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Décisions

CA Toulouse, 3e ch., 22 novembre 2018, n° 18-01747

TOULOUSE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

M. Sport (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

M. Beauclair, Conseillers : MM. Mazarin-Georgin, Blanque-Jean

TGI Toulouse, du 30 mars 2018

30 mars 2018

Exposé du litige

Vu l'appel interjeté le 16 avril 2018 par la SARL M. Sport à l'encontre d'un jugement du tribunal de grande instance de Toulouse en date du 30 mars 2018.

Vu les conclusions de la SARL M. Sport en date du 31 juillet 2018.

Vu les conclusions de Monsieur Bruno P. en date du 18 août 2018.

Vu l'ordonnance de clôture du 1er octobre 2018 pour l'audience de plaidoiries fixée au 15 octobre 2018.

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Le 21 décembre 2012, Monsieur Bruno P. a acquis un véhicule automobile de marque Lotus modèle Evora auprès de la SARL M. Sport au prix de 73 500,00 euros, bénéficiant d'une garantie de trois ans et d'une offre de reprise.

Dès les premiers kilomètres d'utilisation du véhicule, Monsieur P. a constaté des anomalies de fonctionnement qui, malgré de multiples interventions de la société Garage D., se sont manifestées à répétition.

Par courriers en date des 7 et 25 octobre 2013, Monsieur P. a, par l'intermédiaire de son conseil, demandé à la SARL M. Sport de reprendre le véhicule, sans que cette dernière n'honore son engagement. Il a alors contacté sa protection juridique, Groupama, qui a mandaté le cabinet BCA afin de réaliser une expertise amiable contradictoire. Ce dernier a déposé un rapport le 30 octobre 2014.

Par ordonnance en date du 28 avril 2015, sur une assignation du 25 mars 2015, le juge des référés a ordonné une expertise judiciaire confiée à Monsieur Antoine C.. L'expert a déposé son rapport le 30 décembre 2016.

Par acte d'huissier en date du 24 juillet 2017, Monsieur Bruno P. a assigné la SARL M. Sport au visa des articles 1641, 1642 et 1644 du Code civil, en paiement des sommes de :

- 24 077,05 euros au titre de la garantie des vices cachés

- 10 878,43 euros à titre de dommages et intérêts

- 5 000,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La SARL M. Sport , assignée à personne, n'a pas constitué avocat et ne fait donc valoir aucune défense devant le premier juge.

Par jugement réputé contradictoire en date du 30 mars 2018, le tribunal de grande instance de Toulouse a :

- condamné la SARL M. Sport à payer à Monsieur Bruno P. les sommes de :

* 23 634,83 euros au titre de la restitution d'une partie du prix de vente ;

* 2 008,14 euros à titre de dommages et intérêts ;

* 2 500,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- rejeté toutes demandes autres ou plus amples formées par le demandeur ;

- condamné la SARL M. Sport aux dépens.

Tous les chefs du jugement sont expressément critiqués dans la déclaration d'appel.

La SARL M. Sport demande à la cour de :

- dire prescrite l'action engagée par Monsieur P. et en conséquence la déclarer irrecevable

- en tout état de cause, dire l'action dirigée par Monsieur P. non seulement mal fondée mais encore mal dirigée

- la mettre hors de cause

- en toute hypothèse, débouter Monsieur P. de l'ensemble des demandes dirigées à son encontre

- le condamner au paiement de la somme de 4 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile outre aux entiers dépens de procédure.

Elle fait valoir que

- l'acquéreur connaissait les vices allégués au plus tard dès janvier 2015 et n'a saisi le juge des référés qu'en mars 2015, l'action est prescrite

- le véhicule est garanti par le constructeur pendant trois ans il lui revient d'agir contre ce dernier ; le véhicule a été réparé par un autre garage et cette réparation est défectueuse faute de respecter les préconisations du constructeur, ce garage a donc engagé sa responsabilité, et il existe un lien entre les vices allégués et les réparations effectuées

- au fond l'expert relève que les anomalies se sont révélées au cours de la période de garantie du constructeur et sont prises en charge par ce dernier au titre de ladite garantie

- les conditions de la garantie des vices cachés ne sont pas réunies : il n'est pas démontré que le vice allégué est antérieur à la vente, il existe un doute sur l'imputabilité des désordres ; le vice ne rend pas le véhicule impropre à sa destination

- allouer les sommes réclamées conduiraient à un enrichissement sans cause ; le véhicule n'a jamais été immobilisé ; aucun préjudice moral n'est établi.

Monsieur Bruno P. demande à la cour de :

- à titre liminaire, dire que la prescription de l'action fondée sur la garantie des vices cachés n'est pas acquise ;

- dire que l'action en garantie des vices cachés à l'encontre de la société M. Sport est recevable ;

- écarter des débats la pièce adverse n° 6, qui n'a aucune force probante et n'est pas contradictoire en ce qu'elle n'est pas traduite en langue française ;

- en conséquence, débouter la société M. Sport de ses demandes liminaires à l'encontre de Monsieur Bruno P. ;

- à titre principal, constater que le véhicule litigieux est entaché de vices ;

- en conséquence, confirmer le jugement du 30 mars 2018 en ce qu'il a condamné la société M. Sport à verser à Monsieur Bruno P. la somme de 23 634,83 euros au titre de la garantie des vices cachés ainsi qu'aux sommes de 1 500,00 euros et 508,14 euros de dommages et intérêts ;

- statuant à nouveau, condamner la société M. Sport à verser à Monsieur Bruno P. la somme de 7 878,43 euros au titre de dommages et intérêts en réparation des frais de parking versés par ce dernier du fait de l'immobilisation du véhicule ;

- en tout état de cause, condamner la société M. Sport à verser à Monsieur Bruno P. la somme de 5 000,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société M. Sport aux entiers dépens.

Il fait valoir que :

- sur la prescription, le point de départ du délai est le jour où il a été en mesure de connaître l'existence du vice soit le jour du dépôt du rapport d'expertise amiable le 30 octobre 2014, le premier ordre de réparation est en date du 16 décembre 2013

- l'existence d'une action contre le constructeur n'exclut pas l'exercice d'une action contre le vendeur

- il rapporte l'existence du vice caché allégué ; il sollicite la restitution de partie du prix ; il justifie du coût des réparations entreprises

- il réclame la prise en charge de frais de parking et l'octroi de dommages-intérêts pour préjudice moral.

Motifs de la décision

1- Sur la recevabilité de l'action de l'acquéreur

Aux termes de l'article 1648 du Code civil, l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice.

L'assignation en référé ayant interrompu le délai de prescription est en date du 25 mars 2015.

Les vices affectant le véhicule aux termes du rapport d'expertise judiciaire, sont l'impossibilité de maintenir la proportion air/carburant dans le moteur et une usure anormale des pneumatiques.

Seule la manifestation des vices est apparue dès janvier 2013 lorsque l'acquéreur a soumis le véhicule au garage D. pour remédier, en vain, au désordre signalé par l'allumage d'un voyant 'gestion moteur' ; les vices eux-même, consistant en l'impossibilité de maintenir la proportion air/carburant dans le moteur et résultant de la géométrie des trains, n'ont été révélés que par les opérations d'expertise amiable, dont les conclusions n'ont été connues de l'acquéreur que le 30 octobre 2015.

Au jour de l'assignation en référé du 25 mars 2015, la prescription biennale de l'action en garantie des vices cachés n'était pas acquise au bénéfice de l'acquéreur. Elle n'était pas plus acquise au jour de l'assignation au fond délivrée le 24 juillet 2017, après dépôt du rapport d'expertise judiciaire en date du 30 décembre 2016.

Le vendeur soutient que l'action de l'acquéreur serait irrecevable au motif que le véhicule est garanti trois ans et qu'il revient à l'acquéreur d'agir contre le constructeur.

Cependant l'existence d'une garantie contractuelle de trois ans offerte par le constructeur ne fait pas obstacle à l'action de l'acquéreur à l'encontre du vendeur en garantie des vices cachés affectant l'objet de la vente et l'absence d'action de l'acquéreur contre le constructeur ne fait

pas obstacle à l'introduction d'une action récursoire du vendeur contre le constructeur automobile.

2- Sur la garantie des vices cachés

Aux termes de l'article 1641 du Code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.

Il ressort du rapport d'expertise judiciaire, contradictoire, la société M. ayant été régulièrement convoquée mais ne s'étant pas présentée, que :

- à l'examen lors du fonctionnement statique du moteur, il a été constaté que ce dernier, au ralenti présente une variation anormale de régime. Cette anomalie est signalée au combiné des instruments de bord par l'allumage du témoin de gestion du moteur et est reconnue et enregistrée de façon constante par le calculateur du moteur

- les pneumatiques de l'essieu arrière montrent une usure atypique : elle est nettement plus prononcée sur les épaulements intérieurs des bandes de roulement, bien que les côtes de la géométrie respectent les données du constructeur. Ces pneumatiques, comme ceux remplacés car ils présentaient une usure similaire, requièrent leur remplacement.

L'expert précise sur le premier point, que la variation spontanée du régime du moteur est due à une altération du rapport air/carburant. Ce rapport, établi par le constructeur et maintenu constant grâce à la correction automatique réalisée par l'unité de contrôle électronique du moteur, dans le cas présent varie car le système n'arrive pas à maintenir la proportion air/carburant requise. En présence de cette anomalie le constructeur préconise et détaille dans une note technique tous les contrôles et les essais qui doivent être réalisés. La société D. AUTOMOBILES lors de ses interventions, n'a pas corrigé l'anomalie et au vu de sa persistance a requis sans résultat l'aide du service technique du constructeur.

Sur l'usure des pneumatiques, l'expert a relevé que les cotes de la géométrie du train roulant du véhicule respectent les données du constructeur établies par le bureau d'études de celui ci. Le constructeur interrogé sur ce point par l'expert a répondu que ladite usure est une caractéristique de ce type de véhicule, due aux données établies pour la géométrie des trains de suspension, et met en garde contre la tentation de modifier la géométrie pour réduire l'usure.

Il en résulte que les vices sont constitués de l'usure prématurée des pneumatiques, et de l'impossibilité de réglage du rapport air/carburant.

Ces vices sont apparus dès la mise en circulation du véhicule, ils affectaient donc ledit véhicule avant la vente, étant relevé que le vice affectant les pneumatiques résultant d'un défaut de conception du véhicule est nécessairement antérieur à la vente.

Ces vices étaient cachés lors de l'achat, l'acquéreur est un profane et le vice n'a pu être mis en évidence dans ses causes et son ampleur que par les investigations de l'expert.

Ces vices présentent un caractère de dangerosité explicité par l'expert dans les termes suivants : l'anomalie au niveau du régime moteur revêt un caractère dangereux car elle peut se manifester à tout moment et lors de son apparition, créer une situation difficile à gérer tant pour le conducteur, que pour les autres automobilistes à proximité.

Le vice relatif à l'impossibilité de réglage du rapport air/carburant peut être réparé selon les indications du constructeur qui ne chiffre pas le coût de ces opérations.

Il apparaît donc que ces vices diminuent tellement l'usage que l'acheteur n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.

Les interventions inefficaces du garage D. AUTOMOBILES sont sans emport sur des vices qui leur préexistaient.

La demande fondée sur l'action estimatoire présentée par Monsieur P. est donc bien fondée et il convient d'y faire droit.

Il sera donc alloué à Monsieur P. au titre de la restitution du prix la somme de 15 000,00 euros, du chef de la surconsommation de pneumatiques du fait de la géométrie des trains, augmentée du coût des réparations engagées pour remédier au vice affectant le moteur pour une somme de 8 634,83 euros soit la somme de 23 634,83 euros.

Il n'est pas établi que les frais de réparation ont été pris en charge par le constructeur qui n'a pas été appelé en la cause, et il est rappelé que la survenance du désordre dans le délai de la garantie offerte par le constructeur ne prive pas l'acquéreur de réclamer au vendeur la réparation de l'intégralité de son préjudice.

Aux termes de l'article 1645 du Code civil, si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur.

La SARL M. est un professionnel de la vente automobile, il est présumé avoir connaissance des vices affectant le véhicule vendu, la demande en dommages-intérêts est recevable.

Monsieur P. réclame les sommes de :

- 508,14 euros au titre de la location d'un véhicule du 20 décembre 2013 au 3 janvier 2014.

- 7.878,43 euros à titre de frais de parking arrêté au 1er janvier 2016.

- 1.500,00 euros à titre de dommages-intérêts.

Le véhicule a été acquis avec un kilométrage de 1.705 km. Il ressort des rapports d'expertise que lors de l'expertise amiable le véhicule avait parcouru 49.863 km le 30 octobre 2014, et de l'expertise judiciaire qu'il avait parcouru 76.543 km le 14 décembre 2015.

Il en résulte que Monsieur P. a utilisé le véhicule litigieux entre 2013 et décembre 2015 et que donc son immobilisation n'était pas nécessaire de sorte que les frais de parking et de location de véhicule n'ont pas pour cause l'immobilisation du véhicule.

La demande au titre du préjudice moral sera de même rejetée, alors qu'il apparaît que Monsieur P. a utilisé le véhicule malgré ses déficiences et l'a confié à un garage qui reconnaît qu'il était incapable de suivre les prescriptions du constructeur et donc incompétent pour réparer le vice affectant le moteur.

Le jugement est donc réformé en ce sens.

3- Sur les demandes accessoires

La SARL M. succombe, elle supporte la charge des dépens augmentée d'une somme de 1.500,00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs LA COUR, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a : - condamné la SARL M. Sport à payer à Monsieur Bruno P. la somme de 23 634,83 euros au titre de la restitution d'une partie du prix de vente en application de la garantie des vices cachés - condamné la SARL M. Sport à payer à Monsieur Bruno P. la somme de 2 500,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile - condamné la SARL M. Sport aux dépens. Le réforme pour le surplus et statuant à nouveau, Déboute Monsieur Bruno P. de ses demandes au titre des frais de location, de gardiennage et au titre d'un préjudice moral. Y ajoutant, Condamne la SARL M. Sport à payer à Monsieur Bruno P. la somme de 1 500,00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne la SARL M. Sport aux entiers dépens d'appel.