CA Colmar, 3e ch. civ., 26 novembre 2018, n° 17-04286
COLMAR
ArrĂȘt
PARTIES
Demandeur :
Campus Privé d'Alsace (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Martino
Conseillers :
Mmes Fabreguettes, Arnold
Par acte du 12 mai 2014, Monsieur Yoan P. a souscrit auprÚs de l'école européenne d'ostéopathie (Campus Privé d'Alsace) un contrat d'inscription en premiÚre année pour un cycle d'études de cinq ans.
Souhaitant s'inscrire au sein d'une autre école à Lyon pour y effectuer sa 3Úme année, il a, par courrier du 22 juillet 2016, informé l'école qu'il ne poursuivait pas ses études auprÚs d'elle.
La Sà rl Campus Privé d'Alsace n'a pas accepté cette résiliation et a attrait Monsieur P. devant le Tribunal d'instance de Strasbourg en paiement des sommes de :
- 7800  correspondant aux frais relatifs à la 3Úme année d'ostéopathie,
- 500  au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par jugement en date du 8 septembre 2017, le Tribunal d'instance de Strasbourg a dit abusif l'article 4 des conditions générales d'inscription, déclaré cette clause non écrite, déclaré valide la résiliation survenue à l'initiative de Monsieur P. le 17 mai 2016, a débouté la Sà rl Campus Privé d'Alsace de toutes ses demandes, la condamnée aux dépens et à payer à Monsieur P. la somme de 700  au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Pour statuer ainsi, le Tribunal a considéré que l'article 4 des conditions générales prévoyant que l'élÚve doit régler les frais des cinq années de scolarité sauf cas de force majeure ou circonstances exceptionnelles et graves laissées à l'appréciation de l'école, crée au détriment des consommateurs, un déséquilibre significatif entre les droits obligations des parties au contrat en ce qu'il n'est prévu aucune clause équivalente à la charge de l'école, en cas de difficultés de son cÎté.
Il a relevé que lors de la perte d'agrément en 2015, aucune contrepartie financiÚre n'a été proposée aux étudiants malgré l'incertitude dans laquelle ceux-ci ont été plongés pendant une année.
La Sà rl Campus Privé d'Alsace a interjeté appel à l'encontre de cette décision le 6 octobre 2017 et par derniÚres écritures notifiées le 20 juillet 2018, elle conclut à l'infirmation du jugement entrepris et demande à la Cour, de :
- constater que les conclusions d'appel sont recevables,
- condamner Monsieur Yoan P. Ă lui payer la somme de 7800  avec intĂ©rĂȘts au taux lĂ©gal Ă compter de la date de la signification, en consĂ©quence du non respect de ses obligations contractuelles et au titre de la 3Ăšme annĂ©e de formation d'osthĂ©opathie,
- le condamner aux dépens de premiÚre instance et d'appel ainsi qu'à lui payer la somme de 2000  au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par derniÚres conclusions notifiées le 26 juillet 2018, Monsieur P. demande de :
- déclarer les conclusions d'appel de la Sà rl Campus Privé d'Alsace irrecevables,
Au fond,
- déclarer l'appel mal fondé,
Par conséquent,
- débouter la Sà rl Campus Privé d'Alsace de ses demandes,
- confirmer le jugement entrepris,
Y ajoutant,
- constater que Monsieur P. justifie d'un motif légitime et impérieux l'astreignant à rompre le contrat souscrit le 12 mai 2014,
- condamner la Sà rl Campus Privé d'Alsace à lui payer la somme de 1500  au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- la condamner aux dépens.
L'ordonnance de clĂŽture est intervenue en date du 10 septembre 2018.
Motifs
Vu les derniÚres écritures ci-dessus spécifiées et auxquelles il est référé en application de l'article 455 du Code de procédure civile ;
Vu les piÚces réguliÚrement communiquées entre les parties ;
Sur la recevabilité des conclusions d'appel
Monsieur Yoan P. fait valoir que " les conclusions de l'intimé(sic), mentionnant en qualité d'intimé Monsieur Jean P. alors que le concluant se nomme Monsieur Yoan P. et que les conclusions d'appel sont donc déclarées irrecevables ".
En tant que de besoin, il est relevé que les conclusions récapitulatives de la partie appelante mentionnent bien le nom de Yoan P. en qualité de partie intimée de sorte que les conclusions sont régularisées. Il y aura également lieu de rectifier l'erreur matérielle affectant le jugement déféré qui a désigné, par erreur de plume, le défendeur comme étant Joan P. et non Yoan P..
Sur la validité de la clause n° 4 des conditions générales
Selon l'article L. 132-1 ancien devenu L. 212-1 du Code de la consommation, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer au détriment du non- professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
Dans sa recommandation 91-01 sur les contrats proposĂ©s pour les Ă©tablissements d'enseignement, la Commission des clauses abusives a prĂ©conisĂ© la prohibition des clauses qui empĂȘchent la rĂ©siliation du contrat Ă la demande du non- professionnel qui justifie d'un motif sĂ©rieux et lĂ©gitime.
Par ailleurs il est de jurisprudence acquise qu'est abusive en ce qu'elle crée au détriment de l'élÚve, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, la stipulation contractuelle qui fait du prix total de la scolarité un forfait intégralement acquis à l'école dÚs la signature du contrat et qui, sans réserver le cas d'une résiliation pour un motif légitime et impérieux, ne permet une dispense de rÚglement de la formation qu'en cas de force majeure.
En l'espÚce, l'article 2 du contrat d'inscription prévoit que le contrat devenu définitif a nécessairement une durée ferme et déterminée égale à l'entier cycle de formation choisie. L'article 4 pour sa part, dispose que " toute inscription entraßne obligation du rÚglement de la totalité des frais de scolarité du cycle " et qu'il n'en sera autrement " qu'en cas de force majeure ou de circonstances exceptionnelles et graves, soumises à l'approbation de la direction ".
L'article 4 sus-visĂ© crĂ©e un dĂ©sĂ©quilibre significatif entre les obligations et droits des parties au contrat au dĂ©triment de l'Ă©tudiant puisque celui-ci ne peut sauf Ă rĂ©gler l'intĂ©gralitĂ© du prix des cinq annĂ©es de formation, rĂ©silier le contrat qu'en cas de force majeure et de circonstances exceptionnelles et graves, cette notion Ă©tant plus restrictive que celle de motif lĂ©gitime et sĂ©rieux voire mĂȘme impĂ©rieux.
C'est donc par une exacte appréciation des faits de la cause que le premier juge a déclaré clause abusive l'article 4 du contrat d'inscription et réputé celle-ci non écrite.
La dĂ©cision dĂ©fĂ©rĂ©e devra ĂȘtre confirmĂ©e de ce chef.
Sur la résiliation unilatérale du contrat d'enseignement
Monsieur P. fait valoir dans ses Ă©critures qu'il a dĂ©cidĂ© d'effectuer sa troisiĂšme annĂ©e de formation dans une autre Ă©cole Ă Lyon au motif qu'il n'a pas reçu au moment de l'inscription Ă Strasbourg un rĂ©fĂ©rentiel pĂ©dagogique comportant les informations nĂ©cessaires sur les Ă©tudes d'ostĂ©opathie et le dĂ©tail du cursus de formation, de sorte que la SĂ rl Campus PrivĂ© d'Alsace a manquĂ© Ă son devoir de conseil et d'information, que la qualitĂ© de l'enseignement Ă©tait insuffisante et ne pouvait pas rĂ©pondre Ă ses attentes, que l'Ă©cole ayant perdu son agrĂ©ment entre le mois de juillet 2015 et le mois de septembre 2016, il n'avait aucune certitude quant Ă la validitĂ© du diplĂŽme susceptible d'ĂȘtre obtenu in fine.
La lettre de résiliation qu'il a adressée à l'établissement le 22 juillet 2016 est ainsi rédigée quant aux motifs :
" -rapprochement familial comme évoqué dans le mail de mon pÚre du 17 mai 2016
-perte de confiance dans vos promesses pédagogiques car en 2015-2016 tous les enseignements prévus dans les textes légaux relatifs à la formation en ostéopathie et publiés en 2014 sont pas été dispensés. Qu'en sera-t-il en 2016-2017 ' ".
Cette lettre est Ă rapprocher du courrier envoyĂ© par le pĂšre de Monsieur P. Ă la sociĂ©tĂ© Campus PrivĂ©e d'Alsace le 17 mai 2016, date Ă laquelle l'Ă©cole avait recouvrĂ© son agrĂ©ment, perdu au mois de juillet 2015, par lequel celui-ci explique qu'Ă une pĂ©riode oĂč les doutes et l'inquiĂ©tude les perturbaient, son fils a fait une demande d'inscription Ă l'Ă©cole IsostĂ©o Ă Lyon, ville de c'ur de ce dernier, que la rĂ©ponse favorable de cet Ă©tablissement est arrivĂ©e rĂ©cemment et que pour des raisons personnelles (une partie de la famille se trouve Ă Lyon) et pour la qualitĂ© de l'Ă©cole ( niveau 1 au RNCP) ainsi que le suivi des Ă©lĂšves aprĂšs l'Ă©cole, Yoan souhaite intĂ©grer cet Ă©tablissement.
Il n'est pas discutable que le motif tirĂ© du rapprochement familial est un motif purement personnel qui ne peut en aucun cas en lui-mĂȘme constituer un motif lĂ©gitime et impĂ©rieux alors que l'intĂ©ressĂ©, en toute connaissance de cause, a choisi d'effectuer ses Ă©tudes supĂ©rieures Ă Strasbourg et y a accompli de fait ses deux premiĂšres annĂ©es d'osthĂ©opathie et qu'il n'Ă©tablit pas souffrir de maniĂšre pathologique de ce choix.
La circonstance que la sociĂ©tĂ© Campus PrivĂ© d'Alsace ne justifie pas avoir satisfait Ă son obligation d 'information et de conseil prĂ©alablement Ă l'inscription de Monsieur P. n'est pas dĂ©terminante dans l'apprĂ©ciation d'un motif lĂ©gitime et impĂ©rieux dans la mesure oĂč l'intĂ©ressĂ© n'explique ni ne justifie en quoi le manquement Ă cette obligation aurait causĂ© un prĂ©judice Ă sa formation et in fine, Ă l'obtention de son diplĂŽme.
En revanche, il est constant que l'établissement d'ostéopathie, partie appelante, s'est vu retirer l'agrément du ministre chargé de la santé à compter du mois de juillet 2015 jusqu'au mois de septembre 2016, alors que l'article 75 de la loi du 12 février 2012 dispose que l'usage professionnel du titre d'ostéopathe est réservé aux personnes titulaires d'un diplÎme sanctionnant une formation spécifique à l'ostéopathie, délivrée par un établissement de formation agréé par le ministre chargé de la santé dans des conditions fixées par décret.
Il est également constant qu'il a fait connaßtre cette circonstance aux étudiants le 9 juillet 2015 et que M. P. a confirmé son inscription par écrit signé le 27 juillet 2015.
Pour autant, il est constant que l'établissement d'enseignement litigieux a, dÚs le mois de mai 2016, recouvré son agrément. Or, il n'est pas soutenu que l'absence d 'agrément de l'établissement durant la deuxiÚme année de scolarité aurait, in fine, fait perdre aux élÚves le bénéfice du diplÎme d'ostéopathe.
M. P. invoque enfin un contenu pédagogique insuffisant mais ne rapporte pas la preuve de ses allégations, le seul mail adressé à une date d'ailleurs indéterminée par Juliette L., qui était, selon la partie intimée, déléguée de classe, étant notoirement insuffisant à cet égard.
Il suit de l'ensemble de ces énonciations que Monsieur P. ne rapporte pas la preuve d'un motif légitime et impérieux de résiliation de la convention qu'il a souscrite ni de l'inexécution par l'école de ses engagements.
Il en rĂ©sulte que la demande en paiement de la somme de 7800  correspondant aux frais propres Ă la troisiĂšme annĂ©e de formation doit ĂȘtre accueillie.
La décision déférée sera donc infirmée en ce sens.
Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile
Les dispositions du jugement déféré s'agissant des dépens et de l'article 700 du Code de procédure seront infirmées.
Partie perdante, M. P. sera condamnĂ© aux dĂ©pens de premiĂšre instance et d'appel conformĂ©ment aux dispositions de l'article 696 du Code de procĂ©dure civile et dĂ©boutĂ© de sa demande au titre de l'article 700 du mĂȘme Code.
Il sera fait droit Ă la demande de la partie appelante au titre des dispositions de l'article 700 du mĂȘme Code Ă hauteur de la somme de 1000 Â.
Par ces motifs LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Rejette la fin de non-recevoir ; Rectifie le jugement dĂ©fĂ©rĂ© en ce que le dĂ©fendeur est Monsieur Yoan P. et non Joan P. ; Confirme la dĂ©cision dĂ©fĂ©rĂ©e en ce qu'elle a dit l'article 4 des conditions gĂ©nĂ©rales d'inscription du contrat conclu entre les parties abusif et en ce qu'elle a dĂ©clarĂ© de ce chef cette clause non Ă©crite ; L'infirme pour le surplus et statuant Ă nouveau dans cette seule limite ; Condamne Monsieur Yoan P. payer Ă la sociĂ©tĂ© Campus PrivĂ© d'Alsace la somme de 7800  (sept mille huit cents euros) avec intĂ©rĂȘts au taux lĂ©gal Ă compter de la date de l'assignation devant le tribunal d'instance ; DĂ©boute Monsieur Yoan P. de sa demande tendant Ă voir dire qu'il justifie d'un motif lĂ©gitime et impĂ©rieux de rĂ©siliation et de ses demandes au titre de l'article 700 du Code de procĂ©dure civile ; Condamne Monsieur Yoan P. Ă payer Ă la sociĂ©tĂ© Campus PrivĂ© d'Alsace la somme de 1000  (mille euros) au titre de l'article 700 du Code de procĂ©dure civile pour les frais irrĂ©pĂ©tibles de premiĂšre instance et d'appel ; Condamne Monsieur Yoan P. aux dĂ©pens de premiĂšre instance et d'appel.