Livv
Décisions

CA Montpellier, 1re ch. B, 20 novembre 2018, n° 15-08352

MONTPELLIER

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Dolphin Nautico (SARL)

Défendeur :

Cofica Bail (SA), Galy (ès qual.) , Blanc (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Torregrosa

Conseillers :

Mme Rodier, M. Lagarrigue

Avocats :

Mes Gaven, Degryse, Vidal, Leroy, Ramahandriarivelo, Dubois

TGI Béziers, du 28 août 2015

28 août 2015

Faits, procédure et prétentions des parties

Selon devis en date du 3 septembre 2012, la SARL Dolphin Nautico a proposé à Monsieur Benjamin S. la vente d'un bateau Quicksilver Sundesk 605, équipé d'un moteur Mercury 150 CV, au prix de 29 500 €.

Selon bon de commande en date du 20 septembre 2012, Monsieur Benjamin S. acceptait ce devis et se portait acquéreur du bateau, vendu au prix de 29 500 €, moyennant une reprise par le vendeur d'un jet ski Yamaha au prix de 4 000 €.

Le solde de l'acquisition devait être financé par une location avec option d'achat.

C'est dans ces conditions que le 6 novembre 2012, Monsieur Benjamin S. régularisait un contrat de location avec option d'achat auprès de la société Cofica Bail.

Conformément à l'article 5. 5. 1 du contrat de location avec option d'achat, usuel en la matière, le bailleur mandatait le locataire dans tous ses droits de propriétaire en vue de toutes actions qu'il aurait l'intention d'introduire pour toutes contestations entre le locataire et le fournisseur.

Par actes d'huissier en date du 3 février 2014, Monsieur Benjamin S. faisait délivrer assignation à la SARL Dolphin Nautico et à la SA Cofica Bail, devant le tribunal de grande instance de Béziers, aux fins d'obtenir, sous le bénéfice de l'exécution provisoire la nullité de la vente pour dol , et subsidiairement la résolution du contrat pour défaut de conformité, ainsi que la nullité subséquente du contrat de location avec option d'achat.

Par jugement contradictoire en date du 28 août 2015, le tribunal de grande instance de Béziers a:

- Annulé le contrat de vente du 20 septembre 2012,

- Prononcé par voie de conséquence la résolution du contrat de location avec option d'achat du 6 novembre 2012,

- Ordonné à Benjamin S. de restituer le bateau Quicksilver Sundesk 605 à la SARL Dolphin Nautico aux frais de cette dernière,

- Condamné la SARL Dolphin Nautico à payer à Benjamin S. les sommes suivantes:

- 6 000 € au titre de l'apport initial,

- 150 € au titre des frais de courtage,

- 2 798 € au titre des frais de location d'une place de port sec pour les années 2013 et 2014,

- 1 700 € au titre du préjudice de jouissance,

- 10 394,24 € au titre des échéances versées,

Condamné Benjamin S. à verser à la SA Cofica Bail la somme de 19 105,76 €,

Condamné la SARL Dolphin Nautico à le relever indemne de cette condamnation,

Rejeté le surplus des demandes,

Ordonné l'exécution provisoire,

Condamné la SARL Dolphin Nautico aux dépens ainsi qu'à payer d'une part à Benjamin S., d'autre part à la SA Cofica Bail, chacun la somme de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Appel

La SARL Dolphin Nautico a relevé appel de ce jugement par déclaration en date du 10 novembre 2015.

Par ordonnance de référé de la juridiction du Premier Président de cette cour, en date du 20 avril 2016, la requête en suspension de l'exécution provisoire était rejetée, ainsi que la demande adverse en radiation de l'appel.

Par jugement en date du 27 juillet 2016, la SARL Dolphin Nautico était placée en redressement judiciaire, désignant Maître Michel Galy en qualité de mandataire judiciaire et la Selarl FHB, représentée par Maître Jean François Blanc, en qualité d'administrateur judiciaire.

Par actes d'huissier en date 29 novembre 2016, Monsieur S. faisait délivrer assignations en reprise d'instance à Maître Michel Galy, mandataire judiciaire, et à la Selarl FHB, représentée par Maître Jean François Blanc, en qual i té d'administrateur judiciaire.

Selon extrait K bis du 13 mars 2018, la SARL Dolphin Nautico, ayant récemment changé de dénomination, devenait la SARL Boating Mar.

Concluant à nouveau sous la plume du même avocat, l'appelante est désormais assistée de Maître Michel Galy, ès qualités de mandataire judiciaire, lequel fait siens les arguments développés par la SARL Boating Mar, anciennement dénommée SARL Dolphin Nautico, tandis que la Selarl FHB, intervenant en qualité d'administrateur judiciaire, s'en remet quant à la décision à intervenir de cette cour, faisant observer que la procédure initiée par Monsieur S. est antérieure à la procédure collective.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 juin 2018.

Vu les dernières conclusions en date du 19 mars 2018 de la SARL Boating Mar, anciennement dénommée SARL Dolphin Nautico, Maître Michel Galy, ès qualités de mandataire judiciaire, et la Selarl FHB, intervenant en qualité d'administrateur judiciaire, auxquelles il est expressément référé pour plus ample et complet exposé des motifs et tendant au débouté de Monsieur Benjamin S. de l'ensemble de ses demandes et au paiement par ce dernier d'une indemnité de 3 000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile;

Vu les dernières conclusions de Monsieur Benjamin S. en date du 11 avril 2017, auxquelles il est expressément référé pour plus ample et complet exposé des motifs et du dispositif, tendant implicitement à la confirmation du jugement et reprenant ses demandes principales et subsidiaires, telles que figurant dans son assignation initiale, aux fins d'obtenir la nullité des contrats pour réticence dolosive ou, subsidiairement, la résolution pour défaut de conformité et la nullité du contrat de crédit bail, la condamnation du vendeur au paiement de diverses sommes, ou à tout le moins la fixation au passif de celle ci, et demandant à ce que la décision soit commune et opposable à la société Cofica Bail';

Vu les dernières conclusions de la société Cofica Bail en date du 1er mars 2016 auxquelles il est expressément référé pour plus ample et complet exposé des motifs et du dispositif, et demandant à la cour,

* dans l'hypothèse d'une annulation ou résolution du contrat principal, de confirmer le jugement en ce qu'il a :

- condamné Benjamin S. à lui payer la somme de 19'105,76 euros correspondant au montant financé, déduction faite des échéances réglées,

- condamné SARL Dolphin Nautico à relever et garantir Benjamin S. des condamnations prononcées à son profit,

* en toute hypothèse, condamner tout succombant à lui payer la somme de 1500 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Sur ce

En l'espèce, aucune faute n'est reprochée à l'organisme de crédit bail dans la délivrance des fonds au vendeur.

Le débat est centré sur le point de savoir si Monsieur S. a pu être trompé par une réticence dolosive sur le fait que le bateau litigieux était un modèle d'exposition et si les défauts de conformité, relevés par les experts amiables, sont de nature à justifier la résolution du contrat principal et la nullité du contrat accessoire.

Sur la prétention d'une réticence dolosive:

Il s'évince des dispositions de l'article 1616 ancien du Code civil que la réticence dolosive - tout autant que les manœuvres dolosives - ne se présume pas mais doit être prouvée.

Les premiers juges, se fondant sur l'obligation pré contractuelle de renseignements du vendeur, issue des dispositions de l'article 1602 ancien du Code civil, estimaient que les éléments extrinsèques aux documents contractuels étaient insuffisants à démontrer que Monsieur Benjamin S. avait eu connaissance de ce que le bateau litigieux était un modèle d'exposition.

Par là même, les premiers juges ont tiré de ce qu'ils considéraient comme une insuffisance probatoire du vendeur, la présomption de l'existence d'une réticence dolosive.

Or, alors que la charge de la preuve lui incombe, Monsieur S. ne démontre pas avoir pu être trompé par une réticence dolosive :

- sur le fait que ce bateau, pour être de l'année 2012, était construit en 2011 ;

- sur le fait qu'il s'agit d'un bateau déjà en stock sur le parc d'exposition du vendeur, ce qui justifie une ristourne sur le prix en septembre, après la saison estivale ;

- sur le fait qu'il était toutefois encore considéré comme neuf à la vente.

En effet, le vendeur, la SARL Boating Mar, anciennement dénommée SARL Dolphin Nautico, lui oppose en cause d'appel, en ses pièces 17 à 30, quatorze attestations émanant essentiellement de professionnels concurrents, desquelles il ressort en substance que :

- les navires de plaisance mis en vente au 1er janvier d'une année, constituant les nouveautés de l'année, sont nécessairement construits au cours de l'automne précédent ;

- i ls sont considérés comme neufs tant qu' i ls n 'ont pas fait l 'objet d 'une immatriculation, d'une préparation et d'une mise à l'eau ;

- une société proposant des navires de plaisance à la vente en détient un certain nombre en stock sur son parc d'exposition afin d'offrir à ses clients une possibilité de disponibilité immédiate à l'achat, ce qui n'exclut pas qu'elle puisse également procéder à des achats sur commande particulière d'un client';

- afin de pouvoir renouveler annuellement le stock de son parc d'exposition, des ventes promotionnelles sont organisées en septembre par les vendeurs de navires de plaisance afin de proposer à la clientèle, à des prix plus attractifs, les navires de l'année ayant séjourné dans le parc d'exposition ;

- c'est ainsi que les ristournes pratiquées à cette période peuvent être de l'ordre de 10'% environ sur les bateaux neufs ayant séjourné quelques mois sur le parc d'exposition du vendeur.

Les appelants décrivent les frères S. comme :

- issus d'une famille de plaisanciers, habitués tant du salon nautique du Cap d'Agde que des promotions postées sur internet,

- des clients avec lesquels ils avaient des relations commerciales régulières et sur un ton amical.

Ils en justifient par les échanges de courriels intervenus entre le 15 avril 2012 et le 23 octobre 2012 entre les responsables de la société et Messieurs Benjamin S. et Damien S..

C'est ainsi qu'à la suite de l'annonce d'une promotion d'un navire Quicksilver neuf, déposée sur le site le bon coin par la SARL Boating Mar, Monsieur Damien S., frère de Benjamin S., postait un courriel indiquant: " bonsoir les amis. Que de promotions chez Dolphin Nautico. Il (ne) faudrait pas m'oublier s'il y a de bonnes affaires quand même. bien le bonjour à tout le monde et rdv au salon "

Le tutoiement qui s'est instauré avec Monsieur Benjamin S. et le contenu des courriels successifs démontre à suffisance que ce dernier n'était pas un simple chaland de la société, de sorte qu'il se présume qu'il avait, tout comme son frère, une connaissance des pratiques commerciales usuelles de déstockage du parc en septembre par des ristournes sur les bateaux neufs exposés au cours de l'année.

En toute hypothèse, lors de l'échange de courriels du 24 août 2012, le responsable commercial le lui rappelait clairement, en lui faisant parvenir un devis pour un prix inférieur à celui qu'il lui avait précédemment adressé en avril 2012:

- " je t'envoie une offre pour un Quicksilver active 605 Sundesk qui avait retenu ton attention (')

Le bateau que je te propose est actuellement disponible, il peut même être mis en service pour tes vacances de septembre... toujours super septembre au Cap'!

Sinon, si tu veux bénéficier de ce tarif et ne réceptionner le bateau qu'au printemps, je te propose d'arrêter l'affaire lors de ta prochaine venue et de soumettre le dossier de financement à l'étude. De cette façon, on valide le financement et tu bénéficieras de la promotion, attention le tarif des bateaux augmente chaque année et tu ne le réceptionneras que début 2013.'"

Et Monsieur Benjamin S. lui répondait: "'je viendrai sur Marseillan la première semaine de septembre et je passerai pour voir toutes ces simulations. Bon week end.'"

Lors de l'envoi d'un autre devis le 7 septembre pour un modèle 675, un vendeur de la société lui précisait: il est bien sûr plus cher. Je pense que tu pourrais être très satisfait du 605 qui sera plus joueur et plus véloce avec le 150 CV.(...) De toute façon, c'est toi qui décides. Attention, il ne me reste plus qu'un 675. A plus.

Monsieur Benjamin S. lui répondait le jour même: "'ok, je reste sur le 605, je te monte le jet (pour la reprise du jet ski en déduction du prix) et le dossier (de financement) dès que je peux.'"

Il est bien évident à la lecture de ces courriels que Monsieur Benjamin S. avait parfaitement compris l'urgence qu'il avait à répondre pour bénéficier de cette offre promotionnelle pour les bateaux d'exposition de l'année, disponibles en stock sur le parc de la société, et qu'il l'avait déjà lui même repéré sur le parc, ainsi qu'il résulte des courriels et devis précédents.

Le vendeur laissait clairement le choix à Monsieur Benjamin S., pour lui permettre de profiter de cette offre promotionnelle de septembre 2012, soit de le lui préparer pour une mise à l'eau immédiate en septembre, soit de le laisser en dépôt sur le parc pour n'en prendre livraison qu'en avril 2013.

C'est manifestement l'attractivité du prix promotionnel de septembre 2012 pour les bateaux d'exposition, au regard du devis adressé en avril précédent qui lui faisait déjà une première remise, qui a été la condition déterminante pour conclure le contrat à cette époque de l'année, d'autant qu'il a fait le choix de n'en prendre livraison qu'en avril 2013.

Dès lors, Monsieur Benjamin S. ne peut raisonnablement soutenir qu'il aurait été victime d'une réticence dolosive sur le fait qu'il s'agit d'un bateau exposé pendant l'année sur le parc du vendeur.

Enfin, les éléments matériels relevés lors de l'expertise - telle notamment la persistance d'une bande autocollante mentionnant nouveauté 2012 ' alors discutée sur le point de savoir si elle pouvait constituer un défaut esthétique - démontrent à suffisance que le bateau, quand bien même construit en 2011, est un millésime de l'année 2012 de sorte que, n'ayant jamais fait l'objet d'une immatriculation antérieure, ni d'une préparation pour mise à l'eau, il est valablement considéré comme neuf au jour du contrat.

Monsieur Benjamin S. ne rapporte donc pas la preuve d'une quelconque réticence dolosive.

En conséquence, le jugement sera infirmé sur la nullité du contrat pour dol et sur toutes les dispositions qui en découlent.

Sur la prétention subsidiaire d'une résolution du contrat principal pour défaut de conformité:

Les premiers juges qui ont annulés les contrats sur le fondement du dol, n'ont pas eu à examiner les défauts de conformité allégués par Monsieur S..

Or, aucun des défauts relevés par les experts amiables des deux parties au cours de l'expertise amiable contradictoire ne rend la vedette impropre à sa destination.

En effet, ces défauts n'affectent ni le moteur ni l'étanchéité du bateau qui est parfaitement navigable.

Les désordres ciblés sont mineurs, essentiellement d'ordre esthétique, et s'expliquent par le fait que le bateau est resté à l'extérieur, soumis aux intempéries, avant que Monsieur S. le réceptionne en avril 2013, puis encore par un manque de maintenance par ce dernier entre avril et l'expertise amiable en juillet 2013.

Ces quelques désordres peuvent être selon le cas, corrigés par:

- la garantie fabricant pour la buée constatée sur le cadran du poste radio,

- le desserrage d'un écrou pour rendre une porte plus manoeuvrante,

- un nettoyage extérieur de la coque avec un produit approprié,

- des rinçages à l'eau douce et l'utilisation de produits d'entretien appropriés, soit simplement par une bonne maintenance par l'usager du navire, afin d'éviter la corrosion de certaines pièces et les moisissures sous les sièges.

Les appelants indiquent avoir toujours accepté la reprise d'usage de quelques défauts mineurs relevant de sa garantie contractuelle. Ils ne critiquent pas les conclusions de leur propre expert privé, Monsieur F., aux termes desquelles quelques garanties sont dues.

Le vendeur justifie d'ailleurs avoir procédé, dès avant l'expertise, au titre de la garantie du vendeur, à plusieurs remplacements, notamment le poste de radio et la sellerie, ainsi qu'un geste commercial accepté par Monsieur S..

En toute hypothèse, les quelques défauts imputables au vendeur étaient apparents lors de la réception du bateau et Monsieur S. n'a émis aucune réserve à cette occasion, ce qui lui interdit par conséquent de s'en prévaloir pour solliciter la résolution du contrat.

Enfin, les appelants font valoir dans leurs dernières écritures de 2018 - sans être contredits par les intimés qui n'ont pas estimé utile de conclure à nouveau pour répondre sur ce point - que Monsieur S. utilise encore actuellement le bateau litigieux dont il continue de régler les échéances du loyer auprès de la société Cofica Bail.

Le moyen sera donc en voie de rejet.

En définitive, le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions, en ce compris celles relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

Monsieur S. qui succombe en toutes ses prétentions sera condamné à régler à l'appelante une somme de 1 500 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et supportera les entiers dépens de première instance et d'appel.

Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile à l'égard de la société Cofica Bail, assignée en déclaration de jugement commun.

Par ces motifs Vu les dispositions des articles 1602, 1604, 1116 anciens du Code civil, Vu les pièces produites, LA COUR, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe, Infirme le jugement en toutes ses dispositions, Et statuant à nouveau, Déboute Monsieur Benjamin S. de toutes ses demandes et prétentions, Condamne Monsieur Benjamin S. à payer à la SARL Boating Mar, anciennement dénommée SARL Dolphin Nautico, et Maître Michel Galy, ès qualités de mandataire judiciaire, ensemble, la somme de 1 500 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette toutes autres demandes, Condamne Monsieur Benjamin S. aux entiers dépens de première instance et d'appel.