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Décisions

CA Colmar, 2e ch. civ. A, 22 novembre 2018, n° 17-01177

COLMAR

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Agence Francis H. (Sarlu)

Défendeur :

Maison A. Fischer (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pollet

Conseillers :

Mmes Garczynski, Denort

TGI Colmar, du 18 janv. 2017

18 janvier 2017

Faits et procédure

M. H., exerçant sous forme de société à responsabilité limitée unipersonnelle (SARLU), était agent commercial des sociétés Maison A. Fischer et Husson fromages (alors filiale de Maison A. Fischer), selon contrats signés avec chacune le 1er janvier 2008, modifié par avenants du 1er mai 2009 pour celui conclu avec Husson fromages ; par courriers du 20 juillet 2012, la société Maison A. Fischer, indiquant bénéficier d'une transmission universelle de patrimoine de la société Husson fromages, a résilié ces contrats pour fautes graves, avec effet immédiat et sans indemnité.

La société Agence Francis H. a alors fait assigner les sociétés Maison A. Fischer et Husson fromages, les 12 et 17 octobre 2012, devant le tribunal de grande instance de Colmar, en paiement de diverses sommes.

Par jugement du 18 juin 2013, le tribunal a fait droit à la demande en paiement d'indemnités compensatrices et de dommages et intérêts, écartant le manquement invoqué à l'obligation de loyauté et le défaut allégué d'exécution en bon professionnel ; il a ordonné la réouverture des débats sur la demande de commissions de 'retour sur échantillonnage', en invitant les sociétés défenderesses à produire, pour la période du 20 juillet au 31 décembre 2012, tous justificatifs détaillés des commandes passées par les clients que M. H. suivait antérieurement, et renvoyé l'affaire à la mise en état.

Par arrêt de cette cour, partiellement infirmatif, du 12 décembre 2014, la société Agence Francis H. a été déboutée de ses demandes en paiement d'indemnités et de dommages et intérêts, aux motifs que M. H. avait fait preuve de déloyauté en cachant l'existence d'une rémunération à son profit sur les fournitures de tommes faites par la société l'Hirondelle à ses mandants (percevant ainsi un double commissionnement) et que ce manquement était suffisamment grave pour justifier la résiliation des contrats à ses torts sans indemnité ni préavis. La cour a ordonné le renvoi devant le premier juge pour le calcul des commissions de retour sur échantillonnage.

Par jugement du 18 janvier 2017, le tribunal de grande instance de Colmar a rejeté cette demande, de même que la demande additionnelle d'indemnité compensatrice de la clause de non-concurrence prévue aux contrats ; il a condamné la société Agence Francis H. à payer aux sociétés défenderesses la somme de 1 200 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Sur la demande de commissions de retour sur échantillonnage, le tribunal a estimé qu'il n'était pas démontré que les différentes commandes passées par les distributeurs, postérieurement à la cessation de son contrat, résultaient principalement de l'activité de M. H. au cours du contrat ; il a considéré que la contribution de celui-ci à la signature d'accords cadre auprès de plusieurs membres de la grande distribution était insuffisante, ces accords portant sur les conditions tarifaires et certaines modalités commerciales, mais non sur les quantités de produit commercialisé. Le tribunal a ajouté que l'agent commercial avait effectivement perçu des commissions jusqu'en décembre 2012.

Sur la clause de non-concurrence, le tribunal a jugé que, d'une part, la clause était conforme aux dispositions de l'article L. 134-14 du Code de commerce, et que, d'autre part, la cour ayant estimé que la rupture du contrat ne pouvait donner lieu à indemnité, l'agent commercial ne pouvait prétendre à une majoration de l'indemnité de fin de contrat au titre de cette clause.

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La société Agence Francis H. a interjeté appel de ce jugement le 13 mars 2017.

Par conclusions du 13 décembre 2017, elle demande l'infirmation du jugement et la condamnation des intimées in solidum à lui payer la somme de 40 018,42 euros, au titre du retour sur échantillonnage (correspondant à sept mois de commissions), et celle de 68 603 euros au titre de la clause de non-concurrence, ces deux sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter du 20 juillet 2012 ; elle sollicite en outre la somme de 20 000 euros, à titre de dommages et intérêts, et celle de 15 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle fait valoir, sur les commissions de retour sur échantillonnage, que les sociétés intimées se sont refusées à produire le moindre élément, alors qu'elles ont été seules destinataires des commandes, ce dont la cour doit tirer toute conséquence ; qu'un contrat cadre constitue un engagement ferme de la part du distributeur de collaborer, d'atteindre un chiffre d'affaire annuel et de le faire évoluer, ce qui lui permet de négocier en contrepartie les prix de vente ; que les mails produits démontrent l'investissement de M. H. avant son départ et que des commandes ont nécessairement été passées après, sachant qu'aucune livraison n'a lieu sans commande saisie informatiquement, bulletin de livraison et facture client ; que ce n'est pas lui qui facturait les clients, mais les intimées, lesquelles calculaient les commissions et lui envoyaient chaque mois un relevé avec le chiffre d'affaire de chaque client sur la période, et que les indemnités qu'il a perçues jusque fin 2012 proviennent de la ferme de l'Hirondelle, et non des intimées.

Sur la clause de non-concurrence, l'appelante soutient que les sociétés intimées avaient en réalité bien connaissance du double commissionnement, de sorte qu'en l'absence de déloyauté, rien n'interdit à la cour de juger aujourd'hui que la clause est infondée et de lui allouer des dommages et intérêts en compensation.

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Par conclusions du 1er août 2017, la société Maison A Fischer, agissant à titre personnel et comme venant aux droits de la société Husson fromages, sollicite la confirmation du jugement entrepris, outre la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle fait valoir qu'elle ne peut produire plus d'éléments et que le contrat cadre ne génère aucun chiffre d'affaire direct, ne garantit aucune commande et ne comporte aucun engagement de volume, n'indiquant que le prix et les conditions de vente. Elle s'approprie les motifs du premier juge sur la clause de non-concurrence.

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L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 mars 2018.

Motifs

Sur les commissions réclamées

Aux termes de l'article L. 134-7 du Code de commerce, pour toute opération commerciale conclue après la cessation du contrat d'agence, l'agent commercial a droit à la commission, soit lorsque l'opération est principalement due à son activité au cours du contrat d'agence et a été conclue dans un délai raisonnable à compter de la cessation du contrat, soit lorsque, dans les conditions prévues à l'article L. 134-6, l'ordre du tiers a été reçu par le mandant ou par l'agent commercial avant la cessation du contrat d'agence.

Il est constant que la commission est due quelle que soit la cause de la fin du contrat d'agence.

Par ailleurs, il convient de rappeler qu'en application des articles L. 134-4 et R. 134-3, alinéa 2, du Code de commerce, l'agent commercial est en droit d'obtenir du mandant les documents comptables nécessaires pour établir le montant des commissions qui lui resteraient dues.

En l'espèce, les commissions sont sollicitées au titre d'opérations conclues postérieurement à la cessation d'activité de M. H., sans que des ordres aient été reçus avant la cessation du contrat, de sorte qu'il incombe à l'appelante de démontrer que M. H. a déployé une activité avant la rupture, susceptible d'engendrer des commandes, sans qu'il fût nécessaire qu'elle fût complétée, sauf de façon accessoire, par l'activité d'un autre agent ou du mandant.

En premier lieu, l'agence Francis H. s'appuie sur les accords cadre que M. H. a signés avec les grandes chaînes de distribution pour le compte de ses mandants.

Cependant, il ressort des deux accords produits par la société Maison A. Fischer, le premier entre la société Husson fromages, représentée par M. H., et la société GIE U 67 (enseignes Hyper U, Super U, et marché U) du 17 février 2009, applicable du 1er janvier au 31 décembre 2009, et le second entre la société Fischer, représentée par M. H., et la société Provera France (pour le compte de l'enseigne Cora) du 9 décembre 2011, applicable du 1er janvier au 31 décembre 2012, qu'ils ne contiennent aucun engagement du distributeur ou prestataire sur un volume de commandes.

En effet, le premier définit les services que le distributeur propose au fournisseur (Husson fromages) à l'occasion de la revente de ses produits (réalisation de prospectus et mise en avant du produit du fournisseur dans la presse locale, moyennant rémunération). Le second définit les tarifs des produits, les réductions de prix et les modalités financières de règlement ; il stipule expressément, en son article 2 sur les tarifs, qu'aucune garantie de chiffre d'affaires ou de volumes n'est accordée au fournisseur par le prestataire et/ou ses membres.

L'attestation rédigée le 25 février 2017 par M. Daniel G., ancien responsable du département produits frais du magasin Cora de Mundolsheim, ne peut établir le contraire, même si, en ce qui le concerne, il indique qu'il prenait chaque année, lors de la signature du contrat cadre, 'la décision de travailler les produits du fournisseur avec la ferme volonté de progresser d'année en année, de développer les volumes et le chiffre d'affaires'.

A l'appui de sa demande, la société Agence H. produit deux accords commerciaux, que M. H. n'a pas signés en tant qu'agent commercial des sociétés Husson fromages ou Fischer, mais en tant qu'agent d'une société 'Espressotime', postérieurement à la rupture (mai et novembre 2015). Au surplus, ils portent aussi sur les conditions tarifaires et remises/ristournes, ainsi que sur les actions commerciales pour favoriser la commercialisation des produits du fournisseur. Si le premier contient en outre un engagement de ce dernier à déclarer chaque mois au distributeur son chiffre d'affaires net facturé au titre de l'accord, il n'existe aucun engagement du distributeur sur un volume de commandes. Il en est de même d'un troisième accord cadre du 2 janvier 2015 que l'appelante verse aux débats, entre la société GIE U GEP 67 (Super U et U Express) et une société St Ulrich, qui ne contient qu'un engagement de cette société à déclarer au distributeur son chiffre d'affaires net facturé au titre de l'accord.

Dès lors, l'appelante échoue dans sa démonstration de ce que les accords cadre conclus par M. H. avant la rupture de son contrat d'agent commercial ont déterminé les commandes passées postérieurement jusque fin février 2013.

Par ailleurs, il ne peut non plus être tiré un droit à commission, au titre des dispositions précitées, du fait des 21 références supplémentaires ('nouvelle gamme Maison Fischer') négociées par M. H. avec les supermarchés Match, pour les points de vente des deux départements alsaciens, à compter d'avril 2012 ; en effet, s'il en fait part à son mandant dans un mail du 11 mai 2012, en indiquant avoir visité 19 magasins sur 33 et envisager de visiter les autres d'ici fin juin, il ne fait état d'aucun engagement de ces magasins sur un volume de commandes.

En revanche, l'agence Francis H. établit qu'avant son départ, les opérations suivantes avaient été programmées: 'trafic orient' et 'un été en Alsace' chez Cora en juillet et août 2012 (du 18 juillet au 4 août et du 8 au 21 août), 'prospectus' chez système U d'une semaine en août et en septembre 2012, ainsi que 'anniversaire 2' et 'club des saveurs-choucroute' chez Match, durant une semaine chacune, en octobre 2012, outre un 'book festif' chez système U Est pour les fêtes de fin d'année 2012.

Il ressort des mails produits que M. H. a négocié un volume de commandes et des prix sur les produits, objet de ces opérations.

Une demande d'échantillon lui a été faite par Match par mail du 25 juillet 2012 pour l'opération 'anniversaire 2", soit cinq jours après son départ (qu'il a transmise le même jour à la société maison Fischer), pour une liste de produits (différentes saveurs de tomme fermière le Ribeaupierre).

Une demande d'échantillon lui a également été faite par Système U Est le 30 juillet 2012 (retransmise à Husson fromages le 6 août) pour le book festif.

Il appartenait en conséquence à la société Maison A. Fischer de justifier des commandes passées et facturées à l'occasion de ces opérations par les magasins Cora, Système U et Match, sur lesquelles M. H. avait droit à la commission prévue aux contrats, dans la mesure où elles devaient avoir lieu dans un délai raisonnable après la cessation de ses contrats.

Il convient de rappeler que, dans son jugement mixte du 18 juin 2013, le tribunal a demandé la production, pour la période du 20 juillet au 31 décembre 2012, de tous justificatifs détaillés des commandes passées par les clients antérieurement suivis par M. H..

Or la société Maison A. Fischer n'a produit aucun justificatif.

Au vu de ces éléments et des commissions que percevait, en moyenne mensuelle, l'agent commercial avant la rupture, la cour estime les commissions dues à l'appelante, compte tenu du caractère ponctuel de ces opérations et des ventes nécessairement intervenues, à la somme de 10 000 euros ; cette somme sera assortie des intérêts au taux légal, non pas à compter de la rupture, puisqu'il s'agit de commissions dues par nature postérieurement, mais à compter de la demande faite à ce titre d'une somme de 40 018,42 euros par conclusions du 20 avril 2016.

Le jugement déféré doit donc être infirmé en ce qu'il a rejeté la demande au titre des commissions de retour sur échantillonnage.

Sur l'indemnisation de la clause de non concurrence

L'article L. 134-14 du Code de commerce dispose que:

Le contrat peut contenir une clause de non-concurrence après la cessation du contrat.

Cette clause doit être établie par écrit et concerner le secteur géographique et, le cas échéant, le groupe de personnes confiés à l'agent commercial ainsi que le type de biens ou de services pour lesquels il exerce la représentation aux termes du contrat.

La clause de non-concurrence n'est valable que pour une période maximale de deux ans après la cessation d'un contrat.

En l'espèce, il est constant que la clause dont il est demandé l'indemnisation est conforme à ces dispositions.

Elle ne pourrait dès lors donner lieu à indemnité que dans le cadre d'une rupture non causée par une faute grave de l'agent commercial, compte tenu de ce que l'obligation de non-concurrence stipulée augmenterait le préjudice subi par ce dernier suite à la rupture.

Or, eu égard à la précédente décision de cette cour, ayant privé l'intéressé de tout droit à indemnité en raison de la faute grave retenue, c'est à juste titre que le jugement déféré a rejeté la demande d'indemnité compensatrice des clauses de non-concurrence. Il ne peut être revenu sur l'appréciation faite par la cour des motifs de la rupture.

Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

Sur les dommages et intérêts

Compte tenu de ce qu'il n'est fait droit que partiellement à l'appel, une résistance abusive ne peut être reprochée à la société Maison A. Fischer ; de plus, le préjudice subi par la société agence H. au titre du retard à payer les commissions de retour sur échantillonnage est compensé par les intérêts alloués. Il convient donc de débouter la société Agence Francis H. de sa demande en dommages et intérêts formée en cause d'appel.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile

Dans de son jugement mixte, le tribunal avait réservé les dépens et n'avait pas statué sur l'article 700 du Code de procédure civile. La cour n'a statué, par son arrêt du 12 décembre 2014, que sur les dépens d'appel et frais irrépétibles exposés pour la procédure d'appel. Le jugement déféré, ayant rejeté l'ensemble des demandes de la société Agence Francis H., l'a condamnée pour cette raison aux dépens de l'instance.

Ce jugement étant seulement partiellement infirmé et la société Agence Francis H. ayant aussi succombé précédemment sur sa demande de commissions au titre de la rupture du contrat, il convient de laisser à chacune des parties, qui succombe partiellement, la charge de ses propres dépens de première instance et d'appel, sans qu'il y ait lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais non compris dans les dépens exposés par chaque partie en première instance comme en appel.

Par ces motifs LA COUR, statuant après débats en audience publique, par arrêt contradictoire, Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a - débouté la société agence Francis H. de sa demande au titre des commissions de retour sur échantillonnage, - condamné la société Agence Francis H. aux dépens et à payer à la société Maison A. Fischer la somme de 1 200 € (mille deux cents euros) en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Statuant à nouveau de ces chefs, Condamne la société Maison A. Fischer à payer à la société Agence Francis H. la somme de 10 000 € (dix mille euros), assortie des intérêts au taux légal à compter du 20 avril 2016, au titre des commissions sur retour sur échantillonnage ; Déboute la société Maison A. Fischer de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour ses frais exposés en première instance ; Dit que chacune des parties supportera ses propres dépens de première instance ; Ajoutant au jugement déféré, Déboute la société Agence Francis H. de sa demande en dommages et intérêts formée en cause d'appel ; Déboute les parties de leur demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour leurs frais non compris dans les dépens exposés en appel ; Dit que chacune des parties supportera ses propres dépens d'appel.