CA Colmar, 2e ch. A, 13 décembre 2018, n° 616-2018
COLMAR
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Bernard, Zsuzsanna
Défendeur :
Bouygues immobilier (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M Pollet
Conseillers :
Mmes Garczynski, Denort
Avocats :
Mes Roussel, Crovisier
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Selon un " contrat de réservation collectif " daté du 20 mars 2006, les époux J.F. ont réservé auprès de la S. A.S. Bouygues Immobilier un bien immobilier de type T3 d'une surface habitable d'environ 58,59 m², outre une terrasse ou un balcon de 5,94 m² et un jardin à jouissance privative de 21,70 m².
Ils ont acquis ce bien dans le cadre d'une vente en l'état futur d'achèvement, par acte authentique du 18 décembre 2006, pour un prix de 145 000 euros. Ils ont également adhéré à un contrat d'assurance groupe proposé par le vendeur et souscrit une assurance " protection revente investissement et loyers impayés vacance locative " le 6 juillet 2006.
Ayant eu de grandes difficultés à louer ce bien, ils ont assigné la S. A.S. Bouygues Immobilier devant le tribunal de grande instance de Mulhouse qui, par jugement du 8 novembre 2016, a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :
- rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut de publication de l'assignation en annulation de vente immobilière,
- déclaré irrecevables les demandes de M. J.F. et Mme S. en annulation du contrat de réservation du 6 juillet 2006 et du contrat de vente du 18 décembre 2006, sur le fondement des articles L. 121-23 et suivants du code de la consommation et L. 261-1 et suivants du code de la construction et de l'habitation,
- déclaré recevables comme non prescrites les demandes de M. J.F. et Mme S. en annulation du contrat de réservation du 6 juillet 2006 et du contrat de vente du 18 décembre 2006, sur le fondement des articles 1110, 1116, et 1134 al.3 du code civil,
- rejeté les demandes de M. J.F. et Mme S. en annulation du contrat de réservation du 6 juillet 2006 et du contrat de vente du 18 décembre 2006, sur le fondement des articles 1110, 1116, et 1134 al.3 du code civil,
- rejeté les demandes de M. J.F. et Mme S. en annulation du contrat de réservation du 6 juillet 2006 et du contrat de vente du 18 décembre 2006 pour défaut de contenance,
- déclaré la S. A.S. Bouygues Immobilier responsable du préjudice causé à M. J.F. et Mme S. pour méconnaissance de son obligation d ' information pré contractuelle,
- condamné la S. A.S. Bouygues Immobilier à payer à M. J.F. et Mme S. la somme de 9 974 euros,
- dit que chaque partie conserverait la charge de ses dépens et rejeté les demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
M. J.F. et Mme S. ont interjeté appel de ce jugement par déclaration du 21 février 2017, s'agissant d'un appel total.
Dans leurs dernières conclusions récapitulatives déposées par voie électronique le 9 janvier 2018, ils sollicitent, au visa des articles 1132, 1133, 1137 et 1138, 1104 et 1604 du code civil et des articles L. 261-1 et suivants du code de la construction, L. 121-23 à L. 121-26 du code de la consommation :
- que le jugement déféré soit confirmé en ce qu'il a déclaré recevable comme non prescrite leur demande en annulation du contrat de réservation du 6 juillet 2006 et du contrat de vente du 18 décembre 2006 sur le fondement des articles 1110, 1116 et 1134 al.3 du code civil,
- que ledit jugement soit confirmé en ce qu'il a déclaré la S. A.S. Bouygues Immobilier responsable du préjudice qui leur a été causé pour méconnaissance de son obligation d ' information pré contractuelle,
- que leur appel soit déclaré recevable pour le surplus et bien fondé,
- en conséquence, que la S. A.S. Bouygues Immobilier soit déboutée de sa demande d'infirmation du jugement déféré en ce qu'il a déclaré recevable la demande d'annulation du contrat de réservation du 6 juillet 2006 et de l'acte de vente du 18 décembre 2006 fondée sur les articles 1110 et 1116 du code civil et en ce qu'il l'a condamnée à leur verser la somme de 9 974 euros en réparation du préjudice financier,
- que la S. A.S. Bouygues Immobilier soit déboutée du surplus de ses demandes ainsi que de son appel incident ; que celui-ci soit déclaré irrecevable, en tout cas mal fondé,
statuant à nouveau :
- que soit prononcée la nullité du contrat de réservation du 20 mars 2006 et de la vente notariée du 18 décembre 2006 sur le fondement des dispositions des articles 1110, 1116 et 1334 al.3 du code civil,
- qu'il soit constaté que les documents contractuels ne respectent pas les dispositions des articles L. 121-23 à L. 121-26 du code de la consommation, de sorte qu'il conviendra de solliciter également la nullité du contrat de réservation et du contrat de vente du 18 décembre 2006, sur le fondement de ces dispositions,
à titre subsidiaire :
- qu'il soit jugé que la S. A.S. Bouygues Immobilier a commis une faute de nature à engager sa responsabilité professionnelle et, en conséquence, qu'elle soit condamnée à leur verser la somme totale de 30 786 euros en réparation de leur préjudice financier, outre celle de 8 076 euros correspondant à la période de novembre 2007 à octobre 2008 non comptabilisée,
En tout état de cause,
- que la S. A.S. Bouygues Immobilier soit condamnée à leur verser la somme de 5 000 euros chacun en réparation de leur préjudice moral, soit la somme totale de 10 000 euros,
à titre infiniment subsidiaire :
- la confirmation, en toutes ses dispositions, du jugement querellé du 18 novembre 2016, sauf à y ajouter la somme de 8 076 euros correspondant à la période de novembre 2007 à octobre 2008 non comptabilisée,
- que la S. A.S. Bouygues Immobilier soit condamnée à leur verser la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens.
Dans ses dernières conclusions récapitulatives déposées par voie électronique le 15 mars 2018, la S. A.S. Bouygues Immobilier sollicite, au visa des articles L. 261-1 et suivants du code de la construction et de l'habitation, des articles 1304 et 1224 du code civil, des articles 1110, 1116, 1147, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, et des articles 1601-1 et suivants du code civil :
- à titre liminaire, vu l'article 954 du code de procédure civile, qu'il soit jugé que la cour n'est pas saisie d'une demande d'annulation du contrat de réservation du 6 juillet 2006 et de l'acte authentique de vente du 18 décembre 2006 sur le fondement des dispositions des articles L. 261-1 et suivants du code de la construction et de l'habitation,
À titre principal :
- que le jugement entrepris soit confirmé en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande d'annulation du contrat de réservation du 6 juillet 2006 et de l'acte de vente du 18 décembre 2006 formulée sur le fondement des articles L. 121-23 et suivants du code de la consommation et L. 261-1 du code de la construction et de l'habitation,
- que soit infirmé le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré recevable la demande
d'annulation du contrat de réservation du 6 juillet 2006 et de l'acte de vente du 18 décembre 2006 fondée sur les articles 1110 et 1116 du code civil,
- que soit déclaré irrecevable l'ensemble des demandes, principales et subsidiaires, formulées par les époux J.F. à son encontre, tendant à l'annulation du contrat de réservation du 6 juillet 2006 et de l'acte de vente du 18 décembre 2006 et au paiement de dommages intérêts,
à titre subsidiaire :
- que le jugement entrepris soit confirmé en ce qu'il a débouté les époux J.F. de leur demande d'annulation du contrat de réservation du 6 juillet 2006 et de l'acte de vente du 18 décembre 2006 fondée sur les articles 1110 et 1116 du code civil,
- que le jugement entrepris soit confirmé en ce qu'il a débouté les époux J.F. de leur demande d'annulation du contrat de réservation du 6 juillet 2006 et de l'acte de vente du 18 décembre 2006 fondée sur l'obligation de délivrance et un défaut de conformité,
- que le jugement entrepris soit infirmé en ce qu'il l'a condamnée à verser aux époux J.F. une somme de 9 974 euros en réparation d'un préjudice financier,
- que les époux J.F. soient déboutés de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions dirigées à son encontre,
en tout état de cause :
- que les époux J.F. soient condamnés à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- que les époux J.F. soient condamnés au paiement des entiers dépens, dont distraction au profit de Me Anne Croiser, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique.
La clôture de l'instruction de l'affaire a été prononcée par ordonnance du 03 avril 2018.
MOTIFS
En préalable, il convient de souligner que le dispositif des conclusions des demandeurs ne reprend pas la demande en nullité fondée sur les dispositions du code de la construction et de l'habitation visée dans les motifs de leurs écritures.
De même, si une violation des dispositions de l'article 1604 du code civil est invoquée dans les motifs de leurs conclusions (page 17), et un défaut de conformité soulevé, concernant l'existence d'une terrasse bétonnée avec un rectangle central d'environ 4 m² en pelouse au lieu d'un jardin de 21,70 m², aucune demande n'est formulée sur ce fondement dans le dispositif de leurs écritures. Il convient donc de constater que la présente cour n'est pas saisie de demandes sur ce fondement.
Sur l'action en nullité du contrat de réservation et du contrat de vente sur le fondement
des dispositions des articles L. 121-23 à L. 121-26 du code de la consommation
Le jugement déféré a déclaré irrecevable, comme étant prescrite, l'action en nullité du contrat de réservation fondée sur les dispositions du code de la consommation, en retenant que :
- les dispositions du code de la consommation sont applicables dans la mesure où le contrat de réservation a été signé entre un professionnel et un couple de particuliers,
- en l'absence de dispositions particulières prévues par le code de la consommation, le délai de prescription applicable est le délai quinquennal de l'article 1304 du code civil, dont le point de départ est, le cas échéant, reporté au jour de la découverte du vice,
- la prescription quinquennale s'applique à la demande en nullité elle-même et non pas aux différents moyens soulevés à son appui, et la demande en annulation a été présentée le 9 juillet 2013 par la signification faite à la S. A.S. Bouygues Immobilier,
- le point de départ de la prescription est en l'espèce la date de la signature du contrat de réservation, soit le 6 juillet 2006 ; cette prescription était donc écoulée le 6 juillet 2011, les demandeurs n'invoquant aucune interruption ou suspension de ce délai ni aucun report de son départ.
Pour soutenir la prescription de la demande en annulation de la vente fondée sur les dispositions du code de la consommation, la S. A.S. Bouygues Immobilier reprend les motifs de ce jugement, observant que ce n'est que par assignation du 9 juillet 2013 que les époux J.F. ont sollicité en justice l'annulation de la vente et qu'en outre, ce n'est que par des conclusions signifiées en vue de l'audience de mise en état du 16 octobre 2014 qu'ils ont soulevé pour la première fois la nullité du contrat de réservation sur le fondement des articles L. 121-21 du code de la consommation.
Les époux J.F. soutiennent quant à eux que le contrat de réservation entaché de nullité doit être réputé n'avoir jamais existé et que le délai de prescription n'a donc pu commencer à courir.
Au fond, à l'appui de leur demande en nullité sur le fondement des dispositions du code de la consommation, les époux J.F. font valoir que le contrat de réservation litigieux n'a pas comporté un certain nombre de mentions prévues par les articles L. 121-23 à L. 121-26 du code de la consommation (nom du démarcheur, faculté de renonciation et conditions d'exercice de celle-ci) de même que le lieu de régularisation du contrat, lequel a été signé à leur domicile.
sur quoi :
En application de l'article 1304 du code civil, dans tous les cas où l'action en nullité ou en rescision d'une convention n'est pas limitée à un moindre temps par une loi particulière, cette action dure cinq ans.
En l'absence de dispositions particulières prévues par le code de la consommation, relatives au délai de prescription de l'action en nullité du contrat de vente pour non-respect du formalisme prévu par ce code, l'article 1304 du code civil rappelé ci-dessus est applicable.
De plus, selon une jurisprudence acquise, le délai de prescription de l'action en nullité pour le non-respect du formalisme du contrat ne peut courir qu'à compter de la date de conclusion de ce contrat.
Or, le contrat de réservation litigieux ayant été signé le 6 juillet 2006, l'action en nullité tirée du non-respect des dispositions du code de la consommation relatives aux mentions obligatoires d'un tel contrat s'est trouvé prescrite le 6 juillet 2011. C'est donc à bon droit que le premier juge a déclaré irrecevable comme étant prescrite l'action en nullité dudit contrat introduite par assignation délivrée le 9 juillet 2013, soit postérieurement au 6 juillet 2011. Le jugement déféré doit être confirmé sur ce chef.
1- L'action en nullité du contrat de réservation et du contrat de vente pour vice du consentement, sur le fondement des dispositions des articles 1110, 1116 et 1334 al. 3 du code civil
1-1- La prescription
Pour déclarer recevable l'action en nullité de l'acte de vente du 18 décembre 2006 pour dol ou erreur, sur le fondement des dispositions des articles 1110 et 1116 du code civil, le jugement déféré a relevé que :
- la prescription de l'action fondée sur un vice du consentement ne court qu'à compter du jour où le vice a été révélé et où l'acquéreur a pu en avoir connaissance,
- les demandeurs prétendant avoir cru qu'ils achetaient un bien avec un réel potentiel locatif, voire de plus-value immobilière et de défiscalisation, ils ne pouvaient réaliser que postérieurement à la livraison du bien, qui a eu lieu en septembre 2007, l'écart entre leur représentation et la réalité,
- ils avaient nécessairement connaissance des difficultés lorsqu'ils ont voulu vendre leur bien,
- à ce titre, novembre 2008 apparaît comme la date à laquelle il est établi que les demandeurs connaissaient le vice (existence d'un mandat de vente du 3 novembre 2008 et courrier du 27 mars 2012 par lequel ils indiquent avoir constaté, en novembre 2008, que la défenderesse proposait un appartement similaire au leur, à un prix inférieur et avec un véhicule et les frais de notaire offerts),
- l'action a été engagée en juillet 2013, le délai de cinq ans n'étant pas écoulé depuis novembre 2008.
Soutenant que cette action est prescrite, la S. A.S. Bouygues Immobilier fait valoir que :
- le contrat de vente notarié dont les époux J.F. sollicitent l'annulation a été signé le 18 décembre 2006, soit plus de six ans et demi avant l'acte introductif de l'instance du 9 juillet 2013,
- si l'on prend en compte la date de livraison du bien, en septembre 2007, l'action a été introduite cinq ans et 10 mois après la prise de possession,
- les époux J.F. ont pu constater les difficultés de location alléguées dès les tous premiers mois ayant suivi la livraison de leur bien immobilier et ne peuvent donc sérieusement soutenir qu'ils ne s'en seraient avisés qu'en 2012, les pièces produites démontrant seulement qu'ils ont entrepris en 2012 de faire établir des attestations par différents agences immobilières, et qu'aucun report du départ de la prescription ne peut être retenu,
- si les acquéreurs ont décidé, en novembre 2008, de retirer leur appartement de la location pour le revendre, ils ont nécessairement eu connaissance des difficultés de location alléguées
à une date antérieure,
- les acquéreurs affirment eux-mêmes que, depuis 2007, l'appartement a été loué un an seulement, entre août 2010 et août 2011, et ils ont donc eu connaissance de ces difficultés dès les tous premiers mois suivant la livraison.
Soutenant que cette action n'est pas prescrite, les époux J.F. soutiennent que :
- la prescription quinquennale de l'action en nullité pour erreur ou dol a pour point de départ le jour où le contractant a découvert l'erreur qu'il allègue,
- cette erreur doit être connue dans son importance et son ampleur mais également lorsque l'acquéreur du bien peut en mesurer toutes les conséquences,
- dès les premiers mois d'inoccupation du bien, ils ignoraient que cette situation allait perdurer, l'agence de location leur promettant sans cesse un locataire potentiel et eux-mêmes ignorant les réelles raisons de cette difficulté locative,
- ils n'ont découvert cette erreur qu'en 2012, lorsque les agences immobilières qu'ils ont consultées les ont informés du marché locatif déplorable dans le quartier concerné, de sorte que le point de départ de la prescription quinquennale doit être fixé en mars 2012.
sur quoi :
Selon une jurisprudence constante, en application de l'article 1304 du code civil, le délai de prescription quinquennale de l'action en nullité pour vice du consentement a pour point de départ le jour où le contractant a découvert l'erreur qu'il allègue.
Dans la situation présente, les époux J.F. invoquant les difficultés de location de leur bien immobilier liées à l'état du marché locatif, la prescription de leur action en nullité pour erreur ou dol n'a pu courir ni dès la livraison du bien, en septembre 2007, ni dès les tous premiers mois de celle ci.
D'après leurs explications, c'est en novembre 2008 qu'ils ont pris connaissance d'une campagne de publicité selon laquelle la S. A.S. Bouygues Immobilier offrait l'achat d'un appartement pour 50 000 euros de moins que leur prix d'achat et, pour un euro de plus, offrait un véhicule et les frais de notaire, ce qui leur a fait prendre conscience de l'état dégradé du marché immobilier local. Ils produisent effectivement copie d'une affiche publicitaire relative à cette campagne qui a eu lieu du 25 novembre au 2 décembre 2008. À cet élément s'ajoute la lettre d'un agent immobilier du 10 décembre 2008 qui leur indique que, suite à la publication, dans plusieurs journaux de la région, il ne peut lutter contre cette sorte de " promotion ". Il explique renoncer, pour cette raison, au mandat non exclusif, dans les délais prévus par celui ci et observe que ses mandants n'ont aucune chance de vendre leur appartement selon leurs conditions et que le meilleur moyen d'amortir leur financement restera la location, même à faible revenu.
Ces deux éléments s'ajoutant à l'impossibilité de trouver un locataire pour leur appartement depuis l'achat de celui ci, permettent d'établir que novembre 2008 constitue le moment où les époux J.F. ont pris conscience dans toute son ampleur de leur erreur sur le potentiel locatif et financier de l'appartement acquis auprès de la S. A.S. Bouygues Immobilier. Il en résulte que le délai de prescription de leur action en nullité de la vente pour vice du consentement a commencé à s'écouler à compter de novembre 2008. Or, l'action en nullité ayant été introduite par l'assignation délivrée le 9 juillet 2013, le délai de prescription quinquennale n'était pas encore écoulé lors de l'introduction de leur action et, dès lors, c'est à bon droit que le premier juge a retenu que cette action n'était pas prescrite et l'a donc déclarée recevable.
1-2- Le fond
Pour rejeter la demande en nullité pour erreur, le jugement déféré rappelle que l'existence de l 'erreur s 'apprécie au moment de la signature du contrat et que, si les époux J.F. déclarent avoir acquis le bien immobilier afin, notamment, de bénéficier des avantages fiscaux prévus par la loi Robien pour l'investissement locatif, cet élément n'apparaît dans aucun des documents contractuels signés entre les parties et aucun courrier échangé avant la conclusion de la vente. Aucune intention de défiscalisation n'apparaît dans les pièces de 2006. Aucune erreur portant sur cette qualité de la chose vendue ne peut donc être recherchée.
En revanche, le tribunal relève que les pièces produites établissent suffisamment que l'objet de l'achat était destiné à la location et non à l'occupation (avenant au contrat de réservation mentionnant le montant d'un loyer mensuel indicatif à la date de la signature de cette réservation, garanties offertes prévoyant une indemnisation en cas de perte pécuniaire ou en cas de vacance locative, cet avenant étant assorti d'un mandat de gestion locative) et que l'objet contractuel ne se limitait pas à construire un logement, même si la rentabilité locative du bien ne peut être considérée comme étant elle-même l'objet du contrat.
Il retient que la rentabilité locative du bien, même à supposer cette qualité substantielle pour les demandeurs, ne peut être considérée comme étant l'objet même du contrat, et que les pièces produites par les époux J.F. n'établissent pas une erreur à la date de la signature du contrat, n'étant à ce titre pas suffisamment probantes ou évoquant une période postérieure à cette vente, alors qu'il ne peut être tenu compte d'une évolution négative ultérieure du marché.
1-2-1- L'erreur
À l'appui de leur demande tendant à l'annulation de la vente pour erreur sur la substance même de la chose, les époux J.F. font valoir que :
- ils ont acquis le dit bien dans le cadre de la loi Robien dans l'unique dessein de le mettre en location et d'assurer le remboursement de leurs prêts immobiliers moyennant les revenus locatifs, la rentabilité économique était donc contractuellement prévue et cela constituait un élément déterminant et fondamental de leur consentement,
- compte tenu du contexte immobilier, ils n'ont pu percevoir lesdits revenus locatifs, et l'absence totale de rentabilité locative du bien, compte tenu notamment de la forte concurrence et du manque de demande solvable sur le marché, constitue une erreur sur les qualités substantielles du bien,
- dès 2006, voire avant, les conditions difficiles du marché locatif étaient réelles, et le fait pour eux de n'avoir pu louer leur appartement avant août 2010, après l'avoir réceptionné le 9 octobre 2007, démontre l'existence du vice dès la formation du contrat,
- la jurisprudence admet l'erreur sur la substance lorsque la rentabilité économique est contractuellement prévue, ce qui était le cas, et l'erreur sur la rentabilité économique constitue une erreur sur la substance dans la mesure où celle-ci procédait d'une mauvaise appréciation du marché,
- l'écart entre les revenus locatifs réels et le revenu locatif prévu remis par le vendeur est significatif, d'où une erreur sur la rentabilité,
- la S. A.S. Bouygues Immobilier était parfaitement consciente du marché immobilier.
Pour s'opposer à l'annulation de la vente pour erreur, la S. A.S. Bouygues Immobilier soutient que :
- l'erreur, au sens de l'article 1110 du code civil, doit porter sur les qualités substantielles de la chose, ce que n'est pas une erreur sur la valeur ou la rentabilité d'une opération,
- l'erreur sur les motifs n'est pas sanctionnée par la nullité de la convention ; il n'en va autrement que si ces motifs sont entrés dans le champ contractuel, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, aucune mention de l'acte de vente ne se référant à une opération fiscale ou financière ou à une rentabilité,
- ni le contrat de réservation, ni l'acte de vente ne comprennent un quelconque engagement du vendeur en termes de loyer ou de bénéfice d'un dispositif fiscal quelconque,
-à supposer que le document fiscal invoqué par les époux J.F., non versé au débat, existe, il est manifestement étranger à la vente et dépourvu de tout caractère contractuel,
- à défaut d'être mentionné dans l'acte de vente, l'objectif de défiscalisation ou de rentabilité locative ne peut permettre aux acquéreurs de solliciter la nullité de la vente sur le fondement de l'article 1110 du code civil,
- l'erreur s'apprécie à la date de la vente, alors que les pièces produites par les époux J.F. sont datées de 2011 et 2012 et ont donc toutes été établies plusieurs années après la conclusion de la vente ; ces pièces sont notamment postérieures à la crise financière de 2008 qui a bouleversé le marché de l'immobilier et dégradé le marché locatif,
- contrairement aux allégations des époux J.F., les attestations des agences immobilières n'évoquent pas de difficultés pour trouver des locataires en 2007, mais évoquent la période de 2011-2012 ; qu'elles ne permettent donc pas d'établir l'état du marché locatif en 2006,
- le bien immobilier est loué à tout le moins depuis 2010 et les époux J.F. invoquent en réalité non pas une impossibilité de louer, mais un défaut de rentabilité locative, le bien n'étant pas loué au montant escompté par eux ; cependant, un défaut de rentabilité n'est pas susceptible de constituer une erreur cause de nullité au sens de l'article 1110 du Code civil.
sur quoi :
En application de l'article 1110 du code civil, l'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet.
Au vu des pièces produites, il est suffisamment démontré par les avenants au contrat de réservation, et notamment l'assurance en cas de vacance locative et d'impayé de loyer, ainsi que le contrat de gestion locative, que l'appartement acquis par les époux J.F. auprès de la S. A.S. Bouygues Immobilier était destiné à la location.
En revanche, l'objectif de défiscalisation invoqué par les acquéreurs, à l'occasion de l'achat de l'appartement litigieux, ne figure dans aucun document contractuel et aucune autre pièce ne permet d'établir que la S. A.S. Bouygues Immobilier ait eu connaissance de cet objectif poursuivi par les époux J.F.. En effet, si une attestation du conseiller en investissement financier " Gestion et patrimoine ", qui indique avoir commercialisé le programme de la S. A.S. Bouygues Immobilier à Pfastatt, affirme que la réservation, par les époux J.F., s'est faite dans le cadre du dispositif de Robien, aucun document signé par le promoteur ne fait référence à ce dispositif et il n'apparaît donc pas que l'objectif de défiscalisation invoqué soit entré dans le champ contractuel. L'erreur sur la réalisation de cet objectif ne peut donc être constitutive d'une erreur sur les qualités substantielles du bien.
Par ailleurs, si les époux J.F. indiquent que leur objectif était de financer le prêt souscrit pour l'acquisition du bien à l'aide des loyers perçus, il résulte d'une jurisprudence constante que l'appréciation erronée de la rentabilité économique d'une opération immobilière ne constitue pas une erreur sur la substance, de nature à permettre l'annulation du contrat.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a rejeté la demande en annulation de la vente pour erreur.
1-2-2- Le dol
Sur le dol, le premier juge estime que les demandeurs ne prouvent pas que leur décision d'acquérir le bien immobilier litigieux a été déterminée par des renseignements sciemment dissimulés par la défenderesse.
Pour soutenir l'existence d'un dol, les époux J.F. font valoir :
- que le dol peut résulter d'un manquement du vendeur professionnel à son obligation d ' information et de conseil à l'égard de l'acquéreur, et que c'est au vendeur d'établir qu'il a satisfait à son obligation précontractuelle d'information et de conseil et non à l'acquéreur de prouver le contraire,
- qu'est dolosive l'omission d'une information tenant à la baisse du loyer ou au ralentissement du marché locatif, élément essentiel de l'économie du contrat, ce qui est le cas en l'espèce,
- que la S. A.S. Bouygues Immobilier n'a pas satisfait à cette obligation précontractuelle, ne s'étant pas informée des besoins de l'acheteur pour le renseigner utilement et loyalement sur l'incompatibilité du marché locatif avec un investissement fiscal de type Robien,
- qu'en sa qualité de professionnel projetant une opération immobilière d'envergure, la S. A.S. Bouygues Immobilier ne pouvait ignorer le nombre de logements sur le marché locatif dans le quartier où tous les éléments négatifs du marché immobilier existaient depuis de nombreuses années et notamment avant 2006, notamment la mauvaise réputation et la forte concurrence ; que la S. A.S. Bouygues Immobilier était parfaitement consciente du marché immobilier,
- que l'objectif de défiscalisation, même s'il n'est pas stipulé de façon expresse au compromis et à l'acte de vente, est cependant une condition déterminante de son investissement locatif pour l'acquéreur,
- que la S. A.S. Bouygues Immobilier a elle-même éprouvé de grandes difficultés à vendre la totalité des logements construits, dès l'année 2006, ayant réduit le prix d'acquisition de plus de 50 000 euros et offert un véhicule pour un euro en plus, quelques mois seulement après la régularisation de leur acte de vente.
Pour s'opposer à l'annulation de la vente pour dol, la S. A.S. Bouygues Immobilier soutient que :
- le bien immobilier est loué à tout le moins depuis 2010 et les époux J.F. invoquent en réalité non pas une impossibilité de louer mais un défaut de rentabilité locative, le bien n'étant pas loué au montant escompté par eux ;
- l'objet de l'acte de vente est un bien immobilier et non une rentabilité ou un produit financier et il en résulte que la recherche de rentabilité financière et/ou d'avantage fiscal n'est pas entrée dans le champ contractuel,
- les promesses d'investissement rentable faites éventuellement par la banque des acquéreurs ne peuvent caractériser un dol imputable au vendeur,
- il n'est pas établi que l'état du marché locatif local était d'ores et déjà saturé lors de la vente conclue en 2006 et la campagne de promotion a été lancée à la fin de l'année 2008, alors que la crise économique mondiale avait déjà touché le marché de l'immobilier français.
sur quoi :
Selon l'article 1116, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté. Il ne se présume pas et doit être prouvé.
L'avenant de réservation portant sur l'engagement de l'acquéreur à signer les adhésions aux assurances proposées par la S. A.S. Bouygues Immobilier ainsi qu'un contrat de gestion, mentionne le montant d'un loyer mensuel " indicatif " à la date de signature de la réservation, d'un montant de 673 euros, servant de base à la garantie " carence locative " du promoteur. Il apparaît donc que le montant prévisible du loyer à percevoir par les acquéreurs était un élément déterminant de la démarche des acquéreurs au sens de l'article 1116 du code civil.
Cependant, il n'est pas démontré que la S. A.S. Bouygues Immobilier ait disposé d'études de marché ou fait effectuer de telles études préalables, lui permettant de disposer d'informations précises sur l'état du marché local, sur les perspectives de location à un prix avantageux et sur la rentabilité de l'acquisition des biens immobiliers qu'elle commercialisait, dans l'opération intégrant la vente faite aux époux J.F..
Or, en l'absence de manœuvres du vendeur, le défaut de preuve d'une telle information détenue par lui préalablement à la vente ne permet pas non plus d'établir une réticence fautive de sa part. Il apparaît donc que n'est pas démontrée l'existence d'un dol au sens de l'article 1116 du code civil, à l'encontre de la S. A.S. Bouygues Immobilier.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a rejeté la demande en annulation de la vente pour dol.
2- La demande subsidiaire en dommages intérêts
Pour condamner la S. A.S. Bouygues Immobilier au paiement de dommages intérêts aux époux J.F. sur le fondement de la responsabilité délictuelle, le jugement déféré retient une faute consistant en une inexécution de l'obligation pré contractuelle d'information de la S. A.S. Bouygues Immobilier, relevant que :
- l'obligation d ' information pré contractuelle invoquée par les époux J.F. doit être réalisée en vue de la signature loyale du contrat et d'un consentement pleinement éclairé,
donc antérieurement à ce contrat ;
- le professionnel immobilier est également débiteur d'une obligation d ' information et le professionnel qui, de manière habituelle, fait la promotion d'opérations d'investissement immobilier aux fins de placement, doit informer et conseiller l'acquéreur éventuel sur les caractéristiques de l'investissement qu'il lui propose et sur les choix à effectuer,
- de plus, l'intervention d'autres professionnels ne peut avoir pour effet de dispenser le promoteur de l'obligation d ' information et de conseil qui lui incombe ;
- en l'espèce, la S. A.S. Bouygues Immobilier a proposé une opération dans sa globalité, avec les avenants, et non seulement un contrat de vente en l'état futur d'achèvement,
- le promoteur, dans le cadre de son obligation d ' information et de conseil, est débiteur d'une obligation de réaliser des études de marché préalables et, le cas échéant, d'adapter l'importance du programme à la concurrence locale,
- à défaut de renseignement du promoteur sur l'état du marché local au regard de l'opération projetée, il ne peut ignorer en particulier qu'une offre locative excédentaire, à l'origine de laquelle il se trouve, implique une baisse du prix,
- une présomption irréfragable de connaissance des informations relevant de sa spécialité repose sur le professionnel,
- l'objectif de location recherché par les preneurs est suffisamment établi par les pièces produites (mention du montant du loyer attendu, souscription simultanée à la réservation d'assurance revente, investissement et carence locative),
- la S. A.S. Bouygues Immobilier ne produit aucun élément sur sa connaissance du marché locatif local et n'établit aucunement les recherches ou études réalisées,
- si aucune réticence dolosive n'a été retenue à l'encontre de la S. A.S. Bouygues Immobilier, les pièces produites démontrent suffisamment l'existence d'un programme qui, par son ambition - elle a édifié un ensemble immobilier de 94 logements - excédait la demande locale, ce que confirme la difficile location dès la livraison,
- concernant le préjudice et le lien de causalité, l'écart entre la valeur locative du bien initialement précisé dans l'acte de réservation, soit 673 euros, et le loyer de 520 euros ne permettant pas la location, est suffisamment établi, de même que la durée de la vacance du bien et les tentatives vaines de revente,
- la saturation du marché du fait d'un programme disproportionné est démontrée, expliquant que le logement est resté très peu loué sur plusieurs années et qu'il n'a pu être vendu.
Le premier juge relève que l'obligation d ' information du professionnel ne dispense pas l'acquéreur de démarches pour se renseigner, notamment sur les caractéristiques du marché concerné ou par la consultation des offres de location existantes, alors que les acquéreurs se sont totalement remis aux interlocuteurs professionnels, sans aucune précaution, analyse ou vérification. Il retient que la responsabilité des acquéreurs dans le préjudice dont ils se plaignent a pour effet de limiter la responsabilité du promoteur.
Sur le préjudice subi par les acquéreurs, le jugement déféré calcule le manque de loyer ou l'écart entre celui-ci et le loyer contractuellement annoncé, sur une période de novembre 2008 à juin 2009 inclus.
Pour la période postérieure, jusqu'en 2012 inclus, le jugement retient la différence entre le montant du loyer contractuellement annoncé et la valeur de location observée, de 520 euros par mois.
À l'appui de leur demande de dommages et intérêts, les époux J.F. invoquent effectivement l'obligation pré contractuelle d'information de la S. A.S. Bouygues Immobilier, sur le fondement des articles 1134 et 1135 du code civil et surtout de l'article 1602 en matière de vente.
Ils estiment que cette action en responsabilité n'est pas prescrite, au motif que le désordre doit être connu non seulement dans son importance et son ampleur, mais également lorsque l'acquéreur du bien peut en mesurer toutes les conséquences. Ils estiment que c'est à bon droit que le tribunal de grande instance a retenu la date de novembre 2008 comme celle à laquelle il est établi qu'ils connaissaient le vice.
Ils soutiennent que la S. A.S. Bouygues Immobilier n'a pas respecté son obligation précontractuelle de renseignement et d'information sur l'incompatibilité du marché locatif dans le quartier concerné, alors qu'elle est un professionnel d'opérations d'investissement immobilier aux fins de placement, sur lequel pèse une présomption irréfragable de connaissance des informations relevant de sa spécialité.
Ils lui reprochent de ne pas avoir réalisé d'étude de marché préalable et de ne pas s'être assurée du marché locatif local, soulignant que l'absence de rentabilité locative existait bien avant la crise financière de 2008 et résulte exclusivement du quartier litigieux, de mauvaise réputation et où les constructions sont supérieures à la demande.
Ils invoquent un préjudice financier et moral important, une perte de chance de bénéficier d'une défiscalisation efficace, outre la perte de loyer et le sur paiement du bien : ils font valoir que leur préjudice financier résulte non seulement de la différence de valeur entre le prix de vente réellement payé et l'estimation faite de l'appartement, mais surtout du manque de revenus locatifs, rendant leur opération immobilière désastreuse. Ils sollicitent la différence de revenus locatifs depuis novembre 2007, incluant la période omise de novembre 2007 à octobre 2008 et la différence de revenus locatifs de 2013 à 2018.
Concernant leur préjudice moral, ils font valoir qu'ils se sont laissés convaincre de s'endetter, pensant faire au mieux une opération très rentable et au pire une opération neutre, alors qu'ils ont dû déplorer une perte financière importante, leur bien immobilier étant aujourd'hui invendable et le prix de vente ayant baissé de 40 %.
Ils évoquent également un redressement fiscal dans la mesure où les intérêts d'emprunt liés à l'acquisition ne peuvent être pris en compte, en raison de la non location du bien.
Pour s'opposer à cette demande, la S. A.S. Bouygues Immobilier fait valoir que :
- aucune pièce versée aux débats n'établit qu'il existait, à la date de la vente, une " incompatibilité du marché locatif " avec les prétendus objectifs fiscaux des acquéreurs,
- les époux J.F. ont réalisé une acquisition immobilière et non un investissement fiscal, l'objectif de défiscalisation prétendument poursuivi par eux n'étant nullement mentionné dans les documents contractuels,
- les acquéreurs ont acheté sans connaître ni le quartier, ni la région, poussés par leur banquier pour faire un placement dans le cadre de la loi de Robien.
- elle même a donné aux acquéreurs toutes les informations sur la consistance du programme immobilier qu'elle était en train de réaliser,
- dans le cadre de cette acquisition immobilière, les époux J.F. étaient assistés d'un notaire, sur lequel pèse également une obligation de conseil et de renseignement, de même que sur la banque auprès de laquelle ils ont souscrit un prêt, redevable elle aussi d'une obligation pré contractuelle d'information ; qu'il en est de même de la société de conseil en gestion de patrimoine qui atteste que le contrat de réservation s'est fait en 2006 dans le cadre du dispositif de Robien simplifié.
Elle estime n'avoir pas manqué à son obligation d ' information et que la jurisprudence imposant au vendeur professionnel de s'informer préalablement des besoins de ses clients ne s'applique pas en matière de vente d'immeubles. De plus, l'objectif de défiscalisation prétendument poursuivi par les acquéreurs n'était pas entré dans le champ contractuel.
La S. A.S. Bouygues Immobilier critique les motifs du jugement déféré, estimant qu'il n'est pas établi que le marché locatif ait été saturé dès la conclusion de la vente, ni que le programme qu'elle a réalisé ait, par son ambition, excédé la demande locale, les attestations produites ayant été établies plusieurs années après la vente. Elle invoque la crise financière de 2008 qui a bouleversé le marché immobilier et estime que l'évolution du marché locatif immobilier était d'autant moins prévisible que ses habitants s'y plaisent et recherchent des appartements plus grands, dans le même secteur. Elle affirme que les effets de cette crise se sont fait sentir dès la fin de 2007, alors que l'appartement a été livré aux époux J.F. en octobre 2007, et que cette crise s'est révélée dans son ampleur au cours de 2008, première année de mise en location de cet appartement. Elle ajoute que cette crise a aussi touché le secteur locatif.
Sur le préjudice financier des époux J.F., la S. A.S. Bouygues Immobilier soutient :
- qu'il leur appartenait de mettre en œuvre la garantie souscrite pour les cas de vacance locative,
- qu'invoquant une perte de chance de bénéficier d'une défiscalisation efficace, ils ne peuvent obtenir une indemnisation totale de leur prétendu manque à gagner,
- que le quantum sollicité ne tient pas compte de la crise financière de 2008,
- que le redressement fiscal n'est imputable qu'aux seuls époux J.F., qui ont déduit les intérêts de leur prêt immobilier en contravention avec les règles fiscales,
- que le paiement de l'impôt mis à la charge du contribuable à la suite d'un redressement fiscal ne peut constituer un préjudice indemnisable.
sur quoi :
Il peut être observé que, si la S. A.S. Bouygues Immobilier soulève l'irrecevabilité de la demande de dommages et intérêts des époux J.F., elle n'invoque aucun motif à l'appui de cette fin de non-recevoir. Cette demande doit donc être déclarée recevable.
Il a été évoqué plus haut que l'appartement acquis par les époux J.F. auprès de la S. A.S. Bouygues Immobilier était destiné à la location, qu'il s'agissait d'un placement financier et que le montant prévisible du loyer, déterminant de la rentabilité attendue de cet investissement immobilier, était aussi déterminant de la décision d'acquisition. À ce titre, la
S. A.S. Bouygues Immobilier a annoncé un montant de loyer prévisible de 673 euros, sans être en mesure de justifier de la façon dont celui-ci a été calculé, ne fournissant aucun élément et aucune explication à ce titre.
Or, le montant du loyer, bien qu'il soit mentionné comme étant " indicatif à la date de signature de la réservation ", servant de base à la garantie " carence locative " offerte par le promoteur, est ainsi entré dans le champ contractuel des parties.
Il apparaît donc que la S. A.S. Bouygues Immobilier a donné ainsi une information aux acquéreurs sans justifier d'une étude de marché, sans évoquer même la moindre investigation à ce titre, et sans s'assurer que celle-ci était réellement fondée, manifestant ainsi, en sa qualité de professionnelle, une légèreté blâmable.
Celle-ci est constitutive d'une faute à l'égard d'acquéreurs non professionnels, pour lesquels la rentabilité de l'acquisition immobilière était un élément déterminant de leur décision d'achat, ce que n'ignorait pas le vendeur.
La S. A.S. Bouygues Immobilier ne peut échapper aux conséquences de sa propre faute en invoquant l'intervention d'autres professionnels tels qu'un banquier, un conseiller en investissements ou un notaire. En effet, l'intervention de ces derniers ne peut excuser son propre comportement fautif.
De plus, dès lors que le S. A.S. Bouygues Immobilier, professionnel de l'immobilier, a fourni aux acquéreurs, profanes en matière d'investissement immobilier et résidant à plusieurs centaines de kilomètres du bien vendu, un montant indicatif du loyer que pourrait rapporter ce bien, elle n'est pas fondée à leur reprocher de ne pas avoir eux-mêmes vérifié l'exactitude du montant prévisible du loyer.
La faute ainsi commise par la S. A.S. Bouygues Immobilier a causé un préjudice matériel et moral aux époux J.F..
Le préjudice matériel doit s'analyser comme la perte de chance de louer le bien acquis pour un loyer équivalent au montant prévisible mentionné dans l'avenant signé par les parties (673 euros par mois). Au vu de la situation particulièrement dégradée du marché locatif local, cette perte de chance doit être évaluée à 80 %. De ce préjudice doivent être déduits les loyers d'un montant inférieur perçus par les appelants.
Une attestation du mandataire de gestion de la location de l'appartement, datée du 22 mars 2012, mentionne que, depuis sa réception, en octobre 2007, le bien n'a été loué que du 1er juillet 2010 au 19 août 2011. Il ressort par ailleurs des écritures des appelants qu'ils ont encaissé des loyers à compter du 1er janvier 2012, l'appartement ayant par conséquent pu être loué à compter de cette date.
Le préjudice lié à la perte de chance de ces revenus locatifs a été subi dès la livraison du bien et il n'existe pas de motif de l'indemniser seulement à compter de novembre 2008, comme l'a fait, semble-t-il par erreur, le premier juge qui a pourtant retenu que la perte financière de valeur du bien provenait en partie de la saturation du marché dès cette livraison.
Ce préjudice matériel doit donc être chiffré comme suit :
- novembre 2007 à décembre 2008 : 80 % x 673 euros x 14 mois = 7 537,60 euros,
- janvier à décembre 2009 : 80 % x 673 euros x 12 mois : 6 460,80 euros,
- janvier à décembre 2010 : (80 % x 673 euros x 12 mois) 3 480,00 euros de loyers encaissés = 2 980,80 euros,
- janvier à décembre 2011 : (80 % x 673 euros x 12 mois) 4 160,00 euros de loyers encaissés = 2 300,80 euros,
- janvier à décembre 2012 : (80 % x 673 euros x 12 mois) 6 240,00 euros de loyers encaissés = 220,80 euros,
- idem pour les années 2013 à 2018, soit 220,80 euros x 6 = 1 324,80 euros.
Ce qui représente au total : 7 537,60 + 6 460,80 + 2 980,80 + 2 300,80 + 220,80 + 1 324,80 = 20 825,60 euros.
En conséquence, le jugement déféré doit être infirmé sur le montant des dommages et intérêts accordés aux intimés en réparation de leur préjudice matériel et la S. A.S. Bouygues Immobilier sera condamnée à verser aux époux J.F. la somme totale de 20 825,60 euros.
S'agissant du préjudice moral, les redressements fiscaux opérés sont dus à des déclarations erronées des acquéreurs qui ne peuvent donc imputer le préjudice en résultant à la S. A.S. Bouygues Immobilier.
En revanche, il apparaît indéniable que les époux J.F., qui ont cru pouvoir financer leur bien à l'aide des loyers escomptés, se sont retrouvés, en conséquence de la faute de la S. A.S. Bouygues Immobilier liée à son imprudence et sa légèreté dans l'annonce contractuelle du montant de loyer prévisible, devoir assumer une situation toute autre que prévue dans le financement de leur bien, tout en étant dans l'impossibilité de le revendre sans perte importante, en raison de la saturation du marché immobilier local, qui concernait les locations et les ventes immobilières.
Les tracas en résultant justifient l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande en réparation du préjudice moral des époux J.F. et que soient alloués à ces derniers des dommages intérêts, en réparation d'un tel préjudice, à hauteur de 2 500 euros chacun.
3- Les dépens et frais irrépétibles
Le jugement frappé d'appel étant partiellement infirmé et la condamnation de la S. A.S. Bouygues Immobilier aggravée, l'appelante sera condamnée aux dépens de la première instance et de l'appel.
Pour les mêmes motifs, il apparaîtrait inéquitable de laisser à la charge des époux J.F. les frais engagés à l'occasion de la première instance et de l'appel, non compris dans les dépens. Il convient donc de condamner la S. A.S. Bouygues Immobilier à leur payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
En revanche, il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la S. A.S. Bouygues Immobilier la charge des frais engagés par cette dernière à l'occasion de la première instance et de l'appel, non compris dans les dépens. Sa demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile sera donc rejetée.