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Décisions

CA Amiens, ch. économique, 20 novembre 2018, n° 18-00379

AMIENS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Finiglas Veredelungs GmbH (Sté), Semcoglas Holding GmbH (Sté)

Défendeur :

Rinaldi Structal (SAS), John Sisk & Son LTD (Sté), Structal UK (Sté), National Farmers Union Mutual Insurance Society Limited NFU Mutual (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Grandjean

Conseillers :

Mmes Grevin, Paulmier Cayol

Avocats :

Mes Poilly, Le Roy, Francois, Selosse Bouvet, Dieumegard, Plateau, Tomas, Kleiman, Carpentier, Mangel

T. com. Saint-Quentin, du 10 nov. 2017

10 novembre 2017

Décision

Dans le cadre de la construction d'un immeuble situé à Manchester en Grande Bretagne confié par la société NFU Mutual à la société John Sisk & Son, cette dernière a fait appel à la société Structal UK pour la réalisation des façades, société qui s'est elle même fournie en vitrage auprès de la société Rinaldi Structal, société de droit français.

Dans ce contexte, la société Rinaldi Structal a passé plusieurs commandes de verres (initiaux et de remplacement) auprès de sociétés du groupe Finiglas, entre 2007 et 2010.

En 2007, la société Finiglas GmbH est venue aux droits de la société Finiglas Veredelungs GmbH & Co KG.

Le 27 janvier 2016, un vitrage de la façade de l'immeuble a chuté sur la voie publique sans provoquer de dommages corporels.

La société Rinaldi Structal a fait analyser la texture du mastic utilisé pour réaliser les joints du vitrage par une société Dow Corning qui a conclu que les joints n'étaient pas composés d'un mastic en silicone mais en polysulfure, expliquant ainsi la mauvaise résistance de l'installation.

C'est dans ces circonstances que, suivant une assignation à bref délai signifiée le 24 mars 2016, la société Rinaldi Structal a saisi le tribunal de commerce de Saint Quentin aux fins de solliciter la condamnation de la société Finiglas Veredelungs GmbH au titre du préjudice subi du fait de la non conformité du vitrage livré et la garantie de toutes éventuelles demandes indemnitaires formulées à son égard par les sociétés NFU Mutual, John S. & Son et Structal UK. Elle a sollicité avant dire droit une mesure d'expertise judiciaire. La société Rinaldi Structal a assigné dans un second temps la société Finiglas GmbH.

Par un jugement en date du 10 novembre 2017, le tribunal de commerce de Saint Quentin a :

- rejeté les exceptions d'incompétence et s'est déclaré compétent pour connaître de l'instance,

- dit que la société Finiglas GmbH assignée en garantie et venant aux droits de la société Finiglas Veredelungs GmbH & Co KG a été assignée régulièrement et ne fait état d'aucun grief quant à sa représentation en justice et à la défense de ses intérêts devant le tribunal,

- débouté la société Finiglas GmbH de ses moyens, fins et conclusions relatifs à la nullité de l'assignation,

- dit recevable et non prescrite l'action de la société Rinaldi Structal contre les sociétés Finiglas Veredelungs GmbH, Finiglas GmbH, N. Mutual, John S. & Son et Structal UK,

- sursis à statuer jusqu'au dépôt du rapport de l'expert sur les demandes de la société Rinaldi Structal sollicitant la condamnation de la société Finiglas à l'indemniser au titre de tous travaux et préjudices qu'elle sera amenée à supporter du fait de la non conformité des vitrages qui lui ont été vendus outre la garantie de toutes conséquences inhérentes aux demandes indemnitaires formulées à son égard par les sociétés NFU Mutual, John S. & Son et Structal UK,

- avant dire droit, désigné en qualité d'expert M. Alain D. ayant pour mission de se rendre à l'immeuble Chancery Place sis 50 Brown Street à Manchester au Royaume Uni et si nécessaire à l'usine Rinaldi Structal à Pinon dans l'Aisne et d'examiner les désordres allégués et les dommages relatifs à la qualité du mastic utilisé pour les vitrages, indiquer d'où proviennent ces désordres et s'ils étaient apparents à la réception, de déterminer les responsabilités et d'évaluer les préjudices,

- réservé les dépens.

Les sociétés Finiglas Veredelungs GmbH et Semcoglas Holding GmbH qui se présente comme venant aux droits de la société Finiglas GmbH ont relevé appel de cette décision par déclaration du 26 janvier 2018.

Par une ordonnance en date du 30 janvier 2018, la présidente de la chambre économique a autorisé les appelantes a assigner à jour fixe les intimées N. Mutual, John S. & Son, Structal UK et Rinaldi Structal.

Aux termes de leurs conclusions signifiées dernièrement le 18 septembre 2018, les appelantes demandent à la cour :

- in limine litis, d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence, de se déclarer incompétente pour statuer sur les demandes formées par la société Rinaldi Structal à leur encontre et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir devant les tribunaux allemands,

- à titre principal, d'infirmer le jugement en ce qu'il a dit recevable et non prescrite l'action de la société Rinaldi et de déclarer l'action soumise au droit allemand, prescrite en application de ce droit et tardive par application de l'article 39 alinéa 2 de la Convention de Vienne ; d'infirmer le jugement en ce qu'il a fait droit à la demande d'expertise formée par la société Rinaldi et de rejeter l'ensemble des demandes formées par la société Rinaldi,

- en tout état de cause, de condamner la société Rinaldi à leur verser la somme de 5 000 € chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Les appelantes font valoir que les parties ont prévu contractuellement que le tribunal compétent en cas de litige serait celui du domicile de la société Finiglas en Allemagne. Elles soutiennent que la

clause attributive de compétence remplit la condition de forme requise par le Règlement UE n° 1215/2012 et que le document litigieux a été signé par la société Rinaldi Structal. Elles ajoutent que l'emploi de la langue allemande n'est pas un obstacle à l'opposabilité de la clause et que la circonstance que la livraison a été finalement effectuée par une autre entité du groupe n'a pas de conséquence sur l'application des conditions cadres consenties par les parties.

Les appelantes soutiennent que l'action en cause est soumise au droit allemand en application des conditions générales de vente de la société Finiglas GmbH et de l'article 3 de la Convention de la Haye du 15 juin 1955 et/ou de l'article 4 du Règlement de Rome 1. Précisant que la Convention de Vienne ne règle pas le sujet de la prescription, elles font valoir que conformément au droit allemand, loi du lieu de résidence du vendeur, l'action est prescrite, le point de départ du délai de deux années au sens de l'article 438 du Code civil allemand étant la livraison des produits.

Elles reprochent aux premiers juges d'avoir confondu le délai de forclusion de deux ans prévu par l'article 39 alinéa 2 de la Convention de Vienne avec un délai de prescription et de n'avoir pas fait application de l'article 38 de la même convention ; elles soulèvent le caractère tardif des réclamations au motif que la société Rinaldi Structal n'a pas dénoncé les défauts allégués dans le délai butoir de deux années suivant le dernier bon de commande du 26 juillet 2010.

Elles soulignent que la demande d'expertise est sans fondement car l'action est prescrite et est sans objet, les travaux de remplacement des vitrages de façade étant aujourd'hui achevés.

Elles font valoir que, conformément au Règlement européen n° 1206/2001, l'accomplissement d'une mesure d'expertise sur le territoire d'un état membre autre que la France est soumis à l'autorisation des autorités judiciaires compétentes.

Aux termes de ses conclusions dernièrement remises le 5 septembre 2018, la société Rinaldi Structal demande à la cour de :

- confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,

- condamner in solidum les appelantes à lui régler la somme de 10 000€ sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens recouvrés par Maître Selosse Bouvet.

La société Rinaldi Structal expose qu'elle a commandé des vitrages aux sociétés Finiglas Veredelungs Gmbh, Finiglas Gmbh et Finiglas Veredelungs Gmbh & Co KG pour remplacer les vitrages cassés pendant le chantier de construction dit " Chancery Place " à Manchester et postérieurement à la réception du chantier prononcée à la fin de l'année 2008 ; elle explique que les vitrages ainsi commandés étaient livrés sur son site en France où ils étaient intégrés dans les éléments de façades fournis à la société Structal UK

Elle soutient que ne peut lui être opposée aucune clause attributive de compétence aux juridictions allemandes qui ait été convenue avec la société Finiglas Veredelungs Gmbh qu'elle présente comme son seul cocontractant en se référant aux commandes passées le 15 mars 2010 et le 26 juillet 2010 et aux factures émises par celle ci ; elle indique que la même société qui commercialise les vitrages Finiglas depuis le 1er janvier 2007 lui a aussi fourni la majeure partie des vitrages achetés depuis l'origine de l'opération de construction et elle ajoute que les commandes étaient passées aux " entités du groupe Finiglas réunies sous la seule dénomination Finiglas Veredelungs GmbH. "

Elle soutient que le document dont se prévalent les appelantes pour opposer une telle clause attributive de compétence n'est pas de nature contractuelle mais constitue une simple fiche client; elle relève que ce document est daté du mois d'octobre 2008, soit une date postérieure à la commande des premiers vitrages et qu'il ne mentionne que la société Finiglas GmbH et non la société Finiglas Veredelungs GmbH.

Elle fait valoir que faute d'accord, la Convention de Bruxelles, le Règlement communautaire et la Convention de Vienne de 1980 sont applicables à la cause et qu'ils désignent la juridiction du lieu de livraison des produits comme juridiction compétente pour statuer sur le litige relatif à la vente des vitrages. Elle ajoute que le préambule du règlement CE n°1215-2012 du 12 décembre 2012 et son article 8 justifient la compétence de la juridiction française à l'encontre de la société John Sisk & Son Ltd afin que l'ensemble de l'affaire soit jugé dans le même temps.

Sous le visa de l'article 40 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980, la société Rinaldi Structal soutient que la société Finiglas Veredelungs GmbH ne peut se prévaloir du délai de forclusion prévu par l'article 39 dès lors qu'elle connaissait la non conformité des vitrages livrés, consistant en une substitution unilatérale d'un mastic polyuréthane à un mastic silicone apparaissant dans des fiches de contrôle interne ; elle précise qu'elle n'a pu prendre connaissance du défaut litigieux qu'à la suite du dommage survenu en 2016.

La société Rinaldi Structal fait valoir que l'expertise sollicitée est utile pour faire le point sur la qualité des vitrages équipant l'immeuble litigieux et pour évaluer les préjudices résultant de la non conformité contractuelle des vitrages fournis.

Elle s'oppose enfin à la demande reconventionnelle subsidiaire de la société John Sisk & Son Ltd tendant au paiement de frais de procédure.

Aux termes de ses conclusions signifiées par voie électronique le 13 septembre 2018, la société John Sisk & Son Ltd demande à la cour:

- in limine litis et à titre principal, d' infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par elle et en ce qu'il a rejeté ses arguments relatifs à la nullité de l'assignation signifiées par la société Rinaldi Structal le 15 mars 2016, de juger que le tribunal de commerce de Saint Quentin n'a pas compétence pour être saisi de l'instance et renvoyer la société Rinaldi Structal à mieux se pourvoir devant la juridiction anglaise compétente,

- de prononcer la nullité de l'assignation adressée par la société Rinaldi Structal,

- à titre subsidiaire, de réformer le jugement en ce qu'il n'a pas statué sur sa demande visant à déclarer irrecevable l'action initiée par la société Rinaldi Structal pour défaut d'intérêt à agir et statuant à nouveau, prononcer l'irrecevabilité de l'action initiée par la société Rinaldi Structal,

à titre infiniment subsidiaire, de rejeter la demande d'expertise sollicitée,

- en tout état de cause, de condamner la société Rinaldi Structal à lui verser la somme de 67 896,69 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'au paiement des dépens avec droit de recouvrement au profit de la SCP Millon Plateau.

La société John Sisk & Son Ltd expose que, titulaire du marche de construction d'un immeuble à Manchester, elle a confié la réalisation des façades en murs rideaux en sous traitance à la société Structal UK qui s'est fournie auprès de la société Rinaldi Structal ; elle précise qu'à la suite de la chute d'un vitrage en 2016, le propriétaire de l'immeuble, la société NFU Mutual a présenté une réclamation mais qu'elle n'a engagé aucune action judiciaire.

Elle soutient qu'aux termes du Règlement européen 1215/2012, les juridictions compétentes sont celles du lieu du domicile du défendeur, soit en l'espèce les juridictions anglaises. Elle ajoute que le lieu du dommage est Manchester et qu'aucun des défendeurs n'a son siège en France.

Sous le visa des articles 4, 31, 53 et 56 du Code de procédure civile, la société John Sisk & Son indique que l'assignation délivrée par la société Rinaldi Structal ne précise pas l'objet de la demande,

aucune condamnation n'étant sollicitée à son encontre ; elle dénonce une violation des droits de la défense et du principe de contradiction et soutient que la société Rinaldi Structal n'a pas d'intérêt à agir à son encontre.

La société John Sisk & Son fait enfin plaider que le juge français ne peut diligenter une expertise en dehors du territoire national sans autorisation.

Elle ajoute qu'à ce jour les travaux de remplacement des vitrages défaillants sont terminés, rendant la tâche de l'expert impossible.

Aux termes de ses conclusions signifiées par voie électronique le 21 août 2018, la société Structal UK demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- condamner solidairement les appelants à lui payer la somme de 1 500€ chacun ainsi qu'aux entiers dépens.

La société Structal UK soutient que les juges français sont compétents en raison du lieu de livraison des marchandises à la société Rinaldi Structal dans l'Aisne et elle s'associe aux développements présentés par la société Rinaldi Structal en précisant que les défauts litigieux n'étaient pas décelables à l'oeil nu. Elle ajoute qu'une expertise est utile afin de déterminer les responsabilités et d'évaluer les préjudices subis.

Régulièrement assignée par acte remis le 15 mars 2018 à son bureau principal, la société NFU Mutual n'a pas constitué avocat. Les appelantes lui ont signifié leurs conclusions le même jour.

La société Rinaldi Structal lui a signifié ses conclusions par acte d'huissier du 26 juillet 2018.

Conformément à l'article 455 du Code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des prétentions et moyens.

Motifs

Sur les rapports entre la société Rinaldi Structal et la société John Sisk & Son Ltd

Il y a lieu de relever que si la société John Sisk & Son Ltd a sollicité en première instance l'annulation de l'assignation qui lui a été délivrée, le tribunal a omis de statuer sur cette demande.

En application de l'article 31 du Code de procédure civile, l'action en justice est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

Selon l'article 56 du même Code, l'assignation contient à peine de nullité, outre les mentions prescrites pour les actes d'huissier de justice:

1° L'indication de la juridiction devant laquelle la demande est portée ;

2° L'objet de la demande avec un exposé des moyens en fait et en droit;

3° L'indication des modalités de comparution devant la juridiction et la précision que, faute pour le défendeur de comparaître, il s'expose à ce qu'un jugement soit rendu contre lui sur les seuls éléments fournis par son adversaire ;

4° Le cas échéant, les mentions relatives à la désignation des immeubles exigées pour la publication au fichier immobilier.

La société John Sisk & Son Ltd invoque la nullité de l'assignation qui lui a été délivrée au motif qu'elle n'indique pas l'objet de la demande et l'irrecevabilité de l'action de la société Rinaldi Structal au motif que celle ci ne justifie pas d'un intérêt né et actuel à agir à son encontre.

Si aucune des deux parties concernées ne versent aux débats devant la cour la copie de l'assignation litigieuse, il ressort manifestement de l'ensemble des débats que son objet tendait à la désignation d'un expert judiciaire pour déterminer les causes de la chute, en 2016, d'un vitrage fabriqué par une société du groupe Finiglas, acquis par la société Rinaldi Structal et intégré par elle dans un équipement de façade utilisé lors de la construction d'un immeuble par la société John Sisk & Son Ltd, par le sous traitant de cette dernière.

Ces éléments suffisaient à éclairer la société John Sisk & Son Ltd sur la nature et la portée de la prétention de la société Rinaldi Structal nonobstant l'absence d'autre demande.

L'assignation est donc valable en ce qu'elle a permis à la société John Sisk & Son Ltd d'y défendre utilement.

En revanche, les parties indiquent que des vitrages du bâtiment concerné ont été remplacés sans que la société Rinaldi Structal n'allègue en avoir assumé quelque coût et cette dernière ne justifie d'aucune réclamation ni d'aucun litige actuel d'aucune nature entre elle même, son client direct la société Structal UK et/ou la société John Sisk & Son Ltd et/ou la société NFU Mutual, étant observé que celle ci se désintéresse suffisamment de la demande présentée par la société Rinaldi Structal pour ne pas avoir constitué avocat dans le cadre de la présente instance.

A cet égard, il est symptomatique de souligner que la seule demande reconventionnelle faite par la société John Sisk & Son Ltd à la société Rinaldi Structal devant la cour , sous le visa de l'article 700 du Code de procédure civile, porte sur les frais d'assistance juridique exposés dans le cadre de l'instance engagée devant le tribunal de commerce de Saint Quentin à l'exclusion de toute demande indemnitaire relative à un préjudice matériel ou commercial né de la chute d'un vitrage en 2016.

En conséquence, il est patent que l'action en justice engagée par la société Rinaldi Structal s'inscrit dans un seul litige actuel qui l'oppose aux sociétés du groupe Finiglas.

En l'absence de tout intérêt né et actuel à agir de la société Rinaldi Structal à l'encontre de la société John Sisk & Son Ltd, celle là est irrecevable en son action.

L'équité commande que la somme de 15 000 euros soit accordée à la société John Sisk & Son Ltd en application de l'article 700 du Code de procédure civile à la charge de la société Rinaldi Structal.

Sur la compétence de la juridiction saisie

Il est constant qu'est applicable au présent litige portant sur une vente international de marchandises le Règlement UE n°1512/2012.

Les appelantes se prévalent de l'article 25 qui dispose que, si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d'une juridiction ou de juridictions d'un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. La convention attributive de juridiction est conclue:

a) par écrit ou verbalement avec confirmation écrite,

b) sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles, ou

c) dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties ont connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée.

Elles font valoir qu'en signant le 29 octobre 2008, un document à l'en tête 'Finiglas' qui dispose que 'la juridiction compétente est au siège de la société Finiglas' (pièce 7 des appelantes) , la société Rinaldi a convenu que les différends nés ou à naître entre elles seraient soumis aux juridictions allemandes.

Or, il convient de relever que ce document, établi au nom de la société Finiglas GmbH, qui consiste principalement dans le recensement des coordonnées de la société Rinaldi Structural (sic - en réalité Structal) et la mention de modalités de facturation et de paiement (tarif franco usine Pinon, paiement à 30 jours à réception de facture) renvoie à des conditions générales de la société Finiglas qui n'y sont pas annexées.

Les appelantes produisent la copie de conditions générales éditées au mois de mars 2010, soit 18 mois après la signature du document précité et qui ne sont pas signées par la société Rinaldi Structal.

Au contraire, l'ensemble des bons de commande versés aux débats et relatifs à des commandes de vitrages passées par la société Rinaldi Structal à une société du groupe Finiglas les 30 avril 2007, 11 juillet 2008, 4 décembre 2009, 15 mars et 26 juillet 2010, est établi sur un document à l'en tête de la société Rinaldi Structal et vise expressément les conditions générales d'achat de cette dernière.

Les mêmes bons de commande mentionnent des conditions de paiement à 30 jours le 31 qui ne correspondent pas au document dont se prévalent les appelantes.

L'exécution de ces commandes établit l'accord du vendeur sur les termes de ces bons de commande.

Dans ces circonstances, et indépendamment même de la discussion relative à la détermination du cocontractant direct de la société Rinaldi Structal au sein du groupe Finiglas, il n'est pas démontré que la société Rinaldi Structal a accepté de soumettre les différends relatifs à ses achats de vitrages à l'examen des juridictions allemandes.

Les appelantes sont donc mal fondées à invoquer l'existence d'une clause attributive de compétence au sens du règlement UE précité.

Selon l'article 7 du même règlement, 'une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite dans un autre État membre en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande ; aux fins de l'application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande est:

pour la vente de marchandises, le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées'.

En l'espèce, il est constant que les vitrages acquis par la société Rinaldi Structal devaient être livrés sur le site de celle ci à Pinon en France.

C'est donc à bon droit que le tribunal de commerce de Saint Quentin a retenu sa compétence.

Sur l'application de la Convention de Vienne

Dès lors que le litige porte sur une vente internationale de marchandises, la convention de Vienne du 11 avril 1980 a vocation à s'appliquer.

En application de son article 38, l'acheteur doit examiner les marchandises ou les faire examiner dans un délai aussi bref que possible eu égard aux circonstances.

Selon l'article 39, l'acheteur est déchu du droit de se prévaloir d'un défaut de conformité s'il ne le dénonce pas au vendeur, en précisant la nature de ce défaut, dans un délai raisonnable à partir du moment où il l'a constaté ou aurait dû le constater. Dans tous les cas, l'acheteur est déchu du droit de se prévaloir d'un défaut de conformité, s'il ne le dénonce pas au plus tard dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle les marchandises lui ont été effectivement remises, à moins que ce délai ne soit incompatible avec la durée d'une garantie contractuelle.

Selon l'article 40, le vendeur ne peut pas se prévaloir des dispositions des articles 38 et 39 lorsque le défaut de conformité porte sur des faits qu'il connaissait ou ne pouvait ignorer et qu'il n'a pas révélés à l'acheteur.

En l'espèce, s'appuyant sur un rapport technique établi par le cabinet CBRE à la demande de la société NFU Mutual au mois de mars 2016, soit peu après la chute d'un vitrage posé en façade de l'immeuble construit à Manchester et qui mentionne la présence de trois doubles vitrages fabriqués avec un joint standard à base de Polysulfure au lieu d'un joint structurel en silicone, la société Rinaldi Structal oppose aux sociétés Finiglas une non conformité contractuelle.

Elle étaye l'objet de sa réclamation en produisant d'une part les feuilles de commande qui mentionnent que le mastic de scellement doit être en silicone, d'autre part un relevé (qu'elle attribue, sans être contrariée sur ce point, à la société Finiglas Vereledungs GmbH) qui mentionne que certains des vitrages qui lui ont été livrés au cours de la période 2007-2010 étaient composés de polysulfid et non de silicone.

Alors que le litige porte sur la composition des vitrages fabriqués par la société Finiglas Vereledungs GmbH et ses éventuelles conséquences dommageables, il est manifeste que cette dernière, spécialiste de la fabrication des vitrage bombés ou cintrés utilisés sur les façades d'immeubles, ne pouvait ignorer la composition des produits qu'elle fabriquait et vendait, ni la différence de comportement possible des mastics en silicone et des mastics en polysulfid, notamment face aux UV.

Dès lors qu'elle ne justifie pas - ni même n'allègue - avoir informé sa cliente de ce changement de composition par rapport aux précisions apportées dans les bons de commande, elle ne peut se prévaloir des articles 38 et 39 précités.

En conséquence, l'absence de dénonciation de la non conformité des produits acquis dans le délai de deux années suivant leur livraison est indifférente à l'appréciation de l'action de la société Rinaldi Structal.

Sur la loi applicable

Il appartient au juge saisi d'un litige comportant un élément d'extranéité de déterminer la loi applicable.

Les bons de commande qui constituent les seuls éléments contractuels ne mentionnent pas la loi à laquelle les parties ont choisi de soumettre les contrats.

Selon l'article 3 de la Convention de la Haye du 15 juin 1955 relative aux ventes internationales

d'objets mobiliers corporels dont le caractère applicable n'est pas discuté, à défaut de loi déclarée par les parties, la vente est régie par la loi interne du pays où le vendeur a sa résidence habituelle au moment où il reçoit la commande.

Il convient d'observer que ces dispositions spéciales ne sont pas affectées par l'unification des règles de conflit réalisée en Europe en matière d'obligations contractuelles par la Convention de Rome du 19 juin 1980 puis par le règlement (CE) 593/2008 du Parlement européen et du Conseil (Rome I) pour ce qui concerne les contrats conclus après le 17 décembre 2009 et que l'article 4 de ce règlement désigne de même la loi du pays dans lequel le vendeur a sa résidence habituelle.

En l'espèce, la loi applicable est donc la loi allemande.

Sur la prescription de l'action de la société Rinaldi Structal

Pour s'opposer à la recevabilité de l'action engagée par la société Rinaldi Structal, les appelantes se prévalent de l'article 438 du Code civil allemand aux termes duquel les actions visées à l'article 437 et fondées sur la défectuosité d'une chose vendue se prescrivent :

- par trente ans si le défaut consiste en un droit réel d'un tiers, sur le fondement duquel peut être demandé la restitution de la chose livrée, ou en tout autre droit inscrit dans le livre foncier,

- par cinq ans pour les constructions d'immeubles et pour les choses qui, selon leur utilisation habituelle, ont été utilisées pour une construction d'immeuble et dont le défaut a causé la défectuosité de celui ci,

- par deux ans pour le reste.

La prescription commence à courir à la remise pour les immeubles, sinon à la livraison de la chose.

Par dérogation à l'alinéa 1 2° et 3° et à l'alinéa 2 les prétentions se prescrivent selon le délai de prescription de droit commun si le vendeur a dissimulé le défaut de manière dolosive.

En l'espèce, la société Rinaldi Structal qui ne conteste pas explicitement l'application de la loi allemande fonde son action sur une non conformité contractuelle du mastic utilisé dans certains des vitrages fournis par les sociétés Finiglas. Si elle soutient à bon droit que son fournisseur ne pouvait ignorer cette non conformité, elle n'invoque aucunement un dol et elle n'étaye d'ailleurs, de façon significative, ni la différence de performance entre les deux composés, ni le caractère notoire de cette différence de qualité : il convient de relever que les fiches de contrôle internes aux sociétés Finiglas dont se prévaut la société Rinaldi Structal ne corroborent pas un remplacement systématique du silicone par du polysulfure mais mentionnent le recours alternatif à l'un ou l'autre des composés dans l'ensemble des vitrages livrés ; en outre, le premier rapport du cabinet CBRE qui identifie trois fournisseurs différents de vitrages dont la traçabilité apparaît des plus incertaine, impute la chute d'un vitrage à diverses causes possibles sans mentionner la non conformité dans la composition du mastic de scellement ; le second rapport retient que seulement trois vitrages posés contiendraient un joint en polysulfure (page 7), tous éléments qui, corroborant l'absence de lien évident entre la composition du mastic de scellement de certains vitrages vendus à la société Rinaldi Structal et les défauts constatés sur la façade de l'immeuble de Manchester, conduisent à écarter la notion de dol.

Dans ces circonstances, engagée plus de cinq années après la dernière livraison de vitrages susceptibles d'avoir équipé l'immeuble concerné (en date du 6 août 2010), l'action de la société Rinaldi Structal est prescrite.

Il convient, en conséquence, d'infirmer le jugement et de déclarer la société Rinaldi Structal irrecevable en ses demandes à l'encontre des sociétés du groupe Finiglas.

Sur les dépens et les sommes demandées au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

Succombant dans ses principales prétentions, la société Rinaldi Structal supporte les dépens de première instance et d'appel.

L'équité commande que la somme de 5 000 euros soit accordée à chacune des appelantes en application de l'article 700 du Code de procédure civile, cette étant à la charge de la société Rinaldi Structal.

Il n'y a lieu à autre application de ce texte.

Par ces motifs LA COUR, statuant par arrêt réputé contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe, déclare valable l'assignation délivrée à la société John Sisk & Son Ltd; déclare la société Rinaldi Structal irrecevable en son action à l'encontre de la société John Sisk & Son Ltd ; condamne la société Rinaldi Structal aux dépens exposés par la société John Sisk & Son Ltd et à payer à celle ci la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; accorde le bénéfice de l'article 699 du même Code à maître Plateau, avocat ; confirme le jugement entrepris en ce que le tribunal de commerce de Saint Quentin s'est déclaré compétent pour statuer ; l'infirme en toutes ses autres dispositions et, statuant à nouveau, déclare la société Rinaldi Structal irrecevable comme prescrite en ses demandes dirigées à l'encontre des sociétés Finiglas Vereledungs GmbH et Semcoglas Holding GmbH qui vient aux droits et obligations de la société Finiglas GmbH ; déboute les parties de toutes autres demandes ; condamne la société Rinaldi Structal aux dépens de première instance et d'appel et à payer à chacune des appelantes la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; dit n'y avoir lieu à autre application de ce dernier texte.