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Décisions

CA Chambéry, ch. civ. sect. 1, 4 décembre 2018, n° 17-01151

CHAMBÉRY

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Les Carrières d'Etavaux (SARL)

Défendeur :

Quadra(SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Greiner

Conseillers :

Mmes Fouchard, Real Del Sarte

Avocats :

Selarl Juliette Cochet Barbuat Lexavoue Chambery, Selarl Thill Langeard, Associés, SCP Bollonjeon Arnaud Bollonjeon, SCP Billebeau Marinacce

T. com. d'Annecy, du 25 avr. 2017

25 avril 2017

Le 12/10/2009, la société Carrières d'Etavaux a commandé à la société Quadra une unité de production d'agglomérés de béton avec reprise de l'installation ancienne, composée d'une presse Quadra 10, d'un système de manutention avec convoyeur, ascenseur et descenseur, d'un robot de palettisation Kuka 700 PA 4 axes e d'une ligne d'approvisionnement et d'évacuation des palettes, le montage se faisant la dernière semaine de janvier 2010 et la mise en service la première quinzaine de mars 2010.

Le 31/03/2010, la société Quadra a émis une facture de 826 090 euros HT.

Le 11/04/2011, un procès verbal de réception définitive du matériel a été établi.

Le 27/05/2015, une pièce s'est cassée sur le robot palettiseur.

Le 03/06/2015, un technicien de la société Kuka est intervenu pour installer un nouveau robot palettiseur et remplacer les pièces défectueuses, pour un coût de 32 582 euros HT.

Le 10/06/2015, la société Carrières d'Etavaux a écrit à la société Quadra pour lui indiquer qu'un nouveau robot avait été installé et que la production avait redémarré.

Le 08/09/2015, la société Carrières d'Etavaux a écrit à la société Quadra pour faire part d'une perte de production de 220 tonnes par jour pendant 5 jours, et d'un préjudice de 11 000 euros HT outre les frais de réparation, soit 43 582 euros HT.

Par acte du 04/04/2016, la société Carrières d'Etavaux a assigné la société Quadra devant le tribunal de commerce d'Annecy en paiement de cette somme en principal.

Par jugement du 25/04/2017, le tribunal a :

- déclaré la demande recevable comme non prescrite,

- dit que la société demanderesse n'apportait pas la preuve d'un vice caché affectant la machine livrée,

- débouté la société Carrières d'Etavaux de ses demandes,

- condamnée au paiement de la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du Code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire.

Par déclaration du 12/05/2017, la société Carrières d'Etavaux a relevé appel de cette décision.

Dans ses conclusions du 04/12/2017, elle conclut à la confirmation de la décision déférée en ce qu'elle a déclaré son action non prescrite et à sa réformation pour le surplus, demandant à la Cour de :

- constater que la machine livrée est affectée d'un défaut de conception, à l'origine de l'incident du 27/05/2015, ayant occasionné à l'appelante un préjudice,

- condamner la société Quadra au paiement de la somme de 43.582 euros HT en réparation du préjudice outre 4 000 euros au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,

- à titre subsidiaire, dire que la machine est affectée d'un défaut de conformité,

- que la société Quadra a manqué à son obligation de délivrance, ce manquement étant à l'origine de l'incident,

- condamner la société Quadra au paiement de la somme de 43 582 euros HT en réparation du préjudice outre 4 000 euros au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du Code de procédure

civile, ainsi qu'aux dépens,

A titre infiniment subsidiaire, ordonner une expertise de la machine.

Dans ses conclusions du 02/02/2018, la société Quadra demande à la Cour de :

- dire que la livraison de la machine est intervenue le 31/03/2010 et au plus tard le 15/04/2010,

- dire que le document du 11/04/2011 est sans effet sur la date de livraison,

- dire que le délai de l'article L. 110-4 du Code de commerce a commencé à courir au jour de la livraison, soit au plus tard le 15/04/2010,

- dire que l'incident allégué par l'appelante serait survenu le 27/05/2015 soit plus de cinq ans après,

- dire que l'action en garantie des vices cachés est enfermée dans le délai de droit commun de 5 ans de l'article L. 110-4 du Code de commerce et que les demandes de l'appelante sont irrecevables,

- infirmer sur ce point la décision déférée,

- à titre subsidiaire, dire que la société appelante ne rapporte pas la preuve qu'un vice caché aurait affecté la machine livrée après plus de 5 ans d'utilisation et rejeter ses demandes,

- dire que la société appelante ne peut agir qu'au titre de la garantie des vices cachés de l'article 1641 du Code civil , ce qui exclut toute action au titre de la responsabilité contractuelle, de la non conformité ou d'un manquement à l'obligation de délivrance et rejeter les demandes sur ce fondement,

- dire que le procès verbal du 11/04/2011 et l'utilisation de la machine pendant 5 ans suffisent à attester de sa conformité à la commande,

- dire qu'en tout état de cause, une telle action est prescrite,

- rejeter la demande d'expertise, tout recours étant prescrit,

- dire que l'appelante ne produit aucun élément susceptible de justifier les montants réclamés,

- la condamner au paiement de la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Motifs de la décision

Sur l'action en garantie des vices cachés

Aux termes de l'article 1648 du Code civil , " l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice ".

La société Carrières d'Etavaux fait état d'un incident survenu le 27/05/2015, cette date étant rendue certaine par l'échange de mails survenus entre l'appelante et l'intimée, la société Quadra déclarant avoir fait le nécessaire auprès de la société Kuka pour qu'un technicien intervienne le plus rapidement possible, ce qui va d'ailleurs se passer. Dès lors, le point de départ de l'action en garantie des vices cachés doit être fixé à cette date, où le défaut allégué affectant le robot manipulateur a été découvert.

L'assignation ayant été délivrée le 04/04/2016, soit dans les deux ans, ce délai a été respecté par la société appelante.

Toutefois, cette action doit s'inscrire à l'intérieur d'un second délai, édicté par l'article L. 110-4 du Code de commerce, qui dispose que " les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes ", le point de départ de ce délai étant la date de livraison.

Cette date doit être fixée au moment où la machine a été mise en service pour la production effective d'agglomérés de béton, la livraison devant s'entendre, non du dépôt sur le site prévu des matériels acquis, ni de leur montage, mais à partir du moment où tous les réglages sont effectués, et que la ligne de production devient opérationnelle.

La fourniture des pièces de l'ensemble ayant été réalisée fin janvier 2010, il sera retenu par la Cour la date du 15/04/2010 le début de la production, la prise de possession sans réserve émise par l'acquéreur valant livraison. Certes, un " procès verbal de réception définitive du matériel " a été dressé un an plus tard. Mais ce document n'avait pas pour finalité de prononcer une réception par le client, mais de le déclarer conforme à la commande. En effet, il y est indiqué que " en prenant en charge le matériel, le preneur reconnaît qu'il est conforme à la description faite dans le contrat et la commande et qu'il est en bon état de fonctionnement ".

Dès lors, l'action de l'appelante est prescrite, comme ayant été engagée plus de cinq années après le 15/04/2010.

Sur la responsabilité contractuelle de la société Quadra

L'action de l'appelante ne peut pas non plus prospérer sur ce fondement. En effet, le bien livré était conforme à la commande, comme l'indique le procès verbal signé par l'acquéreur, et le vendeur a ainsi bien respecté son obligation de délivrance. Par ailleurs, l'action est elle aussi prescrite, car engagée tardivement.

L'action de la société Carrières d'Etavaux sera déclarée irrecevable, et le jugement déféré réformé de ce chef.

Pour la moralité des débats, il convient de relever que :

- une palette déjà empilée s'est coincée dans le taquet d'éjection, et le robot palettiseur l'a alors considéré comme une palette à remplir ; sa pince a heurté un rang d'agglomérés trop haut et sa tête s'est brisée,

- il n'est donc pas démontré que l'origine du sinistre se trouve dans un défaut préexistant à la vente ; l'incident à l'origine du litige est tout à fait isolé, et est survenu plus de cinq années après la mise en service de l'installation, alors qu'aux dires de la société Carrières d'Etavaux elle même, la production d'agglomérés de béton est intensive, de l'ordre de 220 tonnes par jour,

- le fait qu'un dispositif de sécurité puisse être mis en place ne traduit pas un défaut de conception de l'ensemble, mais constitue une amélioration du processus,

- dès lors, on ne peut considérer que l'on est en présence d'un vice caché.

Enfin, l'équité commande une application modérée des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés par l'intimé tant en première instance qu'en cause d'appel.

Par ces motifs LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Réforme le jugement déféré, Statuant à nouveau, Déclare irrecevable comme prescrite l'action de la société Les Carrières d'Etavaux, Condamne la société Carrières d'Etavaux à payer à la société Quadra la somme de 3.500 euros au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du Code de procédure civile, La Condamne aux dépens de première instance et d'appel, Autorise la SCP Bollonjeon Arnaud Bollonjeon, avocats, à recouvrer directement les dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.