CA Paris, Pôle 2 ch. 2, 10 janvier 2019, n° 17-00864
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Centre de confort et de mobilité (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Poinseaux
Conseillers :
Mmes Lefèvre, Bou
Le 22 décembre 2010, M. et Mme X ont passé commande auprès de la société Centre de confort et de mobilité, à l'enseigne Practicomfort, d'une plate-forme monte-escalier droit extérieur pour un prix de 10 300 euros TTC incluant la pose du matériel, un scooter Rumba 22 leur ayant été offert à cette occasion.
La plate-forme a été installée et intégralement payée, l'appareil bénéficiant d'une garantie contractuelle jusqu'au 7 juillet 2016.
Se plaignant de nombreuses pannes de la plate-forme, M. et Mme X ont saisi leur assureur protection juridique, lequel a diligenté une expertise. L'expert du cabinet IXI a établi son rapport le 14 février 2013 en notant qu'au jour de la réunion d'expertise, en présence d'un représentant de la société Centre de confort et de mobilité, il n'avait pas constaté de dysfonctionnement mais qu'il y avait eu de nombreuses interventions depuis l'installation.
Le 24 mars 2014, Mme X a fait dresser par un huissier de justice un constat des dysfonctionnements du matériel.
Le 5 septembre 2014, Mme X a assigné la société Centre de confort et de mobilité devant le tribunal de grande instance de Créteil aux fins de résolution du contrat et d'indemnisation de son préjudice, sur le fondement de la garantie des vices cachés et de la garantie contractuelle.
Par jugement contradictoire du 12 décembre 2016, le tribunal a déclaré l'action en garantie des vices cachés irrecevable car prescrite, débouté Mme X de l'intégralité de ses autres demandes, dit n'y avoir lieu à indemnité au tire de l'article 700 du Code de procédure civile et condamné Mme X aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.
Par déclaration du 10 janvier 2017, Mme X a relevé appel de ce jugement.
Par dernières conclusions notifiées le 30 octobre 2018 par voie électronique, Mme X demande à la cour, au visa des articles 1641 et suivants du Code civil, subsidiairement au visa des dispositions de l'article 1231-1 (ancien article 1147) du Code civil et des articles L. 211-15 à L. 211-16-1 du Code de la consommation, de :
- infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions,
- dire Mme X recevable et bien fondée en son appel, en conséquence,
- prononcer la résolution de la vente,
- condamner la société Centre de confort et de mobilité à payer à Mme X les sommes suivantes
* remboursement du prix d'acquisition : 10 300 euros TTC avec intérêts de droit à compter du jugement,
* dommages et intérêts pour trouble de jouissance : 5 000 euros,
* dommages et intérêts pour résistance abusive et injustifiée : 3 000 euros
* au titre de l'article 700 du Code de procédure civile relativement à la procédure devant le tribunal et la cour d'appel : 5 000 euros,
- dire que la société Centre de confort et de mobilité reprendra à ses frais la plate-forme litigieuse ainsi que le scooter électrique livré à titre gracieux avec celle-ci,
- à titre subsidiaire, désigner un expert avec pour mission essentielle d'examiner les désordres et de fournir tous les éléments techniques et de fait de nature à permettre de déterminer les responsabilités éventuellement encourues et d'évaluer s'il y a lieu tous les préjudices subis,
- condamner la société Centre de confort et de mobilité en tous les dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Maître Y, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile qui comprendront ceux du constat d'huissier établi par la SCP W.
Par conclusions récapitulatives notifiées le 29 septembre 2017 par voie électronique, la société Centre de confort et de mobilité demande à la cour, au visa des articles 1134, 1641, 1644 et 1648 du Code civil et 122 et suivants ainsi que 146 du Code de procédure civile et après divers constater qui ne sont que la reprise de ses moyens, de :
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions et ce faisant, dire irrecevable pour prescription les demandes de Mme X en annulation de la vente, à titre subsidiaire,
- dire que les demandes de Mme X sont infondées et l'en débouter,
- condamner Mme X à payer à la société Centre de confort et de mobilité la somme de 3 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Z, avocat.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 novembre 2018.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription
Mme X s'oppose à la fin de non-recevoir en faisant valoir que le tribunal ne pouvait retenir comme date de connaissance du vice le mois de mai 2011, au cours duquel son époux et elle-même s'étaient plaints du mauvais fonctionnement de l'appareil, dès lors que l'installation de la plate-forme n'a été terminée qu'en juillet 2011. Elle soutient que son mari et elle n'ont eu connaissance de manière certaine du vice qu'à l'occasion de l'expertise et à l'issue des multiples pannes n'ayant pas permis la réparation du matériel. Elle prétend que le point de départ du délai pour agir peut-être fixé à la panne du 19 décembre 2012, après laquelle la plate-forme n'a plus jamais fonctionné normalement, voire au 4 octobre 2013, date de la dernière intervention.
La société Centre de confort et de mobilité soutient la prescription des demandes au motif que l'appareil n'a jamais fonctionné correctement et que Mme X a, dès les mois d'avril/mai 2011, invoqué la garantie des vices cachés en disant qu'elle solliciterait, à défaut de réponse rapide, l'annulation de la vente. Elle conteste que les interventions faites depuis 2011 aient concerné un simple entretien ou ajustement et que le point de départ de l'action en garantie des vices cachés puisse se situer à chaque panne de l'appareil.
Selon l'article 1648 alinéa 1 du Code civil, l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice.
Le délai court à partir du moment où l'acquéreur découvre le vice dans toute son ampleur et ses conséquences.
En l'espèce, il résulte de la facture du 29 mars 2011 remplie manuscritement que si la livraison a eu lieu à cette date, il manquait encore le volet frontal. La lettre adressée le 9 août 2011 par la société Centre de confort et de mobilité à M. X indiquant que la mise en service de la plate-forme a été faite par cette société le 6 juillet 2011 confirme par ailleurs les dires de l'appelante selon lesquels l'installation de l'appareil n'a été terminée qu'au mois de juillet 2011. Mme X soutient ainsi à juste titre que les dysfonctionnements signalés par elle et son époux et les interventions de la société Centre de confort et de mobilité antérieurs au mois de juillet 2011 ne peuvent caractériser la connaissance du vice, s'agissant d'un matériel dont l'installation n'était alors pas totalement achevée.
Il ressort des pièces versées aux débats (fiches d'intervention et rapport d'expertise) qu'après la mise en service, entre les mois de janvier 2012 et d'octobre 2013, les acquéreurs se sont plaints de nombreux dysfonctionnements qui ont donné lieu à une douzaine d'interventions de la société Centre de confort et de mobilité liées pour beaucoup au telemaca, que les désordres ont été chaque fois réparés et pris en charge par la venderesse au titre de la garantie contractuelle. Néanmoins, il résulte des fiches d'intervention, du rapport d'expertise, des attestations et du constat d'huissier qu'après la remise en état de l'installation faite à chaque intervention, celle-ci a présenté rapidement de nouveaux désordres, conduisant M. X, dans une lettre du 3 janvier 2013, à indiquer à la venderesse que le nombre de pannes le privant régulièrement de l'utilisation normale de la plate-forme révélait l'existence d'un vice caché.
Les époux X ont ainsi pu légitimement croire pendant un certain temps que les dysfonctionnements étaient aptes à être résolus par les interventions de la venderesse au titre de la garantie contractuelle et n'ont découvert les vices dans toute leur ampleur que par la récurrence des pannes en dépit des interventions, laquelle leur a révélé l'absence de solution de réparation permettant d'empêcher la réapparition des dysfonctionnements. La connaissance pleine et entière des vices par les acquéreurs doit ainsi être datée du mois de décembre 2012, époque à laquelle la plate-forme est à nouveau tombée en panne alors qu'elle avait déjà été réparée sept fois depuis la fin du mois de janvier 2012, dont la dernière environ un mois auparavant, en novembre 2012.
Or, Mme X a engagé son action le 5 septembre 2014, soit dans le délai de deux ans. La fin de non-recevoir tirée de la prescription sera rejetée, le jugement étant infirmé en ce sens.
Sur le fond
Mme X soutient que quelques jours après l'intervention du 4 octobre 2013, la plate-forme est à nouveau tombée à panne, que le constat d'huissier du 24 mars 2014 démontre son dysfonctionnement à cette date ainsi que sa dangerosité et que les attestations justifient que ce matériel connaissait perpétuellement des problèmes, l'appelante soulignant la nécessité de la plate-forme acquise par son époux et elle compte tenu de leur handicap et de leur âge. Elle sollicite en conséquence la résolution de la vente et se plaint d'un trouble de jouissance faute d'avoir pu utiliser correctement la plate-forme depuis 2011.
La société Centre de confort et de mobilité estime que l'action ne saurait prospérer, faute de preuve par Mme X de l'antériorité des vices, de leur persistance au jour de l'assignation et de leur gravité. Elle affirme qu'à chacune de ses interventions, elle a remédié aux désordres invoqués et que, depuis sa dernière intervention du 4 octobre 2013, liée, non à une défectuosité mais à un débranchement du bouton d'urgence, la machine est réputée en état de marche, l'intimée soulignant n'avoir reçu aucune demande d'intervention par la suite.
Aux termes de l'article 1641 du Code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.
Il incombe à l'acquéreur de rapporter la preuve du vice et de ses différents caractères.
Il résulte des énonciations précédentes que le matériel a été régulièrement en panne et que les réparations faites n'ont que très ponctuellement solutionné les désordres. Les attestations versées aux débats par l'appelante, émanant notamment d'un voisin, confirment que la plate-forme n'a jamais bien fonctionné, tombant régulièrement en panne et présentant une dangerosité. En considération de ces éléments, l'absence de constat par l'expert de dysfonctionnement n'est pas de nature à remettre en cause la réalité du vice, la réunion d'expertise ayant eu lieu le lendemain d'une intervention de la venderesse. De même, le fait que la société Centre de confort et de mobilité ait fait un essai positif à la fin de son intervention du 4 octobre 2013 et n'ait plus été saisie de réclamations ensuite est inopérant à justifier de la disparition du vice dès lors que le constat d'huissier du 20 mars 2014 prouve de nombreux dysfonctionnements à cette date (volet ne se mettant pas en position verticale et n'assurant pas de fonction protectrice, dysfonctionnements des boutons de commande des volets et de celui permettant de faire monter l'appareil, impossibilité d'abaisser complètement au sol le volet permettant à un fauteuil roulant de monter, montée de la plate-forme uniquement en position repliée), M. X attestant aussi de la persistance des dysfonctionnements depuis la dernière intervention du 4 octobre 2013.
La réalité des vices et leur absence de disparition sont donc établies.
La cause des interventions figurant sur les bons, se rapportant notamment à des problèmes de telemaca, les nombreux remplacements de pièces faits à ces occasions et la prise en charge de ces frais au titre de la garantie contractuelle témoignent qu'il s'agit de vices inhérents à la chose, non d'une mauvaise utilisation de l'appareil par ses acquéreurs, étant précisé que le 4 octobre 2013, la société Centre de confort et de mobilité n'est pas intervenue uniquement en raison du débranchement du bouton d'arrêt d'urgence imputable à une erreur humaine mais également pour remettre en état la secu du dessous plateforme. La date des interventions et les attestations produites démontrent en outre que les dysfonctionnements de la plate-forme sont apparus très rapidement après l'achèvement de son installation, ce qui permet d'en déduire que les vices préexistaient, au moins à l'état de germe, à la vente.
Les dysfonctionnements ne se sont révélés qu'à l'utilisation de l'appareil, après son installation. Ils étaient ainsi cachés lors de la vente pour des acquéreurs profanes tels les époux X.
L'ensemble des pièces versées aux débats, dont les attestations, justifient de pannes récurrentes de la plate-forme ayant régulièrement empêché son utilisation alors que Mme X, âgée de plus de 70 ans lors de la vente, prouve être handicapée. Elles établissent aussi sa dangerosité, les témoins indiquant être intervenus à plusieurs reprises pour aider M. X à sortir de la plate-forme dans laquelle il était coincé. Le constat d'huissier corrobore cette dangerosité en raison de l'absence de mise en place du volet de côté en position de sécurité et du défaut d'abaissement complet du volet au sol, risquant de provoquer un accident. La gravité du vice et l'impropriété de la chose à l'usage auquel elle est destinée se trouvent ce faisant caractérisées.
Les conditions de la garantie des vices cachés étant réunies, Mme X est fondée en sa demande de résolution de la vente et en sa demande subséquente de remboursement du prix. La condamnation au paiement de la somme de 10 300 euros portera intérêts au taux légal à compter de la présente décision qui prononce la résolution. Mme X devra restituer à la société Centre de confort et de mobilité la plate-forme et le scooter offert, aux frais de cette dernière.
En application de l'article 1645 du Code civil et le vendeur professionnel étant présumé connaître les vices, la société Centre de confort et de mobilité est tenue en outre de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur.
Il résulte de ce qui précède que Mme X a été régulièrement empêchée d'utiliser la plate-forme du fait de ses dysfonctionnements récurrents, alors que ce matériel lui était nécessaire compte tenu de son âge et de son handicap. La cour est en mesure d'estimer à la somme de 2 000 euros les dommages et intérêts propres à réparer le préjudice de jouissance ainsi éprouvé.
Sur les dommages et intérêts pour résistance abusive
Mme X reproche à la société Centre de confort et de mobilité sa résistance abusive et injustifiée, faute pour celle-ci d'avoir procédé au remplacement de l'appareil alors qu'elle était consciente de ses dysfonctionnements et de l'âge ainsi que du handicap de ses clients.
La société Centre de confort et de mobilité conclut au rejet de cette demande.
Sauf circonstances particulières, la défense à une action justice ne peut constituer un abus de droit lorsque sa légitimité a été reconnue par la juridiction du premier degré, malgré l'infirmation dont sa décision a été l'objet. En l'espèce, Mme X ne justifie pas de telles circonstances. La demande de dommages et intérêts pour résistance abusive sera rejetée.
Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile
Succombant, la société Centre de confort et de mobilité sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer à Mme X la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles. En application de l'article 695 du Code de procédure civile, il n'y a pas lieu d'inclure dans les dépens le coût du constat, l'huissier de justice n'ayant pas été désigné à cet effet par une décision de justice.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par mise à disposition de la décision au greffe, contradictoirement : Infirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à indemnité de procédure au titre de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de la société Centre de confort et de mobilité ; Statuant à nouveau dans cette limite et ajoutant : Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription ; Prononce la résolution de la vente en date du 22 décembre 2010 portant sur une plate-forme monte-escalier droit ; Condamne la société Centre de confort et de mobilité à payer à Mme X les sommes de - 10 300 euros, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, à titre de restitution du prix ; - 2 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice de jouissance ; - 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne Mme X à restituer à la société Centre de confort et de mobilité, aux frais de cette dernière, la plate-forme monte-escalier droit et le scooter Rumba 22 ; Rejette toute autre demande ; Condamne la société Centre de confort et de mobilité aux dépens de première instance et d'appel et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.