CA Douai, 2e ch. sect. 1, 29 novembre 2018, n° 17-03747
DOUAI
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Confort et Harmonie (SARL)
Défendeur :
Arte France (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Marie Annick Prigent
Conseillers :
Mmes Vercruysse, Molina
Avocats :
Mes Deleforge, Baladine, Debosque, Willems
Faits et procédure
Le 06 octobre 2012, il a été passé commande à la société Confort et Harmonie de la confection, livraison et pose de rideaux en laine, ainsi que de la confection pour l'aménagement d'une chambre, pour un montant total de 20 101,41euros TTC.
Dans le cadre de la confection des rideaux, la société Confort et Harmonie s'est fournie en drap de laine mérinos collection Flamant, auprès de la société Arte France, pour un montant total de 5.588,00 euros HT.
La fiche d'information du tissu en laine mérinos indiquait un rétrécissement maximum de 3%, sans préciser si ce rétrécissement intervenait au lavage et à la pose, ni dans quelles conditions hygrométriques.
Lors de l'installation, la cliente de la société Confort et Harmonie a constaté sur les rideaux un phénomène de rétractation et de dilatation, générant des variations de longueur et a donc refusé l'installation des rideaux restants, ne procédant pas au règlement du solde du prix, soit 2 101,41 euros TTC.
Le 27 mars 2013, la cliente a délivré, à ladite société, une lettre de mise en demeure, dans laquelle elle lui a indiqué qu'elle refusait la livraison des rideaux litigieux et en a demandé le remboursement.
En avril 2013, la société Arte France a informé la société Confort et Harmonie qu'elle ferait procéder à une expertise des rideaux.
Le 16 mai 2013, l'assureur de protection juridique Aviva de la société Confort et Harmonie a proposé à la société Arte France que le présent litige soit résolu à l'amiable, et sans réponse de sa part, l'a mise en demeure de bien vouloir répondre à sa demande de résolution amiable du dossier.
Le 10 juin 2013, la société Arte France a réfuté tout problème de qualité sur le produit vendu en estimant, après un test réalisé par la société Servaco, que le phénomène de rétractation des rideaux restait en dessous des 3%, comme indiqué sur la fiche technique du tissu, produite à l'occasion de cette expertise.
Le 20 novembre 2013, la société Eurexo PJ, mandatée par la société Aviva, assureur de la SARL Confort et Harmonie, a procédé à une expertise contradictoire et a constaté que les rideaux étaient instables aux variations de température et par conséquent non conformes .
L'assureur a ainsi sollicité, en accord avec l'ensemble des parties, que M. Jean Paul P., tapissier et expert près la cour d'appel de Paris, donne un avis sur les éventuels désordres et la responsabilité.
Le 10 février 2014, M. Jean Paul P. a rendu son rapport d'expertise, concluant à la non conformité du produit.
Par courrier du 20 mars 2014, la société Arte France maintient avoir délivré un produit conforme , et a cependant concédé être disposée à faire un geste commercial afin de régler le litige à l'amiable, accordant à la société Confort et Harmonie une remise de 30 % sur le montant global de 5 588,00 euros HT de la facture 079544 du 30 novembre 2012, soit une somme 1 676,40 euros HT, à valoir sur les futures commandes. Cette proposition a été refusée par la société Confort et Harmonie.
Par acte d'huissier, en date du 10 mars 2016, la SARL Confort et Harmonie a fait assigner la SARL Arte devant le tribunal de commerce de Lille aux fins de voir reconnaître la responsabilité de la SARL Arte France du fait de la non conformité du tissu acheté et obtenir la condamnation de celle ci à la réparation du préjudice subi.
Par jugement contradictoire en date du 02 mai 2017, le tribunal de commerce de Lille Métropole a :
- déclaré recevable et bien fondée la demande de la SARL Confort et Harmonie,
- débouté la SARL Confort et Harmonie de toutes ses demandes,
- condamné la SARL Confort et Harmonie à payer à la SARL Arte France la somme de 2.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile dont distraction au profit de Me Debosque Bertrand et Me Willems Luc,
- débouté la SARL Arte France de sa demande de remboursement de ses frais d'expertise,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- condamné la SARL Confort et Harmonie aux entiers dépens, taxés et liquidés à la somme de 81,12 euros,
- débouté les parties de toutes leurs autres demandes plus amples ou contraires.
Par déclaration en date du 14 juin 2017, la SARL Confort et Harmonie a interjeté appel sur l'ensemble des dispositions de la décision.
Prétentions
Par dernières conclusions signifiées le 12 septembre 2017, la société Confort et Harmonie demande à la cour d'appel au visa de l'ancien article 1134 du Code civil, des anciens articles 1147, 1184 du Code civil, et des articles 1603 et suivants du Code civil, de :
- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Lille en date du 2 mai 2017 en toute ses
dispositions,
Par conséquent, statuant à nouveau,
- prononcer la résolution de la vente par la société Arte France de draps de laine à la société Confort et Harmonie, selon facture du 30 novembre 2012,
- condamner la société Arte France à payer à la société Confort et Harmonie :
la somme de 5 588 euros hors taxes au titre du remboursement du prix de la chose vendue, la somme de 5 690 euros au titre du préjudice patrimonial, la somme de 2 000 uros au titre du préjudice d'image, la somme de 2 000 euros de dommages intérêts au titre du préjudice moral, la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, dont distraction au profit de la SCP Deleforge & Franchi,
condamner la société Arte France aux entiers dépens de l'instance, incluant les frais d'expertise, au titre de l'article 699 du Code de procédure civile.
La société Confort et Harmonie fait valoir que :
- le drap de laine est non conforme à sa destination, soit la confection de rideaux en raison de sa non stabilité dimensionnelle,
- la société Arte France a manqué à son obligation de délivrance en lui vendant un bien impropre à sa destination contractuelle,
- elle a dû engager des frais pour la confection et la pose des rideaux, ainsi que pour la rémunération de la main d'œuvre affectée aux vaines tentatives successives de mise en état des rideaux,
- elle a subi un préjudice d'image lié au refus par la cliente d'accepter les rideaux en raison du défaut de qualité du tissu et un préjudice moral résultant des rendez vous et déplacements inutiles.
Par ordonnance, du 22 mars 2018, le magistrat de la mise en état a déclaré irrecevables les conclusions signifiées le 1er décembre 2017 par la SARL Arte France.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, pour plus ample exposé des moyens, il est renvoyé au dernières écritures des parties.
Motifs de la décision
À titre liminaire, il y a lieu de préciser qu'il sera fait application des dispositions du Code civil dans leur version antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve de l' obligation .
Sur le manquement à l' obligation de délivrance pour défaut de conformité
Selon l'article 1134 du Code civil, 'Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi'.
L'article 1604 du Code civil énonce que 'la délivrance est le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l'acheteur'.
L'article L. 110-3 du Code de commerce consacre le principe de la liberté de la preuve des actes de commerce à l'égard des commerçants.
Il est constant que la délivrance doit porter sur la chose vendue, telle que celle ci a été définie par les parties dans le contrat, mais qu'en outre le bien doit présenter les qualités et caractéristiques que l'acquéreur est en droit d'en attendre, celles ci s'appréciant notamment au regard des qualités convenues entre les parties.
Le vendeur professionnel est tenu d'un devoir de conseil et d'une obligation de renseignement. Il lui appartient ainsi de se renseigner sur les besoins de l'acheteur afin d'être en mesure de l'informer quant à l'adéquation de la chose proposée à l'utilisation qui en est prévue.
Il est débiteur de cette obligation et doit justifier de son exécution.
Le seul document contractuel fourni est la facture en date du 30 novembre 2012 portant sur l'achat de :
-10 mètres de tissu Mérinos
-106 mètres de tissu Mérinos
-12 mètres de tissu Mérinos
pour un montant de 5 588 euros HT
Il est également produit le devis réalisé par la société Confort et Harmonie pour sa cliente, devis portant sur la confection de 13 paires de rideaux.
La société Confort et Harmonie a pris possession du tissu commandé. Elle a confectionné les rideaux d'une longueur de trois mètres.
Lors de la vente de tissu, le vendeur doit s'enquérir de sa destination afin de fournir un produit adapté à l'utilisation recherchée et à l'exigence du client.
Après confection, la société Confort et Harmonie a constaté qu'il était impossible de stabiliser le tissu qui se détendait ou se rétractait et la cliente qui souhaitait des rideaux rasant le sol, a refusé la commande des rideaux.
Il n'est pas contesté que lorsque le chauffage est en fonction, les rideaux se rétractent et se dilatent en traînant sur le sol lorsque le chauffage est coupé.
Un laboratoire a effectué un test, à la demande de la société Arte France. Il en est résulté
que les tolérances de rétractation de l'ordre de 3% étaient conformes au cahier des charges du fabricant. Il n'est cependant pas précisé sur le pictogramme dans quelles circonstances, cette variation est susceptible d'intervenir.
Il n'est pas démontré qu'au moment de la commande, la société Confort et Harmonie a reçu cette information.
Par courriel envoyé le 04 février 2013 à la société Confort et Harmonie, la société Arte France répond ainsi à sa réclamation : 'après vérification, ce tissu constitué de fibres naturelles est sensible à l'humidité et à la chaleur, ce qui expliquerait les phénomènes rencontrés. Ce tissu n'est pas stable puisqu'il réagit à la température.
Nous n'avons malheureusement pas de conseil à vous donner pour la confection de ce tissu car celui ci bougera toujours à cause de son origine naturelle.'
Un avis a été demandé à M. Jean Paul P., expert judiciaire tapissier, dont il résulte l'analyse suivante :
'Certains produits naturels comme notamment la soie, le lin, mais aussi parfois la laine et le coton, sont reconnus comme sujets à des variations de longueur. Ces variations sont constatées en fonction de la chaleur et de l'humidité ambiante, mais aussi et surtout en fonction des modes de procès de fabrication utilisés (depuis la teinture, le tissage, le foulage et le calandrage, entre autres techniques ... , bien souvent considérées comme des secrets de fabrication) avec ou non une fibre mélangée (polyamide, nylon ou polyester, même en faible quantité, quelques %) qui, à défaut de complètement les stabiliser, amoindri considérablement le phénomène "d'allongement rétrécissement".
" Il est important de noter que sur le tarif de vente d'ARTE France, rien n'est indiqué sur la stabilité dimensionnelle du produit, par contre, sur un autre document, toujours édité par ARTE France, il est spécifié qu'un rétrécissement peut être constaté jusqu'à maximum 3%.
Il n'est pas précisé si cette indication de rétrécissement est le résultat observé suite à un nettoyage (comme l'entendent de nombreux éditeurs de tissus) ou le fruit d'une instabilité dimensionnelle suite aux mouvements de chaleur et d'hygrométrie. Pour autant, ce qui est incroyable mais bien réel, c'est que juste sous cette information, 2 pictogrammes sont représentés, signalant la préconisation d'emploi du tissu : l'un à destination du 'siège confortable' et l'autre à destination de la confection de rideaux ! "
Ce phénomène d'instabilité, pour certains textiles notamment en fibres naturelles, est plus ou moins sensible suivant les traitements de fabrication qu'ils ont subi. Le traitement SANFOR, entre autre, est souvent utilisé pour des textiles auxquels on veut conférer une stabilité dimensionnelle. Par comparaison, les textiles en fibres synthétiques comme les polyesters, restent insensibles aux variations hygrométriques, donc de stabilité constante.
L'expert conclut que la stabilité d'un tissu résulte de sa matière mais également de la qualité du tissu et du traitement qu'il a reçu.
En l'espèce, le tissu n'est pas stable et manifestement non adapté à sa destination de confection de rideaux ; pour autant, il est mentionné sur la fiche technique que le tissu est destiné à la confection de rideaux.
Il ne peut être remédié au défaut que présente le tissu puisque malgré les retouches effectuées, le phénomène "d'allongement rétrécissement" persiste.
Il n'est pas démontré qu'au moment où la société Confort et Harmonie a contracté, elle a été informée de cette caractéristique du tissu. Le fait que la société Confort et Harmonie soit un professionnel de l'ameublement ne dispensait pas le vendeur de délivrer l'information dans la mesure où le tissu vendu était présenté comme du tissu pour la confection de rideaux et que la caractéristique qu'il présentait constituait une réserve sérieuse quant à sa conformité à la destination préconisée.
Il y a lieu de constater que le tissu livré n'est pas conforme à la destination convenue entre les parties soit la confection de rideaux.
Sur la demande de résolution du contrat et le préjudice
L'article 1184 du Code civil énonce que la condition résolutoire est toujours sous entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement.
Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est
possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts.
La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances.
La société Confort et Harmonie est fondée du fait de la non conformité du tissu, à solliciter la résolution de la vente et la restitution de la somme de 5588 euros HT correspondant au prix du tissu ; elle devra restituer la marchandise livrée en l'état à la société Arte France.
Les frais de confection et de pose des rideaux se sont élevés à :
- 4 050 Euros HT pour la confection de 13 paires de rideaux, aux termes de la facture en date du 30 novembre 2012
- 840 Euros HT pour les frais de main d'œuvre et de retouche des rideaux défectueux, aux termes de la facture du 22 mai 2013
La société Confort et Harmonie sera indemnisée à hauteur de ces deux sommes dépensées en vain.
Les honoraires de M. P., expert près la Cour d'appel de Paris, constituent des frais non compris dans les dépens et doivent être inclus dans les frais sollicités au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Confort et Harmonie a également subi un préjudice d'image en fournissant à une cliente habituelle des rideaux dont le tissu et donc la tenue n'était pas stable, la commande ayant été refusée.
La société Arte France devra verser à la société Confort et Harmonie la somme de 1 000 euros en réparation de ce préjudice. En revanche, il ne sera pas alloué au surplus une somme en réparation d'un préjudice moral résultant du désagrément causé par l'affaire, ce préjudice n'étant pas différent de celui couvert par les frais irrépétibles.
Sur l'article 700 Code de procédure civile
La société Arte France sera condamnée à payer à la société Confort et Harmonie la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles.
Par ces motifs LA COUR Infirme le jugement en toutes ses dispositions, Prononce la résolution du contrat de vente portant sur du tissu en laine entre la société Arte France et la société Confort et Harmonie, selon facture en date du 30 novembre 2012, Condamne la société Arte à payer à la société Confort et Harmonie : - la somme de 5 588 euros HT correspondant au prix du tissu - la somme de 4 050 Euros HT pour la confection de 13 paires de rideaux, - la somme de 840 Euros HT pour les frais de main d'œuvre et de retouche des rideaux, - la somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice d'image, Ordonne à la société Confort et Harmonie de restituer à la société Arte France le tissu vendu, dans son état actuel, Condamne la société Arte France à payer à la société Confort et Harmonie la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles, Rejette toute autre demande, Condamne la société Arte France aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 Code de procédure civile.