CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 30 novembre 2018, n° 16-03880
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Lévy (ès qual.) , Cambio (SA)
Défendeur :
Orange (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Françoise Bel
Conseillers :
Mme Cochet-Marcade, M. Picque
Avocats :
Mes Rigal-Alexandre, Mortemard ce Boisse, Autier, Giraud
Faits et procédure
Afin de permettre aux opérateurs alternatifs à la société France Télécom (devenue Orange) d'accéder à la boucle locale ADSL dans les meilleures conditions, 5 options ont été identifiées par l'ART (devenue ARCEP) dont :
- l'option 1 'dégroupage de la boucle locale' : fourniture de paires de cuivre nues à un opérateur alternatif qui installe ses équipements sur ces paires, soit en colocalisation physique, soit en colocalisation distante,
- l'option 3 'accès à un circuit virtuel permanent' : livraison d'un trafic de clients sous un protocole ATM (Asynchronous Transfer Mode) à l'un des points de présence de l'opérateur alternatif ,
- l'option 5 'revente d'abonnements' : revente par l'opérateur alternatif du trafic de la société France Télécom en assurant seulement les prestations commerciales auprès des clients.
La société Cambio, dont le créateur est M. Pitcho, souhaitait développer ses activités dans le domaine du haut débit destiné aux PME ou TPE en utilisant la technologie ADSL. Elle a obtenu le 8 novembre 2000 une autorisation d'exploitation pour un réseau expérimental jusqu'au 31 décembre 2001. Elle s'est alors successivement tournée vers les options 1, 3 et 5 proposées par l'ART.
La société Cambio a d'abord conclu un accord stratégique avec la société allemande QSC visant à déployer un dégroupage en France (option 1). Cette dernière a cependant décidé d'arrêter à la phase si bien que la société Cambio n'a pas pu signer la convention d'expérimentation du dégroupage en son nom.
La société Cambio a ensuite demandé à la société France Télécom l'offre 'ADSL Connect ATM' (option 3) à laquelle elle n'a pas donné suite.
La société Cambio s'est finalement reportée sur des offres de tiers pour une commercialisation en marque blanche. Les partenariats conclus dans ce cadre avec la société Claranet et la société Neuf Télécom n'ayant pas abouti, la société Cambio a demandé à la société France Télécom de lui proposer une offre 'FreeSP' mais n'y a pas donné suite au motif que ladite offre ne permettait pas de concurrencer la société Wanadoo.
En 2005, la société Cambio étudie une offre d'accès aux LLA (liaisons louées analogiques) qui lui permettrait de relier les sites des clients à son propre réseau sans devoir se soumettre à la réglementation relative au dégroupage. Le projet a également été abandonné.
Par jugement du 19 mai 2008, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Cambio et a désigné la Selafa MJA en la personne de Me Levy, en qualité de liquidateur.
La Selafa MJA, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Cambio, ainsi que M. Pitcho reprochaient à la société France Télécom d'avoir empêché par ses pratiques anticoncurrentielles la société Cambio de pénétrer sur le marché de l'ADSL entre 2001 et 2005.
Ils ont alors fait assigner par acte en date du 31 décembre 2010 la société France Télécom, devenue Orange, devant le tribunal de commerce de Paris. Ils sollicitaient du tribunal de condamner cette dernière à payer :
- à la Selafa MJA, ès qualités de liquidateur de la société Cambio, les sommes de :
* 16.801.258,10 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'entrave fautive à l'accès par cette dernière au marché du haut débit,
* 728.406 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de la discrimination fautive de la société France Télécom à son encontre sur les LLA,
* 75 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- à M. Pitcho la somme de 633 061 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu'il a subi à raison des mêmes fautes.
Par jugement rendu le 16 décembre 2015, le tribunal de commerce de Paris a :
- débouté la Selafa MJA, en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Cambio, et M. Pitcho, de l'ensemble de leurs demandes,
- condamné la Selafa MJA, en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Cambio, à payer à la société Orange la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la Selafa MJA, en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Cambio, aux dépens.
Sur l'entrave fautive par la société Orange,
Le tribunal de commerce de Paris a jugé que la Selafa MJA, ès qualités, n'établissait aucune faute de la société Orange sur l'option 1. Les premiers juges ont en effet constaté que le Conseil de la concurrence avait conclu dans une décision de novembre 2005 à l'absence de pratique fautive de la part de la société France Télécom concernant le dégroupage de la boucle locale. A titre surabondant, ils ont rappelé que si la société Cambio a démarré un partenariat stratégique avec la société QSC, cette dernière l'a rapidement cessé sans motif le 6 novembre 2000 et que l'option 1 requérait un investissement très important alors que la société Cambio n'avait pu obtenir, à titre de financement, que la somme de 576 000 euros. Ils en déduisent que la société Cambio n'avait en tout état de cause pas la capacité nécessaire pour développer un dégroupage.
Le tribunal de commerce a ensuite relevé que la société France Télécom a été condamnée pour pratique anticoncurrentielle concernant l'option 3 mais a décidé que la demande de communication d'offres au titre de cette option ne suffisait pas à caractériser un préjudice, d'autant plus que la société Cambio ne disposait que d'une licence expérimentale pendant la période durant laquelle elle prétendait avoir subi les pratiques de la société Orange.
Le tribunal de commerce a enfin décidé que la Selafa MJA, ès qualités, ne démontrait pas en quoi la société Orange serait responsable de l'échec des différents partenariats (assimilable à l'option 5) envisagés par la société Cambio avec les sociétés Claranet, Télé 2 puis Nerim, lesquels sont tous restés au stade de projet pour des raisons extérieures à cette dernière. Les premiers juges ont estimé que le lien de causalité entre les fautes de la société France télécom et le préjudice que la société Cambio aurait pu subir n'était pas démontré.
Sur la discrimination fautive dans l'accès aux LLA,
Le tribunal de commerce a constaté que la Selafa MJA, ès qualités, n'établissait pas de faute de la société Orange sur l'accès aux LLA et n'évoquait en outre aucun préjudice particulier quant au quantum.
Sur le préjudice distinct subi par M. Pitcho,
Le tribunal de commerce a jugé que M. Pitcho ne pouvait imputer à la société Orange les résultats de sa propre gestion.
Seule la Selafa MJA, ès qualité de liquidateur de la société Cambio, a interjeté appel de cette décision par déclaration du 11 février 2016.
Prétentions des parties
Par conclusions déposées et notifiées le 18 décembre 2017, la Selafa MJA, ès qualité de liquidateur de la société Cambio, sollicite de la cour au visa des articles L. 420-1 et suivants, L. 441-6 et suivants du Code de commerce, 1382 et 1383 du Code civil et 700 du Code de procédure civile de :
- la déclarer recevable et bien fondée en son appel,
- constater l'entrave fautive par la société Orange à son accès au marché du haut débit du fait des conditions des options 1 et 3 en ce incluant la colocalisation distante,
- constater la discrimination fautive commise par la société Orange à son encontre sur les LLA,
- dire la société Orange doit réparer l'intégralité des conséquences dommageables de ses agissements fautifs,
- en conséquence, infirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel,
- condamner la société Orange à payer à la Selafa MJA, ès qualités, la somme de 16.801.258,10 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'entrave fautive par la société Orange de l'accès de la société Cambio au marché du haut débit,
- condamner la société Orange à payer à la Selafa MJA, ès qualités, la somme de 728.406 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par la société Cambio du fait de la discrimination fautive de la société Orange à son encontre sur les LLA,
- en tout état de cause, condamner la société Orange à payer à la Selafa MJA, ès qualités, la somme 4de 150 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- dire que les sommes produiront intérêt au taux légal à compter de la délivrance de l'acte introductif d'instance,
- condamner la société Orange aux entiers dépens.
La Selafa MJA, ès qualités, considère en substance que la société Cambio a été privée de tout accès au marché du haut débit par des comportements fautifs de la société Orange de deux natures différentes :
- l'entrave par Orange de l'accès de Cambio au marché du haut débit d'une part,
- la discrimination dans l'accès aux LLA d'autre part.
1 - Sur l'entrave fautive de la société Orange à l'accès au marché du haut débit,
La Selafa MJA rappelle que la société Orange doit permettre aux sociétés concurrentes d'accéder à la boucle locale en paire de cuivre, qui constitue une facilité essentielle, afin de permettre leur entrée sur le marché du haut débit.
- Sur les fautes de la société Orange
La Selafa MJA, ès qualités, invoque en premier lieu le retard fautif de la société Orange dans la mise en œuvre de l'option 1.
Elle soutient que la société Orange aurait dû donner accès à la société Cambio à la boucle locale dès le 1er janvier 2001. Elle affirme que cette échéance était parfaitement réalisable car la société Orange avait été prévenue et préparée en amont par les autorités communautaires et nationales, qu'elle commercialisait déjà depuis 1999 ses offres DSL et qu'elle n'a pas contesté le calendrier de mise en place du dégroupage à la suite de la publication du décret du 12 septembre 2000. Elle souligne le caractère impératif dudit décret qui ne fixait pas de simples objectifs. Elle en déduit que la société Orange a purement et simplement refusé de se conformer à ses obligations afin de retarder le lancement de l'activité de ses concurrents.
La Selafa MJA, ès qualités, prétend également que la société Orange a lutté contre le lancement du dégroupage en imposant systématiquement à ses concurrents des conditions techniques et tarifaires discriminatoires, les empêchant ainsi de souscrire aux offres proposées. Elle ajoute que la société Orange a également manqué à son obligation de communication d'information, qualifiée d'obligation de résultat par l'ART, les informations communiquées à la société Cambio n'étant pas réellement utiles à la préparation du lancement du dégroupage. Elle rappelle que le comportement fautif de la société Orange a, à maintes reprises, été constaté par les autorités de régulation et de concurrence. Elle assure que l'ART a reconnu les fautes de la société Orange puisqu'elle lui a fait plusieurs injonctions de modifier son comportement. Elle affirme que la société Orange s'est lancée dans un véritable bras de fer avec l'ART afin de retarder, par une stratégie dilatoire, l'entrée des concurrents sur le marché du haut débit.
La Selafa MJA, ès qualités, soutient que la société Orange a abusivement refusé que la société Cambio souscrive à une offre de colocalisation distante. Elle rappelle en effet que les câbles de renvoi nécessaires à la colocalisation n'ont été mis à la disposition des concurrents, sur une base objective et transparente, qu'en juillet 2005 faisant suite à une ultime décision de l'ART du 19 mai 2005. Elle explique qu'avant cette date, la société Orange ne proposait qu'un tarif sur devis discrétionnaire et non un tarif appliqué de manière identique à tous les câbles de renvoi. Elle rappelle que cette offre aurait permis à la société Cambio de disposer de prestation de connexion et d'hébergement à moindre coût puisqu'elle se serait établie à proximité des sites de la société Orange et non dans les locaux de cette dernière. Elle prétend que les économies qui en aurait résulté aurait permis à la société Cambio d'accéder plus facilement au marché du haut débit. Elle explique que la prestation de colocalisation fait partie intégrante de l'obligation de mise en œuvre du dégroupage imposée à la société Orange par le règlement européen du 18 décembre 2000 imposant l'ouverture effective du dégroupage au 1er janvier 2001.
La Selafa MJA, ès qualités, fait valoir en second lieu, le ciseau tarifaire fautif pratiqué par la société Orange sur l'option 3.
Elle soutient que le conseil de la concurrence par décision du 18 février 2000 avait réaffirmé l'obligation pesant sur la société Orange de fournir aux opérateurs alternatif une offre option 3 concurrentielle, que cette offre devait être proposée à compter du 18 avril 2000, mais que la société Orange a refusé de se conformer à cette injonction jusqu'en 2003. Elle explique que les conditions techniques et tarifaires des offres option 3 proposées par la société Orange constituaient des barrières à l'entrée du marché et que la société Cambio a donc refusé d'y souscrire, comme l'ensemble des opérateurs alternatifs.
Concernant l'offre " Connect ATM ", elle affirme que la société Orange a d'abord proposé une offre temporaire parfaitement inutilisable puis a imposé des conditions restrictives injustifiées telles que des tarifs excessifs et des conditions techniques créant un effet de levier désavantageux et un ciseau tarifaire entre l'option 5 et l'option 3. Elle explique que l'accord de distribution que la société Cambio avait conclu avec les société Télé2 n'a pas abouti en raison du comportement anticoncurrentiel de la société Orange. Concernant l'offre basée sur "FreeSP ", elle explique qu'elle ne permettait pas à la société Cambio de concurrencer les tarifs de détail de la société Wanadoo, filiale de la société Orange, compte tenu des prix prédateurs de cette dernière sur le marché du détail du haut débit. Elle soutient que la société Cambio a nécessairement subi l'impact des prix prédateurs de la société Wanadoo qui s'appliquaient indifféremment au marché du grand public et au marché des très petites entreprises (TPE).
Elle explique que l'ensemble des offres de gros était donc fermé à la société Cambio en 2001. Elle affirme que la société Orange n'a proposé une offre option 3 présentant des conditions techniques et tarifaires concurrentielles que le 15 octobre 2002, soit bien longtemps après que la société Cambio ait dû renoncer à l'option 3. Elle prétend que la société Orange n'a accepté de proposer une telle offre qu'après avoir été lourdement rappelée à l'ordre et sanctionnée par les autorités de régulation et de concurrence, lesquelles lui reprochaient d'avoir maintenu une stratégie assumée de préemption du marché de détail.
- Sur le lien de causalité direct entre les fautes commises par la société Orange et le préjudice subi par la société Cambio Concernent l'échec du recours à l'offre 1, la Selafa MJA, ès qualités, soutient que la société Cambio ne pouvait anticiper, en 2001, que la société Orange adopterait le comportement dilatoire qu'elle a choisi pour retarder le lancement effectif du dégroupage. Elle en déduit que le plan d'affaires de la société Cambio pouvait, sans lui faire encourir un risque injustifié, prendre en compte son entrée future et très probable dans la boucle locale de la société Orange. Elle précise que la société Cambio avait obtenu une autorisation provisoire pour établir et exploiter un réseau de télécommunications au public, publiée le 8 novembre 2000, après analyse approfondie de son plan d'affaires par l'ART, autorisation systématiquement renouvelée jusqu'au 31décembre 2001. Elle explique que le refus de la société Orange a contraint la société Cambio à abandonner ce plan d'affaires et que les fautes de la société Orange sont donc à l'origine du préjudice qui en a résulté. Concernant la colocalisation, elle soutient que l'absence de définition précise des conditions tarifaires de la prestation de mise à disposition de câble de renvoi a empêché la société Cambio de recourir à cette offre et de faire des économies. Elle explique que la société Orange a ainsi pesé sur la visibilité du plan d'affaires de la société Cambio et sur la rentabilité des investissements qu'elle avait réalisé.
Elle assure que la société Cambio s'est intéressée de près à la possibilité d'une colocalisation puisqu'elle a effectivement ouvert un site pilote de dégroupage en colocalisation distante au 8 rue d'Anjou à Paris et que, pour soutenir ce projet, elle a également effectué des levées de fonds.
Concernant l'option 3, elle affirme que la société Cambio s'est particulièrement intéressée dès avril 2000 à cette offre. Elle indique qu'elle a demandé plusieurs fois des renseignements à la société Orange ainsi que des rencontres. Elle soutient qu'au regard des conditions tarifaires et techniques discriminatoires proposées par la société Orange, la société Cambio n'a eu d'autre choix que de refuser de souscrire aux offres qui lui étaient proposées. Elle rappelle que bien que la société Cambio ne disposait pas d'une licence L.33-1, elle pouvait bénéficier de l'offre option 3 en vertu de sa licence expérimentale qui lui donnait le droit de fournir tout type d'accès internet. Elle en déduit que le lien de causalité entre la faute de la société Orange et le préjudice de la société Cambio résultant de son éviction du marché du haut débit est certain.
Elle soutient que le fait que la société Cambio ait conclu une offre de gros avec la société Claranet ne dédouane par la société Orange de sa responsabilité puisque l'offre Claranet était totalement dépendante des conditions techniques et tarifaires de l'offre ADSL Connect ATM de la société Orange. Elle en déduit que la société Cambio ne pouvait donc concurrencer efficacement la société Orange par le biais de l'offre 3 proposée par la société Claranet. Elle explique que le ciseau tarifaire pratiqué par la société Orange ne pouvait en effet qu'être répercuté par la société Claranet sur l'offre proposée. Elle rappelle que la société Cambio ne pouvait répercuter les prix de l'offre ADSL Connect ATM sur ses propres clients finaux puisque la société Wanadoo pratiquait des prix prédateurs sur le marché du détail.
Elle assure que l'éclatement de la bulle internet n'a pas eu d'effet sur l'activité de la société Cambio et n'a donc pas été la cause de son éviction du marché.
- Sur le préjudice subi du fait du comportement fautif de la société Orange,
La Selafa MJA, ès qualités, soutient que la société Cambio a réalisé des investissements en pure perte. Elle indique que le développement de la plate-forme Claranet a coûté à cette dernière la somme de 18.591 euros HT et celui de la plate-forme pilote pour le dégroupage la somme de 188.973 euros. Elle en déduit que la perte actualisée pour les deux plate-formes est d'un montant de 245.605 euros HT.
Elle ajoute que la société Cambio a également réalisé des investissements de prospection commerciale et de marketing qui s'élèvent à la somme de 284 059 euros entre 2000 et 2005, soit 255.653,10 euros HT après prorata temporis. Elle explique que la société Cambio a en outre subi un gain manqué et une perte de chance sur le marché du haut débit. En appliquant la méthode contrefactuelle qui permet de calculer la perte d'opportunité sur les capitaux levés et documentée par la société Cambio elle estime que cette société a subi un préjudice d'un montant de 3.462.300 euros.
A titre subsidiaire, elle sollicite l'indemnisation du préjudice de gain manqué sur le fondement de la perte de chance de la société Cambio de mener à bien son projet. Enfin, elle prétend que l'éviction de la société Cambio du marché du haut débit a fait perdre toute valeur à son fonds de commerce. Elle rappelle que cette dernière est aujourd'hui en liquidation judiciaire. Elle évalue la valeur du fonds de commerce à la somme de 10 000 000 euros.
Elle sollicite en conséquence l'allocation à titre de dommages et intérêts une somme totale de 717.529.664 euros.
- Sur la discrimination de la société Orange dans l'accès aux Liaisons louées analogiques (LLA),
- Sur la discrimination fautive,
La Selafa MJA, ès qualités, rappelle que les LLA, si elles ne sont pas soumises à la réglementation spécifique du dégroupage, restent soumises au contrôle de l'ART et aux dispositions du Code des postes et des télécommunications. Elle considère que l'article D. 309 dudit Code soumet les opérateurs à une obligation générale de non-discrimination et que l'ART a fait obligation à la société Orange le 15 décembre 2000 de faire droit à toute demande raisonnable de LLA, à un tarif orienté vers les coûts.
Elle soutient que la société Orange a violé ses obligations en traitant avec retard la demande d'accès de la société Cambio. Elle rappelle qu'il s'est en effet écoulé plus d'un an entre la commande par la société Cambio d'un site pilote et la réponse de la société Orange, malgré plusieurs relances. Elle précise que ce retard n'était justifié par aucune restriction technique. Elle ajoute que ce retard était discriminatoire car la société Orange avait précédemment traité plus vite les demandes d'autres clients, tels que la société Mecelec Télécom ou la société Neuf Télécom.
Elle prétend également que la société Orange a violé ses obligations en proposant à la société Cambio des conditions abusives. Elle explique que la société Orange a en effet exigé que la société Cambio signe un contrat de confidentialité avec une clause pénale d'un montant de 500 000 euros.
Elle considère que cette clause pénale était disproportionnée compte tenu de la capacité contributive de la société Cambio et du préjudice qu'une éventuelle divulgation aurait eu pour la société Orange et que de telles conditions empêchaient la société Cambio de souscrire effectivement à l'offre.
Elle affirme qu'à l'époque des faits, la discrimination constituait une pratique restrictive de concurrence per se. Elle conclut que le fait pour la société Orange d'imposer la conclusion d'un accord de confidentialité à titre préalable à la communication d'informations tarifaires sur l'offre LLA constitue une pratique restrictive de concurrence interdite par les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce et une faute à l'encontre de la société Cambio.
- Sur le préjudice subi par la société Cambio,
La Selafa MJA, ès qualités, fait valoir que la société Cambio a subi un retard complémentaire de 9 mois à partir de mai 2005 pour le lancement de ses offres dans une situation concurrentielle en raison du refus fautif de la société Orange de lui fournir une offre LLA. Elle soutient que celle-ci a réalisé à perte des investissements de prospection commerciale et de marketing à hauteur de 28.406 euros.
Elle ajoute que la société Orange doit en outre réparer le gain manqué de la société Cambio qui s'élève à un montant de 700 000 euros. Pour ce faire, elle applique la méthode fondée sur les cash flow prévisionnels qui ont permis de valoriser la société Cambio à la somme de 7 000 000 euros. Elle a ensuite estimé que les fautes de la société Orange sur les LLA ont constitué 10% de la durée totale du blocage des offres de la société Cambio. Par ses conclusions déposées et notifiées le 20 juillet 2018, la société Orange, sollicite de la cour au visa de l'article 1382 du Code civil de :
- déclarer la société Cambio mal fondée en son appel,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Cambio de toutes ses demandes,
- condamner la société Cambio au paiement de la somme de 170 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile à raison des frais irrépétibles,
- la condamner aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions à l'article 699 du Code de procédure civile.
1 - Sur l'accès par la société Cambio au marché du haut débit
- Sur l'absence d'entrave fautive de la société Orange
La société Orange considère que la société Cambio ne démontre pas l'existence d'une faute précise mais au contraire multiplie les accusations sur un grand nombre de sujets très différents.
- Sur l'option 1
La société Orange soutient qu'elle n'avait pas l'obligation d'assurer l'effectivité du dégroupage dès le 1er janvier 2001. Elle prétend que le décret du 12 septembre 2000 ne comporte aucune précision sur les conditions techniques et tarifaires de l'accès à la boucle locale puisqu'il se contente d'énoncer les grands principes qui devront encadrer le dégroupage. Elle explique que la date du 1er janvier 2001 n'est que la date d'entrée en vigueur des dispositions du décret du 12 septembre 2000. De même, elle soutient que le règlement européen du 18 décembre 2000 impose, en toute généralité, aux opérateurs d'accéder à toute demande raisonnable des bénéficiaires visant à obtenir un accès dégroupé à la boucle locale.
Elle ajoute qu'aucune autorité régulatrice, qu'il s'agisse de l'ART ou du Conseil de la concurrence, n'a jamais considéré que la société Orange devait assurer l'effectivité du dégroupage au 1er janvier 2001.
Elle explique que l'ART et le Conseil de la concurrence ont même reconnu que la mise en œuvre du dégroupage, caractérisée par une particulière complexité technique, opérationnelle et économique, nécessitera des adaptations qui retarderont son effectivité.
Elle remarque, en tout état de cause, qu'il était impossible que l'ensemble des conditions pratiques, techniques et tarifaires de l'accès à la boucle locale soit défini au 1er janvier 2001, soit quatre mois seulement après la publication du décret du 12 septembre 2000 consacrant le principe du dégroupage.
Elle soutient que l'ART n'a jamais constaté une stratégie de retard délibéré de sa part dans le lancement du dégroupage, cette autorité lui ayant seulement demandé de modifier plusieurs aspects de son offre sans qu'il puisse en être déduit une quelconque reconnaissance de faute. Elle estime qu'une décision de mise en demeure ne constitue pas une faute civile mais une simple mesure d'instruction, aucune procédure de sanction n'étant arrivée jusqu'à son terme. Elle explique que les injonctions de l'ART s'inscrivaient dans un processus normal de régulation d'une offre de gros, le dégroupage de la boucle locale devant se faire progressivement sous le contrôle de cette autorité. Elle précise que si elle a effectivement fait l'objet d'une condamnation par le Conseil de la concurrence en ce qui concerne l'option 3, son comportement ayant trait au marché du dégroupage de la boucle locale (option 1) n'a quant à lui jamais été sanctionné par une autorité de concurrence. Concernant la colocalisation distante, elle soutient qu'elle n'a commis aucune faute. Elle rappelle que les textes lui faisaient seulement obligation de prévoir l'hypothèse d'une colocalisation distante dans son offre de dégroupage sans indiquer les conditions de réalisation de ladite colocalisation. Elle prétend que, dès 2003, elle a bien publié une grille tarifaire pour les câbles de renvoi. Elle explique que celle-ci était divisée entre les tarifs applicables aux câbles de renvoi pour les répartiteurs de moins de 5 000 lignes et les tarifs applicables pour les répartiteurs de plus de 5 000 lignes. Elle soutient que seule la colocalisation distante pour les grands répartiteurs étaient soumises à un devis. Elle explique que dans cette configuration, le devis était nécessaire car le tarif dépend de la situation exacte des locaux de l'opérateur tiers.
- Sur l'option 3,
La société Orange rappelle qu'elle a été condamnée par le Conseil de la concurrence au titre d'un refus d'accès, seulement pour ses pratiques entre le 9 novembre 1999 et la publication de son offre ADSL Connect ATM le 1er décembre 2000. Elle remarque alors que la société Cambio ne s'est tournée vers l'option 3 qu'en 2000.
Elle affirme que la société Cambio ne saurait se plaindre de l'existence d'un ciseau tarifaire entre l'option 3 et l'option 5 puisque les victimes d'une telle pratique étaient non les opérateurs comme la société Cambio souhaitant se positionner sur le marché du détail, mais les opérateurs tiers voulant se positionner sur le marché du gros et incapables de s'aligner sur l'option 5 d'Orange. Elle estime que la société Cambio ne démontre pas qu'elle aurait sérieusement envisagé l'option 3. Elle explique que cette société ne rapporte pas non plus la preuve qu'elle aurait été contrainte d'abandonner l'option 3 en raison de son prétendu comportement anticoncurrentiel. Elle rappelle que la société Cambio n'a jamais formulé, à son égard et au moment des faits, de critique concernant l'existence de barrières à l'entrée sur le marché du haut débit par le biais de l'option 3. La société Orange assure qu'elle n'est pas responsable de l'échec des partenariats de la société Cambio avec les sociétés Télé2 et Claranet. Concernant le partenariat avec la société Télé2, elle rappelle que le contrat n'est resté qu'au stade de projet puisqu'il n'a jamais été signé. Elle soutient que le partenariat n'aurait, en tout état de cause, pas pu se concrétiser puisque la société Cambio ne disposait toujours pas d'une licence L. 33-1 nécessaire à la conclusion de tout contrat basé sur l'option 3. Concernant le partenariat avec la société Claranet, elle prétend que la société ne fournit pas les raisons de son échec et ne rapporte pas la preuve que son abandon serait dû à une quelconque faute de sa part.
- Sur la tarification pratiquée par la société Orange sur le marché du détail,
La société Orange ne nie pas avoir été condamnée pour avoir pratiqué des prix prédateurs sur le marché du détail. Elle explique néanmoins que ces pratiques ne visaient que les clients finaux, c'est à dire les acteurs effectivement présents sur le marché du détail. Elle rappelle alors que la société Cambio n'a jamais eu la moindre clientèle. Elle ajoute que les pratiques de prix prédateurs en cause ont concerné le segment 'Grand public' tandis que la société Cambio visait les PME et TPE.
- Sur la prétendue éviction de l'ensemble des opérateurs alternatifs, La société Orange prétend que la société Cambio tente de démontrer que tous les acteurs du marché ont été évincés plutôt que de démontrer l'existence d'une faute commise particulièrement à son égard.
- Sur l'absence de lien de causalité
La société Orange soutient à titre subsidiaire, que la société Cambio ne rapporte pas la preuve qu'en l'absence des prétendus obstacles à son entrée dans la boucle locale, elle aurait nécessairement réussi à pénétrer efficacement le marché du haut débit. Elle rappelle que la société Cambio n'avait pas de financement et ne disposait pas d'une licence nécessaire à l'activité d'opérateur de communications électroniques.
Elle recommande d'appliquer la méthode de comparaison avant-après qui consiste à déterminer si, après la cessation de la pratique anticoncurrentielle, le dommage perdure ou disparaît. Elle explique que si le dommage disparaît, la pratique anticoncurrentielle en était bien la cause. Concernant l'option 1, elle prétend que le dégroupage est réellement devenu effectif fin 2002. Elle remarque alors qu'à partir de cette date, et contrairement à de nombreux opérateurs tels que Free, la société Cambio n'a jamais percé sur le marché. Concernant la colocalisation distante, elle explique qu'après le 27 juillet 2005, date à laquelle une grille tarifaire aurait, selon la société Cambio, été publiée, cette dernière n'a jamais tenté de rentrer sur le marché dans le cadre de l'option 1 avec colocalisation. Elle établit le même constat pour l'option 3.
La société Orange explique également que la société Cambio ne proposait pas qu'un service d'accès à Internet mais également des prestations de maintenance, de téléphonie ou encore d'accès à un serveur mail. Elle rappelle que ces services sont indépendants de la fourniture d'accès à internet si bien que les prétendues fautes qui lui sont reprochées n'auraient pas empêché l'accomplissement d'une grande partie du plan d'affaires de la société Cambio.
Elle considère enfin que les véritables causes de l'échec de la société Cambio résident dans son plan de financement fragile et dans l'éclatement de la bulle internet. Elle explique notamment que le plan d'affaires de la société Cambio se positionnait sur un marché de niche ' les petites et moyennes entreprises ' alors que le dégroupage, qui implique des coûts fixes importants, ne permet pas, dans une telle configuration, d'atteindre les économies d'échelles nécessaires. Elle ajoute que le plan d'affaires de la société Cambio n'indiquait pas non plus les modes de financement des investissements à réaliser. Elle soutient qu'aucun document produit par l'appelante n'atteste d'un financement externe d'un montant de 576 000 euros. Elle estime qu'une telle somme aurait, en tout état de cause, été insuffisante pour financer une activité de fourniture d'accès Internet à haut débit sur le marché du détail.
- Sur l'absence de préjudice,
La société Orange soutient que la société Cambio n'a subi aucune perte sur les investissements qu'elle a réalisés. Concernant les investissements physiques, elle explique que la société Cambio ne prouve pas qu'elle a effectivement versé les sommes qu'elle prétend avoir investi. Elle estime également que le taux d'actualisation choisi par la société Cambio est excessif. Concernant les investissements de prospection commerciale et de marketing, elle affirme que la société Cambio ne fournit aucun élément permettant de vérifier le montant des sommes dépensées.
La société Orange prétend ensuite que la société Cambio n'a pas subi de gain manqué. Elle critique l'utilisation de la méthode contrefactuelle puisque cette dernière se contente d'affirmer qu'elle aurait obtenu une part de marché à long terme de 5 à 10% de sa cible, sans fournir aucun élément permettant d'étayer cette thèse. Concernant l'utilisation de la méthode des cash flow, elle fait valoir que la société Cambio n'explique pas les hypothèses de départ et fixe arbitrairement le taux d'actualisation et la valeur résiduelle. Elle soutient en outre que la société Cambio ne peut chiffrer son préjudice au titre du gain manqué en se fondant sur une comparaison entre son possible devenir et celui d'autres entreprises. Elle explique que l'appelante ne peut retenir un taux de valorisation de 53% alors que cette donnée concerne une autre entreprise, laquelle n'a pas la même situation économique et financière.
La société Orange soutient enfin que la demande relative à la perte de valeur du fonds de commerce de la société Cambio est nouvelle et redondante avec la demande de réparation du gain manqué.
2- Sur l'accès aux liaisons louées analogiques (LLA),
- Sur l'absence de faute,
La société Orange rappelle que la société Cambio a sollicité l'octroi d'une offre sur mesure pour accéder aux LLA. Elle fait valoir qu'une telle offre ne fait l'objet d'aucune réglementation et ne correspond pas aux décisions visées par la société Cambio, ces dernières concernant des prestations LLA standard.
Elle soutient qu'elle n'a pas traité la commande de la société Cambio avec retard. Elle ajoute qu'elle n'a pas traité plus rapidement la demande d'autres sociétés, telles que la société Mecelec Télécom. Elle indique qu'elle n'a d'ailleurs jamais fait d'offre à cette dernière société qui n'a reçu que des informations tarifaires indicatives. De même, elle explique que les situations des sociétés Cambio et Neuf Télécom ne sont pas identiques puisque l'offre souscrite par cette dernière était une offre standard.
Concernant la clause de confidentialité, elle rappelle que toutes les offres, qu'elle soit standard ou sur-mesure contiennent la même clause.
- Sur l'absence de lien de causalité et de préjudice,
La société Orange soutient que la société Cambio n'aborde pas la question du lien de causalité entre la prétendue discrimination à l'accès des LLA et son dommage. Elle rappelle que la société Cambio se prévaut de manquements relatifs aux LLA entre mai 2005 et février 2006 alors qu'elle prétend avoir été évincée du marché entre janvier 2001 et juillet 2005.
La société Orange explique que la société Cambio se contente de renvoyer à ses développements concernant les préjudices résultant des manquements sur les options 1 et 3. Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions signifiées conformément à l'article 455 du Code de procédure civile.
Sur ce,
1 - Sur l'accès de Cambio au marché du haut débit
La Selafa MJA, ès qualités de liquidateur de la société Cambio, recherche la responsabilité de la société France Télécom devenue Orange sur le fondement de l'article 1382, devenu 1240, du Code civil au motif que les agissements anticoncurentiels de cette dernière l'ont empêchée d'avoir accès au marché du haut débit.
Elle doit donc caractériser une faute de la société Orange, un préjudice et un lien de causalité entre la faute et le préjudice.
Elle soutient qu'en tant que titulaire d'un monopole sur la boucle locale en paires de cuivre, qui constitue une facilité essentielle au sens du droit de la concurrence, dont l'accès est de surcroît régulé par l'ART, la société Orange était tenue de permettre à ses concurrents d'accéder à cette infrastructure dans des conditions concurrentielles objectives et non discriminatoires, et que cette société n'a jamais respecté aucune de ses obligations à son égard. Elle fait valoir que la société Orange a ainsiabusé de sa position dominante sur l'option1 et sur l'option 3, ainsi que sur le marché de détail.
- Sur les fautes
Si le juge ne peut statuer par voie de référence à des décisions étrangères au litige, il ne lui est pas interdit d'apprécier au regard des pièces qui lui sont soumises, notamment des décisions et avis rendus par une autorité de régulation, les éléments du comportement de la partie poursuivie constitutifs d'une faute.
- Sur l'option 1
Ainsi que le précise la société Orange, l'option 1, soit 'le 'dégroupage de la boucle locale' est l'option dans laquelle la société Orange met à la disposition de ses concurrents la ligne de l'abonné, soit uniquement la boucle locale. Cette mise à disposition concerne soit le seul transport des communications haut débit (dégroupage partiel, le client conservant un lien avec la société Orange pour la téléphonie fixe), soit le transport de communications haut débit et bas débit (dégroupage total, le client n'a plus aucune relation avec la société Orange)'.
Selon la Selafa MJA, ès qualités, le décret du 12 septembre 2000 faisait obligation à la société Orange de mettre en œuvre le dégroupage au plus tard le 1er janvier 2001, 'dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires', c'est-à-dire dans des conditions concurrentielles et qu'il lui appartenait donc de proposer, ab initio, des conditions techniques et tarifaires du dégroupage concurrentielles et d'en permettre la mise en œuvre effective dès cette date, et qu'en prenant du retard dans la fourniture d'une offre de référence viable sur l'option 1 pendant près de deux ans, la société Orange a violé son obligation réglementaire. Elle en déduit qu'en exécutant de manière tardive et fautive le décret du 12 septembre 2000, la société Orange a commis une faute délictuelle vis-à-vis de ses concurrents.
Elle considère que la société Orange a également commis une faute sur l'option 1 en lui imposant des restrictions techniques et financières injustifiées et discriminatoires pour accéder à son infrastructure essentielle qu'est la boucle locale, contrairement à l'obligation qui lui était faite d'y donner accès dès le 1er janvier 2001, date à laquelle la société Orange aurait dû communiquer les informations utiles et nécessaires au dégroupage, à fin 2002, date du lancement commercial effectif du dégroupage. Elle ajoute que sur l'offre de localisation distante, la société Orange a également commis deux fautes engageant sa responsabilité délictuelle en lui fournissant avec un retard de plus de quatre ans une offre de dégroupage définissant des conditions tarifaires objectives, transparentes, non discriminatoires sur les sites de plus de 5 000 lignes, et en raison de la non orientation vers les coûts de l'offre de localisation distante et notamment des tarifs de génie civil, pour les sites de moins de 5 000 lignes.
La société Orange réplique qu'il n'existe aucun texte lui imposant la responsabilité de l'effectivité du dégroupage dès le 1er janvier 2001, ni aucune décision d'une autorité européenne ou nationale considérant qu'une telle responsabilité lui incombe. Elle ajoute qu'elle s'est conformée aux décisions de mise en demeure de l'ART de sorte que la procédure de sanction n'est jamais arrivée jusqu'à son terme et qu'aucune décision des autorités régulatrices n'a retenu l'existence d'un abus de position dominante de sa part concernant l'option 1. Elle fait valoir, en tout état de cause, l'absence de démonstration de lien de causalité du fait de l'absence de réalisation concrète de la part de la société Cambio pouvant laisser penser qu'elle pouvait se maintenir sur le marché.
Sur la colocalisation distante, elle conteste tout comportement fautif, faisant valoir qu'aucun texte réglementaire ne lui crée d'obligation concernant la colocalisation distante, sa seule obligation étant de prévoir l'hypothèse de cette colocalisation dans son offre de dégroupage, ce qu'elle a fait. Elle ajoute que dès 2003, elle a publié une grille tarifaire pour la colocalisation distante et que seule la colocalisation distante pour les grands répartiteurs (de plus de 5 000 lignes) faisait l'objet d'un devis.
Elle soutient enfin que la décision de l'ART n° 05-0277 ne fait aucune critique à son égard mais considère uniquement comme proportionné qu'elle propose aux opérateurs une offre de localisation distante de leurs équipements de dégroupage. La société Cambio a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 18 août 2000 avec pour activité le développement et la commercialisation de services de télécommunications.
Cette société, dont il n'est pas discuté qu'elle était auparavant dénommée Atout, a eu la volonté de développer une activité d'opérateur DSL (Digital Suscriber Line) sur le marché des petites entreprises (5 à 50 personnes) - option 1 - en partenariat avec la société QSC d'abord et seule ensuite.
Elle a obtenu par arrêté en date du 8 novembre 2000 l'autorisation d'établir et d'exploiter un réseau expérimental de télécommunications ouvert au public sur une zone de cinq kilomètres ce jusqu'au 15 janvier 2001. Elle a sollicité une prolongation de cette autoristion le 18 avril 2001 tout en précisant qu'elle ne pouvait satisfaire à l'obligation d'assurance imposée par l'opérateur historique en raison du coût de la police d'assurance responsabilité civile concernant les équipements ainsi qu'en témoignent les courriers adressés par M. Pitcho à la société France télécom devenue Orange le 18 avril 2001 (pièce 25 appelante) ou à l'ART les 6 et 11 juin 2001 (pièce 46 appelante). Cette autorisation a été renouvelée jusqu'au 31 décembre 2001.
Elle a également manifesté auprès de la société France télécom devenue Orange un certain nombre de griefs liés notamment à l'incompatibilité avec le développement de la concurrence s'agissant des conditions de la fourniture des informations essentielles liées au dégroupage (lettres adressées à Orange par la société Atout les 6 octobre 2000 - pièce 157 appelante) ainsi qu'à l'ART et les pouvoirs publics. Cette société a également participé à des groupes de travail avec d'autres opérateurs alternatifs et au groupe de travail Bravo sur l'expérimentation du dégroupage de la boucle locale.
Il ressort des éléments versés aux débats que :
Le règlement CE n° 2887/2000 du 18 décembre 2000 relatif au dégroupage de l'accès à la boucle locale, impose aux opérateurs notifiés (opérateur de réseau téléphonique public fixe qui a été désigné par les autorités réglementaires nationales comme puissant sur le marché de la fourniture de tels réseaux), de publier à partir du 31 décembre 2000 une 'offre de référence pour l'accès dégroupé à leur boucle locale et aux ressources connexes' et d'accéder à partir de cette date, 'à toute demande raisonnable des bénéficiaires visant à obtenir un accès dégroupé à la boucle locale et aux ressources connexes, à des conditions transparentes, équitables et non discriminatoires' (article 3), l'ensemble du système étant placé sous la surveillance des autorités réglementaires nationales, et ce notamment pour 'imposer des modifications de l'offre de référence pour l'accès dégroupé à la boucle locale ['], y compris les prix' (article 4).
Le décret n° 2000-881 du 12 septembre 2000 modifiant le Code des postes et télécommunications et relatif à l'accès à la boucle locale, a imposé notamment à la société France télécom devenue Orange de publier une offre de référence relative à l'accès à la boucle locale afin de répondre dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires aux demandes raisonnables d'accès à la boucle locale émanant de titulaires de l'autorisation d'exploiter prévue à l'article L. 33-1 du Code des postes et télécommunications. Ces dispositions sont entrées en vigueur le 1er janvier 2001. Dans le cadre du processus d'ouverture à la concurrence de ce marché du haut débit, l'ART, puis le Conseil de la concurrence, ont exercé leur contrôle sur les conditions dans lesquelles la société Orange, opérateur historique, avait satisfait aux obligations que son statut lui imposait.
Par décision n° 00-1326 du 14 décembre 2000, l'ART a mis en demeure la société France télécom devenue Orange de fournir entre le 2 janvier 2001 et le 1er mars 2001 la taille de chacun des répartiteurs par tranche de capacité de 5 000 paires et la surface disponible en m² pour la colocalisation.
Par décision n° 01-135 du 8 février 2001, l'ART a demandé à la société la société France télécom devenue Orange de préciser avant le 23 février 2001 les modalités des prestations définies dans l'offre qu'elle avait publiée le 22 novembre 2000 et d'en publier une nouvelle avant le 23 février 2001.
Par décision n° 01-354 du 4 avril 2001, l'ART a constaté, en substance, que la nouvelle offre publiée le 23 février 2001 par la société France télécom devenue Orange , ne répondait pas à ses attentes en matière de localisation distante et aux frais d'accès au service. L'ART a mis alors en demeure Orange de présenter une offre de référence respectant les termes de la décision du 8 février 2001, avant le 13 avril 2001.
Par décision n° 01-377 du 26 avril 2001, l'ART met en demeure Orange, conformément à l'avant-dernier alinéa de l'article D. 99-23 du Code des postes et télécommunications, de traiter les demandes de colocalisation des demandeurs d'accès à la boucle locale dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires, lui demandant de présenter d'ici le 10 mai 2001 les mesures qu'elle compte prendre pour respecter ces dispositions.
Par décision du 16 avril 2002, l'ART impose à Orange des modifications de son offre de référence.
Le 14 juin 2002, cette dernière publie une offre de référence pour le dégroupage, prenant en compte les nouvelles dispositions fonctionnelles et tarifaires. Le Conseil de la concurrence dans sa décision n° 05 D 59 du 7 novembre 2005 relative à des pratiques mises en œuvre par la société France télécom devenue Orange dans le secteur de l'internet haut débit, confirmée par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 4 juillet 2006, relève au paragraphe 131 pour motiver la sanction qu'il inflige à cette société en raison de l'infraction à l'article L. 420-2 du Code de commerce au titre de l'option 3 que, 'En l'espèce, l'importance du dommage à l'économie doit s'apprécier en prenant en compte que la pratique reprochée à France télécom s'est traduite par un retard important pris par l'entrée des opérateurs concurrents sur ce marché. Ce n'est qu'à partir du début de l'année 2003 que des offres alternatives à l'option 5 de France Télécom ont été proposées par des opérateurs téléphoniques concurrents de France Télécom, basées sur la mise en œuvre effective du dégroupage de la boucle locale (l'option 1), et par des offres basées sur l'utilisation des possibilités offertes par l'option 3. Dans l'avis n° 05-A-03 du 31 janvier 2005, le conseil de la concurrence constatait que la part de marché des opérateurs alternatifs sur l'offre de gros nationale (option 5) était passé de 0 % en janvier 2003 à 56% en octobre 2004".
S'il ne peut être déduit de ce qui précède, comme le fait la Selafa MJA, ès qualités, l'existence d'un abus de position dominante de l'opérateur historique concernant l'option 1, qui n'a pas été retenue par les autorités régulatrices, ou que la société Orange avait l'obligation de proposer une offre concurrentielle effective d'accès à la boucle locale dès le 1er janvier 2001, la mise en place du dégroupage nécessitant au préalable de définir les modalités techniques et fonctionnelles complexes ainsi que l'a relevé elle-même l'ART dans son avis du 7 janvier 2000, il n'en demeure pas moins que l'opérateur historique qu'est la société France télécom devenue Orange se devait de faire cette mise en place dans un délai compatible avec les impératifs économiques comme l'exigeaient les règles relatives à la concurrence et les termes du décret du 12 septembre 2000. Or, ce n'est qu'en suite de décisions et mises en demeure de l'ART jusqu'en avril 2002 que celle-ci a procédé à la publication d'une offre de référence relative à l'accès de la boucle locale correspondant à l'option 1 conforme aux attentes du régulateur.
En ne répondant pas à la demande de la société Cambio en publiant une offre de référence viable dans une délai compatible avec les impératifs économique, la société Orange a commis une faute au titre de l'option 1.
S'agissant de la colocalication distante, le règlement CE n° 2887/2000 du 18 décembre 2000 relatif au dégroupage de l'accès à la boucle locale précité, vise au point B 'service de colocalisation' de son annexe : '2. Possibilités de colocalisation sur les sites mentionnés au point 1 (y compris colocalisation physique et, le cas échéant, colocalisation distante et colocalisation virtuelle)', sans plus de précision. Dans sa décision n° 05-0277 du 19 mai 2005 l'ART considère comme 'proportionné que France télécom propose aux opérateurs une offre de localisation distante de leurs équipements de dégroupage dans des conditions techniques et économiques leur permettant la formulation d'offres de détail viables'.
Le 12 décembre 2003, la société France télécom devenue Orange a publié une grille tarifaire pour la colocalistion distante divisée entre les tarifs applicables aux câbles de renvoi entre les infrastructures de l'opérateur tiers et ses répartiteurs de moins de 5 000 lignes, pour lesquels une tarification précise était donnée, et les tarifs applicables aux câbles de renvoi entre les infrastructures de l'opérateur tiers et ses répartiteurs de plus de 5 000 lignes, pour lesquels un devis était requis. La grille tarifaire pour l'ensemble des répatiteurs a été proposée en 2005.
Toutefois, il ne peut être déduit de ce qui précède, comme le fait la Selafa MJA, ès qualités, un comportement fautif de la société Orange à son égard. Le document fourni au débat par l'appelante intitulé 'Analyse de l'offre de référence du 23 février 2001 en matière de dégroupage de la boucle locale' rédigé par elle-même et dans lequel elle critique notamment la pratique de prestation 'sur devis' de la société France télécom devenue Orange ne peut suffire à caractériser un manquement de la part de l'intimée. En outre, la décision n° 05-0277 du 19 mai 2005 précitée qui 'porte sur la détermination des obligations imposées à France télécom en tant qu'opérateur exerçant une influence significative sur le marché pertinent des offres de gros d'accès dégroupé à la boucle locale cuivre et à la sous-boucle locale cuivre', adoptée indépendamment de toute procédure de sanction prévue par l'article L. 36-11 du Code des postes et des communications électroniques, ne relève aucun manquement quant à la prestation 'sur devis' proposée par la société Orange concernant la colocalisation distante, manquement qui ne résulte pas plus de l'annexe de cette décision énumérant parmi les éléments que l'offre de référence devra comprendre 'a minima' une grille tarifaire notamment 'tous les tarifs liés à la colocalisation des équipements et tous les tarifs liés à l'environnement de la colocalisation'. De même, il n'est pas caractérisé par la Selafa MJA, ès qualités, que l'obligation de fournir une prestation de câbles de renvoi de manière transparente et non discriminatoire imposée par l'ART selon injonction du 8 février 2001(décision n° 01-135) et la mise en demeure du 4 avril 2001 (décision n° 01-354) , n'ont pas été respectées par la société Orange.
La Selafa MJA, ès qualités, échoue donc à caractériser un comportement fautif de la société Orange au titre de la colocalisation distante.
- Sur l'option 3
Selon la société Orange, l'option 3, soit 'l'accès à un circuit virtuel permanent', consiste à permettre à un opérateur de prendre livraison du trafic acheminé par Orange, sous un protocole spécifique, le protocole ATM (Asynchronous Transfer Mode), jusqu'à un point de livraison régional, devenu départemental par la suite'.
La Selafa MJA, ès qualités, considère que le refus de la société Orange de se conformer à l'obligation imposée par le Conseil de la concurrence jusqu'en 2003 constitue une faute particulièrement grave à l'égard de la société Cambio qui comptait sur l'option 3 pour lancer rapidement son activité DSL dans l'attente du dégroupage. Elle ajoute que la stratégie d'éviction menée par la société Orange l'a également été par le biais de prix prédateurs pratiqués sur le marché de détail par la société Wanadoo, filiale d'Orange, qui vendait des abonnements auprès de la clientèle résidentielle et des petites entreprises à un tarif toujours inférieur à ses coûts jusqu'en octobre 2002, pratique anticoncurrentielle condamnée par décision de la Commission européenne du 16 juillet 2003.
La société Orange ne conteste pas avoir été condamnée par décision n° 05-D-59 du 7 novembre 2005 du Conseil de la concurrence sur le fondement d'un abus de position dominante relatif à l'option 3.
Elle considère cependant que ces pratiques n'ont pas constitué une faute vis-à-vis de la société Cambio, l'abus sanctionné par le Conseil de la concurrence en 2005 n'ayant pas eu pour effet d'empêcher l'entrée de cette société sur le marché. Elle reconnaît également avoir été condamnée par la Commission européenne pour des pratiques de prix prédateurs mises en œuvre entre mars 2001 et octobre 2002, mais conteste l'impact de ces pratiques sur la société Cambio s'agissant non pas d'une restriction imposée à l'accès au réseau (sur le marché de gros), mais d'une pratique de prix bas vis-à-vis des clients finaux.
Par une décision n° 00-MC-01 du 18 février 2000 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société 9 Télécom Réseau, le Conseil de la concurrence a enjoint à la société France télécom devenue Orange de proposer aux opérateurs tiers une offre technique et commerciale d'accès au circuit virtuel permanent pour la fourniture d'accès à internet à haut débit par la technologie ADSL ou toute autre solution technique et économique équivalente permettant aux opérateurs tiers l'exercice d'une concurrence effective, tant pas les prix que par la nature des prestations offertes.
Par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 11 janvier 2005 rejetant le recours formé par France télécom devenue Orange contre la décision du Conseil de la concurrence n° 04-D-18 du 13 mai 2004 concernant l'exécution de la décision n° 00-MC-01 du 18 février 2000 précitée, et retenant que le tarif de l'offre ADSL Connect ATM proposé aux opérateurs le 1er décembre 2000, du fait de sa structure et de son niveau, ne permettait pas à ceux-ci de concurrencer de manière effective les offres de France Télécom destinées aux FAI, a en particulier relevé comme le Conseil de la concurrence '(...) que le non-respect de son injonction qui en soi constitue une pratique d'une gravité exceptionnelle, a permis à France télécom de fermer à la concurrence le seul canal technique, constitué par l'option 3 qui restait ouvert, et de rester sur le marché en situation proche du monopole'.
Statuant au fond, sur la saisine précitée de la société 9 Télécom Réseau, le Conseil de la concurrence a, par décision n° 05-D-59 du 7 novembre 2005, condamné la société France Télécom devenue Orange à une amende pour avoir empêché l'accès des opérateurs alternatifs au marché de l'ADSL, décision confirmée par arrêt de la cour d'appel de Paris le 4 juillet 2006.
Le 16 juillet 2003, la Commission européenne a en outre considéré que 'de mars 2001 à octobre 2002, la société Wanadoo interactive a enfreint l'article 82 du traité CE en pratiquant pour ses services eXtense et Wanadoo ADSL des prix prédateurs ne lui permettant pas de couvrir ses coûts variables jusqu'en août 2001 et ne lui permettant pas de couvrir ses coûts complets à partir d'août 2001, dans le cadre d'un plan visant à préempter le marché de l'accès à internet à haut débit dans une phase importante de son développement'.
Contrairement à ce que soutient la société Orange, cette dernière décision qui certes a trait au marché de détail, concerne également la cible visée par la société Cambio que sont les très petites entreprises (TPE) ainsi que l'a relevé le Conseil de la concurrence, statuant sur une saisine de la société T-Online France, dans sa décision 07-D-33 du 15 octobre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre pas la société Orange dans le secteur de l'accès à internet haut débit qui relève au paragraphe 59 : ' Les besoins de la plupart des petites entreprises (notamment les TPE, les artisans) en terme d'accès à Internet sont très largement similaires aux besoins des particuliers et les offres s'adressant à cette clientèle se rapprochent sensiblement des offres aux particuliers en proposant des services standards notamment avec des débits et ses systèmes de sécurisation standards. En revanche, la demande d'autres entreprises (souvent plus grandes) apparaît comme plus singulière, nécessitant des offres professionnelles spécifiques permettant notamment des débits plus élevés, des capacités d'hébergement de pages web plus importantes, des interfaces plus ou moins complexes avec les réseaux internes, une sécurisation renforcée. Dès lors, il apparaît pertinent de distinguer un marché des offres grand public standard (incluant celles adressées aux Small Office Home Office) et un marché des offres spécifiques aux professionnels répondant à des besoins singuliers. Cette position est celle à laquelle aboutissent les analyses menées par la Commission européenne dans la décision Wanadoo du 16 juillet 2003 (COMP/38.233) dans laquelle elle avait conclu que "l'accès à Internet haut débit pour la clientèle résidentielle se distingue de l'accès à Internet à haut débit pour la clientèle professionnelle " (§ 171)'.
Selon le rapport établi à la demande de la société Cambio par Mme Dominique Valentiny au mois de septembre 2010, 'Cambio se tourne dès mi 2001 vers l'option 3 en rachetant à Claranet des accès ADSL. Or très vite cette solution s'avère ne pouvoir être profitable du fait d'un écart trop faible entre les prix de gros et les prix de détail de France télécom. Cet effet de ciseau tarifaire est confirmé par le Conseil de la concurrence dans sa décision du 13 mai 2004".
Le 12 juillet 2001 la société Cambio a en effet conclu avec la société Claranet un contrat sur la mise à disposition d'une offre de collecte de trafic Internet haut débit en marque blanche à destination des fournisseurs d'accès internet en tirant parti de la couverture de son propre fournisseur Neuf télécom et de son savoir-faire en matière d'intégration de service.
Elle a également envisagé un contrat de partenariat commercial avec la société Télé 2 mentionnant en préambule que 'Télé 2 assure la commercialisation de l'offre d'accès Internet par ADSL auprès de ses clients finaux professionnels sous sa propre marque ... Cambio commercialise auprès de Télé 2 une prestation globale permettant à cette dernière de commercialiser elle-même auprès de ses propres clients finaux professionnels souhaitant participer au projet pilote une offre complète d'accès internet par ADSL' ... Il y est également précisé que 'les parties ont signé le 4 janvier 2002 un document contractuel reposant sur l'hypothèse d'une prestation ADSL Connect ATM (option 3 définie dans la synthèse de la consultation publique organisée par l'ART en 1999). Le démarrage du pilote était à l'époque envisagé pour le mois d'avril 2002. Ce document constituait un élément de négociation entre les parties ne les engageant pas définitivement. Une solution basée sur une prestation de dégroupage partiel (option 1 définie dans la synthèse de la consultation publique organisée par l'ART en 1999) a été retenue par les parties en vue de la conclusion du présent contrat'. Le contrat fourni au débat n'est toutefois pas signé.
La société Cambio fournit en outre aux débats divers documents émanant de la société France télécom devenue Orange notamment un projet de contrat pour la fourniture du service ADSL connect 'document de travail prospectif sans valeur contractuelle' daté en bas de pages du 14 avril 2000 établi à l'en-tête de la société France télécom devenue Orange qui ne mentionne pas le nom du co-contractant (pièce 107 appelante), différentes versions de l'offre 'ADSL Connest ATM' (offre ACA) de 2000, 2001 et 2004, ses modifications, conditions spécifiques du 1er novembre 2000, spécifications techniques du 1er décembre 2000, et 13 juin 2001, fiches tarifaires aux 1er juin et 1er juillet 2001.
Par courriel adressé par la société Atout (Cambio) à la société France télécom devenue Orange le 18 décembre 2000, celle-ci interrogeait l'opérateur notamment sur 'les différences Turbo Ip, ADSL ATM et ADSL Connect IP ainsi que sur les conditions spécifiques et les prix de chacune des offres' (pièce 111 appelante).
Le 22 février 2001, la société France télécom devenue Orange a fait une offre 'FreeSP ADSL' à la société Atout (devenue Cambio), 'offre de collecte IP destinée aux ISP/ASP ou aux entreprises qui souhaitant commercialiser des services à valeur ajoutée à une grande masse d'utilisateurs' qui correspond à l'option 5 soit la revente d'abonnement dans laquelle Orange assure elle-même la totalité du traitement jusqu'au point de présence national de l'opérateur alternatif.
Il résulte de ce qui précède que la société Cambio a bien montré un intérêt pour l'option 3 au cours des années 2000 et 2001, soit en y recourant directement, soit par le biais d'un accord de distribution ou d'un projet de contrat de prestation, et a également sollicité une offre correspondant à une des composantes de l'option 5 (FreeSP) seule offre de gros ouverte en l'absence d'une offre option 3.
Le refus de la société Orange de fournir une offre option 3 concurentielle jusqu'au 15 octobre 2002 ainsi que la pratique des prix prédateurs de la société Wanadoo sur le marché du détail à laquelle se sont heurtées les fournisseurs d'accès à internet, les tarifs de l'option 5 et notamment ceux de la composante 'FreeSP' ne permettant pas de répliquer les tarifs pratiqués par la société Wanadoo, sont autant de comportements fautifs de la société Orange à l'égard de la société Cambio.
- Sur le préjudice en lien causal
S'agissant de la réparation d'une perte de chance, outre que le préjudice doit être direct, la perte de chance doit être certaine ce qui suppose la disparition certaine d'une éventualité favorable.
Sur le lien de causalité entre les fautes précédemment caractérisées et le préjudice invoqué, la Selafa MJA, ès qualités, fait valoir que les nombreuses manœuvres dilatoires de la société Orange, systématiques et renouvelées pendant plus de 17 mois, soit jusqu'au 15 octobre 2002, pour empêcher les opérateurs alternatifs de recourir à l'option 1 ont eu raison de son plan d'affaires initial fondé sur le dégroupage et sont donc responsables de son abandon.
Ainsi que l'a relevé le tribunal, si la société Cambio a bien participé à la phase expérimentale et a démarré un partenariat avec la société QSC, cette dernière a, par courriel du 6 novembre 2000 sans motif explicite, mis fin au projet envisagé avec la société Cambio.
De même, selon le rapport d'expertise élaboré en établi à la demande de la société Cambio par Mme Dominique Valentiny (pièce 39 appelante) : 'Très vite Cambio se rend compte que le modèle de niche de Cambio et son statut de jeune entreprise ne lui permettent pas d'envisager la colocalisation dans les locaux de FT : les coûts fixes et les garanties financières (plusieurs dizaines de millions) demandées ne sont pas envisageables pour un opérateur s'adressant à un marché de niche. Cela se vérifiera lorsque l'Arcep publiera son modèle du coût de l'accès dégroupé début 2005. Cambio se tourne donc dès mi 2001 vers l'option 3 en rachetant à Claranet des accès Adsl...'
Enfin, il n'est pas contesté que l'option 1 requiert de l'opérateur alternatif des investissements importants s'augmentant à plusieurs millions d'euros. Or, la société Cambio ne démontre pas qu'à l'époque des agissements anti concurrentiels de la société Orange, reconnaissant elle-même que l'option 1 a été mise en œuvre de manière effective à compter de 2003, elle avait la capacité financière de participer à celle-ci.
Le plan d'affaires que la société Cambio fournit au débat (pièce 47), outre qu'il n'est pas daté, ne mentionne aucune source de financement autre que les apports en capital de son fondateur M. Pitcho.
Les autres éléments qu'elle communique, soit une aide de l'ANVAR de 100 000 euros attribuée le 23 novembre 2003 (pièce 22 appelante), des extraits de relevés de compte de la société Cambio faisant apparaître des versements de 38 000 euros en décembre 2000, 36 000 euros en février 2001, 10 000 euros en juillet 2003, 50 000 euros en décembre 2003 et 10 000 euros en novembre 2006, le grand livre des comptes généraux ainsi que l'attestation en date du 17 janvier 2015 de M. Flandin témoignant avoir participé, en tant que membre de l'association XMP-BA (business angels des anciens de l'école Polytechnique), à une prise de participation en numéraire dans la société Cambio sans précsion de date ou de montant,ou un contrat de recherche de financement (pièce 40 appelante) conclu le 30 novembre 2001 entre la société Cambio et la société Multeam pour une durée de trois mois sans justification d'une proposition de financement obtenue, ne corroborent nullement les affirmations de l'appelante selon lesquelles elle aurait bénéficié de 576 000 euros de financements externes, et ne peuvent en tout état de cause, suffire à démontrer que la société Cambio était susceptible de disposer des fonds nécessaires à sa participation à l'option 1.
S'agissant de l'option 3, s'il peut être retenu comme le soutient la société Cambio, que la société Orange ne peut lui reprocher de ne pas avoir candidaté à cette option alors qu'elle est l'instigatrice de la fermeture du marché concernant celle-ci et qu'il était pratiquement impossible de concurrencer la société Orange sur le marché de l'ADSL pendant les années 2000 et 2001, il n'en demeure pas moins qu'il appartient à la société Cambio de démontrer qu'en l'absence des faits reprochés à la société Orange, elle avait une chance de pénétrer le marché. Or, aucun élément autre que le rapport établi en 2010 par Mme Dominique Valentiny à la demande de l'appelante ne vient conforter la thèse selon laquelle le contrat signé avec la société Claranet 12 juillet 2001 n'a pas été poursuivi en raison des pratiques anticoncurrentielles de la société Orange.
S'il ressort des échanges entre la société Cambio et la société Claranet aux mois de septembre et octobre 2001 (pièces 123 à 125 de l'appelante) que la couverture géographique de l'offre Claranet était liée à l'offre Adsl Connect ATM (ACA) de la société Orange, il convient de relever que cette couverture n'avait qu'une valeur indicative dans le contrat et que, selon la société Claranet, elle ne pouvait faire l'objet de réserve de la part de la société Cambio. De même, la société Cambio échoue à démontrer que le partenariat avec la société Claranet ne pouvait prospérer en raison de l'effet de ciseau tarifaire imposé par la société Orange sur l'offre ACA.
Le contrat avec la société Télé 2 fourni au débat (pièce 171 appelante) n'est ni daté, ni signé. La Selafa MJA, ès qualités, affirme que ce partenariat n'a pas été poursuivi par la société Télé 2 en raison des pratiques anti- concurrentielles de la société Orange et de sa filiale Wanadoo. Toutefois, ainsi que le fait valoir l'intimée, l'attestation de Mme Fleur Thesmar fournie au débat pour corroborer cette affirmation n'est pas conforme à l'article 202 du Code de procédure civile en ce qu'elle n'est pas datée et ne comporte pas en pièce jointe un document justifiant de l'identité du signataire. La cour juge en conséquence que cette attestation ne présente pas en l'espèce de garantie suffisante pour emporter sa conviction et ne sera pas prise en considération.
En outre, ainsi que le fait remarquer la société Orange, ce contrat suggère que la société Cambio est chargée de prestations de services techniques auprès de la société Télé 2 qui, elle, est titulaire de la licence d'opérateur du réseau (article L. 33-1 du Code des postes et télécommunications). En conséquence, ce projet de partenariat démontre que la société Cambio ne pouvait pas signer un contrat fondé sur l'option 3 après l'expiration de sa licence expérimentale le 31 décembre 2001 dont elle n'a pas sollicité la prolongation.
Surtout, ainsi qu'il a été précédemment relevé, la société Cambio ne démontre pas sa capacité à réunir des fonds dès l'année 2000 lui permettant d'accéder en direct au marché de l'option 3.
Aucun élément ne vient donc corroborer les affirmations de l'appelante selon lesquelles elle a abandonné ses projets sur l'option 3 en raison des seules pratiques anti-concurrentielles de la société Orange.
Aussi, la société Orange aurait-elle publié une offre de référence viable dans un délai compatible avec les impératifs économiques et répondu à la demande de la société Cambio dès 2001, cette dernière échoue à démontrer qu'elle était dans la capacité de participer au dégroupage de la boucle locale (option 1 ou option 3).
Le jugement déféré sera en conséquence confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de la la Selafa MJA, ès qualités, à ce titre.
2- Sur l'accès de la société Cambio aux liaisons louées analogiques (LLA)
- Sur la faute
La Selafa MJA, ès qualités, reproche à la société Orange des retards injustifiés dans le traitement de sa demande d'accès. Elle considère que ce refus d'accès manifestement contraire aux dispositions réglementant les télécommunications (articles D. 309 du Code des postes et communications électroniques) est fautif et discriminatoire, la société Orange ayant traité d'autres demandes très rapidement. Elle ajoute que la société Orange lui a imposé des conditions abusives en exigeant qu'elle signe un contrat de confidentialité assorti d'un clause pénale de 500 000 euros qu'elle n'a pas imposé à d'autres opérateurs et que cette pratique discriminatoire est un comportement constitutif d'une pratique restrictive de concurrence aux termes des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce alors applicables. Elle précise que l'ART a imposé à la société Orange dès le 15 décembre 2000, l'obligation de faire droit à toute demande raisonnable de LLA, à un tarif orienté vers les coûts et dans des conditions prévues dans son catalogue d'interconnexion soumis à la validation de l'ART et du ministère compétent.
La société Orange réplique que la demande d'accès de la société Cambio ne porte pas sur une prestation LLA standard mais sur une prestation de collecte de liaisons louées analogiques (CLLA), qu'il y a été répondu trois mois après la commande. Elle réfute toute discrimination par rapport à deux autres opérateurs ou quant à la clause de confidentialité.
Il apparaît selon les éléments fournis au débat que par lettre du 4 mai 2005 (pièce 34 appelante) la société Cambio a formé auprès de la société France télécom devenue Orange une demande d'offre sur mesure de LLA.
Par lettre du 10 février 2006 adressée à la société France télécom devenue Orange, et ayant pour objet 'notre demande d'offre sur mesure', la société Cambio récapitule les étapes des échanges entre ces deux sociétés qui débutent le 9 mars 2015 avec la 'transmission par Cambio de 5 bons de commande de liaisons analogiques avec la continuité métallique comme condition expresse' et non le 6 juin 2014 comme le soutient la société Cambio, la pièce qu'elle fournit pour étayer cette affirmation (pièce 31 appelante) étant un procès-verbal de recette d'une société Normart en date du 6 juin 2004 à en-tête de la société Cambio et validé par cette dernière.
Il ressort de ce courrier que la société Orange a tout d'abord contacté la société Cambio par téléphone dès le 18 mars 2005 pour 'indiquer à Cambio l'impossibilité de livrer lesdites liaisons en continuité métallique' et que le 15 juin 2015 cette même société (pièce 33 appelante) précisait à la société Cambio qu'elle pouvait envisager de proposer une offre dès lors qu'elle connaîtra les particularités des besoins effectifs notamment en terme de volume en l'informant par ailleurs que toute étude des modalités d'une telle offre sera basée sur les critères d'éligibilité technique qu'elle énumère et que s'en est suivie une série d'échanges pour la mise en place de cette offre sur mesure qui a été finalisée le 24 février 2006.
Ainsi que le relève la société Orange, la demande de la société Cambio n'est pas une simple demande de LLA mais une demande d'offre sur mesure. La société Cambio n'invoque donc pas utilement l'obligation de la société Orange de faire droit à toute demande raisonnable de LLA, à un tarif orienté vers les coûts et dans des conditions prévues dans son catalogue d'interconnexion soumis à la validation de l'ART et du ministère compétent.
Il ressort de ce qui précède que la faute tenant au retard dans le traitement de la commande n'est pas caractérisée, ces délais tenant aux négociations pour la mise au point de cette offre sur mesure.
Il en va de même de la discrimination invoquée par la Selafa MJA, ès qualités,à l'égard des délais de traitement de ses commandes, les réponses de la société Orange aux deux demandes de précision de sociétés tierces (pièces 90 et 91 appelante) sur une offre commerciale de 'collecte de liaisons louées analogiques' ayant été traitées dans des délais et termes équivalents que celle de l'appelante en proposant une solution dès la connaissance des besoins effectifs des clients. Cette discrimination ne résulte pas plus de la fourniture en deux mois d'une offre 'IP ADSL' par la société Orange à la société Neuf télécom en 2000, s'agissant d'une offre standard concernant l'option 5 et non d'une demande d'offre de LLA sur mesure.
Sur les conditions abusives imposées par la société Orange tenant au montant de la clause pénale de 500 000 euros prévue dans le projet de contrat de confidentialité, il sera relevé que contrairement à ce que soutient la Selafa MJA, ès qualités, ce n'est pas la lettre du 15 juin 2005 susvisée (pièce 33 appelante) que lui a adressée la société France Télécom devenue Orange mais celle du 26 avril 2006 qui mentionne cet accord comme condition d'accès à l'offre LLA sur mesure. Or, cette lettre est communiquée de manière tronquée (pièce 36 appelante), la deuxième page du courrier comportant les éléments de réponse de la société France télécom devenue Orange 'qui devraient permettre la signature dudit accord' et répondant aux critiques de la société Cambio s'agissant de l'accord de confidentialité, n'est pas fournie.
En outre, le caractère disproportionné de cette clause pénale n'est pas établi par la Selafa MJA, ès qualités. En effet, s'agissant d'une demande d'offre de LLA sur mesure, celle-ci n'invoque pas utilement que l'offre de la société Orange n'était pas spécifique ou différente de son offre publique.
Par ailleurs, le caractère disproportionné de cette clause par rapport à ses facultés contributives est inopérant.
Enfin, la Selafa MJA, ès qualités, échoue à démontrer le caractère discriminatoire de cet accord de confidentialité qui ne serait pas imposé aux autres demandeurs, les courriers qu'elle verse au débat faisant mention d'accord de confidentialité qui empêchent la société Orange de divulguer la nature de ses engagements avec d'autres opérateurs.
La discrimination invoquée par la Selafa MJA, ès qualités, notamment au visa de l'article L. 442-6 du Code de commerce n'est pas établie.
Aucun comportement fautif de la société Orange vis-à-vis de la société Cambio n'étant caractérisé s'agissant de sa demande d'accès aux LLA, le jugement déféré sera également confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de la Selafa MJA, ès qualités, à ce titre.
- Sur les autres demandes
Partie perdante, la Selafa MJA, ès qualités de liquidateur de la société Cambio, sera condamnée aux dépens et à payer à la société Orange, en application de l'article 700 du Code de procédure civile, une indemnité qui sera, en équité, fixée à la somme de 15 000 euros.
Par ces motifs LA COUR, Confirme le jugement entrepris ; Vu l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la Selafa MJA, ès qualités de liquidateur de la société Cambio, à payer à la société Orange la somme de 15 000 euros ; Condamne la Selafa MJA, ès qualités de liquidateur de la société Cambio, aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.