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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 10, 3 décembre 2018, n° 17-09349

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Energie Europe Service (SA)

Défendeur :

Crédit Industriel et Commercial (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Loos

Conseillers :

Mmes Castermans, Simon Rossenthal

Avocats :

Mes Scozzaro, Teytaud, Samuelian, Lyon Lynch

T. com. Paris, du 3 avr. 2017

3 avril 2017

Faits et procédure

Vu le jugement prononcé le 3 avril 2017 par le tribunal de commerce de Paris qui a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, confirmé l'ordonnance d'injonction de payer du 23 décembre 2013 et condamné la SA Energie Europe service à payer à la SA Crédit industriel et commercial, venant aux droits de la société CM CIC Securities, la somme de 21 007,74 TTC avec intérêts au taux légal à compter de la lettre de mise en demeure, soit du 22 octobre 2013, ainsi que celle de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

Vu les dernières conclusions du 28 novembre 2017 de la société Energie Europe service, appelante, qui demande à la cour, au visa des articles 1131, 1134 et 1315 anciens du Code civil, L. 442-6 du Code de commerce, L. 533-11 à L. 533-13 du Code monétaire et financier, à titre liminaire de la dire recevable et fondée à opposer à la société Crédit industriel et commercial (CIC), venant aux droits de CM CIC Securities en sa qualité de société absorbante, l'ensemble des demandes et moyens formés à l'encontre de cette dernière, au fond d'infirmer le jugement, de juger qu'en l'absence de preuve d'une contrepartie réelle ainsi que du bouleversement de l'économie contractuelle et de la disparition de ses éléments essentiels, en cours d'exécution du contrat litigieux, l'obligation de payement alléguée à sa charge est caduque, subsidiairement de juger que la clause contractuelle fondant la facturation litigieuse alléguée par la société CIC crée un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties et qu'elle est, comme telle, nulle et, à défaut, dépourvue d'effet, très subsidiairement de réduire le montant manifestement excessif allégué, en tout état de cause de débouter la société CIC de toutes ses demandes et de la condamner à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de ses frais irrépétibles,

Vu les dernières écritures du 14 mars 2018 de la société Crédit industriel et commercial, venant aux droits de CM CIC Securities, qui conclut, au visa des articles 66, 325 et 328 du Code de procédure civile, L. 236-3 du Code de commerce, 1131 et 1134 du Code civil, 6, 9 et 700 du Code de procédure civile, 322-1 à 322-90 du RGAMF et L. 446-6-1 du Code de commerce, à la confirmation de la décision déférée et à la condamnation de la société Energie Europe service à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Sur ce,

Considérant que les actionnaires de la société Energie Europe service, entreprise ayant pour activité le développement, la réalisation, l'exploitation, la maintenance et la vente de centrales de production d'énergie à partir de biomasse, biogaz et cogénération, sont propriétaires de titres inscrits sous la forme nominative acquis dans une perspective d'optimisation fiscale ; que dans le cadre de son inscription sur le marché libre, la société Energie Europe service a conclu avec la société Arkeon Finance un contrat de liquidité et un contrat d'animation et, à cette occasion, a conclu avec la société d'investissement CM CIC Securities le 7 septembre 2010 pour une durée d'une année renouvelable un "contrat de services titres & financiers" ayant pour objet la tenue des registres nominatifs et la gestion des assemblées générales, ces deux prestations étant facturées de façon distincte; que le 31 juillet 2013, la société CM CIC Securities lui a adressé une facture d'un montant de 21 007,74 euros TTC au titre de la gestion du registre nominatif 2013 ; qu'en l'absence de règlement de cette somme malgré l'envoi de plusieurs lettres de réclamation, la société CM CIC Securities a mis en demeure de payer la société Energie Europe service par lettre recommandée avec avis de réception du 22 octobre 2013 puis a sollicité, auprès du président du tribunal de commerce de Paris, une ordonnance d'injonction de payer qui a été rendue le 23 décembre 2013 ; que la société Energie Europe service ayant fait opposition à cette ordonnance, le tribunal de commerce a statué dans les termes susvisés ;

Considérant que la société Energie Europe Service, qui critique le jugement pour ne pas avoir répondu aux moyens qu'elle soulevait, fait valoir que son inscription sur le marché libre a été effectuée sous la responsabilité des prestataires de services d'investissement, les sociétés Arkeon finance et CM CIC Securities, que les contrats "d'animation" et de "liquidité" conclus avec la première le 16 novembre 2009 ont été résiliés par lettres des 28 mai et 26 juin 2013 et que le "contrat de services titres & financiers" du 7 septembre 2010 de même que la "convention de service" du 5 mai 2011 conclus avec la seconde, contrats dont elle affirme qu'ils constituent avec les précédents un ensemble complexe interdépendant, ont été régulièrement dénoncés le 22 octobre 2013; qu'elle prétend que la société CIC, venant aux droits de CM CIC Securities, ne rapporte pas la preuve de la réalité ni du quantum des services rendus à hauteur de la facturation supplémentaire alléguée de 21 007,74 euros en l'état du trop perçu de commissions dont la société CM CIC Securities avait déjà bénéficié à hauteur de 62 125,35 euros, soit une facturation totale injustifiée de 83 153,09 euros dépourvue de contrepartie réelle ; qu'elle soutient qu'en l'état du bouleversement de l'économie contractuelle, emportant la réduction significative de son activité, les modifications imprévisibles des textes encadrant l'activité photovoltaïque l'ayant conduite à abandonner cette activité photovoltaïque qui était devenue son activité principale, et la résiliation des contrats d'animation et de liquidité qui étaient des conditions déterminantes de son consentement, lors de son inscription sur le marché libre, la réclamation de la société CIC est, en raison de la disparition de ces éléments essentiels, caduque ; qu'elle argue qu'en l'absence de négociation effective du "contrat de services titres & financiers" et de la "convention de services" précités qui ont été pré rédigés et imposés par la société CIC, venant aux droits de CM CIC Securities, en position dominante tant par son envergure financière que par le caractère obligatoire de la prestation convenue, la facturation est manifestement disproportionnée et crée un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties à son détriment ; qu'elle ajoute que la société CIC, tenue en sa qualité de prestataire de service d'investissement d'une obligation d'information et de conseil et tenue d'agir loyalement, ne rapporte pas la preuve du respect de ses obligations à son égard ;

Que la société CIC objecte avoir exécuté sa mission de teneur des registres nominatifs de la société appelante conformément aux stipulations du contrat et à la réglementation en vigueur et que la somme de 62 125,35 euros correspond aux factures émises au titre de sa prestation pour les années 2010 à 2012; qu'elle indique que les parties sont convenues d'un commun accord du prix de cette prestation détaillé dans l'article 1-4 de l'annexe du contrat et que ses prestations ne peuvent être assimilées à celles accomplies par la société Arkeon finance dont la rémunération est précisée aux contrats conclus avec la société Energie Europe service; qu'elle conteste la disparition de la cause du fait de la réduction de l'activité de cette dernière de même que le caractère disproportionné de sa facture laquelle portait sur la tenue de registre de 3413 comptes courants nominatifs, soit 5,15 euros par an et par compte; qu'elle dénie tout déséquilibre significatif, non démontré par l'appelante, et rappelle le principe de liberté des prix ;

Considérant, ceci exposé, que la société Energie Europe Service a confié à la société CM CIC Securities, aux droits de laquelle vient aujourd'hui la société CIC, par contrat du 7 septembre 2010, la tenue du registre nominatif moyennant le versement d'une commission forfaitaire annuelle de 3 000 euros incluant 100 comptes courants nominatifs (CCN) pur, 100 CCN administrés et 50 mouvements, ainsi que d'une commission variable annuelle de 9 euros par CCN pur entre le 101e et le 1 000e et de 6 euros au-delà par CCN pur et CCN administré, de même que par mouvement au delà de 50 mouvements ; que la société Energie Europe Service s'est acquittée en 2010, 2011 et 2012 des commissions dues pour la gestion du registre nominatif et des frais en relation avec d'autres prestations faisant l'objet d'une rémunération distincte ;

Que pour s'opposer au payement de la facture se rapportant à l'année 2013, l'appelante nie toute prestation de la part de son [sic] cocontractante ; que cependant l'examen de cette facture porte mention, outre la commission forfaitaire annuelle de 3 000 euros, de 2913 CCN supplémentaires entraînant la facturation du montant de (2913 x 5) 14 565 euros hors taxes ; que la société CIC produit la liste des actionnaires au 30 juin 2013 dont la société Energie Europe service se borne à dire qu'elle est illisible pour être reproduite en très petits caractères sans même en avoir vérifié la justesse, ne serait ce qu'en procédant par sondages, l'historique des mouvements de titres réalisés au cours de la période de facturation dont l'appelante estime le nombre faible, soit 136 mouvements, mais n'en conteste pas l'exactitude, ainsi que d'autres documents relatifs aux instructions de règlement/livraison ou aux ordres de conversion et des relevés d'avoirs ; que ces prestations entraient dans la mission de gestion du registre nominatif et des services aux détenteurs de titres telle que définie au contrat ; que le forfait annuel incluait 50 mouvements, les suivants devant être facturés 6 euros mais ne l'ont pas été à titre commercial ; que le geste commercial consenti par la société CIC (incluant une facturation de 5 euros au lieu de 6 euros par compte courant supplémentaire) et sa proposition faite dans le cadre de négociations en rapport avec le présent litige n'établissent pas le caractère injustifié de la facture litigieuse allégué par l'appelante ;

Considérant que la société Energie Europe service argue de la disparition de la cause du contrat dès lors que son activité principale a été réduite par l'effet des modifications de la réglementation liée au tarif de l'achat d'électricité ce qui a entraîné la résiliation des contrats de "liquidité" et"'d'animation" conclus avec la société Arkeon finance, éléments déterminants dont la disparition a rendu impossible l'exécution du contrat la liant à la société CIC ;

Mais considérant que la loi impose à la société émettrice d'inscrire et de conserver dans un registre les titres financiers qu'elle émet ; que cette inscription est indépendante du volume d'activité de cette société ; qu'en outre, le décret suspendant l'obligation d'achat de l'électricité produite par certaines installations utilisant l'énergie radiative du soleil a été publié le 10 décembre 2010 et l'arrêté fixant les nouvelles conditions d'achat l'a été le 4 mars 2011 de sorte que la société Energie Europe service avait la faculté de résilier le contrat conclu avec la société CM CIC Securities dès 2011 mais a choisi d'en poursuivre l'exécution en 2012 et 2013 malgré la baisse de son activité photovoltaïque ;

Que l'interdépendance des contrats conclus par l'appelante avec d'une part la société Arkeon et d'autre part la société CM CIC Securities et la confusion opérée entre ces différents contrats aux dires de la société Energie Europe Service ne ressort pas de l'analyse des conventions versées aux débats; qu'en effet, aux termes du contrat de "liquidité", la société Energie Europe service donnait mandat à la société Arkeon finance d'intervenir pour son compte sur le marché en vue de favoriser la liquidité des transactions et la régularité des cotations des titres ainsi que d'éviter des décalages de cours non justifiés par la tendance du marché, et le contrat"'d'animation" portait sur des prestations d'analyse financière, de vente et d'animation de marché et de conseil tandis que le contrat de services titres & financiers signé par la société CM CIC Securities portait sur la tenue des registres nominatifs laquelle était indépendante des précédentes visées aux contrats conclus avec la société Arkeon finance, contrats dont la résiliation était donc sans incidence sur la poursuite de l'exécution du contrat du 7 septembre 2010 ; qu'au surplus, la rémunération de ces différentes prestations, comme leur définition, était clairement détaillée dans chacune des conventions, à savoir un courtage de 0,30 % sur les opérations effectuées avec un minimum de 20 euros hors taxes par opération au titre du contrat de liquidité et un forfait annuel hors taxes de 16 000 euros payable trimestriellement par quarts dans le cadre du contrat d'animation et ne prêtaient pas à confusion avec celles, tout aussi claires, stipulées au contrat liant les parties ; qu'il n'est pas démontré que la société intimée a failli dans son obligation d'information et de conseil eu égard à la nature des prestations, objet du contrat qu'elle a signé, et de l'absence d'ambiguïté des clauses contractuelles ;

Considérant que la société Energie Europe service, se prévalant des dispositions de l'article L. 442-6-I du Code de commerce, fait grief à la société CIC, de lui avoir imposé des conditions financières disproportionnées créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;

Considérant, cependant, qu'il vient d'être dit que la somme forfaitaire de 3 000 euros s'appliquait à 50 mouvements et qu'au-delà la somme de 6 euros, ramenée à 5 euros, était facturée pour chaque mouvement et qu'il en allait de même au-delà de 100 comptes courants ; que c'est à bon droit que le tribunal a jugé que la facturation était proportionnée à l'étendue de la prestation ; que le déséquilibre significatif n'est pas caractérisé ; qu'il appartenait à la société Energie Europe service de choisir un autre intermédiaire pour la tenue de son registre de titres si elle estimait les conditions financières proposées par la société CM CIC Securities trop élevées; que la somme réclamée par la société CIC correspondant aux prestations réalisées, la société appelante est mal fondée à en solliciter la réduction ;

Qu'il suit de ces développements que le jugement sera confirmé tant en ce qu'il a condamné la SA Energie Europe service à payer à la SA Crédit industriel et commercial, venant aux droits de la société CM CIC Securities, la somme de 21 007,74 TTC avec intérêts au taux légal à compter de la lettre de mise en demeure, soit du 22 octobre 2013, que celle de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Et considérant qu'il y a lieu d'allouer à la société CIC une indemnité supplémentaire en application de l'article 700 du Code de procédure civile, la demande formée du même chef par la société Energie Europe service étant rejetée ;

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement ; Condamne la société Energie Europe Service à payer à la société Crédit industriel et commercial, venant aux droits de CM CIC Securities, la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toute autre demande ; Condamne la société Energie Europe service aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.