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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 21 novembre 2018, n° 18-15759

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Arc Holdings (SAS), Arc Middle East LLC (SARL), Arc France (SAS), Arc Glassware (China) Co. Ltd (Sté)

Défendeur :

Mansoor Ahmad Mohammad Co. LLC (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Boccon Gibod, Seng, Bouzidi-Fabre, Koehler-Magne

T. com. Lille, du 5 juin 2018

5 juin 2018

Faits et procédure

A compter de l'année 1978, la société Verrerie d'Arques, spécialisée dans la fabrication, le négoce et la vente d'articles d'arts de la table, notamment en verre et cristal, a confié à la société Mansoor la distribution de ses produits sur le territoire des Émirats Arabes Unis.

Mansoor Ahmad Mohammad Co LLCAucun contrat formel n'a été régularisé entre les parties.

La société Mansoor Ahmad Mohammad Co LLC, société de droit des Emirats Arabes Unis, ci-après la société Mansoor, est spécialisée dans la distribution des produits d'arts de la table essentiellement sur le territoire des Émirats Arabes Unis et des pays avoisinants.

La société Arc Holdings, anciennement dénommée Verrerie Cristallerie d'Arques JG Durand & Cie (Verrerie d'Arques) puis Arc International, a pour objet de détenir et gérer les participations des différentes filiales du groupe Arc, spécialisé dans la fabrication, le négoce et la vente d'articles d'arts de la table notamment en verre et cristal. Elle est titulaire à ce titre des marques Luminarc, Arcopal, Cristal d'Arques Paris, Arcoroc, Chef & Sommelier et Endura.

Les sociétés Arc Middle East LLC, ci-après la société AME, anciennement Arc International Middle East (AIME), de droit des Émirats Arabes Unis, Arc France, anciennement dénommée Arc International France, et Arc Glassware Co. Ltd, ci-après la société Arc Glassware, de droit chinois, sont des filiales de la société Arc Holdings et ont pour objet la fabrication, le négoce et la vente de tous articles en verre et en cristal. Elles disposent chacune d'un site de production respectivement à Ras Al Khaimah (Emirats Arabes Unis), à Arques (France) et à Nanjing (Chine).

Ensuite, la société Mansoor est devenue l'un des principaux clients de la société AIME, tout en continuant également à s'approvisionner auprès de la société Arc International France, aujourd'hui dénommée Arc France, pour la fourniture d'autres lignes de produits fabriqués en France.

En juin 2016, la société AIME a informé la société Mansoor de la distribution directe par elle de ses produits à compter du 1er janvier 2017.

Dans ce contexte, par courrier du 22 octobre 2016, la société Mansoor a adressé, en vain, à la société Arc Holdings, ainsi qu'aux sociétés Arc France, AIME et Arc Glassware, une demande en indemnisation pour rupture brutale des relations commerciales établies.

Par exploit du 28 avril 2017, la société Mansoor a assigné la société Arc Holdings, et ses filiales Arc France, Arc Glassware et AIME (aujourd'hui AME) devant le tribunal de commerce de Tourcoing.

Par acte du 23 mai 2017, la société Mansoor a assigné la société Arc Holdings, et ses filiales Arc France, Arc Glassware et AIME (aujourd'hui AME) devant le tribunal de commerce de Lille Métropole aux fins d'obtenir indemnisation de son préjudice subi au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies.

Par jugement du 5 juin 2018, le tribunal de commerce de Lille Métropole a :

- a dit recevable mais mal fondée l'exception d'incompétence,

- s'est dit compétent pour trancher le litige,

- a renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état du 10 juillet 2018 à 8h30 pour conclure sur le fond,

- a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- a réservé les frais et dépens.

Par déclaration au greffe du 28 juin 2018, les sociétés du groupe Arc ont relevé appel de ce jugement.

Vu les conclusions des 3 et 8 octobre 2018 par lesquelles les sociétés du groupe Arc, appelantes, invitent la cour, au visa des articles 31, 42, 46, 81, 122, 700 du Code de procédure civile, L. 442-6, I, 5° et D. 442-3 du Code de commerce, à :

- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Lille Métropole du 5 juin 2018,

- rejeter la demande de la société Mansoor de voir appliquer les clauses attributives de juridiction figurant dans les anciennes conditions générales de vente des sociétés Arc France et Arc Holdings,

- déclarer le tribunal de commerce de Lille Métropole incompétent, la compétence étant celle des juridictions émiraties,

- renvoyer la société Mansoor à mieux se pourvoir, en conséquence et en tout état de cause,

- condamner la société Mansoor à payer aux sociétés Arc Holdings, Arc France, AME et Arc Glassware la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Mansoor aux entiers dépens dont distraction au profit de la Selarl Lexavoué Paris-Versailles ;

Vu les conclusions du 5 octobre 2018 par lesquelles la société Mansoor, intimée, demande à la cour, au visa des articles 42 du Code de procédure civile, L. 442-6, I, 5°, D. 442-3, de l'annexe 4-2-1 du Code de commerce, de l'article D. 311-1, du tableau IV annexé au Code de l'organisation judiciaire, de :

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Lille Métropole du 5 juin 2018 en ce qu'il s'est déclaré compétent pour trancher le litige entre la société Mansoor Ahmad Mohammad Co LLC, d'une part, et les sociétés Arc Holdings, Arc France, Arc Middle East, et Arc Glassware (Nanjing) Co. Ltd, d'autre part, en conséquence,

- condamner solidairement les sociétés Arc Holdings, Arc France, Arc Middle East et Arc Glassware (Nanjing) Co. Ltd à payer à la société Mansoor Ahmad Mohammad Co LLC la somme de 20 000 euros au titre des frais irrépétibles,

- condamner solidairement les sociétés Arc Holdings, Arc France, Arc Middle East et Arc Glassware (Nanjing) Co. Ltd aux entiers dépens d'instance, dont distraction au profit de Maître Nadia Bouzidi-Fabre, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

Sur ce

LA COUR se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

En application de l'article 954 alinéa 2 du Code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.

Les appelantes soutiennent que le règlement Bruxelles I bis comme les jurisprudences de la Cour de cassation et de la Cour de justice de l'Union européenne citées ne sont pas applicables au présent litige. Elles font valoir qu'en l'espèce, ni la société Arc Holdings, ni la société Arc France, seules parties au litige domiciliées en France, ne sont des défendeurs sérieux, aux motifs que, d'une part, la société Arc Holdings n'entretient plus aucune relation commerciale avec la société Mansoor depuis 2011 et ne s'est pas non plus immiscée dans la gestion ou dans les décisions de la société AME, et que, d'autre part, la société Arc France n'a jamais rompu ses relations commerciales avec la société Mansoor.

Concernant l'application des clauses attributives de juridiction figurant dans les conditions générales de vente 2010 de la société Arc Holdings et celles 2011 de la société Arc France, les appelantes expliquent, qu'au vu de leur ancienneté, elles ne sont plus en vigueur, et qu'elles sont en tout état de cause, inopposables aux sociétés Arc Glassware et AME puisque les sociétés Arc Holdings et Arc France ne sont pas des défendeurs sérieux.

Elles en concluent que seul un tribunal des Emirats Arabes Unis serait compétent pour connaître du litige, en ce que le fait dommageable réside dans la prétendue éviction de la société Mansoor en tant que distributeur des produits Arc sur le territoire des Emirats Arabes Unis, laquelle a été décidée par la société AME, située aux Emirats Arabes Unis, et que le prétendu dommage aurait été subi par la société Mansoor, dont le siège social se trouve aux Emirats Arabes Unis.

En réplique, la société Mansoor fait valoir que conformément à l'article 4(1) du règlement n° 44/2001 (devenu l'article 6 (1) du règlement Bruxelles Ibis) et à l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne Land Berlin (point 54), la compétence à l'égard des sociétés AIME et Arc Glassware doit être déterminée selon la loi française, à savoir l'article 42 alinéa 2 du Code de procédure civile. Elle relève qu'en application des conditions générales de ventes, ci-après CGV, des sociétés Arc Holdings et Arc France et des dispositions l'article 42 précité, la compétence du tribunal de commerce de Lille Métropole à l'égard de la société Arc Holdings, mais aussi des filiales que cette dernière a impliquées dans l'exécution de sa relation commerciale avec l'intimée, est fondée, au motif que la société Arc Holdings est un défendeur parfaitement sérieux au sens de la jurisprudence, en sa qualité d'auteur de la rupture.

Sur l'application de clauses attributives de compétence

Le litige oppose, d'une part une société qui n'est pas domiciliée sur le territoire d'un État de l'Union européenne, et d'autre part des sociétés domiciliées sur le territoire français et d'autres qui ne sont pas domiciliées sur le territoire d'un État de l'Union européenne.

Or, l'article 4 al. 1 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, applicable en l'espèce les relations commerciales entre les parties ayant débuté sans que ce ne soit contesté en 1978, précise que " si le défendeur n'est pas domicilié sur le territoire d'un État contractant, la compétence est, dans chaque État contractant, réglée par la loi de cet État, sous réserve de l'application des dispositions de l'article 16 ".

Ainsi, les textes communautaires relatifs à la détermination de la compétence territoriale ne s'appliquent pas au présent litige, celui-ci n'opposant que des sociétés françaises à des sociétés qui ne sont pas domiciliées sur le territoire d'un État de l'Union européenne, la compétence internationale se déterminant par extension des règles de compétence interne.

Il y a donc lieu de faire application du droit français dans les rapports entre les parties, les sociétés AME et Arc Glassware n'étant pas domiciliées sur le territoire d'un État contractant et les sociétés Arc international et Arc international France étant domiciliées en France.

Aux termes de l'article 48 du Code de procédure civile, "toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu'elle n'ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu'elle n'ait été spécifiée de façon très apparente dans l'engagement de la partie à qui elle est opposée".

Il est constant que les parties au présent litige ont la qualité de commerçants.

La première condition d'opposabilité d'une clause de prorogation de compétence réside dans son acceptation par les parties.

En l'absence de contrat écrit entre les parties manifestant expressément leur accord, celui-ci peut résulter tacitement, en matière commerciale, d'usages ou d'habitudes des parties. C'est ainsi que le paiement réitéré de factures au dos desquelles la clause de prorogation de compétence est imprimée peut démontrer son acceptation par le partenaire auquel elle est opposée.

La société Mansoor communique une facture de la société Arc international avec des conditions générales de vente, ci-après CGV, de l'année 2010 et une facture de la société Arc international France avec des CGV de l'année 2011 et des factures de l'année 1997 émises par la société Verrerie Cristallerie d'Arques, qui mentionnent toutes en bas de page " Election de domicile est faite au siège social. En cas de litige quelconque, en demande comme en défense, les tribunaux compétents seront ceux de notre siège social, sans aucune exception ni réserve, même en cas d'appel en garantie ou de pluralité de défendeurs : cette attribution de compétence étant valable également pour les procédures en référé ".

Ces seules factures ne peuvent être invoquées à l'égard des sociétés AIME et Arc Glassware, celles-ci n'étant pas émises par ces dernières.

S'agissant des factures émises par la société Verrerie Cristallerie d'Arques à l'égard de la société Mansoor, celles-ci datent de la seule année 1997, sans qu'il soit communiqué d'autres factures postérieures jusqu'en 2010. Sans continuité dans les relations commerciales, ces clauses ne peuvent être opposées.

Enfin, une seule facture entre la société Mansoor et la société Arc international d'une part et la société Arc international France d'autre part ne peut démontrer l'accord des parties à cette clause insérée au dos de la facture. La seule insertion au dos d'une facture ne peut caractériser la commune intention des parties.

Enfin, ces factures sont trop anciennes, les parties convenant que les relations commerciales se sont poursuivies jusqu'au 1er juin 2017, sans qu'il soit établi que les CGV contenaient toujours cette clause.

La clause attributive de compétence ne peut donc valablement être opposée par la société Mansoor.

Sur la compétence des juridictions françaises

Pour les motifs exposés ci-dessus, il y a lieu de faire application de l'article 42 du Code de procédure civile pour déterminer si les juridictions françaises sont compétentes pour trancher le litige qui oppose la société Mansoor aux sociétés AME et Arc Glassware, mais aussi entre la société Mansoor et les sociétés Arc international et Arc international France, l'une étant dubaïote et les autres françaises.

L'article 42 al. 2 du Code de procédure civile dispose notamment que " S'il y a plusieurs défendeurs, le demandeur saisit, à son choix, la juridiction du lieu où demeure l'un d'eux ".

La prorogation de compétence prévue par l'article 42, alinéa 2, du Code de procédure civile, applicable dans l'ordre international, ne permet pas d'attraire devant une juridiction française un défendeur demeurant à l'étranger lorsque la demande formée contre lui et un codéfendeur domicilié en France ne présente pas, à l'égard de ce dernier, un caractère sérieux, fût-elle connexe à une autre demande dirigée contre les mêmes défendeurs.

Dès lors, la demande, dirigée à la fois contre des sociétés ayant leur domicile en France, en Chine et à Dubaï, est la même à l'égard de l'ensemble des défendeurs, fondée sur le même texte, chacune des sociétés étant ou ayant été en relation commerciale avec la demanderesse, il est loisible à la société Mansoor de saisir les juridictions françaises, du lieu du domicile de l'une des sociétés défenderesses ayant leur siège en France, à la condition que les sociétés françaises soient des défendeurs sérieux.

En l'espèce, la société Mansoor fonde ses demandes sur l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce à l'encontre des sociétés AIME, Arc Glassware, Arc international et Arc international France. Elle reproche aux sociétés françaises et notamment à la société Arc international, aujourd'hui Arc Holding, d'avoir demandé à sa filiale la société AIME de reprendre en direct la distribution de l'ensemble des produits Arcopal et Luminarc, et non pas seulement des produits que la société AIME fabrique localement, et que la décision portant sur la distribution, aux Emirats, des produits fabriqués par Arc France, Arc Chine et AIME, il ne peut s'agir d'une décision de la filiale émiratie. Elle explique que la décision de rupture a une incidence sur l'ensemble des filiales, dont la société Arc international France, en ce qu'elle ne peut plus commander à aucune de celles-ci et non pas seulement à la société AIME. Il ressort des pièces du dossier que les interlocuteurs opérationnels, les modes de contact, de règlement, etc., les produits, les CGV sont restés les mêmes au sein du groupe Arc, la société Mansoor restant notamment en contact avec le Président d'Arc International (Arc Holdings) après la réorganisation du groupe Arc et avant la rupture reprochée. Par ailleurs, il n'est pas contesté que la société Mansoor se fournissait également jusqu'en 2006 auprès de la société Arc international France, certes de manière résiduelle.

Il apparaît donc que la société Arc international France, devenue Arc France, et la société Arc Holding sont des défendeurs sérieux dans le cadre de ce litige.

Dans ces conditions, par application des articles L. 442-6, I, 6°, D 442-3 et de l'annexe 4-2-1 du Code de commerce, le domicile des sociétés ArcHolding et Arc France étant fixé à Arques, le tribunal de commerce de Lille Métropole est compétent, Arques étant situé sur le ressort de ce tribunal, s'agissant de la compétence spéciale fondée notamment sur la rupture brutale des relations commerciales établies.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement en toutes ses dispositions.

Il y a lieu de condamner solidairement les sociétés Arc Holdings, Arc France, Arc Middle East et Arc Glassware (Nanjing) Co. Ltd à payer à la société Mansoor Ahmad Mohammad Co LLC la somme de 10 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que aux dépens d'appel. Il y a lieu de débouter les sociétés Arc Holdings, Arc France, Arc Middle East et Arc Glassware (Nanjing) Co. Ltd de leurs demandes au titre des frais irrépétibles.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement en toutes ses dispositions ; Renvoie l'affaire devant le Tribunal de Commerce de Lille ; Condamne solidairement les sociétés Arc Holdings, Arc France, Arc Middle East et Arc Glassware (Nanjing) Co. Ltd à payer à la société Mansoor Ahmad Mohammad Co LLC la somme de 10 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que les dépens d'appel ; Rejette toute autre demande.