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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 5 décembre 2018, n° 16-07447

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Concept Industriel des Plastiques (SAS)

Défendeur :

Legal (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

T. com. Rennes, du 24 mars 2016

24 mars 2016

Faits et procédure

En 2010, la société Legal (dont M. X est le président), principal torréfacteur de café en France, a souhaité investir dans la conception de capsules destinées aux machines à café type Nespresso ; elle a chargé la société Y de réaliser les plans techniques de ce projet et ces deux sociétés ont signé le 3 septembre 2010 un accord de confidentialité.

Après réalisation de différents prototypes de moules et de capsules, la société Legal a cherché une société pour réaliser les moules de production et pour injecter la matière plastique ; elle a alors confié à la société Concept Industriel des Plastiques (CIP), société d'injection plastique spécialisée dans le moulage des produits en grande série, une mission portant sur l'étude et la conception des moules, l'injection, l'ajustage, le montage et les essais de mise au point et le 3 février 2011, elle a conclu un nouvel accord de confidentialité avec la société CIP et la société Seropa, choisie par cette dernière comme outilleur pour la réalisation des moules des capsules pour matières thermoplastiques d'essai et de série.

Le 4 février 2011, la société Legal a passé commande auprès de la société CIP de différents moules destinés au moulage des capsules et le 19 octobre suivant, elle a passé une nouvelle commande portant sur deux moules 24 empreintes de dose individuelle bi-matière et deux moules 24 empreintes d'opercule.

Le 13 octobre 2011, la société CIP a commandé à une société portugaise FJN des moules nécessaires à la fabrication des opercules et ces deux sociétés ont signé un accord de confidentialité. La société CIP a également chargé la société Axindus d'une mission d'études techniques et de tests ; elles ont également signé un accord de confidentialité.

Soupçonnant une violation de l'accord de confidentialité du 3 février 2011, la société Legal et M. X ont obtenu le 12 avril 2012 du président du tribunal de commerce de Caen une mesure d'instruction sur le fondement des articles 145 et 875 du Code de procédure civile.

Le 17 avril 2012, la société Legal a rompu ses relations commerciales avec la société CIP en se prévalant d'une violation de l'accord de confidentialité du 3 février 2011 et d'une volonté de produire industriellement des dosettes non conformes techniquement et potentiellement nocives pour la santé des consommateurs ; elle a également mis en demeure la société CIP de lui restituer sans délai toutes les informations confidentielles, deux moules, trois prototypes et des capsules. Le 3 mai suivant, la société CIP a, pour sa part, réclamé à la société Legal le paiement de nombreuses factures.

Par acte du 16 mai 2012, la société Legal et M. X ont fait assigner la société CIP devant le tribunal de commerce de Caen, lequel, par jugement du 8 janvier 2014, s'est déclaré territorialement incompétent au profit du tribunal de commerce de Rennes. Selon décision du 24 mars 2016, cette juridiction consulaire a :

- condamné la société CIP à payer à la société Legal et à M. X les sommes de :

* 100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'accord de confidentialité,

* 18 483,63 euros à titre de dommages et intérêts correspondant à la facture établie par la SCP A, huissiers de justice,

* 500 000 euros en dommages et intérêts correspondant aux retards subis pour la mise sur le marché des capsules,

* 10 000 euros en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la société Legal à verser à la société CIP la somme de 160 396,60 euros au titre des factures impayées,

- ordonné la compensation de ces sommes,

- condamné la société CIP à régler à la société Legal et à M. X la somme de 500 000 euros si, un mois après la signification du présent jugement, la société CIP n'avait pas restitué toutes "les informations confidentielles" dont elle a été destinataire,

- dit que toutes les sommes susindiquées porteront intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement,

- ordonné la capitalisation des intérêts,

- débouté les parties de leurs autres demandes.

Selon dernières conclusions notifiées le 20 avril 2018, la société CIP, appelante, sollicite :

- la réformation du jugement entrepris,

- le rejet de toutes les demandes de la société Legal et de M. X,

- la condamnation de la société Legal à lui payer les sommes de :

* 369 488,53 euros TTC arrêtée au 5 juin 2012 au titre des factures,

* 660 583 euros à parfaire correspondant au remboursement des investissements réalisés,

* 5 000 000 euros sauf à parfaire, pour le préjudice subi du fait de la rupture fautive et abusive des relations contractuelles,

* à défaut 5 000 000 euros, sauf à parfaire, représentant le préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations contractuelles,

- à titre subsidiaire, l'octroi d'une somme de 5 000 000 euros à titre de provision et avant dire droit sur le seul préjudice, ordonner une expertise aux fins de chiffrer son préjudice et ce, aux frais avancés des demandeurs,

- en toute hypothèse, la condamnation de la société Legal au paiement d'une somme de 200 000 euros à titre de dommages et intérêts pour atteinte à sa réputation, d'une somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et des dépens,

- la production sur les sommes allouées d'intérêts au taux légal capitalisés conformément à l'article 1343-2 du Code civil.

Suivant dernières conclusions notifiées le 3 mai 2018, la société Legal et M. X, intimés, réclament :

- le rejet de toutes les prétentions de la société CIP,

- la constatation que la société CIP a violé de manière manifeste et réitérée l'accord de confidentialité signé le 3 février 2012 avec eux et la société Seropa

- la condamnation à ce titre de la société CIP au paiement des sommes de :

* 100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral et d'image,

* 18 483,63 euros à titre de dommages et intérêts correspondant à la facture établie par la SCP A à la suite de sa désignation par ordonnance du 12 avril 2012,

- la condamnation de la société CIP au paiement de la somme de 500 000 euros puisqu'elle n'a pas déféré aux deux injonctions adressées les 17 avril et 3 mai 2012 d'avoir à restituer :

* toutes les informations confidentielles dont elle a été destinataire,

* les deux moules opercule dont l'un se trouve au Portugal chez la société FJN et l'autre dans les locaux de la société CIP,

* les trois prototypes qui se trouvent dans les locaux de la société CIP (deux prototypes de moule capsule et un prototype de moule opercule),

toutes les capsules produites par la société CIP et conservées par elle,

- la condamnation de la société CIP à payer les sommes de :

* 13 966 945 euros correspondant à la perte de revenu de la société Legal par la faute de la société CIP telle qu'établie par le rapport Cofysis,

* 1 001 547 représentant les surcoûts supportés par la société Legal du fait des manquements de la société CIP, tels que chiffrés par la société Cofysis,

* 15 000 euros à M. X et 15 000 euros à la société Legal par application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- la condamnation sur les sommes allouées au paiement des intérêts à compter du 16 mai 2012, date de l'assignation conformément aux dispositions de l'article 1231-7 du Code civil, intérêts à capitaliser dans les conditions de l'article 1343-2 du Code civil, outre la condamnation aux dépens de première instance et d'appel.

Sur ce, LA COUR

Sur les demandes de la société Legal

Au soutien de son appel, la société CIP conteste avoir violé l'accord de confidentialité signé avec la société Legal en expliquant que cette dernière et M. X ont toujours su qu'elle devait avoir recours à des sociétés extérieures pour la réalisation du projet. Elle estime que l'accord de confidentialité ne pouvait porter que sur la capsule elle-même et non sur l'opercule qui n'entrait pas dans le champ du contrat puisque les plans ont été réalisés par elle-même, qu'elle a conçu la zone d'étanchéité en proposant la "bi-matière" ainsi que le dôme de la zone de percussion, de sorte que la société FNJ, chargée seulement de la réalisation de l'opercule n'a pu violer l'accord invoqué. En toute hypothèse, elle se prévaut de la signature avec cette dernière le 25 octobre 2011 d'un accord de confidentialité, cette date valant jusqu'à preuve contraire. Elle prétend également que la société Y, chargée de la conception initiale, s'est avérée incapable de fournir des plans corrects et opérationnels, de sorte qu'elle a dû également avoir recours à la société Axindus, à qui elle a confié la mission de " la gestion de projet pour la définition et la mise en place d'un équipement de contrôle d'étanchéité de capsule plastique ", et avec laquelle elle a signé un accord de confidentialité. Elle considère que ni la société Seropa ni la société FNJ, ni la société Axindus n'ont porté atteinte à la confidentialité du projet ou à l'image de l'entreprise Legal et n'y avaient d'ailleurs pas intérêt. Elle réplique que le cahier des charges a été respecté, que la société Legal ne fait aucune démonstration de la non conformité des capsules ou de leur nocivité pour la santé des consommateurs et que les tests réalisés du 19 au 21 mars 2012 étaient positifs. Enfin, elle estime que les usages dans ce type d'activité ne nécessitent pas la signature de tels accords, qui sont inhabituels.

La société Legal se prévaut de la violation par la société CIP de l'accord de confidentialité du 3 février 2011 en soutenant que la société CIP a fait, sans son autorisation, appel en juillet 2011 à une société portugaise FJN pour la réalisation de certains des moules puis a eu recours aux services d'une société Axindus en lui sous-traitant la réalisation des tests de capsules, la rédaction de rapports et le dessin des plans et dessins techniques, constituant des missions qui lui avaient été spécifiquement confiées. Elle conteste que l'accord de confidentialité ne porte que sur la capsule elle-même et pas sur l'opercule, qui fait partie intégrante de la capsule.

Il ressort de l'accord de confidentialité du 3 février 2011 que la société CIP avait retenu la société Seropa comme outilleur en vue de la réalisation des moules pour matières thermoplastiques d'essai et de série nécessaires à la réalisation du projet, laquelle avait d'ailleurs à ce titre signé cet accord. Si l'intervention d'un outilleur extérieur était connue de la société Legal, comme le soutient la société CIP, il avait donc pour seul nom la société Seropa.

Or, la société CIP n'a en définitive pas fait appel à cette société, et ce, sans en informer et sans consulter la société Legal sur le choix du nouveau mouliste. Il apparaît des constatations de l'huissier de justice désigné par le président du tribunal de commerce (pièce 11 de la société Legal en page 5) que la société CIP s'est rapprochée d'une société portugaise FJN dès juillet 2011 par un courriel contenant une pièce jointe intitulée " opercule.pdf ". A supposer même que M. X ait reçu le mail du 13 octobre 2011 (dont l'intimée se prévaut et aux termes duquel elle a commandé à une société portugaise FJN la réalisation "d'un moule 24 empreintes"), il ne saurait constituer un accord écrit et préalable de la société Legal, qui aurait du, en tout état de cause, être signataire de l'accord, conformément à l'article 3 de l'accord de confidentialité. La société CIP ne saurait davantage sérieusement prétendre avoir fait signer le 25 octobre 2011 un accord de confidentialité à la société portugaise dès lors qu'il résulte des investigations de l'huissier de justice, Maître B, que c'est seulement le 29 février 2012 que la société CIP, par l'intermédiaire de M. D, l'a adressé à celle-ci (via M. C) en lui demandant de lui retourner rapidement avec les initiales sur chaque page et la signature sur la dernière page ; cet accord a alors été transmis le 8 mars 2012 par la société CIP à la société Legal.

Par ailleurs, la société CIP ne fait aucunement la démonstration que les moules d'opercule seraient exclus de l'accord de confidentialité ; en effet, d'une part, le terme "Informations Confidentielles" recouvre "toute information que les personnes Legal communiquent à CIP ou Seropa dans le cadre et pour les besoins du projet, et tout résultat, y compris technique, issu des négociations entre les parties" ainsi que " les négociations entre les parties à propos du projet et (...) toutes informations ou toutes données de quelque nature que ce soit (...) tous documents écrits, imprimés, électroniques, plans spécifications, formules, logiciels, systèmes, prototypes, schémas, résultats scientifiques, technique de recherche, tous échantillons, tous modèles (...)", de sorte qu'il n'est pas établi que les moules d'opercule aient fait l'objet d'une exclusion quelconque. D'autre part, dans l'extrait du registre européen des brevets (pièce 37-1 de la société Legal), la capsule est décrite comme comprenant un corps en forme de coupelle (avec paroi latérale extérieure, un fond, un rebord annulaire et un opercule qui ferme la paroi latérale extérieure à l'extrémité avant), la capsule étant adaptée pour être disposée dans un dispositif d'extraction de sorte qu'un liquide d'extraction sous pression pénètre dans la capsule par le fond et en sorte par l'opercule. Ainsi, l'opercule faisant partie intégrante de la capsule, la théorie de la société CIP, selon laquelle l'accord de confidentialité ne lui est pas applicable ne repose sur aucun argument objectif. Cette position est au demeurant contraire à l'idée qu'elle développe aux termes de laquelle elle a fait signer un accord de confidentialité au mouliste.

De surcroît, la société CIP ne peut sérieusement prétendre que le cahier des charges remis initialement n'était pas efficient, dès lors que dans sa commande n° 15336 à la société FJN elle précise que le moule est conforme au cahier des charges (sa pièce n° 9).

Si elle affirme également avoir été contrainte de recourir aux services de la société Axindus du fait de la carence de la société Y, de sorte qu'elle aurait confié à la première la réalisation de tests sur le produit et l'établissement de rapports d'essais sur l'aptitude à la fonction, sans référence à la société Legal, elle ne justifie par aucune pièce des insuffisances de la société Y, à laquelle elle n'a jamais adressé de réclamations.

Contrairement à ses simples assertions, il résulte de la pièce 29 de la société Legal que les essais qu'elle a réalisés du 19 au 21 mars 2012 sous l'égide de la société Y étaient loin d'être positifs ; en effet les salariés de cette dernière société se sont inquiétés lors de ces essais du "dégagement d'odeurs toxiques nuisant à la santé de l'injecteur et des personnes assistant aux tests", ont remarqué "sur des pièces récentes ou anciennes un état dégradé du plastique qui peut créer de dégâts dans le futur pour le consommateur et le client", que "CIP n'a pas pris les mesures nécessaires pour injecter correctement et avec les bons paramètres, ni les mesures nécessaires pour assurer la fiabilité des capsules en production, ce qui peut porter un grand préjudice au client final", que "M. D ne suit pas une méthode précise et claire, tâtonnant pour trouver les bons paramètres de réglages", que "depuis février 2011 l'injection n'est pas réalisée dans des conditions conformes aux prescriptions des fournisseurs et aux règles de l'art", et enfin, que " le mélange de deux matières alimentaires n'est pas forcément alimentaire et n'est certifié par aucun document, chaque certificat d'alimentarité excluant tous les mélanges avec des additifs non prévus " ; ils ont conclu leur rapport en soulignant qu'ils ont été confrontés "à une insuffisance technique à propos de la maîtrise des paramètres d'injection'. La société CIP ne saurait combattre la véracité de cette pièce par l'unique attestation de son propre salarié, M. D, qui réalisait lui-même les tests.

Pour la seconde société Axindus, il ressort du constat de Maître D, huissier de justice (pièce 12 de la société Legal), d'une part, que dès le 16 septembre 2011, la société CIP a adressé à cette dernière société les plans de la capsule développée par la société Legal sur lesquels figurait le logo "Legal", contrairement à ce que soutient l'intimée, d'autre part que la mission confiée par la société CIP à cette dernière le 26 septembre 2011 consistait en une "délégation de compétence de gestion de projet pour la définition et la mise en place d'un équipement de contrôle d'étanchéité de capsule plastique" et plus précisément à : une

" - Mise à jour de dossier de plan de pièces conçues par CIP,

- Imaginer une solution technique de test d'étanchéité des capsules en vue de mettre en place un moyen de contrôle de production,

- Insérer et implanter la machine ainsi que les moyens de test dans l'atelier d'injection de CIP ".

Or, cette mission lui avait été confiée spécifiquement à l'origine, puisque "l'étude et conception des moules, l'usinage de carcasse, l'ébauche des empreintes, l'usinage des électrodes, l'ajustage et le montage, les essais de mises au point, tout le suivi technique du moule, le développement de la zone de percussion, les essais matières, le moule 4 empreintes de capsule de cafés torréfiés (moules d'essais, de développement et production)" figurent dans la lettre du 27 janvier 2011 adressée par la société CIP à la société Legal (pièce n °1 de la société CIP).

Il apparaît également de la pièce 40 de l'intimée que la société Axindus et son dirigeant M. E ont été rémunérés pour une sous-traitance dans l'affaire Legal d'octobre à décembre 2011 et de février à avril 2012 à hauteur des sommes respectives de 13 840 et de 13 337 euros.

La circonstance que par courriel du 5 janvier 2012 (pièce 20 de la société Legal) la société CIP a cherché à faire croire à la société Legal qu'elle avait effectué elle-même des tests sur l'analyse de la percolation des capsules de café type Nespresso, alors qu'il résulte des constatations de l'huissier de justice que l'auteur du fichier dans lequel se trouve le rapport adressé en format Pdf qui se nomme "AX-1015", est Arvin Merior, précédent employeur de M. E dirigeant de la société Axindus, démontre que la société CIP avait l'intention de cacher l'intervention de cette dernière à la société Legal.

Pour prétendre n'avoir violé aucune obligation de confidentialité, la société CIP invoque la signature d'un accord de confidentialité du 20 avril 2012, soit trois jours après l'intervention de l'huissier de justice sur le site de la société CIP et le lendemain de la réception du courrier recommandé de rupture des relations adressé par la société Legal le 17 avril 2012, ce qui permet à juste titre à la société Legal d'opposer l'absence de pertinence de cet accord dans ce contexte.

La société CIP n'est pas davantage fondée à soutenir que de tels accords de confidentialité étaient inhabituels dès lors qu'elle a pris un engagement clair et non équivoque de "ne pas communiquer les Informations Confidentielles à des tiers (...) pour quelque cause que ce soit, directement ou par l'intermédiaire d'autrui, en tout ou partie, sans le consentement préalable et écrit des personnes Legal. Dans l'hypothèse où CIP et ou Seropa auraient besoin de transmettre des Informations Confidentielles à un tiers, pour quelque cause que ce soit, CIP et Seropa s'engagent préalablement à ce transfert, à obtenir l'accord écrit des personnes Legal et à faire signer à ce tiers un accord de confidentialité dont elles seraient partie et garant de la même nature que le présent accord, dont les personnes Legal devront être obligatoirement signataires et bénéficier de ses dispositions en terme de protection des Informations Confidentielles". La rédaction même de cette clause montre le caractère " secret industriel " des informations relatives à la conception des capsules et l'importance première pour la société Legal de garder confidentielles toutes ces informations, ce qui constituait alors une obligation essentielle pesant sur la société CIP, dont elle ne saurait s'exonérer pour quelque motif que ce soit.

Par ailleurs, il apparaît que cette dernière n'a pas été en mesure de respecter les délais impartis, contrairement à ce qu'elle affirme ; en effet, dans la première commande, elle devait rendre la première pièce la semaine 15 de 2011 et la première moulée la semaine 28 de la même année. Dans la seconde commande du 19 octobre 2011, le premier moule (empreinte de dose individuelle bi-matière) était à livrer fin décembre 2011 et le deuxième moule fin février 2012 ; les mêmes échéances étaient prévues pour les moules d'empreintes d'opercule.

Or, il résulte des comptes-rendus établis tant par la société CIP le 5 janvier 2012 (pièce 42 de la société CIP) constatant l'inefficacité de la percolation des capsules et un défaut d'étanchéité au niveau de la collerette, que par la société Y (pièces 27 et 20 de la société Legal) que les recherches effectuées par la société CIP et les tests réalisés en mars 2012 n'ont pas permis de mettre au point un processus définitif de fabrication des capsules et de procéder en temps voulu à la livraison des moules de capsules et d'opercules promis, de sorte que la société Legal justifie que l'appelante avait dépassé les délais de livraison contractuellement prévus.

La société Legal fait encore grief à la société CIP d'avoir produit des capsules non conformes techniquement et potentiellement nocives pour la santé des consommateurs. Si le processus de fabrication par la société CIP est apparu artisanal au cours des différentes journées de test et particulièrement les dernières journées de mars 2012, la société Legal n'apporte toutefois pas la preuve scientifique d'un danger pour le consommateur, puisque les fiches techniques générales qu'elle verse aux débats (ses pièces 30, 31 et 32) se rapportent au matériau polypropylène, Grivory G 21 (co-polyamide amorphe) ou matériaux polymères mais n'ont pas trait spécifiquement aux capsules réalisées par la société CIP laquelle produit, pour sa part, un certificat de conformité de la matière choisie aux règles d'alimentarité (sa pièce 15). L'argument tiré du caractère non alimentaire des capsules mises au point par la société CIP est par conséquent inopérant.

En définitive, il est acquis que la société CIP n'a jamais sollicité l'accord préalable de la société Legal avant de communiquer des informations confidentielles tant à la société FJN qu'à la société Axindus, que la société Legal n'est, en tout état de cause, pas signataire des accords de confidentialité dont se prévaut la société CIP, de sorte que la violation de l'accord de confidentialité du 3 février 2011 est démontré. En outre la preuve est apportée que la société CIP, compte tenu de ses insuffisances techniques, n'a pas respecté les délais contractuels de livraison. La décision des premiers juges sur la violation de l'accord de confidentialité par la société CIP doit donc être confirmée.

La société Legal et M. X réclament, du fait de cette violation, le paiement des sommes de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral et d'image et de 18 483,63 euros à titre de dommages et intérêts correspondant à la facture établie par la SCP A à la suite de sa désignation par le Président du tribunal de commerce de Caen le 12 avril 2012.

Toutefois, ils ne produisent aucune pièce permettant de justifier d'un quelconque préjudice ; en effet, la société Legal ne démontre pas que ses clients, prévenus de l'invention d'une nouvelle capsule par une campagne de publicité, auraient été déçus d'attendre deux années ou que les sous-traitants, les sociétés extérieures au projet auraient pu révéler des informations quelconques sur ce nouveau produit qui auraient été utilisées par un concurrent, de sorte qu'elle n'établit nullement avoir subi un préjudice moral ou d'image. Par ailleurs, les constats d'huissier de justice, dont les intimés réclament le paiement, sont en réalité des preuves que la société Legal et M. X ont du se constituer pour étayer leur dossier ; le paiement de cette facture leur incombe donc.

La société Legal et M. X sollicitent également le règlement des sommes de :

- au titre de la perte de revenus

* 538 152 euros pour la perte de revenus consécutive au retard de commercialisation dû à la société CIP,

* 3 942 620 euros représentant la perte de chance sur activité de la société Legal consécutive à une moindre pénétration du marché,

* 9 487 173 euros correspondant à la perte de chance sur productivité de la société Legal consécutive à une maîtrise retardée des processus d'industrialisation,

soit au total une somme de 13 966 945 euros,

- au titre des surcoûts engagés

* 320 639 euros pour la mobilisation de l'équipe dirigeante,

* 387 686 euros représentant les frais de location de matériel,

* 293 222 euros correspondant aux versements effectués à la société CIP,

soit au total une somme de 1 001 547 euros.

La société Legal estime qu'elle peut imputer à la société CIP un retard de deux années dans la commercialisation des capsules qui n'a débuté selon elle qu'au cours du second semestre 2013 ; elle excipe en conséquence d'une perte de gains à hauteur de la marge non réalisée. Pour déterminer le volume d'affaires manqué, elle se prévaut d'un volume de 114 tonnes de café en dosette vendues en 2014, soit une perte de marché estimée à 4,3 %. Elle évoque également du fait de ce retard une perte de chance de conquérir une part de marché plus importante et une maîtrise retardée des processus d'industrialisation.

Or, il convient de constater, en premier lieu, que le retard de deux années imputé à la société CIP n'est pas justifié ; en effet, il ne peut être reproché à cette dernière un retard de fabrication à compter du 4ème trimestre 2011, dès lors que le second moule devait être réalisé fin février 2012 et qu'en outre la société Legal a participé pleinement et volontairement aux essais de mars 2012, compte tenu de la complexité du processus de fabrication. Il était ensuite nécessaire de prévoir, si les essais avaient été validés, un temps minimum de trois mois pour la fabrication. En définitive, le retard peut être calculé de juillet 2012 au second trimestre 2013, soit pendant une période de 12 mois.

En deuxième lieu, il importe de relever que la société Legal ne donne aucun élément sur la capsule qu'elle a effectivement mise sur le marché dès le second trimestre 2013, dont les différences avec la capsule fabriquée par la société CIP ne sont pas connues ; la société Legal n'apporte donc pas la preuve de ne pas s'être inspirée du travail déjà accompli par la société CIP ou avoir utilisé certains des travaux de développement de cette dernière.

En troisième lieu, la société Legal dans la présente instance ne produit ni bilans ni documents comptables qui auraient permis à la cour d'obtenir des éléments objectifs pour retenir un préjudice ; pour ne pas les produire, elle ne saurait sérieusement exciper du secret des affaires dans la présente instance où ses adversaires ne sont pas des concurrents. Elle ne verse aux débats qu'un rapport du Cabinet Cofydis qu'elle a mandaté à cette fin et qui s'appuie sur " les pièces communiquées " par sa cliente sans même préciser la nature desdites pièces, de sorte que la valeur probante de ce rapport peut être mise en question. Ainsi, la société Legal prétend avoir vendu en 2014, 114 tonnes de café en dosette et avoir conquis une part de marché de 4,3 % mais aucun document économique objectif ne permet de corroborer ces éléments dudit rapport.

De même, le coefficient de réalisation pour apprécier la probabilité d'une moindre pénétration sur un marché ou d'une moindre rentabilité lorsqu'il s'agit d'une perte de chance n'est fondé sur aucun élément précis.

Pour les surcoûts que la société Legal dit avoir engagés (salarial, d'équipement ou les dépenses), il convient de retenir que la non conformité des capsules fabriquées par la société CIP n'a pas été scientifiquement prouvée, que la société Legal n'a pas davantage démontré que l'ensemble des frais ont été engagés en pure perte et qu'il a fallu recommencer l'ensemble des travaux de développement entrepris, puisqu'aucun élément n'est produit sur la nouvelle capsule.

Enfin, il ressort du jugement du tribunal de commerce de Paris du 24 juillet 2008 arrêtant le plan de sauvegarde de la société Legal que le passif à apurer s'élevait à cette date à la somme de 15.150.816 euros, qu'une nouvelle décision de cette juridiction consulaire le 14 décembre 2015 a approuvé les modifications du plan de continuation et a reporté le paiement du solde de l'échéance de 1 039 000 euros.

Ainsi, la cour dispose d'éléments d'appréciation suffisants pour fixer le préjudice subi par la société Legal du fait du retard directement imputable à la société CIP pendant 12 mois dans la commercialisation des capsules à la somme de 300 000 euros.

La société Legal sollicite encore le paiement d'une somme de 500 000 euros dans la mesure où la société CIP n'a pas déféré aux deux injonctions qui lui ont été adressées les 17 avril et 3 mai 2012 d'avoir à restituer:

- toutes les informations confidentielles dont elle a été destinataire,

- les deux moules opercules dont l'un se trouve chez la société FJN et l'autre dans les locaux de la société CIP,

- les trois prototypes (deux prototypes de moule capsule et un prototype de moule opercule) qui se trouvent dans les locaux de la société CIP,

- toutes les capsules produites par la société CIP et conservées par elle.

La société CIP réplique que la société Legal a conservé le moule 4 empreintes qu'elle a transmis à Plastifrance, que le premier moule commandé et payé lui a été adressé par leurs conseils respectifs le 14 juin 2012 et que la société Legal n'est pas propriétaire des autres moules puisqu'ils sont restés impayés.

Il ressort de la pièce 20 de la société CIP que celle-ci a restitué le 11 juin 2012 " un moule une empreinte prototype de capsule bi-matière livré en deux parties ". Par ailleurs, la société Legal sera condamnée à payer les factures restées impayées, de sorte que la société CIP doit restituer l'ensemble des pièces restées en sa possession, hormis celle déjà remise le 11 juin 2012. Il n'y a pas lieu à condamner d'ores et déjà cette dernière au paiement d'une somme de 500 000 euros, dès lors qu'il lui est loisible d'exécuter la présente décision. En revanche, il y a lieu de la condamner à régler, à défaut pour elle de restituer toutes les informations confidentielles et toutes pièces restées en sa possession, une astreinte de 1 000 euros par jour de retard commençant à courir dans un délai de deux mois à compter du présent arrêt.

Sur les demandes reconventionnelles de la société CIP

La société CIP reproche d'abord à la société Legal d'avoir rompu abusivement et fautivement leurs relations commerciales ; elle estime avoir mené à bien le projet confié en dépit des difficultés à obtenir les validations périodiques de la société Legal aux différentes étapes de développement du produit, ce que conteste cette dernière.

Mais, il a été statué supra sur la violation par la société CIP de l'accord de confidentialité du 3 février 2011, sur le non respect par cette dernière des délais impartis et sur ses insuffisances techniques, de sorte que la société Legal a légitimement rompu les relations commerciales entre les parties pour inexécution de ses obligations essentielles par son partenaire.

Subsidiairement, la société CIP excipe d'une rupture brutale des relations commerciales en vertu de l'article L. 442-6 du Code de commerce, dès lors qu'il ne lui a pas été donné de signes susceptibles de l'alerter sur une possible rupture et qu'elle a été maintenue dans l'illusion totale d'une poursuite des relations.

La société Legal rétorque que leurs relations commerciales n'étaient pas établies au sens de l'article susmentionné et qu'en tout état de cause la gravité de l'ensemble des manquements de la société CIP a justifié la rupture.

Aux termes dudit article :

"Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait par tout producteur, commerçant industriel ou personne immatriculée au registre des métiers (..) de rompre brutalement, même partiellement une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce par des accords interprofessionnels.

Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure'.

Même si les sociétés Legal et CIP n'ont pas signé le contrat industriel exclusif en cours d'élaboration, leurs rapports contractuels ont été formalisés par l'accord de confidentialité du 3 février 2011, les deux commandes des 4 février et 19 octobre 2011 pour un coût respectif de 244 000 euros et 201 800 euros, par la réalisation d'un ensemble d'essais jusqu'en mars 2012 sous l'égide de la société Y, de sorte que l'on peut considérer que leurs relations commerciales étaient établies au sens de l'article précité. Toutefois, la rupture sans préavis a été justifiée par la gravité des fautes commises par la société CIP, à savoir la violation de l'accord de confidentialité, le non-respect des délais et ses insuffisances techniques, de sorte que la société CIP ne peut qu'être déboutée de ses demandes indemnitaires (préjudice financier, perte d'investissements) à ce titre, comme de sa demande de préjudice commercial tiré d'une perte de crédibilité ou d'atteinte à sa réputation. Dès lors, une mesure d'expertise pour chiffrer son préjudice s'avère inutile.

Enfin, la société CIP sollicite le paiement de factures pour un total de 369.488,53 euros arrêté au 5 juin 2012, somme que conteste devoir la société Legal.

Selon une facture du 14 novembre 2011 (pièce 33 de la société CIP), la somme due par la société Legal s'élevait à la somme de 724 058,40 euros ; mais le 10 février 2012 (pièce 34 de la société CIP) celle-ci réclamait le paiement du solde de 136 746,93 euros, l'encours étant de 161 264,93 euros en visant 6 factures impayées n° 25140, 25141, 25142, 25143, 25158 et 25 224. Selon le tableau récapitulatif dressé par la société CIP le 5 juin 2012 (sa pièce 23) sur un total de 369 488,53 euros TTC, la société Legal reste redevable d'une somme de 161 264,93 euros, faute pour la société CIP de donner des explications tant en première instance qu'en cause d'appel sur la mention "non facturée" pour la somme de 208 223,60 euros. La dette restant à payer par les intimés sera en conséquence fixée à la somme de 161 264,93 euros.

Les condamnations prononcées dans le présent arrêt porteront intérêts au taux légal à compter du jugement du 24 mars 2016 et lesdits intérêts seront capitalisés dans les conditions de l'article 1343-2 du Code civil. La décision des premiers juges de ce chef sera confirmée.

La société CIP sera condamnée à verser à la société Legal, dont M. X est le représentant, une indemnité de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs LA COUR, Infirme le jugement rendu le 24 mars 2016 par le tribunal de commerce de Rennes, hormis sur la violation de l'accord de confidentialité du 3 février 2011, la condamnation en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile, le calcul des intérêts et leur capitalisation ; Statuant à nouveau des chefs infirmés ; Condamne la société CIP à verser à la société Legal, dont le président est M. X, la somme de 300 000 euros au titre du préjudice commercial subi du fait du retard imputable à la première dans la commercialisation des capsules destinées aux machines à café Nespresso ; Condamne la société Legal à payer à la société CIP la somme de 161 264,93 euros au titre des factures impayées, Condamne la société CIP à restituer à la société Legal toutes informations confidentielles sur la capsule et l'ensemble des pièces restées en sa possession, hormis celle déjà remise le 11 juin 2012 et à défaut d'y procéder dans un délai de deux mois à compter du présent arrêt, elle devra régler une astreinte de 1 000 euros par jour de retard commençant à courir deux mois après le prononcé du présent arrêt ; Rejette toutes les autres demandes d'indemnisation formées par la société Legal et la société CIP ainsi que la demande d'expertise ; Codamne la société CIP à verser à la société Legal, représentée par M. X la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société CIP aux dépens de première instance et d'appel.