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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 29 novembre 2018, n° 16-08588

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Eurotiss (SARL)

Défendeur :

Cosi (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Schaller

Conseillers :

Mmes Soudry, Moreau

Avocats :

Mes Monta, Caresche, Smadja

T. com. Paris, du 8 févr. 2016

8 février 2016

Faits et procédure

La société Eurotiss a pour activité principale la profession d'agent commercial dans la vente de textiles sur le marché français.

La société Cosi est spécialisée dans la fourniture de tissus produits en Italie exclusivement pour le marché français.

Par acte du 21 novembre 2009, la société Eurotiss a acquis la société Boussion et s'est substituée dans les droits et obligations de celle-ci. Par acte de cession de contrat d'agence commerciale du 26 novembre 2009, notifié à la société Cosi le 29 décembre 2009, la société Eurotiss a succédé à la société Bouisson en qualité d'agent commercial de la société Cosi.

Les sociétés Eurotiss et Cosi ont poursuivi leurs relations entre 2010 et 2013, l'année 2012 étant marqué par un pic du chiffre des commissions. Au cours de l'année 2013, concomitamment à la crise du secteur du textile, des divergences sont apparues entre les parties, la société Eurotiss reprochant à la société Cosi des prises directes de rendez-vous puis d'ordres auprès de ses clients, comme des commissions non réglées, et la société Eurotiss lui faisant grief d'avoir, de fait, depuis septembre 2013, cessé toute nouvelle action de prospection et de se contenter de recevoir des commandes de réassortiment.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 10 mars 2014, la société Eurotiss a mis en demeure la société Cosi de lui payer les commissions dues au 31 décembre 2013 ainsi qu'une indemnité de rupture du contrat d'agence commerciale.

Par acte délivré le 25 août 2014, la société Eurotiss a assigné la société Cosi en vue de la voir condamner au paiement d'une indemnité compensatrice de la rupture du contrat d'agence commerciale et au règlement de diverses sommes à titre de commissions dues sur factures.

Par jugement rendu le 8 février 2016, le tribunal de commerce de Paris a :

- condamné la société Cosi à régler à la société Eurotiss la somme de 6 804,88 euros au titre du solde des commissions restant dues ;

- débouté la société Eurotiss de sa demande de paiement d'une indemnité compensatrice au titre de la rupture du contrat d'agence commerciale ;

- débouté la société Cosi de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts ;

- condamné la société Cosi à payer à la société Eurotiss la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ; - ordonné l'exécution provisoire du présent jugement ;

- condamné la société Cosi aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 euros dont 13,52 euros de TVA.

Vu l'appel interjeté le 13 avril 2016 par la société Eurotiss à l'encontre de cette décision ;

Vu les dernières conclusions notifiées le 3 novembre 2016 par la société Eurotiss, appelante, par lesquelles il est demandé à la cour, sur le fondement des dispositions des articles L. 134-1 à L. 134-7 du Code de commerce et 1315 du Code civil de :

- dire recevable et bien fondé l'appel interjeté par ses soins ;

- dire que la société Cosi a commis des fautes graves dans le cadre de l'exécution du contrat d'agence commerciale qui l'ont empêché d'exercer son mandat et l'ont contrainte à mettre un terme à leurs relations commerciales ;

En conséquence,

- infirmer partiellement le jugement rendu par la 13ème chambre du tribunal de commerce de Paris en date du 8 février 2016 en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en indemnité de rupture du contrat d'agence commerciale ;

- condamner la société Cosi à lui verser la somme 47.929,09 euros HT au titre de l'indemnité compensatrice de rupture de leurs relations commerciales ;

- débouter la société Cosi de l'intégralité de ses demandes reconventionnelles ;

- condamner la société Cosi à lui verser la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

Moyens :

La société Eurotiss soutient que la société Cosi a commis des manquements dans l'exécution du contrat d'agence commerciale conclu avec elle, tenant au non-respect de l'exclusivité sur la collection Cosi dont elle bénéficiait en sa qualité de seul agent commercial de ladite société, la société Cosi ayant traité directement avec certains clients sans l'en informer préalablement et hors sa présence, ce dont elle n'a eu connaissance que tardivement à compter du mois de juillet 2013 et de manière fortuite, et sans lui régler les commissions dues à ce titre, ce qui a justifié sa condamnation par le tribunal de commerce au paiement d'un solde de commissions conséquent, relatif à treize factures dissimulées émises fin 2013 et au cours du semestre 2014, celles-ci n'étant pas comptabilisées dans les relevés de commissions qui lui ont été adressés et ayant été communiquées en cours de procédure, étant précisé que lors de la reprise du contrat d'agence commerciale, la société Cosi ne l'a pas informée d'une pratique prétendue de traitement direct avec des clients 'maison' et qu'elle n'a jamais renoncé à percevoir de commissions au titre des commandes passées dans de telles circonstances.

Elle considère que les manquements de la société Cosi sont suffisamment graves, en ce qu'ils caractérisent un manquement du mandant à son obligation de loyauté, pour imputer à la société Cosi la rupture du contrat d'agence commerciale et justifier sa demande en paiement d'une indemnité compensatrice de rupture sur le fondement des dispositions de l'article L. 134-12 du Code de commerce.

Elle précise qu'elle ne fonde sa demande d'indemnité compensatrice de rupture sur aucun manquement postérieur à la date de la rupture, ayant su dès février 2014 que son mandant omettait de lui régler certaines commissions et ladite indemnité devant calculée sur la base des nouveaux chiffres d'affaires, obtenus en cours de procédure, intégrant le solde des commissions restant dues au titre des années 2013 et 2014.

Elle fait valoir que la rupture date de fin février 2014, et non pas de fin septembre 2013, dès lors qu'après avoir découvert, en juillet 2013, que la société Cosi avait contacté directement certains clients, situation qu'elle a considérée comme exceptionnelle, elle a continué à assurer le suivi régulier des clients et a effectué de nombreux rendez-vous de présentation de la société Cosi jusque fin mars 2014, leurs relations s'étant dégradées à compter de février 2014 lors de la découverte de nouveaux manquements de la société Cosi, démontrant que celle-ci s'était de nouveau indûment appropriée les efforts de son agent commercial en l'excluant des ventes conclues avec la clientèle développée par ses soins pendant plus de quatre ans, et la conduisant à lui notifier la rupture de la relation commerciale par lettre du 28 février 2014, puis solliciter une indemnité de rupture par lettre du 10 mars 2014.

Enfin, la société Eurotis soutient qu'elle a fait preuve de professionnalisme jusqu'à la fin du mois de mars 2014, et conteste avoir réduit son activité depuis septembre 2013, le défaut de présentation de la collection Cosi, invoqué par l'intimée, étant dû à sa remise tardive, le 20 février 2014, après le salon Première vision.

Par conclusions notifiées le 5 décembre 2016, la société Cosi, faisant appel incident, demande à la cour de :

- constater qu'il n'existe aucune circonstance imputable au mandant justifiant de la rupture des relations commerciales;

- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris en date du 8 février 2016 en ce qu'il a débouté la société Eurotiss de sa demande en indemnité de rupture du contrat d'agence commerciale ;

- accueillir l'appel incident ;

- constater qu'elle a subi un préjudice économique du fait de l'inaction de l'agent commercial entre fin septembre 2013 et fin mars 2014 et de son attitude sciemment ambiguë sur ses intentions de poursuivre ou non la relation contractuelle ;

- condamner la société Eurotiss à lui verser des dommages-intérêts d'un montant de 10 000 euros au titre de la rupture soudaine et injustifiée des relations commerciales ;

- condamner la société Eurotiss à lui verser la somme de 4.500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société Eurotiss aux entiers dépens. Moyens :

Elle fait valoir que la société Eurotiss a pris unilatéralement l'initiative de la rupture du contrat d'agent commercial, d'abord oralement le 24 septembre 2013, puis par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 10 mars 2014, sans évoquer comme motifs la dissimulation de factures ou le défaut de paiement de commission.

Elle considère que la rupture, acquise entre les parties dès le 24 septembre 2013 bien que confirmée le 10 mars 2014, n'est nullement justifiée par des circonstances qui lui seraient imputables au sens des dispositions de l'article L. 134-13 2° du Code de commerce, dès lors qu'il était usuel que le mandant et son agent, qui fonctionnaient en binôme, se rendent ensemble chez le client pour maximiser les chances de passer des commandes, sur lesquelles la société Eurotiss a toujours été commissionnée, que ladite société échoue à démontrer qu'elle a effectivement présenté des collections aux clients à son insu, l'ayant au contraire relancée pour qu'elle prenne des rendez-vous avec les clients et dû pallier à la carence de la société Eurotiss en les fixant elle-même, ce dont elle a informé ladite société, qu'en outre, en qualité d'agent multicarte, celle-ci ne bénéficiait d'aucune exclusivité. Elle ajoute que la société Eurotiss ne peut se prévaloir de motifs nouveaux survenus après la lettre de rupture de leur relation commerciale, tenant à une dissimulation de factures nullement établie, alors que toutes figuraient sur les relevés de commission et ont fait l'objet d'un commissionnement avec le décalage habituel entre la prise de commandes, la facturation et la date de paiement effective du client, étant relevé que l'appel ne porte pas sur le décompte des commissions mais sur la demande d'indemnité compensatrice de rupture, et qu'en quatre ans de collaboration entre le mandat et l'agent, il n'est survenu aucune difficulté. Enfin, elle fait valoir que le défaut de paiement de certaines commissions, survenu postérieurement à la rupture du contrat en raison d'un retard habituel de transmission de comptabilité, ne saurait constituer un motif de rupture du contrat d'agence commerciale. Elle relève, en outre, que la société n'établit pas que ses prétendus manquements l'aurait empêchée d'accomplir correctement son travail, son chiffre d'affaires en 2013 étant stable.

Elle considère que la rupture du contrat, survenue opportunément lors de la grave crise du textile dans le but d'obtenir le versement d'une indemnité de rupture importante calculée sur les deux dernières années de commission, est seule imputable à la société Eurotiss qui a manqué de professionnalisme, notamment en ne prenant pas de rendez-vous en vue de présenter la nouvelle collection déposée sans retard.

Elle soutient que cette inaction de la société Eurotiss, outre l'incertitude dans laquelle elle s'est trouvée s'agissant du maintien du mandat d'agence commerciale, qui l'ont conduite à suppléer la carence de la société Eurotiss tout en subissant ses reproches, lui ont causé un préjudice économique de 10 000 euros.

Motifs :

Sur l'indemnité de rupture du contrat d'agence commerciale :

Sur la date de la rupture :

Il résulte des échanges entre les parties les éléments suivants :

Par courriel du 4 novembre 2013, la société Cosi a indiqué à la société Eutotiss 'Pour la bonne forme, je te rappelle que j'attends toujours une confirmation écrite concernant l'arrêt de notre collaboration. Comme tu le sais je le regrette d'autant plus que tu me l'as appris dans l'ascenseur lors de notre RDV chez Kooples et que pour la saison d'hiver tu as fixé quasiment pas des RDV qui est pour nous dommageable (sic). Concernant tes commissions, je demande à nouveau de les calculer afin de t'envoyer le décompte'.

Par courriel en retour en date du 6 novembre 2013, la société Eurotiss a répliqué 'Je suis plus perdante que toi, j'ai payé la carte Cosi à Boussion sans avoir été prévenue que tu faisais des clients en direct comme tu le sais. Je t'ai introduit tout de même chez bon nombre de clients. Je n'ai même pas la collection que tu passes ton temps à me prêter et reprendre pour tes autres rdv, je n'ai pas de liste de prix. Cette saison j'ai vu des clients et n'avais pas ta collection que tu gardes toujours avec toi. J'ai appris les commandes de Kenzo par le client, autrement je n'en aurais rien su. Un agent est supposé avoir une collection en permanence avec sa liste de prix pour pouvoir travailler dans des conditions normales. Pour ce qui est du choix des clients je ne reçois pas les offres et ne sais pas si c'est expédié ou non. Ex Kooples- Roseanna je t'ai relancé à plusieurs reprises. Pour toutes ces raisons les conditions de travail sont impossibles', et a sollicité le relevé de commissions.

Si dans sa réponse, la société Eurotiss n'a pas démenti avoir évoqué l'arrêt de sa collaboration avec la société Cosi à la sortie d'un rendez-vous chez la société Kooples, et a donné les raisons rendant les conditions de travail avec celle-ci 'impossibles', elle n'a pas confirmé son intention de rompre le contrat d'agence commerciale, et les échanges suivants entre les parties démontrent que celles-ci ont poursuivi leur collaboration.

Compte tenu de ces éléments, il n'est pas démontré que la société Eurotiss a, sans équivoque, manifesté sa volonté de rompre son contrat d'agence commerciale le 24 septembre 2013, date du rendez-vous auprès de la société Kooples.

Le courriel de la société Eurotiss du 28 février 2014, par lequel elle indique à la société Cosi 'Mademoiselle était mon client aussi. Donc, nous avons un problème, merci de réfléchir avant notre prochain rdv ; petit à petit tu les vois seul et je suis exclue, d'où la baisse de mon chiffre d'affaires. Je suis ouverte à une solution amiable pour finaliser correctement notre collaboration', est également trop équivoque pour valoir notification de la rupture du contrat d'agence commerciale, le terme 'finaliser' s'entendant comme 'achever quelque chose' mais également 'mettre au point dans ses moindres détails'.

D'ailleurs, par courriel du 3 mars 2014, la société Eurotiss a précisé à la société Cosi 'J'ai acté que tu comptais démarrer la saison prochaine sans moi. Je te précise toutefois que tu ne peux pas rompre les relations commerciales de près de 4 ans de cette manière'.

En revanche, la rupture du contrat d'agence commerciale ressort clairement de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée par la société Eurotiss à la société Cosi le 10 mars 2014, ayant pour objet 'mise en demeure de payer les commissions dues à la société Eurotiss au 31 décembre 2013 et réclamation d'une indemnité de rupture du contrat d'agent commercial', par laquelle la société Eurotiss a indiqué à son mandant : 'J'ai appris par certains clients que vous les aviez rencontrés sans m'avertir. De même, vous m'avez à plusieurs reprises informée tardivement, soit la veille pour le lendemain, de rendez-vous clients alors même que la prise de rendez-vous m'incombe en ma qualité d'agent commercial. Ces pratiques sont totalement contraires à nos usages de la profession et constituent une faute grave susceptible d'entraîner la résiliation du contrat. Je tiens donc à vous informer de mon intention de faire valoir mon droit à commission due en cas de rupture des relations commerciales', et a mis en demeure la société Eurotiss de lui payer les commissions dues au 31 décembre 2013.

La rupture du contrat d'agence commerciale est donc intervenue à l'initiative du mandataire le 10 mars 2014.

Sur le principe de l'indemnité :

L'article L. 134-4 du Code de commerce dispose que les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties (alinéa 1) ; que les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information (alinéa 2) ; que l'agent commercial doit exécuter son mandat en bon professionnel ; et que le mandant doit mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat (alinéa 3).

L'article L. 134-12 du même Code, dont les dispositions sont d'ordre public, indique qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi ; qu'il perd toutefois le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits ; et que ses ayants droit bénéficient également du droit à réparation lorsque la cessation du contrat est due au décès de l'agent.

L'article L. 134-13 précise toutefois que la réparation prévue à l'article L. 134-12 n'est pas due dans les cas suivants :

1° La cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial ;

2° La cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent commercial, par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée ;

3° Selon un accord avec le mandant, l'agent commercial cède à un tiers les droits et obligations qu'il détient en vertu du contrat d'agence.

Par lettre du 10 mars 2014, la société Eurotiss aà la fois notifié à la société Cosi la rupture du contrat d'agence commerciale et sollicité une indemnité compensatrice de rupture.

Il appartient à la société Eurotiss, qui sollicite une indemnité de rupture, de démontrer que la cessation de son activité d'agent commercial, intervenue à son initiative, était justifiée par des circonstances imputables à son mandant par suite desquels la poursuite de son activité ne pouvait plus être raisonnablement exigée.

L'appréciation des circonstances de la rupture doit se faire à la lumière des seuls motifs évoqués dans la lettre de rupture du 10 mars 2014, soit la prise de rendez-vous avec des clients sans l'en informer ou en l'en informant tardivement, la veille pour le lendemain, ainsi que le défaut de paiement des commissions dues au 31 décembre 2013. Les motifs allégués par la société Eurotiss découverts postérieurement à la rupture sont inopérants, étant sans lien causal avec celle-ci.

Le jugement entrepris a condamné la société Cosi à payer à la société Eurotiss une somme de 6 804,88 euros au titre des commissions restant dues, dont 2.445,68 euros au titre d'une commande Cosi n°16513 pour la société Diplodocus en date du 27 septembre 2013 ayant donné lieu à l'émission d'une facture de 48.913,70 euros en date du 31 décembre 2013, le surplus des factures retenues par le tribunal étant postérieur à cette date. Le tribunal a considéré que cette facture n'avait pas été dissimulée mais que la société Cosi avait refusé le paiement de la commission aux motifs que la société Diplodocus était un client maison et qu'aucun travail n'avait été effectué par la société Eurotiss, alors que celle-ci n'a pas été avertie par son prédécesseur de la liste des clients cédés et appartenant à la société Cosi, laquelle ne l'en a pas davantage informée, la laissant au contraire participer au traitement de ces clients et la commissionnant régulièrement au taux de 5% au titre de ces commandes, et la société Cosi ne justifiant pas d'un accord qui l'aurait autorisée à cesser de verser des commissions à compter du jour où l'agent n'effectuerait plus le travail. Le dispositif du jugement afférent au paiement des commissions n'étant pas discuté par les parties, le défaut de paiement de commissions au 31 décembre 2013 doit être retenu pour un montant de 2.445,68 euros.

Cependant, et ainsi qu'en justifie la société Cosi, la société Eurotiss recevait régulièrement son relevé de commissions plusieurs mois après la fin de la période trimestrielle au titre de laquelle les commissions étaient dues, une fois les factures encaissées, et elle a transmis le 25 mars 2014 le relevé de commissions au 31 décembre 2013 sans que ce délai, habituel dans le cadre de leur relation, puisse être considéré comme un retard délibéré de sa part à transmettre ledit relevé comme le prétend l'appelante.

Aucun manquement de l'intimée à payer les commissions dues au 31 décembre 2013, d'une gravité telle qu'il aurait justifié la rupture du mandat d'agence commerciale, n'est donc caractérisé.

S'agissant de la prise de rendez-vous avec des clients à l'insu de la société Eurotiss ou avec information tardive de celle-ci, il ressort des courriels produits aux débats que la société Cosi travaillait en binôme avec la société Eurotiss, même si celle-ci était son seul agent commercial, que lesdites sociétés se présentaient ensemble aux rendez-vous clients, la société Cosi leur apportant son expertise technique, et assuraient conjointement le suivi des commandes et des clients.

En outre, il convient de relever que :

- par courriel du 17 juillet 2013, la société Cosi a contesté avoir pris rendez-vous directement avec le client Kenzo pour lui présenter la collection, soutenant l'avoir juste contacté, sans qu'aucun élément versé aux débats ne démontre le contraire ;

- si par courriels des 21 et 26 février 2014 faisant suite à la transmission, le 21 février 2014, par la société Cosi, du listing complet des articles de la nouvelle collection, la société Eurotiss a reproché à la société Cosi d'avoir présenté cette collection à la cliente Véronique Coulon (préposée de la société Sonia Rykiel) et à d'autres clients à son insu, l'intimée lui a précisé, le 24 février 2014, que Véronique ... l'avait appelée pour étudier un dessin exclusif sur base coton et qu'elle l'avait rencontrée dans ce contexte, sans toutefois lui présenter la collection, laquelle n'était pas encore terminée, l'a invitée à prendre rendez-vous avec Véronique ... à cette fin ainsi qu'auprès des autres clients, cette démarche relevant de sa mission en sa qualité d'agent commercial, puis lui a rappelé, le 27 février 2014, qu'à une semaine exacte de la fin de Première vision, aucun planning ne lui avait été proposé et que ce défaut de prise de rendez-vous clients lui était préjudiciable ;

- en réponse au courriel du 28 février 2014 par lequel la société Eurotiss lui demandait à nouveau de lui indiquer quels clients elle avait vus seule sans l'en informer, la société Cosi lui a précisé, le 3 mars 2014, que la collection était prête depuis le salon Première vision (qui s'est déroulé du 18 au 20 février 2014) et qu'elle la lui avait déposée à l'adresse indiquée par ses soins le 20 février 2014, que les jours suivants Première vision étaient d'une importance capitale pour enregistrer la réaction des clients et procéder à d'éventuelles modifications de la collection, que depuis la saison dernière, elle lui avait en vain demandé d'établir et de l'informer d'un planning des visites, sans réponse de sa part, que les rendez-vous n'ont pas été fixés dans les délais, ce qui a impacté le bon déroulement de son activité, que le travail sur mesure qu'elle réalise nécessite parfois des contacts directs avec les clients sans qu'il s'agisse de la 'cour-circuiter', que la société Eurotiss n'avait pas pris de rendez-vous auprès des clients Fleur de Sel/ Diplodocus, Mademoiselle ... (dont la société Eurotiss lui a reproché de ne pas l'avoir informé d'une prise de rendez-vous dans son courriel du 28 février 2014) et Kenzo, qu'en l'absence de planning de visites, elle était dans l'obligation de fixer directement les rendez-vous pour la présentation de la collection été 2015 ;

- la société Eurotiss ne démontre pas avoir assuré le suivi régulier des clients jusqu'à fin mars 2014 comme elle le soutient, les courriels dont elle se prévaut justifiant qu'elle a seulement pris un rendez-vous avec le client Kooples le 24 septembre 2013, jour où elle a évoqué la possible rupture du mandat, puis avec le client 123 Etam le 19 novembre 2013 pour lui présenter la collection hiver 2014/2015, dont elle a transféré, le 7 janvier 2014, à la société Eurotiss une demande de coupe, et qu'elle a assuré le suivi du client Isabel ... le 17 janvier 2014, mais nullement transmis le planning des rendez-vous sollicité par la société Cosi depuis le 23 septembre 2013 pour la présentation de la collection hiver 2014/2015 et depuis le 17 février 2014 pour la présentation de la collection été suivante, le surplus des courriels produits par la société Eurotiss, sur lesquels elle figure en copie, ne démontrant pas d'autres démarches de sa part au titre de l'accomplissement de sa mission d'agent commercial ;

-dans ce contexte, si le 24 février 2014, la société Cosi a informé la société Eurotiss d'un rendez-vous avec la société The Kooples pris pour lendemain et confirmé le 21 février 2014, cette information ne peut être considérée comme tardive compte tenu de la nécessité de présenter rapidement la collection et du défaut d'investissement suffisant de la société Eurotiss à laquelle la société Cosi a vainement demandé de fournir le planning des rendez-vous clients, notamment pour la présentation de la nouvelle collection qui, contrairement aux allégations de l'appelante, lui a été remis sans retard, le 20 février 2014, ayant été achevée pour le salon Première vision qui s'est déroulé du 18 au 20 février 2014.

Il résulte de ces éléments que la société Eurotiss échoue à démontrer qu'elle a rompu son contrat d'agence commerciale en raison de circonstances imputables à la société Cosi l'ayant empêchée de poursuivre la relation commerciale.

Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté la société Eurotiss de sa demande d'indemnité de rupture.

Sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts :

Ainsi qu'il ressort des développements ci-avant et comme le fait valoir la société Cosi, la société Eurotiss qui n'a pris que quelques rendez-vous clients pour présenter les collections hiver 2014/2015 et été 2015/2016, ne s'est pas suffisamment investie dans l'exercice de son mandat, tout en ne rompant pas celui-ci, bien qu'en ayant manifesté l'intention le 23 septembre 2014, et en lui faisant le reproche de suppléer à sa carence.

Cependant, la société Cosi, qui reconnaît elle-même qu'à l'époque le textile connaissait une grave crise, ne démontre ni que l'inaction de son agent commercial est en lien causal avec le préjudice économique de 10 000 euros qu'elle allègue, ni que ledit préjudice qu'elle ne justifie par aucune pièce versée aux débats.

Le jugement entrepris sera donc également confirmé en ce qu'il a débouté la société Cosi de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts.

Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile :

La société Eurotiss échouant en son appel sera condamnée aux dépens exposés en cause d'appel et à payer à la société Cosi une indemnité de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs LA COUR, Statuant publiquement et par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, Confirme le jugement du tribunal de commerce de Paris du 8 février 2016 dans l'intégralité de ses dispositions, Y ajoutant, Condamne la société Eurotiss à payer à la société Cosi une indemnité de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Eurotiss aux dépens exposés en cause d'appel.