Livv
Décisions

CA Saint-Denis de la Reunion, ch. com., 7 décembre 2018, n° 17-00693

SAINT-DENIS DE LA RÉUNION

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Fascom International (SARL)

Défendeur :

Usiniere De Bois Cheri (Sté), Phoenix Reunion (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pony

Conseillers :

Mmes Vollette, Karrouz

Avocats :

MM Hyppo, Antelme, Codet, Parent

T. com. Saint Denis, du 11 mars 2013

11 mars 2013

LA COUR

La société USINIERE DE BOIS CHERI, société de droit mauricien, fabrique les thés de la marque Bois Chéri.

Le produit était, depuis les années 70, importé et commercialisé par la société MAISON Ah SING. Suite à sa scission intervenue en 1995, la société FASCOM INTERNATIONAL, nouvellement créée a repris l'activité d'importation et de commercialisation des thés de la marque Bois Chéri à la Réunion.

La société FASCOM INTERNATIONAL a constaté dans le courant de l'année 2010 que les produits de la marque Bois Chéri étaient distribués par la société RENNIE et THONY MARKETING OCEAN INDIEN alors qu'elle même n'était plus approvisionnée.

Par acte d'huissier du 9 août 2010, la société FASCOM INTERNATIONAL a fait assigner la société USINIERE DE BOIS CHERI et la société RENNIE et THONY MARKETING OCEAN INDIEN en paiement de dommages intérêts pour rupture abusive d'une relation commerciale établie.

Par jugement du 11 mars 2013, le tribunal mixte de commerce de Saint Denis a :

- rejeté la demande de condamnation présentée par la société FASCOM INTERNATIONAL à l'encontre de la société de droit mauricien la société USINIERE DE BOIS CHERI et de la société RENNIE et THONY MARKETING OCEAN INDIEN

- rejeté la demande de condamnation présentée par la société de droit mauricien la société USINIERE DE BOIS CHERI à l'encontre de la société FASCOM INTERNATIONAL ;

- rejeté la demande de condamnation de la société RENNIE et THONY MARKETING OCEAN INDIEN à l'encontre de la société FASCOM INTERNATIONAL ;

- constate l'irrecevabilité des demandes de condamnation de la société FASCOM INTERNATIONAL au paiement d'une amende civile ;

- condamné la société FASCOM INTERNATIONAL à payer à la société de droit mauricien la société USINIERE DE BOIS CHERI la somme de 2 000 euros et à la société RENNIE et THONY MARKETING OCEAN INDIEN la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société FASCOM INTERNATIONAL aux dépens.

Par déclaration enregistrée au greffe de la cour le 29 avril 2013, la société FASCOM INTERNATIONAL a interjeté appel de cette décision.

Par arrêt du 6 février 2015, la cour d'appel de Saint Denis a :

- déclaré l'appel de la société FASCOM INTERNATIONAL irrecevable ;

- débouté la société USINIERE DE BOIS CHERI et de la société RENNIE et THONY MARKETING OCEAN INDIEN de leurs demandes fondées sur l'article 32-1 du code de procédure civile ;

- condamné la société FASCOM INTERNATIONAL à payer à la société USINIERE DE BOIS CHERI et à la société RENNIE et THONY MARKETING OCEAN INDIEN la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

- condamné la société FASCOM INTERNATIONAL aux dépens.

La société FASCOM INTERNATIONAL a formé un pourvoi en cassation.

Par arrêt du 29 mars 2017, la Cour de cassation a cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la cour d'appel de Saint Denis, a remis, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d'appel de Saint Denis, autrement composée.

Par déclaration enregistrée au greffe de la Cour le 18 avril 2017, la société FASCOM INTERNATIONAL a saisi la cour d'appel de Saint Denis.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 18 mai 2018.

Dans ses dernières conclusions transmises au greffe le 20 novembre 2017 et régulièrement notifiées aux sociétés intimées, la société FASCOM INTERNATIONAL conclut à la recevabilité de son appel et à l'infirmation du jugement entrepris. Elle demande à la Cour de :

- dire qu'elle a qualité à agir contre la société USINIERE DE BOIS CHERI qui a ici qualité à défendre ;

- dire qu'il existait entre la société USINIERE DE BOIS CHERI et elle même une relation contractuelle établie depuis près de 40 ans et constitutive d'un contrat de fourniture exclusive ;

- dire que la société USINIERE DE BOIS CHERI a commis un acte de déloyauté à son détriment lors de la rupture de cette relation contractuelle tenant notamment à la brutalité de la rupture et l'absence de préavis ;

- juger que cette brutalité dans la rupture du contrat à durée indéterminée constitue une faute engageant la responsabilité contractuelle de la société USINIERE DE BOIS CHERI ;

- dire que la société PHOENIX BEVERAGES a pris une part active et consciente à la commission de cet acte, se rendant co responsable de la brusque rupture et ce faisant, responsable de concurrence déloyale, notamment en distribuant au moyen de procédés déloyaux, des produits sur l'emballage desquels le nom de FASCOM INTERNATIONAL figurait en tant qu'importateur ;

- dire qu'il en résulte un préjudice direct, subi par FASCOM INTERNATIONAL ;

- condamner ensemble la société USINIERE DE BOIS CHERI et la société PHOENIX BEVERAGES à lui payer la somme de 919 382 euros à titre de dommages intérêts.

La société FASCOM INTERNATIONAL réclame enfin paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions transmises au greffe le 29 janvier 2018 et notifiées aux autres parties, la société USINIERE DE BOIS CHERI fait observer à titre liminaire que suite au revirement de jurisprudence opéré par l'arrêt de cassation du 29 mars 2017, l'appel de la société FASCOM INTERNATIONAL est recevable.

Elle conclut en revanche à l'irrecevabilité de l'action de la société FASCOM INTERNATIONAL au motif que les demandes sont fondées indistinctement sur l'article 1134 du Code civil et sur l'article L. 442-6 du code de commerce et que les demandes fondées sur l'article L. 442-6 du code de commerce sont hors du pouvoir juridictionnel du tribunal mixte de commerce et relèvent de la compétence des juridictions spécialisées, en l'espèce le tribunal de commerce de Paris.

À titre subsidiaire, la société USINIERE DE BOIS CHERI conclut à la confirmation du jugement dont appel et au débouté de la société FASCOM INTERNATIONAL.

De manière encore plus subsidiaire et si la cour décidait d'accorder des dommages intérêts à la société FASCOM INTERNATIONAL, la société USINIERE DE BOIS CHERI demande à la Cour de constater que ces dommages intérêts ne sauraient excéder la somme de 1 159 euros.

La société USINIERE DE BOIS CHERI réclame plus globalement, paiement de la somme de 40 000 euros à titre de dommages intérêts pour procédure abusive et paiement de la somme de 60 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions transmises au greffe le 13 février 2018 et notifiées aux autres parties, la société PHOENIX REUNION conclut également à la recevabilité de l'appel de la société FASCOM INTERNATIONAL suite aux revirements de jurisprudence opéré par l'arrêt de cassation du 29 mars 2017.

Elle demande en revanche à la cour de dire que les demandes de la société FASCOM INTERNATIONAL sont irrecevables pour les raisons suivantes :

- le tribunal mixte de commerce de Saint Denis a statué sur les demandes fondées sur l'article L. 442-6 du code de commerce qui sont hors de son pouvoir juridictionnel et la cour d'appel de Saint Denis de la Réunion ne peut non plus statuer sur ces demandes ;

- la société FASCOM INTERNATIONAL formule des demandes fondées indistinctement sur l'article L. 442-6 du code de commerce et sur l'article 1134 du Code civil dans le seul but de pallier la compétence des juridictions spécialisées ;

- la société FASCOM INTERNATIONAL n'a pas qualité à agir et de son côté la société USINIERE DE BOIS CHERI n'a pas qualité à défendre.

À titre subsidiaire, la société PHOENIX REUNION conclut à la confirmation du jugement déféré et au débouté de la société FASCOM INTERNATIONAL.

En tout état de cause, la société PHOENIX REUNION demande paiement de la somme de 30 000 euros à titre de dommages intérêts pour procédure abusive et la somme de 60 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1- sur la demande de dommages intérêts pour rupture de la relation commerciale fondée sur l'article L. 442-6 du code de commerce.

Aux termes de l'article L. 442-6 du code de commerce 'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait, par tout producteur, commerçant ou industriel, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

L'article D 442-3 du code de commerce attribue compétence exclusive au tribunal de commerce de Paris pour connaître des litiges relatifs à l'application de l'article L. 442-6 du code de commerce, qui s'élèvent dans le ressort de la cour d'appel de Saint Denis de la Réunion.

La cour d'appel compétente pour connaître des décisions rendues par toutes les juridictions investies du pouvoir de statuer sur ces litiges est celle de Paris'.

La cour d'appel de Saint Denis est saisie de l'appel d'une décision par laquelle le tribunal mixte de commerce de Saint Denis a, en contravention de ces règles, statué sur la demande de dommages intérêts formée par la société FASCOM INTERNATIONAL à l'encontre de la société USINIERE DE BOIS CHERI pour rupture abusive de la relation commerciale qu'elles entretenaient depuis les années 1970.

La cour d'appel de Saint Denis connaissant, en vertu de l'article R. 311-3 du code de l'organisation judiciaire, de tous les recours formés contre les décisions rendues par les juridictions situées dans son ressort, l'appel interjeté à l'encontre du jugement rendu le 11 mars 2013 par le tribunal mixte de commerce de Saint Denis doit être déclaré recevable.

Cependant, le tribunal de commerce de Paris étant seul investi du pouvoir de statuer sur les demandes relatives à l'application de l'article L. 442-6 du code de commerce, le tribunal mixte de commerce de Saint Denis ne pouvait statuer sur ces demandes sans commettre un excès de pouvoir.

Par ailleurs, la Cour d'appel de Saint Denis n'a pas, elle non plus, vocation à connaître de ces demandes puisque les litiges portant sur l'application de l'article L. 442-6 et survenant dans son ressort, doivent, en appel être portés devant la cour d'appel de Paris.

Le fait qu'une des juridictions de son ressort ait jugé un tel litige ne lui fait pas retrouver ce pouvoir juridictionnel.

Il convient d'infirmer le jugement déféré et statuant à nouveau de déclarer cette demande irrecevable.

2- sur la demande de dommages intérêts pour rupture de la relation commerciale fondée sur l'article 1134 du code civil.

Devant la Cour, la société FASCOM INTERNATIONAL prétend fonder sa demande de dommages intérêts pour rupture abusive de sa relation commerciale avec la société USINIERE DE BOIS CHERI, non plus sur l'article L. 442-6 du code de commerce mais sur l'article 1134 du code civil, dans sa version applicable au présent litige, et qui dispose que les conventions doivent être exécutées de bonne foi.

Cependant, elle caractérise la mauvaise foi de son cocontractant en invoquant la brutalité de la rupture de la relation commerciale et l'absence de préavis.

Le changement de fondement légal de la demande ne modifie pas les termes du litige qui oblige la Cour, pour y répondre, à statuer sur le caractère abusif de la relation commerciale qui liait la société FASCOM INTERNATIONAL et la société USINIERE DE BOIS CHERI et donc sur des questions que le législateur a réservées à la cour d'appel de Paris.

Dès lors que l'appréciation de la bonne ou de la mauvaise foi implique de statuer sur la responsabilité d'un fournisseur dans la rupture de sa relation avec son distributeur, les dispositions de l'article D 442-3 du code de commerce qui dénient tout pouvoir à la cour d'appel de Saint Denis pour statuer sur ce litige, rendent la demande de dommages intérêts, même fondée sur l'article 1134 du code civil, irrecevable.

3- Sur la concurrence déloyale de la société PHENIX BEVERAGES.

Ici encore, l'appréciation de la faute reprochée à la société PHENIX BEVERAGES qui consiste à avoir organisé, avec la société USINIERE DE BOIS CHERI, la rupture de la relation commerciale existant entre cette dernière et la société FASCOM INTERNATIONAL, suppose que soit préalablement établi son caractère abusif.

La cour d'appel de Saint Denis n'ayant pas le pouvoir de statuer sur la rupture de la relation commerciale, la demande de dommages intérêts pour concurrence déloyale, sera donc également déclarée irrecevable.

La société FASCOM INTERNATIONAL qui succombe, sera condamnée aux dépens. Le droit positif applicable dans le présent litige ayant été fluctuant, il ne sera pas fait application de l'article

700 du code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, sur renvoi de cassation et par mise à disposition au Greffe conformément à l'article 451 alinéa 2 du Code de procédure civile, vu le jugement du 11 mars 2013 du tribunal mixte de commerce de Saint Denis ; vu l'arrêt du 6 février 2015 de la cour d'appel de Saint Denis ; vu l'arrêt de la cour de cassation du 29 mars 2017 annulant cet arrêt ; Infirme le jugement déféré et statuant à nouveau : Déclare irrecevables les demandes de dommages intérêts formées par la société Fascom International tant à l'égard de la société Usiniere De Bois CHERI qu'à l'égard de la société Phenix Beverages ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ; Condamne la société Fascom International aux dépens.