checkpoint Systems France.

Enfin, le tribunal de Versailles s'est déclaré incompétent par application de l'article D. 442-3 du Code de commerce et a renvoyé la cause devant le tribunal de commerce de Paris.

Par jugement du 14 décembre 2015, le tribunal de commerce de Paris a :

- dit que la société Checkpoint Systems France a rompu la relation commerciale établie qui la liait depuis 9 ans à la société de droit tunisien Multiprotect Plus,

- dit que le préavis accordé de 8 mois aurait été en principe d'une durée suffisante mais que, comme la société Checkpoint Systems France n'a pas averti initialement la société de droit tunisien Multiprotect Plus de la durée effective du préavis accordé, elle aurait dû, par sa lettre du 10 juillet 2009 notifiant la fin du préavis, lui accorder un délai supplémentaire d'un mois, rendant ainsi la rupture particulièrement brutale,

- condamné la société Checkpoint Systems France à payer à la société Multiprotect Plus la somme de 3781 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par la rupture brutale de la relation commerciale établie, ladite somme étant majorée des intérêts au taux légal à compter du présent jugement, avec capitalisation dans les conditions prévues par l'article 1154 du Code civil, déboutant pour le surplus,

- débouté la société Multiprotect Plus de l'ensemble de ses autres demandes de dommages et intérêts,

- débouté la société Checkpoint Systems France de ses demandes reconventionnelles de dommages et intérêts,

- condamné la société Checkpoint Systems France à payer à la société Multiprotect Plus la somme de 1 500 euros au titre d'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné la société Checkpoint Systems France aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 6 dont 13,52 euros de TVA.

Le tribunal a jugé que les manquements allégués par la société Checkpoint Systems n'étaient pas suffisamment graves pour justifier la résiliation sans préavis. Il a estimé que le courriel du 12 novembre 2008 avait annoncé la rupture et avait fait courir un préavis de huit mois jusqu'au 10 juillet 2009, date de la résiliation effective. Il a estimé cette durée suffisante, mais le courrier du 12 novembre n'annonçant pas à l'avance la durée du préavis, il a jugé que la société Multiprotect Plus n'avait pu se reconvertir et lui a consenti un mois de plus de préavis. Il l'a, en revanche, déboutée de ses demandes pour abus de dépendance économique et débouté la société Checkpoint Systems de ses demandes de dommages-intérêts pour atteinte à sa notoriété.

La société Multiprotect Plus a interjeté appel du jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 14 décembre 2015.

La procédure devant la cour a été clôturée le 25 septembre 2018.

LA COUR

Vu l'appel interjeté par la société Multiprotect Plus et ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 17 septembre 2018, par lesquelles il est demandé à la cour de : Vu les articles 1134, 1139, 1142, 1146, 1147, 1149, 1153-1 et 1154 du Code civil, L. 442-6, I, 2° et L 442-6, I, 5° du Code de commerce,

- déclarer recevable et bien fondée en son appel la société Multiprotect Plus,

y faisant droit,

- infirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a débouté la société Checkpoint Systems France de ses demandes reconventionnelles,

statuant de nouveau,

- dire que la décision de rupture unilatérale des relations contractuelles par la société Checkpoint Systems France sans préavis est brutale et fautive,

- condamner la société Checkpoint Systems France à payer à la société Multiprotect Plus, à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter de la première mise en demeure et capitalisation des intérêts dus au moins pour une année entière, la somme totale de 425 987 euros HT, correspondant au préjudice financier subi, à savoir l'annulation de la commande du 20 mai 2009 (186 207 euros), l'indemnisation de la rupture brutale sans préavis de l'accord d'exclusivité (119 890 euros) et de l'abus de dépendance économique (119 890 euros),

- condamner la société Checkpoint Systems France à payer à la société Multiprotect Plus la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,

- condamner la société Checkpoint Systems France à payer la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens en première instance,

- condamner la société Checkpoint Systems France à payer la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens en cause d'appel ;

Vu les dernières conclusions de la société Checkpoint Systems France, intimée, déposées et notifiées le 25 juillet 2016, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a octroyé des dommages et intérêts à la société Multiprotect Plus pour insuffisance de durée du préavis de 8 mois dont elle a bénéficié,

statuant de nouveau,

- constater que les relations d'affaires entre la société Checkpoint Systems France et la société Multiprotect Plus relèvent du droit commun, même au titre du droit exclusif argué par la société Multiprotect Plus à durée indéterminée,

- constater les manquements et carences de la société Multiprotect Plus, dans ses rapports commerciaux et obligations de distributeur de la société Checkpoint Systems France, emportant privation de tout droit à préavis,

- constater néanmoins la notification par la société Checkpoint Systems France à la société Multiprotect Plus de ses griefs avec annonce de la rupture des relations d'affaires avec 8 mois de préavis avant la notification de la rupture des relations d'affaires,

en conséquence,

- dire la rupture des relations commerciales entre la société Checkpoint Systems France et la société Multiprotect Plus ni abusive, ni fautive,

si besoin est,

- dire que la société Multiprotect Plus, société de droit tunisien n'a subi aucun préjudice indemnisable du fait de la rupture des relations commerciales avec la société Checkpoint Systems France,

en conséquence,

- débouter la société Multiprotect Plus de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de la société Checkpoint Systems France, reconventionnellement,

- condamner la société Multiprotect Plus à payer à la société Checkpoint Systems France la somme de 75 000 euros à titre de dommages et intérêts pour atteinte à l'image et à la notoriété de la société Checkpoint,

- condamner la société Multiprotect Plus à payer à la société Checkpoint Systems France la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

en tout état de cause,

- débouter la société Multiprotect Plus de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions contraires et supplémentaires.

- condamner la société Multiprotect Plus à la société Checkpoint Systems France la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Multiprotect Plus aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de l'avocat constitué de l'intimé qui déclare ne avoir fait l'avance en ce qui le concerne, par application de l'article 699 du Code de procédure civile ;

Sur ce

Sur la rupture des relations commerciales établies

Si aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ", la société qui se prétend victime de cette rupture doit établir au préalable le caractère suffisamment prolongé, régulier, significatif et stable du courant d'affaires ayant existé entre elle et l'auteur de la rupture, qui pouvait lui laisser augurer que cette relation avait vocation à perdurer.

" Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ". La rupture des relations commerciales établies peut intervenir à effet immédiat à la condition qu'elle soit justifiée par des fautes suffisamment graves imputées au partenaire commercial.

L'article 9 du Code de procédure civile dispose qu'" il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ".

Sur la relation commerciale et sa durée

La société Multiprotect Plus prétend que les relations d'affaires entre la société Checkpoint Systems et Monsieur Slimi se sont poursuivies, " à la suite de la restructuration interne et internationale de la société Checkpoint systems ", entre la société Checkpoint Systems France et la société Multiprotect Plus. La société Multiprotect Plus soutient que les relations commerciales entre M. Slimi et la société Checkpoint Systems ont débuté lors de la conclusion d'un contrat de distribution exclusive, le 1er décembre 1999 et se sont poursuivies jusqu'au 12 novembre 2008, pour l'Algérie, la Lybie et le client Carrefour Tunis, et jusqu'au 10 juillet 2009 pour le reste du marché tunisien, date à laquelle la société Checkpoint Systems France les a rompues. Elle soutient donc que la durée de leurs relations commerciales est d'environ dix ans.

Elle soutient aussi qu'il résulte de quatre documents contractuels que ces relations commerciales se sont déroulées dans un cadre d'exclusivité. En effet :

- M. Slimi a conclu le 1er décembre 1999 un contrat de distribution exclusive avec la société Checkpoint Systems, prévoyant en son article 28 " une clause d'exclusivité totale couvrant toute l'assiette territoriale du contrat " ;

- cette exclusivité a été étendue par le protocole d'accord du 27 février 2002 à la Libye,

- elle a aussi été réaffirmée par la société Checkpoint Systems France sur les secteurs de l'Algérie, de la Tunisie et de la Libye dans une lettre du 12 juillet 2002 ;

- enfin, par télécopie du 28 novembre 2005, la société Checkpoint Systems France, a certifié que Multiprotect Plus était son distributeur exclusif pour les secteurs de l'Algérie, la Tunisie et la Lybie.

En réponse, la société Checkpoint Systems France soutient que la relation d'affaires entre la société Multiprotect Plus et la société Checkpoint Systems France a débuté le 27 février 2002, date de signature de l'accord requalifié de contrat de commissionnement, pour prendre fin en juillet 2009, soit une relation d'une durée de 7 ans.

Elle ne conteste pas qu'un contrat de distribution a été conclu entre M. Slimi et la société Checkpoint Systems le 1er décembre 1999.

Cependant, elle soutient que :

- au regard du principe de l'effet relatif des contrats résultant de l'article 1165 du Code civil, ce contrat, qui n'a pas été conclu avec la société Checkpoint Systems France, ne peut lui être opposé pour arguer de droits contractuels à son égard ; il s'agit d'un simple fait juridique non créateur d'obligations pour la société Checkpoint Systems France ;

- le protocole d'accord conclu entre M. Slimi et la filiale Checkpoint Systems France, le 27 février 2002, est un simple accord de commissionnement et ne peut donc être qualifié de contrat de distribution ; de plus, ce contrat de commissionnement n'a été conclu que pour une durée limitée expresse d'un an, sans clause de tacite reconduction ou prorogation ou renouvellement à son terme, et a donc pris fin le 31 décembre 2002';

- la lettre 12 juillet 2002 ne confère aucun droit particulier à la société Multiprotect Plus ;

- enfin, la lettre du 28 novembre 2005, emporte certes création d'un droit pour la société Multiprotect Plus mais s'exécute selon le droit commun et est à durée indéterminée et donc résiliable dans le cadre du droit commun.

Il résulte des pièces versées aux débats un flux continu d'affaires tout d'abord entre Monsieur Slimi et la société Checkpoint Systems, selon un contrat dit de " représentation exclusive " du 1er décembre 1999, concernant la distribution exclusive des produits Checkpoint sur les territoires de l'Algérie et de la Tunisie, puis entre la société Samy Slimi-Multiprotect et la société Checkpoint Systems, à compter du 27 février 2002, concernant les clients finaux grands comptes Carrefour, Monoprix/Casino, Bon Prix/Batam et " toute autre enseigne dépendant des Groupes Français s'implantant en Tunisie, Algérie et Lybie " et, enfin, à compter du 12 juillet 2002, entre les mêmes parties concernant la distribution des produits Checkpoint, en Algérie, Tunisie, Lybie. Il ressort de ces éléments que la société Checkpoint Systems a entendu poursuivre les relations entretenues avec M. Slimi, avec sa société Multiprotect.

Il y a donc lieu de dire que la relation commerciale établie remonte à décembre 1999.

Sur la date de la rupture

Sollicitant l'infirmation du jugement, la société Multiprotect Plus soutient que la société Checkpoint Systems France ne lui a notifié aucun préavis. En effet, le courriel du 12 novembre 2008 ne fait référence à aucun délai. En outre, la notion employée par le tribunal de " préavis à durée indéterminée " n'est pas compatible avec celle de prévenance d'une rupture. A l'analyse des termes des courriers du 12 novembre 2008 et du 10 juillet 2009, deux résiliations sont alors intervenues à effet immédiat :

- l'une pour les marchés de l'Algérie, la Lybie et Carrefour Tunis, par le courriel du 12 novembre 2008 ; ainsi la société Multiprotect Plus n'a effectué aucune vente en Algérie, en Lybie et à Carrefour Tunis après le 12 novembre 2008 ; en outre, contrairement à ce qu'indique le tribunal de commerce de Paris, l'entrée en contact, dès le mois de septembre 2008, de la société intimée avec le seul concurrent en Tunisie de la société appelante, Inter Services Didon, en lui envoyant des échantillons afin que ce dernier puisse faire des offres à Carrefour Tunis, soit bien avant le courriel du 12 novembre 2008, démontre les manœuvres de la société Checkpoint Systems France ;

- l'autre pour le marché portant sur le reste de la Tunisie, par couriel du 10 juillet 2009 ; ainsi après le 10 juillet 2009, la société Multiprotect Plus s'est contentée d'écouler le stock des importations précédentes.

Selon la société Checkpoint Systems France, tout partenaire commercial, comme tout cocontractant d'un contrat commercial à durée indéterminée, dispose de la liberté de rompre la relation commerciale. De plus, aucun abus dans le droit de rompre la relation commerciale ne saurait lui être reproché et la société Multiprotect Plus ne saurait recevoir aucune indemnisation de ce chef car cette dernière n'invoque, ni ne prouve une quelconque intention de nuire de la société Checkpoint Systems France à son égard.

En ce qui concerne les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5 du Code de commerce, la société Checkpoint Systems France soutient, d'une part, qu'elle a bien fait bénéficier son partenaire d'un préavis de 8 mois, qui s'est déroulé du mois de novembre 2008 à juillet 2009 ; en effet, elle a bien annoncé, le 12 novembre 2008, à la société Multiprotect Plus la rupture à intervenir des relations d'affaires en l'informant de manière claire et non équivoque de son intention de faire appel à l'avenir à d'autres prestataires, et le terme effectif de la relation n'est intervenu que le 10 juillet 2009 par courrier avec accusé de réception, faisant expressément référence à la première correspondance du 12 novembre 2008 ; ce préavis était d'une durée largement suffisante au regard des circonstances de fait et de la durée de 7 ans de la relation.

Mais la lettre de rupture doit être claire et sans ambiguïté.

Il est seulement fait état, dans le mail du 12 novembre 2008, de stagnation du chiffre d'affaires en Tunisie, Algérie et Lybie, d'une situation débitrice et de la perte d'un gros client, Carrefour-Tunisie. La société Checkpoint Systems y signifie à la société Multiprotect qu'en raison de ces inconvénients, elle choisira d'autres partenaires en Algérie et Lybie, ainsi que pour servir Carrefour-Tunisie, son plus grand client, ainsi que pour les activités concernant le " potentiel Alpha " et les activités HLS et MS. Il n'est pas fait état d'une résiliation pour la Tunisie, mais de la seule perte d'un gros client, ce qui s'analyse comme une perte de l'exclusivité sur ce territoire, mais non comme une résiliation, ainsi d'ailleurs que la société Multiprotect l'a compris (pièce de Multiprotect n° 9). Le courrier du 10 juillet 2009 signifie en revanche clairement à la société Multiprotect " la résiliation de toute représentation par votre entreprise de notre marque et de nos produits sur le marché tunisien ".

La rupture est donc intervenue à cette date, sans aucun préavis.

Sur les manquements de la société Multiprotect Plus

La société Checkpoint Systems France soutient que la rupture de la relation était justifiée par la gravité et le nombre de manquements de la société Multiprotect Plus à ses obligations et pouvait donc intervenir sans préavis.

La société Multiprotect Plus invoque, quant à elle, que rien n'autorisait la société Checkpoint Systems France à rompre brutalement ses relations commerciales avec elle le 12 novembre 2008, pour l'Algérie, la Lybie et le client Carrefour Tunis, puis le 10 juillet 2009 pour le reste du marché tunisien, sans respecter de préavis.

Sur les incidents de paiement

La société Checkpoint Systems France invoque des incidents de paiements récurrents en produisant plusieurs échanges de mail ayant eu lieu les 22 mai 2007, 18 et 31 juillet 2008, 24 mars et 2 avril 2009 et mai 2009.

La société Multiprotect Plus fait valoir que la réglementation de change interdisant le paiement d'avance, les importateurs n'ont d'autre choix que d'émettre des lettres de crédit (sécurisé), paiement contre documents (sécurisé) ou paiement après dédouanement (non sécurisé). Dans ces conditions, la société Checkpoint Systems France ne pouvait, sans nuire à la société Multiprotect Plus, conditionner toute nouvelle commande par un paiement au comptant.

La société Checkpoint Systems n'allègue ces incidents que dans sa lettre de résiliation et non dans le courrier du 12 novembre 2008, où elle récapitule ses griefs à l'encontre de la société Multiprotect, ce qui atteste qu'à cette date, elle ne considérait pas ces retards de paiement comme rédhibitoires. Les retards dans les paiements de la société Multiprotect, justifiés par les échanges de messages électroniques précités, mettent en évidence des difficultés réciproques dans les relations ; la société intimée a refusé une lettre de crédit offerte en paiement, sans s'expliquer sur ce refus ; par ailleurs, il s'avère que la société Checkpoint se voyait octroyer un plafond de crédit de 70 000 euros, de sorte que les retards, dans ce contexte, ne peuvent suffire à caractériser une faute d'une gravité suffisante de nature à justifier la rupture sans préavis.

Sur l'incompétence technique

La société Checkpoint Systems France soutient que le groupe Carrefour ne voulait plus travailler avec la société Multiprotect Plus du fait de prestations insuffisantes de sa part ; elle prétend notamment que sa qualité de service relative aux portiques antivol et aux divers accessoires et la qualité des matériels n'étaient pas à la hauteur des attentes du Groupe Carrefour, qui a formé plusieurs doléances auprès de Multiprotect Plus, sans que celle-ci réagisse.

La société Multiprotect Plus soutient, quant à elle, que concernant l'incompétence technique invoquée par Checkpoint Systems France, la société Multiprotect Plus a initié dans le cadre du suivi de ses prestations de la fin de l'année 2005 au début de l'année 2006 des contacts avec Carrefour Tunis afin de procéder à une maintenance adéquate et une mise à niveau des installations. Par ailleurs, elle soutient que la société Checkpoint Systems France est entrée en contact dès le mois de septembre 2008, avec son seul concurrent en Tunisie, la société Inter Services Didon, bien avant le courriel du 12 novembre 2008, ce qui démontre la volonté réelle et délibérée de rupture abusive des relations commerciales par la société Checkpoint Systems France, sans aucun fondement.

La seule pièce versée aux débats sur ce point par la société Checkpoint Systems est sa pièce n° 5 constituée par un message électronique de M. Kouraichi, de Carrefour, du 30 juin 2008, exposant que " compte tenu de la qualité de service de votre représentant en Tunisie pour les portiques antivol et accessoires, nous n'avons plus l'intention de continuer avec lui et de lui confier quoi que ce soit dans le future proche ".

Il était fait état dans ce message d'une installation de 2001 qui avait nécessité le remplacement de la " presque totalité des boîtiers ", et M. Kouraichi reprochait l'absence de réaction de la société Multiprotect.

Mais dans un document présenté sous forme de tableau (pièce 32 de Multiprotect), du 5 juin 2008, émanant du service de sécurité de Carrefour, les prestations de la société Multiprotect étaient évaluées comme satisfaisantes.

La société Multiprotect démontre par ailleurs avoir fait face à l'hostilité du service d'entretien de Carrefour, puisqu'ayant en octobre 2008 proposé de remplacer 8 boîtiers électroniques gratuitement, cette initiative n'a pu aboutir à cause du refus de ce service de mettre les boîtiers électroniques à la disposition de la société Multiprotect pour les remplacer (pièce 44 de Multiprotect).

Il n'est pas établi que la société Multiprotect soit à l'origine de la détérioration du parc du système antivol.

L'incident relaté ne constitue pas une faute justifiant la rupture sans préavis.

Sur l'insuffisance de résultats commerciaux

Selon la société Checkpoint Systems France, la société Multiprotect Plus n'a pas produit ses meilleurs efforts pour assurer le développement de son activité sur les zones de référence (Tunisie, Algérie et Lybie), ce qui a entravé son développement. Au soutien de cette prétention, elle compare les chiffres d'affaires qu'elle a réalisés avec la société Multiprotect Plus entre 2007 et 2009 et ceux réalisés avec ses nouveaux partenaires à partir de 2010.

Mais la société Multiprotect Plus soutient à juste titre que sa faute n'est pas démontrée, la charge de la preuve incombant à la société intimée et qu'en l'absence d'objectifs contractuels en terme de chiffre d'affaires à atteindre, la seule réalisation de chiffres d'affaires insuffisants ne saurait constituer une faute d'une gravité suffisante, habilitant la société Checkpoint Systems à résilier le contrat sans préavis, d'autant que la comparaison avec le distributeur qui lui a succédé, qui lui est défavorable en terme de chiffres d'affaires, peut s'expliquer par d'autres circonstances et notamment, un contexte économique et politique différent.

En définitive la socité Checkpoint échoue à démontrer l'existence d'un manquement particulièrement grave justifiant la rupture sans préavis, de sorte que celle-ci est brutale.

Sur le préavis

La rupture, délivrée sans préavis, est brutale.

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, c'est-à-dire pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une autre solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont la part du chiffre d'affaires réalisée avec le partenaire, l'ancienneté des relations, le volume d'affaires et la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause. Le délai de préavis suffisant s'apprécie au moment de la notification de la rupture.

En l'espèce, les relations ont perduré pendant 9 ans et demi. Il y a lieu, compte tenu de cette durée, du volume d'affaires et du secteur concerné, de fixer à 8 mois la durée du préavis raisonnable.

Sur le préjudice résultant de la rupture brutale

La société Multiprotect Plus demande à ce que la société Checkpoint Systems France soit condamnée à lui payer la somme de 119 890 euros avec intérêts au taux légal à compter de la première mise en demeure et capitalisation des intérêts dus au moins pour une année entière, au titre de la rupture des accords d'exclusivité. Elle invoque que le contrat d'exclusivité de la société Checkpoint Systems France représentait la quasi totalité de son activité, soit 78 % de son chiffre d'affaires annuel, et que la rupture brutale de leur accord d'exclusivité lui cause alors un important préjudice. Pour le calcul de son indemnité, elle se fonde sur une durée de relation commerciales d'un peu plus de 10 ans.

La société Checkpoint Systems France répond que la société Multiprotect Plus confond plusieurs chefs de préjudice, à savoir le caractère fautif et brutal de la rupture et la violation de l'exclusivité.

Concernant le préjudice lié au caractère brutal et fautif de la rupture, cette indemnité est inappropriée car la société Multiprotect Plus a été informée, près de 8 mois avant la résiliation effective, de la volonté de Checkpoint Systems France de mettre un terme à leurs relations et la société Multiprotect Plus a écoulé son stock. De plus, le montant de cette indemnité est excessif car la demande d'un préavis d'un an est manifestement disproportionnée au regard de la durée de la relation entre les parties, du volume d'affaire et des pratiques jurisprudentielles.

Compte tenu du chiffre d'affaires annuel moyen de 330 223 euros et d'un taux de marge de 57 %, il y a lieu d'évaluer à 119 000 euros le préjudice subi par la société Multiprotect Plus (pièce 22 de Multiprotect Plus). La société Checkpoint Systems France sera condamnée au paiement de cette somme, outre intérêts au taux légal à compter du jugement déféré, lesdits intérêts capitalisés.

Sur les manquements de la société Checkpoint Services Systems France

La société Multiprotect Plus invoque en outre plusieurs manquements de la société Checkpoint Systems France.

Sur la violation de l'exclusivité

La société Multiprotect Plus soutient que la société Checkpoint Systems France aurait violé l'exclusivité qu'elle lui devait et qui résultait des quatre documents contractuels précités et, notamment, en entrant en contact avec le seul concurrent en Tunisie de la société appelante, la société Inter Services Didon.

Mais, la société Checkpoint Systems France répond à juste raison que le courriel du 12 novembre 2008 ne caractérise aucune violation des accords d'exclusivité car c'est à titre de préavis qu'elle a annoncé à Multiprotect Plus que les produits Checkpoint allaient être distribués " par l'intermédiaire d'autres partenaires locaux " et cette réorganisation n'a été effective qu'à la notification de la fin desdites relations. Aucune violation de l'exclusivité alléguée n'est établie, excepté une facture unique du 3 octobre 2008, relative à des échantillons (pièce 37 de Multiprotect), qui ne saurait, en ensoi, suffire à établir cette violation.

Sur le refus d'accepter une commande sans paiement comptant

La société Multiprotect Plus soutient que la société Checkpoint Systems France a manqué à ses engagements contractuels au mois d'avril 2009 en ne donnant pas suite à une commande, malgré son acceptation par l'établissement d'une facture proforma avec condition de paiement clairement indiquée (lettre de crédit) et l'ouverture de la lettre de crédit. Elle soutient alors que cela lui a causé un manque à gagner s'élevant à la somme de 186 207 euros, dont elle demande réparation.

Mais la société Checkpoint Systems France réplique à juste raison qu'elle n'a pas refusé d'exécuter une vente mais a refusé d'accepter une commande, du fait d'un refus du mode de paiement unilatéralement et arbitrairement proposé par la société Multiprotect Plus. Elle n'a donc commis aucune faute.

Sur l'abus de dépendance économique

La société Multiprotect Plus demande à ce que Checkpoint Systems France soit également condamnée à lui payer la somme 119.890 euros au titre d'un abus de dépendance économique, en se fondant sur l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, ce montant représentant une année de marge brute.

Mais les pièces produites par la société Multiprotect Plus ne sont aucunement révélatrices d'une quelconque dépendance économique et la société Multiprotect Plus n'était soumise à aucune restriction quant à la diversification de son activité et pouvait librement contracter avec d'autres partenaires commerciaux.

Sur la résistance abusive

Sollicitant l'infirmation du jugement, la société Multiprotect Plus demande à la cour de condamner la société Checkpoint Systems France à lui payer la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive.

Mais cette demande sera rejetée, faute de tout commencement de preuves.

Sur les demandes reconventionnelles

La société Checkpoint Systems France demande à ce que la société Multiprotect Plus soit condamnée à lui verser la somme de 75 000 euros au titre de la perte subie du fait de deux préjudices, à savoir :

- l'atteinte à l'image de Checkpoint du fait de la légèreté de la société Multiprotect Plus dans ses prestations de revente des produits, plus particulièrement auprès de Carrefour en Tunisie ;

- le montant faible du chiffre d'affaires réalisé sur les exercices 2007, 2008 et 2009 (résultats à mettre en parallèle avec ceux de 2010 et 2011 et 2012) et insignifiant eu égard à l'importance des marchés concernés (toute la Tunisie, toute l'Algérie et toute la Lybie).

Elle demande, par ailleurs, à ce que la société Multiprotect Plus soit condamnée à lui verser la somme de 25 000 euros pour procédure abusive.

Sollicitant la confirmation du jugement sur ce point, la société Multiprotect Plus répond que ces préjudices ne sont ni fondés ni démontrés.

La cour rejettera l'ensemble de ces demandes, en l'absence de démonstration d'une atteinte à l'image de la société Checkpoint Systems France, et du caractère fautif de l'activité de la société Multiprotect.

La demande de la société Checkpoint pour procédure abusive sera également rejetée, faute de preuve de tout abus du droit d'ester en justice.

Sur les dépens et frais irrépétibles

Succombant au principal, la société Checkpoint Systems France sera condamnée à supporter les dépens d'appel et à payer à la société Multiprotect Plus la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs LA COUR Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a estimé qu'un préavis de huit mois avait été consenti à la société Multiprotect Plus et a condamné la société Checkpoint Systems France à payer à la société Multiprotect Plus la somme de 3 781 euros à titre de dommages et intérêts ; L'infirme sur ces points ; et, statuant à nouveau ; Dit que la rupture a été brutale ; Fixe à 8 mois la durée du préavis qui aurait dû être consenti à la société Multiprotect Plus ; Condamne la société Checkpoint Systems France à payer à la société Multiprotect Plus la somme de 119 000 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du jugement déféré, lesdits intérêts capitalisés ; Condamne la société Checkpoint Systems France à supporter les dépens d'appel ; la Condamne à payer à la société Multiprotect Plus la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.