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Décisions

CA Reims, ch. civ. sect. 1, 4 décembre 2018, n° 17-00665

REIMS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Pierre Bourquin Communications (SAS)

Défendeur :

Paragon Transaction (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Martin

Conseillers :

Mme Mathieu, M. Lecler

Avocat :

Me Guillaume

T. com. Reims, du 7 mars 2017

7 mars 2017

Exposé du litige :

Les sociétés Pierre Bourquin Communication (ci après désignée PBC) et Paragon Transaction sont deux sociétés concurrentes d'imprimerie de labeur.

La société SFMS International, spécialisée dans l'édition et la maintenance de logiciels, était dirigée par Monsieur Franck B.. Elle a été placée en liquidation judiciaire par le tribunal de commerce de Poitiers, suivant jugement du 24 avril 2012.

La société FMS international, dirigée par Monsieur Franck B., qui est également gérant de la SAS PBC, est une entreprise de services aux entreprises.

La société Epiconcept, spécialisée dans les systèmes d'information dédiés à la santé et l'épidémiologie, était par ailleurs cliente de la société SFMS International puis de la société FMS International.

La société FMS International a cédé partiellement son fonds de commerce et sa clientèle à la société PBC, dont la société Epiconcept.

La société PBC imprimait des trames pour la société Epiconcept aux fins d'apporter aux centres spécialisés dans la détection du cancer du sein, une solution de contrôle et de comparaison de données de première et de deuxième lectures des radios.

Après quelques difficultés avec son fournisseur, la société Epiconcept a mis fin aux relations avec la société PBC, le 3 février 2012.

Sur la période de mars avril 2010, la société PBC rencontrant des difficultés financières importantes (elle a été déclarée en procédure de sauvegarde le 9 novembre 2010 et bénéficie depuis le 22 mars 2012 d'un plan de sauvegarde de 10 ans) a pris contact avec la société Paragon Transaction, envisageant un rapprochement, lequel n'a pas eu lieu.

Le 6 février 2012, Monsieur Patrick H., directeur des opérations et des systèmes d'information de PBC a remarqué qu'une liaison informatique avait été ouverte entre le serveur PBC utilisé pour les productions de fiches mammographiques et un site ftp du serveur de la société Paragon Transaction. Un constat d'huissier a été établi le 7 février 2012 sur l'existence de cette liaison.

Par ordonnance rendue le 5 mars 2012, le président du tribunal de commerce de Reims a ordonné une mesure d'expertise confiée à Monsieur Alex A. aux fins de constater les éléments sur le transfert des données et chiffrer le préjudice subi par la société PBC.

L'expert a rédigé son rapport le 9 décembre 2012.

Par acte d'huissier en date du 22 mars 2013, la société PBC, s'estimant victime d'une concurrence déloyale avec un préjudice important a fait assigner la société Paragon Transaction devant le tribunal de commerce de Reims, en paiement de dommages et intérêts pour concurrence déloyale , en raison du détournement des fichiers et de frais irrépétibles.

Par acte d'huissier en date du 11 avril 2013, la société Paragon Transaction a fait assigner Maître Marie Laëtitia CAPEL, es qualités de liquidateur de la SARL SFMS International, aux fins de voir déclarer celle ci responsable des préjudices réclamés à la société Paragon Transaction.

Par jugement en date du 25 juin 2013, le tribunal de commerce de Reims a prononcé la jonction des deux instances.

Par jugement rendu le 7 mars 2017, le tribunal de commerce de Reims a':

- constaté le transfert des fichiers, propriété de la SAS Pierre BourquinC. au profit de la SA Paragon Transaction,

- débouté la sas PIERRE B.C. de sa demande de réparation du préjudice résultant de cet acte de concurrence déloyale ,

- rejeté la demande de publication du jugement dans un journal local,

- rejeté la demande de communication de la pièce n°39 par la SAS PBC sous astreinte de 50 euros par jour,

- débouté la SA Paragon Transaction de sa demande de dommages et intérêts,

- condamné la SA Paragon Transaction à payer à la SAS Pierre Bourquin la somme de 1 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Le tribunal a notamment estimé que':

- la SA Paragon Transaction avait bien été donneur d'ordre du transfert des fichiers,

- mais que, sous couvert du secret des affaires, la SAS Pierre Bourquinn'ayant pas souhaité verser aux débats des documents probants pour étayer ses prétentions, le tribunal ne disposait pas des éléments nécessaires pour accorder une quelconque indemnité pour réparer l'acte de concurrence déloyale .

Par acte en date du 14 mars 2017, la SAS Pierre Bourquina interjeté appel de ce jugement.

Par un arrêt mixte rendu le 17 avril 2018, cette cour a':

- confirmé le jugement rendu par le tribunal de commerce de Reims en ce qu'il a':

- constaté le transfert des fichiers, propriété de la SAS Pierre Bourquin C. au profit de la SA Paragon Transaction,

- rejeté la demande de publication du jugement dans un journal local,

- débouté la SA Paragon Transaction de sa demande de dommages et intérêts,

- ordonné la réouverture des débats',

- invité la SAS Pierre Bourquin C. à produire des pièces probantes pour justifier de l'allocation d'une indemnisation du préjudice résultant du transfert des fichiers mis en exergue par l'expert judiciaire s'agissant de l'unique société Epiconcept dans un délai de 2 mois à compter du prononcé de l'arrêt,

- sursis à statuer sur la demande en réparation de la SAS Pierre Bourquin formée à l'encontre de la SA Paragon Transaction, au titre de l'acte de concurrence déloyal précité,

- réservé les dépens et les demandes en paiement fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile.

- renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état pour la production des pièces susvisées et conclusions des parties le cas échéant.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par la voie électronique le 3 juillet 2018, la société PBC conclut à l'infirmation partielle du jugement entrepris, en ce qu'elle a été déboutée de sa demande de dommages et intérêts.

Elle demande à la cour de':

- condamner la SA Paragon Transaction à lui payer la somme de 714 188,48 euros correspondant à 10 ans de marge brute ou au minimum à la somme de 293 225,44 euros correspondant à 5 ans de marge brute et à la durée des relations contractuelles entre la société Paragon Transaction et la société Epiconcept,

- condamner la société Paragon Transaction à lui payer la somme de 20 000 euros en réparation de son préjudice moral,

- condamner la société Paragon Transaction à lui payer la somme de 59.448,60 euros au titre de la réparation de son préjudice financier lié au paiement des leasing de matériels dédiés au client Epiconcept,

- condamner la société Paragon Transaction à lui payer la somme de 10 000 à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.

Elle expose que l'étendue de son préjudice est constitué par la perte du client Epiconcept et que cette perte entraîne une baisse du chiffre d'affaires immédiate puisque la rupture s'est faite sans préavis.

Elle indique que le compte client produit par la société Paragon Transaction certainement minimisé permet d'avoir une partie non contestable du préjudice qui est celle du gain réalisé par la société Paragon à hauteur de 184.858 euros grâce à ses agissements déloyaux .

Elle indique s'agissant de la détermination de son préjudice que la marge brute est calculée sur la base du chiffre d'affaires réalisé par elle avec ses clients diminué des coût directs en lien avec la réalisation de ce chiffre.

Elle insiste sur le fait que la preuve est libre en matière commerciale et que le calcul de la marge brute et de coûts directs a été attesté par la société d'expertise comptable et de commissariat aux comptes Fiduciaire de Champagne.

Elle fait valoir qu'elle subit également un préjudice né de la sous utilisation des équipements de production consacrés exclusivement au client Epiconcept, puisqu'il restait à l'époque de l'arrêt des relations commerciales entre elle et Epiconcept : 18 mensualités de leasing et 18 mensualités de maintenance pour un montant global de 59 448,60 euros.

Elle ajoute qu'elle a subi un préjudice moral en raison des faits de concurrence déloyale , dans la mesure où elle a dû faire face à un moment d'extrême faiblesse financière et que les agissements de la société Paragon Transaction auraient pu provoquer la liquidation judiciaire de l'entreprise et le licenciement de nombreux salariés.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par la voie électronique le 4 octobre 2018, la société Paragon Transaction demande à la cour de':

- débouter la société PBC de toutes ses demandes,

- condamner la société PBC à lui payer les sommes de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de 20 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.

Elle expose que ce n'est pas parce qu'une entreprise perd son client que son successeur concurrent l'a forcément "'détourné'".

Elle fait valoir qu'aucune entreprise ne peut garantir conserver un client d'une année sur l'autre et que la base de calcul sur 10 ans ou a fortiori 5 ans retenue par la société PBC est parfaitement déconnectée de la réalité économique.

Elle précise que les équipements de production ont pu être utilisés au profit d'autres clients et que la société PBC ne justifie pas de son impossibilité de les utiliser.

Elle ajoute que la procédure est abusive dans la mesure où la société PBC a modifié le montant de son préjudice en cours de procédure, en utilisant des principes de calcul ubuesques et des chiffres inexpliqués.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 octobre 2018.

Motifs de la décision :

* Sur la réparation des préjudices

Il incombe à la victime de la concurrence déloyale de démontrer la réalité du préjudice qu'elle invoque.

Seul le préjudice direct, actuel et certain est réparable et il appartient au demandeur de justifier de l'existence d'un préjudice direct et certain résultant de la perte d'une chance raisonnable.

* sur le préjudice économique

A l'issue de l'arrêt mixte de cette cour de réouverture des débats sur le point de l'indemnisation du préjudice résultant du transfert des fichiers mis en exergue par l'expert judiciaire s'agissant de l'unique société

Epiconcept, la SAS PBC a produit deux nouvelles attestations de son commissaire aux comptes Monsieur T. datées du 24 mai 2018. Celui ci certifie que "'la marge brute globale, telle qu'elle ressort des comptes établis au 31 décembre 2016 s'est élevée à 65,84% et au 31 décembre 2017 de 65,37%'".

La SAS PBC soutient que son taux global annuel de marge brute figurant dans ces derniers comptes annuels certifiés par le commissaire aux comptes est sensiblement équivalent au taux de marge brute généré par la production et la vente de fiches mammographies pour le client Epiconcept en 2011 (volume des ventes et cumul des coûts directs), dernière année complète de collaboration entre les deux sociétés.

L'expert judiciaire a précisé que les fichiers litigieux étaient indispensables à la production de la matrice à destination de la société Epiconcept.

Il est indéniable que le transfert des fichiers a entraîné une perte de la marge brute de la SAS PBC englobant le coût direct de production des fiches mammographies et de vente desdites fiches. La SAS PBC justifie de ce qu'en 2011, la société Epiconcept lui a commandé 411.294 fiches mammographie pour un montant total facturé de 70.562 euros HT.

L'étendue du préjudice de la SAS PBC est constituée par la perte du client Epiconcept, toutefois, en matière de relations commerciales, il n'y a pas de garantie immuable à la conservation d'un client d'une année sur l'autre, de sorte que la base de calcul invoquée par la SAS PBC sur dix années et au minimum sur cinq années est déconnectée de la réalité économique.

Au vu des éléments communiqués, il est cohérent de retenir une année de perte de la marge brute de la SAS PBC pour évaluer le préjudice subi par cette dernière, de sorte qu'il convient de condamner la SA Paragon Transaction à payer à la SAS PBC la somme de (70.562 x 65,5%) = 46.218,11 euros.

* sur le préjudice financier et matériel

La SAS PBC soutient qu'elle subit un préjudice du fait de la sous utilisation des équipements de production dédiés à l'activité d'impression spéciale dont les charges de leasing continuent à courir.

Il y a lieu de rappeler qu'aucune obligation contractuelle n'imposait à la SA Epiconcept de maintenir des relations contractuelles avec la SAS PBC pendant une durée déterminée et a fortiori pendant la durée du leasing de matériels acquis par la SAS PBC. De plus, il convient de souligner que la SAS PBC est un imprimeur et n'avait pas un seul client au moment où elle a acquis le matériel litigieux, de sorte que celle ci ne peut sérieusement affirmer que les imprimantes dont s'agit ont été achetées exclusivement pour être affectées au marché réalisé avec la société Epiconcept.

Dans ces conditions, il convient de débouter la SAS PBC de sa demande d'indemnisation de ce chef.

* sur le préjudice moral

Il résulte des pièces produites aux débats et notamment des éléments recueillis dans le cadre de l'expertise judiciaire que la SAS PBC a subi un préjudice moral en raison du comportement déloyal adopté par la SA Paragon Transaction à son égard.

La SAS PBC était en procédure de sauvegarde au moment du transfert de ses fichiers informatiques à une entreprise concurrente, de sorte que cela l'a affaiblie d'autant plus.

Au vu de ces éléments, il convient de condamner la SA Paragon Transaction à payer à la SAS PBC la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral.

* Sur les autres demandes

Il convient de rappeler que la cour dans son arrêt mixte rendu le 17 avril 2018 a déjà débouté la SA Paragon Transaction de sa demande en paiement pour procédure abusive, de sorte qu'il n'y a plus lieu de statuer sur ce point.

Conformément à l'article 696 du Code de procédure civile, la SA Paragon Transaction succombant, elle sera tenue aux dépens d'appel, comprenant notamment les frais d'expertise judiciaire.

La nature de l'affaire et les circonstances de l'espèce commandent de condamner la SA Paragon Transaction à payer à la SAS PBC la somme de 10 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles et de la débouter de sa demande sur ce même fondement.

Par ces motifs, La COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire, Vu l'arrêt mixte de cette cour rendu le 17 avril 2018, Infirme le jugement rendu le 7 mars 2017 par le tribunal de commerce de Reims, en ce qu'il a débouté la SAS Pierre Bourquin C. de sa demande en réparation du préjudice résultant de la concurrence déloyale, Et statuant à nouveau, Condamne la SA Paragon Transaction à payer à l a SAS Pierre BourquinC. les sommes de': - 46 218,11 euros en réparation de son préjudice économique, - 10 000 euros en réparation de son préjudice moral. Déboute la SAS Pierre Bourquin C. de sa demande en réparation au titre du préjudice matériel et financier. Le Confirme pour le surplus. Y ajoutant, Condamne la SA Paragon Transaction à payer à l a SAS Pierre BourquinC. la somme de 10 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles. La Déboute de sa demande sur ce même fondement. Condamne la SA Paragon Transaction aux dépens d'appel comprenant notamment les frais d'expertise judiciaire et autorise la SCP ACG, avocats, à les recouvrer directement dans les formes et conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.