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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 5 décembre 2018, n° 16-13599

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Atos (SAS)

Défendeur :

BP France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

T. com. Paris, du 30 mai 2016

30 mai 2016

FAITS ET PROCÉDURE

La société Atos a pour activité le négoce, la vente de produits lubrifiants et la maintenance industrielle.

La société BP France, ci-après BP, est en charge de la fabrication et de la distribution de lubrifiants de marques " BP " et " Castrol ". La distribution des lubrifiants fabriqués par BP est assurée soit directement par la société BP, soit par des distributeurs tels que la société Atos. Elle exerce également une activité de services.

Le 27 septembre 2006, les sociétés BP et Atos ont signé un contrat de distribution de produits lubrifiants de marques " BP " et " Castrol ".

Par ailleurs, la société BP a confié à la société Atos, sans signer de contrat, des prestations de services pour :

- le site de la société Famat situé à Saint-Nazaire à compter du 24 juillet 2006,

- le site de la société TRW situé à Bouzonville à compter du 1er novembre 2006,

- le site de la société Sanden situé à Tinténiac à compter du 1er juillet 2008,

- les trois sites de la société Turbomeca situés à Bordes, Tarnos et Buchelay à compter du 1er juillet 2008,

- le site de la société Delphi situé à Blois à compter de 1er septembre 2008,

- le site de la société AMTP situé à Hautmont à compter du 1er septembre 2009.

Le 4 octobre 2012, la société BP a annoncé à la société Atos la fin du contrat portant sur le site Famat de Saint Nazaire, avec effet au 31 décembre 2012.

Par courrier du 15 novembre 2012, la société BP a notifié à la société Atos la fin des prestations de services sur quatre de ces sites : le site AMTP à Haumont, le site Delphi à Blois, le site Sanden à Tinténiac et le site TRW à Bouzonville, avec effet au 30 avril 2013, en précisant que la poursuite éventuelle des relations contractuelles serait subordonnée aux résultats d'un appel d'offres initié pour chacun des sites.

La société Atos n'a pas été retenue à l'issue des appels d'offres organisés par la société BP concernant les sites AMTP à Haumon, Delphi à Blois, Sanden à Tinténiac et TRW à Bouzonville.

Au mois de mai 2013, la société BP a signifié à la société Atos la rupture des relations relatives au site Turbomeca.

Par acte du 25 octobre 2013, la société Atos a assigné la société BP France devant le tribunal de commerce de Paris pour rupture brutale des relations commerciales établies et pour abus de position dominante.

Par jugement du 30 mai 2016, le tribunal de commerce de Paris a, sous le régime de l'exécution provisoire :

- dit que le préavis de 6 mois prévu par les parties est suffisant et a été exécuté,

- débouté la société Atos de sa demande à titre de dommages et intérêts pour non-respect du préavis,

- débouté la société Atos de sa demande au titre de l'abus de position dominante,

- débouté la société BP France de sa demande reconventionnelle,

- condamné la société Atos à payer à la société BP France la somme 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires.

- condamné la société Atos aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 153,96 euros dont 25,22 euros de TVA.

La société Atos a relevé appel de ce jugement par déclaration remise au greffe le 20 juin 2016.

La procédure devant la cour a été clôturée le 2 octobre 2018.

Vu les conclusions du 3 janvier 2017 par lesquelles la société Atos, appelante, invite la cour, au visa des articles L. 420-2 et L. 442-6 du Code de commerce, à :

- réformant en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 30 mai 2016,

- dire que la société BP France a engagé sa responsabilité en rompant des relations contractuelles établies sans respecter un préavis écrit d'une durée suffisante au regard de l'ancienneté de celles-ci et de l'état de dépendance économique de la société Atos,

- dire que la société BP France a abusivement profité de sa situation de position dominante, et du déséquilibre existant entre les situations respectives des parties, et qu'elle a fait preuve de déloyauté dans l'exécution des contrats pour leur résiliation ainsi que lors de la mise en œuvre des procédures d'appels d'offres,

en conséquence,

- condamner la société BP France à lui payer à titre de dommages intérêts les sommes de :

* 3 903 981 euros au titre de la rupture des contrats de prestations de services,

* 500 000 euros au titre de l'abus de position dominante.

- condamner la société BP France à lui payer la somme de 20 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouter la société BP France de son appel incident,

- condamner la société BP France en tous les dépens de première instance et d'appel ;

Vu les conclusions du 22 septembre 2017 par lesquelles la société BP France, intimée, demande à la cour, au visa des articles 299, 287 du Code de procédure civile, L. 420-2, L. 446-2, I, 5° du Code de commerce et 1382 ancien du Code civil, de :

- écarter des débats la pièce n° 1 communiquée par la société Atos,

- dire que la société Atos se positionne en tant que concurrent direct pour son activité de services,

- dire que la société Atos ne prouve aucune position dominante dont elle bénéficierait sur quel que marché pertinent que ce soit et, a fortiori, aucun abus d'une telle position qui aurait créé un préjudice à la société Atos,

- dire que la société Atos ne peut revendiquer aucune dépendance économique à son égard et, a fortiori, aucun abus d'une telle dépendance économique de sa part qui aurait créé un préjudice à la société Atos,

- dire que la société Atos et elle ont convenu d'un délai de préavis de 6 mois pour régir la rupture de leurs relations commerciales et que celui-ci a été respecté par elle,

- dire en conséquence que les délais de préavis qu'elle a donnés à la société Atos pour la rupture de leurs relations commerciales pour les sites de :

* AMTP Hautmont (10 mois pour des relations de 2 ans et 10 mois),

* Delphi Blois (10 mois pour des relations de 3 ans et 10 mois),

* Sanden Tinte'niac (10 mois pour des relations de 4 ans),

* TRW Bouzonville (10 mois pour des relations de 5 ans et 8 mois),

* Famat Saint-Nazaire (9 mois pour des relations de 5 ans et 11 mois),

* Turbomeca Bordes, Tarnos et Buchelay (8 mois pour des relations de 4 ans et 10 mois),

étaient suffisants,

- dire qu'elle n'est pas l'auteur de la rupture pour les sites de Famat Saint-Nazaire et Turbomeca Bordes, Tarnos et Buchelay,

en conséquence :

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris notamment en ce qu'il a débouté la société Atos de l'intégralité de ses demandes,

y ajoutant :

- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris en ce qu'il l'a déboutée de sa demande reconventionnelle et condamner la société Atos à lui payer la somme de 50 000 euros pour procédure abusive,

- condamner la société Atos à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Atos aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SCP X conformément à l'article 699 du Code de procédure civile ;

SUR CE, LA COUR,

La cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

En application de l'article 954 alinéa 2 du Code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

La société Atos fait valoir que les relations entre les parties ont duré plus de sept années, pour avoir débuté à compter de 2006 et avoir été remises en cause à la fin de l'année 2012 lorsque la société BP l'a informée de la fin du contrat du site de la société Famat à Saint Nazaire, avec effet au 31 décembre 2012 par courriel du 4 octobre 2012, puis de quatre des principaux contrats, ceux de Delphi, TRW, AMTP et Sanden, avec effet au 30 avril 2013, par courrier recommandé du 15 novembre 2012, en raison de la mise en place d'un appel d'offres, et enfin du contrat Turbomeca par courrier recommandé du 16 mai 2013, avec effet au 31 décembre 2013. Elle soutient que la société BP France a unilatéralement remis en cause les relations contractuelles, sans aucune négociation préalable. Elle conteste le prétexte de la mise en œuvre d'appels d'offres et relève qu'elle n'a pas reçu de réponse lorsqu'elle a demandé la communication des motifs détaillés qui ont conduit la société BP France à ne pas retenir ses propositions. Elle explique que la mise en place d'appels d'offre ne saurait constituer la manifestation de la volonté de mettre un terme aux relations et de faire courir le délai de préavis car elle n'avait pas la possibilité d'envisager une quelconque réorganisation pendant cette période. Elle indique que, si elle reclassait son personnel, ou procédait à des licenciements, elle se privait de la possibilité de répondre aux appels d'offres, ou s'exposait au risque d'être dans l'incapacité de réaliser les prestations si sa candidature était retenue. Elle excipe que le point de départ du préavis ne pourrait être fixé à une date antérieure à celle à laquelle la société BP France l'a informée de ce qu'elle n'avait été retenue dans aucun des quatre appels d'offres, soit le 22 février 2013, avec une date d'effet au 30 avril 2013. Elle conteste avoir accepté la fixation d'un délai de préavis de six mois pour l'arrêt des contrats de services, cette durée ayant seulement été évoquée unilatéralement par la société BP France dans ses correspondances. Elle allègue qu'au regard de l'ancienneté des relations contractuelles, et de sa très forte dépendance à la société BP, en raison de ses directives en matière tarifaire et de sa gestion directe de son personnel, elle aurait dû bénéficier d'un préavis de deux ans.

En réplique, la société BP France soutient qu'il n'existe pas de relation de sous-traitance globale entre la société Atos et elle. Elle fait valoir qu'il existe autant de relations commerciales que de contrats conclus par elle avec ses clients pour chacun des sites concernés. Ainsi, selon elle, la durée de chacune des relations commerciales était de 2 ans et 10 mois pour le site de AMTP, 3 ans et 10 mois pour le site de Delphi, 4 ans pour le site de Sanden, 5 ans et 8 mois pour le site de TRW, 5 ans et 11 mois pour le site de Famat, 4 ans et 10 mois pour les sites de Turbomeca. Elle indique que, pour les sites Famat et Turbomeca, elle n'est pas l'auteur de la rupture, s'agissant de ses clients qui ont pris la décision de relancer des appels d'offres sur ces deux sites, et que la société Atos a empêché toute poursuite de leurs relations, en se positionnant en concurrent direct sur le marché pour lesdits appels d'offres. Elle explique que la rupture des contrats pour les sites AMTP, Delphi, Sanden, et TRX n'était pas imprévisible car elle avait annoncé à la société Atos le lancement d'appels d'offres depuis juillet 2010, puis avait réitéré cette annonce plusieurs fois ensuite au mois d'avril 2012, et les 27 juin 2012, 4 juillet 2012, 16 juillet 2012 puis par courrier du 23 octobre 2012. Elle relève que la société Atos a reçu les appels d'offres, confirmant ensuite, pour la bonne forme, la rupture des relations par courrier du 15 novembre 2012, la fin des relations étant fixée au 30 avril 2013. Elle explique que le préavis écrit débute à la date de l'appel d'offres lui-même et que donc le délai de préavis a commencé à courir à compter de cette date. Elle souligne que les parties avaient convenu d'un préavis de six mois comme en atteste un compte-rendu de réunion du 5 juillet 2012.

Les parties s'opposent sur la durée des relations commerciales, la date de la rupture, et le caractère brutal de celle-ci.

Aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce :

" Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (...) de rompre unilatéralement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ".

Sur la durée des relations commerciales relatives aux prestations de services entre les sociétés Atos et BP

Les parties s'accordent à distinguer la nature des relations entre elles, selon qu'il s'agit de la distribution des produits de la société BP ou des prestations de services de maintenance industrielle en sous-traitance de celle-ci. En l'espèce, le litige porte sur les relations relatives aux prestations de services.

En outre, les prestations de services de maintenance industrielle en sous-traitance réalisées par la société Atos pour le compte de la société BP portent sur un flux commercial unique quels que soient les sites dont il est question. Ainsi, contrairement à ce que soutient la société BP, il n'y a pas lieu d'apprécier sa relation commerciale avec la société Atos site par site.

Il est constant que la société BP a confié à la société Atos, en dehors de la signature de tout contrat, des prestations de services de maintenance industrielle en sous-traitance sur différents sites et à des dates distinctes, à compter du 24 juillet 2006.

Il y a donc lieu de considérer que la relation commerciale établie entre les sociétés Atos et BP a débuté le 24 juillet 2006.

Sur les dates de rupture

Il est de principe que le caractère prévisible de la rupture d'une relation commerciale établie ne prive pas celle-ci de son caractère brutal si elle ne résulte pas d'un acte du partenaire manifestant son intention de ne pas poursuivre la relation commerciale et faisant courir un délai de préavis.

La société Atos fait état de trois dates de ruptures successives sur une période de plus de 7 mois pour des sites différents.

Sur les prestations réalisées sur le site de la société Famat situé à Saint-Nazaire

Il n'est pas contesté par les parties que la société BP a notifié à la société Atos la fin de leurs relations commerciales pour le site de la société Famat situé à Saint-Nazaire par courriel du 4 octobre 2012 à effet au 31 décembre 2012, le contrat signé entre la société Famat et la société BP arrivant à échéance à cette date. Dès lors, la rupture des relations commerciales entre les parties relatives aux prestations réalisées par la société Atos sur le site de la société Famat est le 4 octobre 2012.

Sur les prestations réalisées sur les sites de la société TRW situés à Bouzonville, de la société AMTP située à Hautmont, de la société Delphi située à Blois et de la société Sanden située à Tinténiac

La société BP ne peut invoquer les échanges précédant le 15 novembre 2012, au motif que ce n'est qu'à cette date que la société Atos est informée pour la première fois et sans équivoque de la date précise de la fin des prestations de sous-traitance qui lui sont confiées sur les sites de la société TRW située à Bouzonville, de la société AMTP située à Hautmont, de la société Delphi située à Blois et de la société Sanden située à Tinténiac. En effet, à défaut de connaître la date exacte de la fin des relations commerciales entre elles sur ces sites, avant le 15 novembre 2012, les précédents échanges invoqués par la société BP ne peuvent caractériser la date de la rupture et donc le point de départ du préavis.

Par ailleurs, c'est vainement que la société Atos explique que la date de la rupture doit être fixée au jour des résultats des appels d'offres, alors que le courrier du 15 novembre 2012 indique clairement que " les relations commerciales entre Atos et BP France sur les sites cités ci-dessus se termineront le 30 avril 2013 ". La date de la fin des relations commerciales entre elles est notifiée sans ambiguïté à la société Atos le 15 novembre 2012.

Il y a donc lieu de considérer que la date de la rupture pour ces relations commerciales est le 15 novembre 2012.

Sur les prestations réalisées sur les trois sites de la société Turbomeca situés à Bordes, Tarnos et Buchelay

Il n'est pas contesté par les parties que la société BP a notifié à la société Atos la fin de leurs relations commerciales pour les trois sites de la société Turbomeca situés à Bordes, Tarnos et Buchelay par courrier du 16 mai 2013 à effet au 31 décembre 2013, le contrat signé entre la société Turbomeca et la société BP arrivant à échéance à cette date. Dès lors, la rupture des relations commerciales entre les parties relatives aux prestations réalisées par la société Atos sur les sites de la société Turbomeca est le 16 mai 2013.

Sur la brutalité de la rupture

Le délai du préavis suffisant s'apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances prévalant au moment de la notification de la rupture. La disposition légale vise expressément la durée de la relation commerciale et les usages commerciaux. Outre ces deux critères légaux, les paramètres suivants sont également pris en compte pour apprécier la durée du préavis à respecter : la dépendance économique (entendue non pas comme la notion de droit de la concurrence, mais comme la part de chiffre d'affaires réalisée par la victime avec l'auteur de la rupture), la difficulté à trouver un autre partenaire sur le marché, de rang équivalent, la notoriété du produit échangé, son caractère difficilement substituable, les caractéristiques du marché en cause, les obstacles à une reconversion, en terme de délais et de coûts d'entrée dans une nouvelle relation, l'importance des investissements effectués dédiés à la relation, non encore amortis et non reconvertibles.

Il n'y a pas lieu de tenir compte de l'accord entre les parties concernant le délai de 6 mois comme délai raisonnable de préavis en cas de rupture, le délai conventionnel de rupture défini entre les parties étant différent du délai de préavis dans l'hypothèse d'une brusque rupture en application de l'article L. 442-6, I, 5° précité, celui-ci ne liant pas la cour, celle-ci déterminant la durée du préavis raisonnable auquel une société peut prétendre, nonobstant l'existence d'un préavis contractuel, après avoir analysé l'ancienneté des relations commerciales établies entre les parties et les autres circonstances de l'espèce.

Sur les prestations réalisées sur le site de la société Famat située à Saint-Nazaire

Les relations commerciales entre les sociétés BP et Atos pour le site de la société Famat situé à Saint-Nazaire ont débuté le 24 juillet 2006 pour cesser le 4 octobre 2012. Elles ont donc duré 6 ans et 2 mois au moment de la rupture. La société Atos a bénéficié d'un préavis initial de près de 3 mois, puis a été avisée le 29 novembre 2012 par la société BP que le délai de préavis était prolongé au 29 mars 2013 à la demande de la société Famat. Il n'est donc pas contesté que la société Atos a finalement bénéficié d'un préavis de près de 6 mois.

Il ressort des documents comptables de l'année 2012 et des factures correspondantes communiqués par la société Atos que le chiffre d'affaires annuel moyen entre elle et la société Atos est de 86 640 euros au titre des prestations réalisées sur ce site. Par ailleurs, il ressort de l'attestation de l'expert-comptable de la société Atos et de ses documents comptables que le chiffre d'affaires global entre les 2 sociétés est de 2 010 404,50 euros. La société Atos soutient, sans être contredite, avoir enregistré en 2012 un chiffre d'affaires global de 9 200 000 euros.

En outre, la société Atos ne démontre pas être en état de dépendance économique au sens du texte précité, au motif que la société BP n'imposait pas une exclusivité de la société Atos à son égard et que le respect des directives de l'entreprise principale par le sous-traitant ne caractérise pas en soi la dépendance économique. De même, la reprise des salariés n'est pas obligatoire et le refus par la société BP de reprendre les salariés de la société Atos sur le site ne peut caractériser une dépendance économique de cette dernière à l'égard de la première ni constituer une faute. Ces éléments n'ont d'ailleurs pas à être pris en compte en l'espèce pour déterminer la brutalité des ruptures reprochées.

Au regard de ces seules informations soumises à la cour, il y a lieu de fixer le délai de préavis à 3 mois. La rupture des relations commerciales établies pour le site de la société Famat située à Saint-Nazaire n'est donc pas brutale.

Sur les prestations réalisées sur les sites de la société TRW situé à Bouzonville, de la société AMTP situé à Hautmont, de la société Delphi situé à Blois et de la société Sanden situé à Tinténiac

Les relations commerciales entre les sociétés BP et Atos pour le site de la société TRW situé à Bouzonville ont débuté le 1er novembre 2006. Ensuite, la société BP a confié à la société Atos le site de la société Sanden situé à Tinténiac à compter du 1er juillet 2008, puis le site de la société Delphi situé à Blois à compter du 1er septembre 2008, et enfin le site de la société AMTP situé à Hautmont à compter du 1er septembre 2009.

Pour ces quatre sites, la rupture étant intervenue le 15 novembre 2012, les relations commerciales ont donc duré 6 ans au moment de la rupture et la société Atos a bénéficié d'un préavis de 5 mois et demi.

Il ressort des documents comptables de l'année 2012 et des factures correspondantes communiqués par la société Atos que le chiffre d'affaires annuel moyen entre elle et la société Atos est de 1 026 006 euros au titre des prestations réalisées sur ces quatre sites.

Au regard de ces seules informations soumises à la cour et des chiffres comptables déjà évoqués ci-dessus, il y a lieu de fixer le délai de préavis dont avait besoin la société Atos pour réorganiser son activité à 5 mois. Dans ces conditions, la rupture des relations commerciales établies pour les sites de la société TRW située à Bouzonville, de la société AMTP située à Hautmont, de la société Delphi située à Blois et de la société Sanden située à Tinténiac n'est pas brutale.

Sur les prestations réalisées sur les trois sites de la société Turbomeca situés à Bordes, Tarnos et Buchelay

Les relations commerciales entre les sociétés BP et Atos pour les sites de la société Turbomeca situés à Bordes, Tarnos et Buchelay ont débuté le 1er juillet 2008 pour cesser le 16 mai 2013. Elles ont donc duré 4 ans et 10 mois au moment de la rupture. La société Atos a bénéficié d'un préavis de plus de 7 mois.

Il ressort des documents comptables de l'année 2012 et des factures correspondantes communiqués par la société Atos que le chiffre d'affaires annuel moyen entre elle et la société Atos est de 777 930 euros au titre des prestations réalisées sur ce site.

Au regard de ces seules informations soumises à la cour et des chiffres comptables déjà évoqués ci-dessus, il y a lieu de fixer le délai de préavis à 3 mois. La société Atos ayant bénéficié d'un délai de préavis de près de 6 mois, la rupture des relations commerciales établies pour les sites de la société Turbomeca situés à Bordes, Tarnos et Buchelay n'est pas brutale.

Il y a donc lieu de rejeter les demandes de la société Atos au titre de la brutalité de la rupture des relations commerciales établies. Le jugement doit être confirmé sur ce point.

Sur l'abus de dépendance économique

La société Atos, en se fondant sur l'article L. 420-2 du Code de commerce, soutient que la société BP France a exploité abusivement la situation de dépendance économique dans laquelle était la société Atos à son égard. Elle explique que le déséquilibre économique entre elles est important car la société BP France a réalisé en 2012 un chiffre d'affaires de plus de six milliards sept cent millions d'euros alors qu'elle, créée en 2005 à l'initiative de la société BP France, est une société qui a réalisé en 2012 un chiffre d'affaires total de 9 200 000 euros. Elle indique que la société BP a fait preuve à son égard d'une attitude déloyale, tant dans l'exécution que dans la rupture des différents contrats, en profitant de sa totale dépendance économique à son égard, dépendance qu'elle avait organisée. Ainsi, elle fait valoir que :

- lors de l'exécution des contrats, la société BP l'a instrumentalisée pour mettre en place à son insu des pratiques illicites et préjudiciables aux intérêts de ses clients (manœuvres de tromperie et de fausses informations ou surfacturation),

- lors de la rupture des contrats, la société BP a eu une attitude déloyale car elle a refusé de communiquer les motifs du rejet des soumissions de la société Atos dans le cadre des appels d'offres, et de reprendre le personnel attaché aux contrats qu'elle avait dénoncés, alors même qu'elle avait imposé cette reprise lors de leur conclusion.

Enfin, elle souligne que la société BP ne saurait lui reprocher de s'être placée en situation de concurrence avec elle.

La société BP réplique que la société Atos ne justifie d'aucun des éléments constitutifs d'un abus de position dominante, qu'il s'agisse de la définition du marché pertinent ou de sa position dominante sur ce marché non identifié. Elle indique que le simple fait qu'une société réalise même la totalité de son chiffre d'affaires avec une seule autre est indifférent dès lors que cette situation ne lui a pas été imposée et qu'il lui était possible de trouver des alternatives. Enfin, elle soutient que la société Atos s'est placée en situation de concurrence avec elle en répondant et en remportant des appels d'offre sur des marchés auxquels elle répondait aussi.

L'article L. 420-2 du Code de commerce dispose :

" Est prohibée, dans les conditions prévues à l'article L. 420-1, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées.

Est en outre prohibée, dès lors qu'elle est susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées, en pratiques discriminatoires visées au I de l'article L. 442-6 ou en accords de gamme ".

La société Atos ne démontre pas que les griefs qu'elle invoque sont susceptibles d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, étant d'ailleurs relevé que le marché pertinent n'est pas défini par elle. En outre, la société Atos n'établit pas plus être en état de dépendance économique à l'égard de la société BP, celle-ci n'étant pas dans l'impossibilité de faire appel à d'autres sociétés du secteur d'activité. Par ailleurs, il convient de relever que la société Atos ne prouve également pas avoir été instrumentalisée et que la société BP ait abusé de sa situation. Ainsi, les griefs invoqués, au demeurant non établis, de la mise en place de pratiques illicites par la société BP ou non fautives s'agissant du refus de communiquer les motifs du rejet de ses soumissions dans le cadre des appels d'offres et de reprendre le personnel attaché aux contrats, ne peuvent caractériser un abus de dépendance économique de la société BP à l'égard de la société Atos.

Il y a donc lieu de rejeter les demandes de la société Atos au titre de l'abus de dépendance économique. Le jugement doit être confirmé sur ce point.

Sur les dommages-intérêts pour procédure abusive réclamés par la société BP France

L'exercice d'une action en justice ne dégénère en abus que s'il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi, ou s'il s'agit d'une erreur grave équipollente au dol. L'appréciation inexacte qu'une partie se fait de ses droits n'est pas constitutive en soi d'une faute.

La société BP France ne rapporte pas la preuve de ce que l'action de la société Atos aurait dégénéré en abus. Elle doit être déboutée de sa demande de dommages-intérêts. Le jugement doit être confirmé sur ce point.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile

Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement sur les dépens et l'application qui y a été faite des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Atos doit être condamnée aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, ainsi qu'à payer à la société BP France la somme supplémentaire de 10 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.

Le sens du présent arrêt conduit à rejeter la demande par application de l'article 700 du Code de procédure civile formulée par la société Atos.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement ; Y ajoutant ; Condamne la société Atos aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, ainsi qu'à payer à la société BP France la somme supplémentaire de 10 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ; Rejette toute autre demande.