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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 9 janvier 2019, n° 17-09617

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Financière d'Aguesseau (SA), Berthelot (ès qual.)

Défendeur :

Achats Marchandises Casino (SAS), Distribution Casino France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Irène Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Bourayne, Boccon Gibod, Babin, Plassart

T. com. Paris, du 20 mars 2017, n° 20147…

20 mars 2017

Faits et procédure

La société Entreprises de Services de Promotion d'Articles de Sport (Espas) exerçait une activité de commercialisation d'articles de sport (ballons de football, de rugby, de basket-ball, de balles et raquettes de tennis etc.), sous des marques internationales dont elle était licenciée (Dunlop, Duarig, Nassau), principalement auprès de grandes surfaces.

La société EMC Distribution, nouvellement dénommée Achat Marchandises Casino (ci-après AMC), est la centrale de référencement du groupe Casino, lequel distribue des produits alimentaires et non alimentaires à travers différentes enseignes allant de l'hypermarché au commerce de proximité (Géant Casino, Supermarché Casino, Petit Casino, Franprix, Monoprix etc.). Elle négocie et signe les accords commerciaux avec les fournisseurs dans le cadre d'un mandat donné par les différentes sociétés du groupe, dont la société Distribution Casino France (ci-après Casino) qui a pour objet d'assurer l'exploitation des magasins et la vente au détail de produits de consommation courante, alimentaires et divers.

Depuis 2000, la société AMC était en relation commerciale avec la société Espas.

En 2009 et 2010, les accords entre la société Espas et la société EMC Distribution étaient formalisés dans un " Accord commercial marque national ", puis à compter de 2011 dans un " Accord cadre marque national " renouvelé chaque année. Ces accords définissaient les avantages tarifaires et ristournes octroyés par la société Espas et la rémunération due par cette dernière aux sociétés du groupe Casino au titre des services de coopération commerciale.

Le 1er janvier 2013, à la suite de la perte de son principal client, la société Carrefour, la société Espas a cédé son fonds de commerce d'activité d'articles de sport à la société de Distribution des Articles de Sport qui a repris la dénomination société Espas puis le 19 février 2013, celle de société Financière d'Aguesseau.

Par jugement du 24 octobre 2013, le tribunal de commerce de Nanterre a placé la société Financière d'Aguesseau sous procédure de sauvegarde, laquelle a été convertie en liquidation judiciaire par jugement du 19 septembre 2014.

Le 17 décembre 2013, la société Distribution Casino France a déclaré au passif de la société Financière d'Aguesseau une créance d'un montant de 170 547,22 euros correspondant au solde dû après compensation entre :

- la somme de 220 957,46 euros que la société Casino reconnaissait devoir au titre de factures et d'avoirs,

- et la somme de 391 504,68 euros que la société Casino considérait due par la société Financière d'Aguesseau au titre de différentes factures de pénalités, ristournes conditionnelles liées au chiffre d'affaires, ainsi que des factures de coopération commerciale et de demandes d'avoirs de ristournes CPV sur l'année 2012, non entièrement acquittées par la société Financière d'Aguesseau. Le liquidateur a contesté cette déclaration de créance devant le tribunal de commerce de Roanne.

Par ailleurs, estimant que les termes des accords signés avec la société EMC Distribution ne respectaient pas les dispositions impératives du Code de commerce, par exploit des 1er et 3 décembre 2014, la Selarl MJ Synergie, prise en la personne de Maître Geoffroy Berthelot en qualité de liquidateur judiciaire de la société Financière d'Aguesseau, a assigné les sociétés EMC Distribution et Distribution Casino France en paiement d'une somme totale de 1 338 262 euros au titre de prestations de coopération commerciale fictives et d'accords commerciaux imposés.

Par jugement du 20 mars 2017, le tribunal de commerce de Paris a :

- dit les demandes de la Selarl MJ Synergie prise en la personne de Me Geoffroy Berthelot ès qualités de mandataire judiciaire liquidateur de la SA Financière d'Aguesseau concernant le remboursement des paiements effectués au titre des factures du 15 mars et du 15 septembre 2009 prescrites,

- condamné in solidum la société EMC Distribution et la société Distribution Casino France à payer à la Selarl MJ Synergie prise en la personne de Me Geoffroy Berthelot ès qualités, qualités de mandataire judiciaire liquidateur de la société Financière d'Aguesseau la somme de 21 410,94 euros HT,

- débouté Selarl MJ Synergie prise en la personne de Me Geoffroy Berthelot ès qualités de mandataire judiciaire liquidateur de la SA Financière d'Aguesseau de ses autres demandes,

- condamné in solidum la société EMC Distribution et la SAS Distribution Casino France à payer à la Selarl MJ Synergie prise en la personne de Me Geoffroy Berthelot ès qualités de mandataire judiciaire liquidateur de la société Financière d'Aguesseau la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires au présent dispositif,

- dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire,

- condamné in solidum la SAS EMC Distribution et la société Distribution Casino France aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 104,68 euros dont 17,23 euros de TVA.

Vu la déclaration d'appel et les dernières conclusions de déposées et notifiées le 22 octobre 2018 par lesquelles la société MJ Synergie, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Financière d'Aguesseau, invite la cour, au visa des articles L. 442-6, I, 1°, 2° et 4° et III°, L. 441-3 et L. 441-7 du Code de commerce et 1134 et 1147 du Code civil, à :

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit les demandes de la Selarl MJ Synergie prise en la personne de Maître Geoffroy Berthelot, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Financière d'Aguesseau, prescrites concernant le remboursement des paiements effectués au titre des factures du 15 mars et du 15 décembre 2009,

- le réformer pour le surplus,

statuant à nouveau

- condamner solidairement les sociétés Achats Marchandises Casino (anciennement dénommée EMC Distribution) et Distribution Casino France ou l'une à défaut de l'autre à payer à la Selarl MJ Synergie prise en la personne de Maître Geoffroy Berthelot, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Financière d'Aguesseau, une somme de 295.653 euros au titre de la répétition des prestations de coopération commerciale fictives,

- condamner solidairement les sociétés Achats Marchandises Casino (anciennement dénommée EMC Distribution) et Distribution Casino France ou l'une à défaut de l'autre à payer à la Selarl MJ Synergie prise en la personne de Maître Geoffroy Berthelot, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Financière d'Aguesseau, une somme de 1 042 607 euros au titre de la répétition des ristournes conditionnelles injustifiées,

- dire que les intérêts sont dus à compter du 3 décembre 2014 et qu'ils seront capitalisés année par année à compter de cette date,

- autoriser la publication de la décision à intervenir en entier ou par extraits dans 2 journaux quotidiens et 3 magazines hebdomadaires au choix de la Selarl MJ Synergie prise en la personne de Maître Geoffroy Berthelot, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Financière d'Aguesseau, et aux frais des sociétés Achats Marchandises Casino (anciennement dénommée EMC Distribution) et Distribution Casino France ou l'une à défaut de l'autre dans la limite globale de 20 000 euros HT,

- condamner solidairement les sociétés Achats Marchandises Casino (anciennement dénommée EMC Distribution) et Distribution Casino France ou l'une à défaut de l'autre à payer à la Selarl MJ Synergie prise en la personne de Maître Geoffroy Berthelot, ès- qualités de liquidateur judiciaire de la société Financière d'Aguesseau, une somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens ;

Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 26 octobre 2018 par lesquelles les sociétés EMC Distribution et Distribution Casino France, intimées ayant formé appel incident, demandent à la cour, au visa des articles 1134, 1147 et 1984 et suivants du Code civil et L. 442-6, I, 1° et L. 442-6, I, 2° et 4° du Code de commerce de :

- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 20 mars 2017, sauf en ce qu'il a condamné in solidum AMC (anciennement dénommée EMC Distribution) et Distribution Casino France à payer à la Selarl MJ Synergie, prise en la personne de Maître Geoffroy Berthelot, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Financière d'Aguesseau, :

* la somme de 21 410,94 euros HT,

* la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

* les dépens,

- le réformer sur ces condamnations et débouter Selarl MJ Synergie, prise en la personne de Maître Geoffroy Berthelot, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Financière d'Aguesseau, de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la Selarl MJ Synergie, prise en la personne de Maître Geoffroy Berthelot, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Financière d'Aguesseau, à verser à AMC et à Distribution Casino France la somme de 25 000 euros chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens,

- dire que les dépens d'appel pourront être directement recouvrés par la Selarl Lexavoué Paris-Versailles, en application de l'article 699 du Code de procédure civile ;

Sur ce LA COUR,

L'ordonnance de clôture étant intervenue le 30 octobre 2018, la demande de la société MJ Synergie, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Financière d'Aguesseau, tendant à voir déclarer recevables ses conclusions signifiées le 22 octobre 2018, est devenue sans objet.

Sur la demande en restitution d'une somme de 295 653 euros au titre des factures correspondant à des prestations de coopération commerciale fictives

Sur l'exception de prescription partielle des demandes de la société Financière d'Aguesseau

Pour solliciter l'infirmation du jugement en ce qu'il a déclaré prescrite sa demande portant sur les factures des 15 mars et 15 septembre 2009 ayant donné lieu à un paiement antérieur au 1er décembre 2009 pour un montant total de 160 000 euros, la société MJ Synergie, ès qualités, fait valoir que la fraude des intimées résultant de l'existence de prestations fictives de coopération commerciale ayant pour but exclusif de contourner la loi LME par l'instauration de marges arrières, a eu pour conséquence de suspendre la prescription quinquennale, à tout le moins pendant la durée de la relation commerciale qui a pris fin le 1er janvier 2013.

Les intimées répliquent que du fait de la prescription quinquennale de l'action en remboursement d'une facture dont le point de départ est la date de son établissement, la société MJ Synergie, ès qualités, qui les a assignées le 1er décembre 2014, ne peut solliciter la restitution des sommes versées avant le 1er décembre 2009, c'est-à-dire des sommes versées au titre des factures des 15 mars et 15 septembre 2009, soit 160 000 euros (40 000 euros + 120 000 euros). S'agissant du moyen tiré de la fraude, elles se réfèrent d'une manière générale aux causes légales de suspension de la prescription et notamment aux articles 2234 et suivants du Code civil.

Ceci étant exposé, à supposer avérée la fraude susceptible de suspendre le cours de la prescription quinquennale que la société MJ Synergie, ès qualités, invoque, il n'en demeure pas moins que cette suspension aurait cessé au jour de la découverte de cette fraude par la société Espas, le délai de prescription courant à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. Or, la société MJ Synergie, ès qualités, s'abstient de préciser à quelle date elle a eu connaissance de cette fraude et partant, celle du point de départ de la prescription. Il apparaît qu'à la lecture des factures en cause, elle aurait pu ou aurait dû s'apercevoir des éléments dont elle déplore l'existence dans la présente instance, comme constituant des critères permettant de présumer le caractère fictif des prestations (non-respect des conditions de forme, absence de mentions permettant d'identifier la réalité et la consistance des services rendus.) Par suite, le point de départ de la prescription se situe au jour de l'émission des factures et, à tout le moins, au jour du paiement de ces factures par la société Espas (30 jours à compter de leur établissement). La société MJ Synergie, ès qualités, ayant assigné par exploit du 1er décembre 2014, elle ne peut solliciter la restitution des sommes versées antérieurement au 1er décembre 2009, soit la somme totale non contestée de 160 000 euros correspondant aux factures des 15 mars et 15 septembre 2009. Le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef.

Sur les trois factures de coopération commerciale litigieuses

Invoquant plusieurs fondements, à savoir :

- l'article L. 442-6, I, 1° du Code de commerce incriminant la pratique consistant à détourner les accords de coopération commerciale pour obtenir des réductions de prix de vente, déguisées sous la forme de services payés par le fournisseur au titre d'une coopération commerciale fictive, dans le seul but de permettre au distributeur de dégager abusivement une marge arrière de sorte que toute demande de rémunération au titre de la coopération commerciale ou des services distincts doit correspondre à un service effectivement rendu et à défaut, il y a lieu à restitution de l'indu,

- l'article L. 441-7 du Code de commerce prescrivant les conditions de forme dont le non-respect présume le caractère fictif des prestations,

- l'article L. 442-6, III du Code de commerce faisant peser la charge de la preuve de l'exécution de la prestation du distributeur sur ce dernier,

- l'article L. 441-3 du Code de commerce et la jurisprudence appliquant cet article selon laquelle les factures établies par un distributeur pour les prestations réalisées en exécution de contrats de coopération commerciale doivent permettre d'identifier avec précision la nature exacte des services rendus,

la société MJ Synergie, ès qualités, soutient que la société Financière d'Aguesseau n'a bénéficié d'aucune contrepartie réelle au versement des sommes exorbitantes qu'elle a été contrainte de verser aux sociétés AMC et Distribution Casino au titre de prestations de coopération commerciale, pour un montant total de 295 653 euros sur la période 2009/2012. En effet, selon elle, :

- rien ne permet de distinguer des conditions générales du Groupe Casino qui prévoient à l'article 4 un assortiment devant permettre " une optimisation des linéaires et une constante adaptation aux besoins des consommateurs " et une optimisation de la revente des produits innovants, qui ressortent des obligations d'achat et de vente, des divers services payants d'optimisation en tous genres prévus aux conditions particulières,

- en violation de l'article L. 441-3 du Code de commerce, les factures émises par AMC au titre de 2009 pour un montant de 267 956 euros HT, de 6 287,49 euros HT pour 2011 et de 21 410,94 euros HT pour 2012 ne mentionnent pas avec précision les services rendus,

- concernant la facture de 2011, même si celle-ci mentionne une opération spécifique " Fitness ", la société Financière d'Aguesseau n'a pu en retirer aucun bénéfice même indirect, puisqu'aucune marque permettant au consommateur de rattacher ce produit à son enseigne n'est mentionnée sur cette publicité qui ne profite qu'à la seule société Casino,

- le fait de faire supporter le coût d'une telle opération au fournisseur, qui n'en retire aucune contrepartie, est manifestement abusif et, en tout état de cause, disproportionné au regard du service rendu,

- les sociétés AMC et Distribution Casino France ne rapportent pas la preuve de la réalité de ces prestations et de leur adéquation avec leur prix facturé, alors que la charge de la preuve de l'exécution de la prestation du distributeur incombe à ce dernier.

Les sociétés AMC et Distribution Casino France répliquent que la société Financière d'Aguesseau disposant d'un pouvoir de négociation effectif lui ayant permis de librement consentir aux prestations de coopération commerciale, la relation entre cette dernière et AMC ne correspond pas aux pratiques réprimées par l'article L. 442-6, I, 1° du Code de commerce qui a pour vocation de sanctionner les excès qui pourraient se vérifier vis-à-vis de fournisseurs en situation de faiblesse lors des négociations commerciales. En se fondant sur l'affaire "Gelco", elles font valoir que les accords s'étant renouvelés pendant plusieurs années de façon satisfaisante et stable pour chacune des parties, la société Financière d'Aguesseau a jugé ainsi profitable ce partenariat mis en œuvre pour la commercialisation de ses produits. En toute hypothèse, elles soutiennent que :

- les services rendus par la société AMC étaient effectifs (catalogue de Noël mettant en avant les produits notamment de la société Financière d'Aguesseau, opérations de communication au cours de l'année),

- l'essentiel des factures correspondait aux prestations effectuées et aux accords négociés (par exemple, facture de 2011 de 6 287,49 euros correspondant à l'opération spécifique Fitness),

- des libellés imprécis ne suffisent pas à démontrer l'absence d'effectivité des services de sorte que le jugement doit être infirmé en ce qu'il les a condamnées à verser à la société Financière d'Aguesseau la somme de 21 410,94 euros HT au titre de la facture de prestation de services de 2012 dont le libellé a été jugé imprécis,

- le solde de la facture en question d'un montant de 3 003,08 euros HT n'ayant jamais été réglé, le tribunal a donc ordonné la restitution d'une somme qui n'a jamais été payée,

- les services en question étaient prévus par l'Accord commercial 2012 et ont bien été réalisés par Casino, ainsi qu'en atteste la parution du catalogue de Noël 2012,

- l'intérêt de la coopération commerciale est de mettre en avant les produits auprès du client final pour optimiser leur distribution, et la bonne vente des produits profite directement au fournisseur comme au distributeur,

- la société Financière d'Aguesseau avait donc intérêt à bénéficier des opérations de communication,

- enfin, l'appelante ne rapporte pas la preuve du caractère manifestement disproportionné des services rendus et au contraire, il apparaît que la rémunération des services en cause a été décroissante, passant de 23 % en 2009 à 1 % à partir de 2011, tandis que sur la même période, le chiffre d'affaires de la société Financière d'Aguesseau augmentait de 22,5 %.

Au regard des articles L. 442-6, I, 1°, et III, L. 441-6, L. 441-7 et L. 441-3 du Code de commerce dans leur version applicable, il incombe aux sociétés intimées d'une part, de justifier la spécificité des services rendus au titre de la coopération commerciale et payés par la société Espas, en ce qu'ils donnent droit à un avantage particulier au fournisseur en stimulant la revente de ses produits et qu'ils doivent par conséquent aller au-delà des simples obligations résultant des opérations d'achat-vente et d'autre part, de démontrer la réalité de ces services, laquelle ne peut résulter du seul fait que les factures aient été payées sans réserve.

La facture du 20 janvier 2010 à hauteur de la somme totale de 267 956,21 HT (la prescription porte sur la somme de 160 000 euros)

Si à juste titre, les premiers juges ont relevé que :

- le groupe Casino représenté dans les négociations par la société EMC Distribution, distribue les produits de la société Financière d'Aguesseau à travers une grande diversité d'enseignes ayant des caractéristiques très différentes, dans leurs tailles, leurs zones de chalandise, leur type de clientèles respectives,

- les services visés par l'accord commercial avaient essentiellement pour objectif d'adapter la politique commerciale à chacun des types de points de vente et des caractéristiques des produits de sorte que cette centralisation qui porte aussi sur la logistique et la facturation, impliquait à l'évidence un travail pour les sociétés intimées, ce travail étant source d'économies d'échelles conséquentes pour la société appelante, et ayant également eu vocation à développer les ventes de cette dernière en parallèle avec celles du groupe Casino, lui-même soumis, en qualité de distributeur, à la concurrence des autres distributeurs et étant dans l'obligation d'optimiser en permanence la place qu'il donnait à chaque produit de son assortiment,

ces seuls éléments sont toutefois insuffisants à établir, comme ils l'ont considéré, le caractère effectif des services de coopération commerciales tels que libellés dans la facture en cause. En effet, cette facture se contente d'indiquer qu'elle est établie en exécution de l'accord commercial 2009 et de reproduire les quatre rubriques de l'article de cet accord relatif aux " autres obligations destinées à favoriser les relations commerciales ", à savoir l'Optimisation Marketing et/ou l'Optimisation de la diffusion et/ou l'Optimisation de la logistique et/ou l'Optimisation administrative, chaque rubrique étant décrite dans des termes très généraux (par exemple : " De manière générale, EMC Distribution est en mesure de mettre en place différents dispositifs d'optimisation marketing spécifiques aux différentes enseignes du Groupe Casino "), moyennant le paiement d'une somme de 267 956,21 euros HT dont les parties s'accordent à reconnaître qu'elle représente, conformément à l'accord commercial, 23 % du chiffre d'affaires de la société Espas. Cette facture ne comporte aucune autre indication notamment quant aux prestations servies et à leur date précise de réalisation, seule l'année 2009 étant mentionnée, alors même qu'il s'agit d'un élément obligatoire permettant justement de démontrer la réalisation effective de ces prestations. Comme le souligne, à juste titre, l'appelante, elle ne permet pas non plus de connaître avec précision la plus-value apportée par ces services par rapport aux stipulations de l'article 4 des conditions générales de vente prévoyant un assortiment permettant " une optimisation des linéaires et une constante adaptation aux besoins du consommateur ". Enfin, la seule production de planogrammes (pièce intimées n° 8 et 9) pour l'année 2009 est insuffisante à justifier l'existence de services de coopération commerciale facturés le 20 janvier 2010.

Par suite, le jugement entrepris sera infirmé de ce chef et les sociétés intimées seront condamnées in solidum à restituer à la société MJ Synergie, ès qualités, la somme de 107 956,21 euros (267 956,21 - 160 000) au titre de la facture du 20 janvier 2010 qui n'est pas justifiée. Cette somme sera augmentée des intérêts au taux légal à compter du 3 décembre 2014, date de l'exploit introductif d'instance, par application de l'article 1153-1 ancien du Code civil et la capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions de l'article 1154 ancien du même Code.

La facture 2011 pour 6 287,49 euros

Cette facture établie en exécution de l'accord commercial 2011 est afférente à la mise en place d'une opération commerciale spécifique " Fitness ". Il ressort de la pièce n° 7 des intimées (extrait d'un catalogue publicitaire Casino présentant le produit " abdo disque de Christine Aron ") que l'opération de promotion visée a bien été réalisée, ce que ne conteste pas sérieusement la société Financière d'Aguesseau, qui soutient seulement qu'elle n'en n'aurait tiré aucun bénéfice, même indirect, alors même que cette prestation a bien été effectuée à son bénéfice en ce qu'elle lui a nécessairement permis de développer ses ventes en parallèle avec celle de la société Casino. En outre, elle avance, sans le démontrer faute de production d'aucun élément de comparaison, que le montant de la facture serait disproportionné par rapport au service rendu. Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la société MJ Synergie, ès qualités, de sa demande en restitution formée à ce titre.

La facture 2012 pour 18 900 euros HT soit 21 410,94 euros TTC

Le tribunal a jugé son libellé imprécis en ce que rien ne permettait de distinguer à quelle opération, cette facture correspondait. En effet, cette facture indique seulement qu'elle a été établie en exécution de l'accord commercial 2012, sous la ligne 917 " renfort communication - mise en place d'une opération commerciale spécifique - renfort communication ". Les sociétés intimées se contentent d'affirmer que l'appelante ne peut ignorer la nature des opérations de renfort communication, à savoir la production de catalogues dans le cadre d'opérations ciblées, et de produire une unique pièce constituée d'un catalogue de Noël 2012 (pièce intimées n° 14), ce qui est insuffisant à établir la réalité et l'exécution des services facturés et payés. Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la société MJ Synergie, ès qualités, de sa demande en restitution formée à ce titre.

Sur la demande en restitution d'une somme de 1 042 607 euros au titre de ristournes conditionnelles injustifiées

Au visa de l'article L. 442-6, I, 2° et 4° du Code de commerce, la société MJ Synergie, ès qualités, fait valoir que de 2010 à 2012, les sociétés AMC et Casino ont imposé à la société Financière d'Aguesseau des ristournes conditionnelles diverses injustifiées, calculées en pourcentage du chiffre d'affaires net réalisé sur l'année, censées résulter de " conditions particulières de vente négociées " et donnant lieu pour leur règlement à un avoir. Elle affirme que :

- les ristournes conditionnelles, dites " 127 CPV libre conditionnelle non alimentaire spécifique, optimisation marketing " figuraient sur un imprimé pré-rempli, n'ont été aucunement librement négociées par la société Financière d'Aguesseau mais conditionnaient son référencement,

- la société Financière d'Aguesseau n'a jamais négocié, ni même établi de conditions particulières de vente aux sociétés AMC et/ou Casino,

- elle ignore le contenu exact de ces ristournes conditionnelles, leurs modalités d'application et la condition censée déclencher leur exigibilité,

- en tout état de cause, aucune obligation n'a été prise par les sociétés AMC et Casino en contrepartie,

- ces réductions de prix, qui représentaient 2,50 % jusqu'en 2009, sont brutalement passées à 31 % à compter de l'année 2010 pour venir compenser la baisse concomitante de la rémunération des prestations de coopération commerciale à la suite de l'entrée en vigueur de la loi de modernisation de l'économie (LME) du 4 août 2008, qui a eu notamment pour objet de modifier l'article L. 442-6 I du Code de commerce et d'encadrer plus strictement la coopération commerciale afin d'éviter la pratique des prestations de coopération commerciales fictives ou sans contrepartie réelle,

- les prestations d' " optimisation " conditionnant les ristournes n'étaient pas distinctes des opérations d'achats/vente telles que spécifiées aux conditions générales (article 3 ou 3.4 selon les versions),

- les sociétés AMC et Casino ne rapportent pas la preuve de la réalité de chacune de ces prestations,

- le coût de ces prestations n'était pas justifié par rapport aux services rendus,

- les factures/avoirs n'étaient pas conformes aux dispositions légales impératives.

Les sociétés AMC et Distribution Casino France répliquent que les conditions de l'article L. 442-6, I, 2° et 4° du Code de commerce ne sont pas réunies en ce que :

- le rapport de force entre elles et la société Financière d'Aguesseau n'était pas déséquilibré,

- la société Financière d'Aguesseau se positionnait comme un acteur incontournable du marché (notoriété de sa marque de ballon de football Duarig, sponsoring d'équipements professionnels de football), elle bénéficiait d'un large référencement de ses produits et une prédominance incontestable dans les linéaires du Groupe Casino et, n'étant soumis à aucune exclusivité envers le Groupe Casino, elle était également référencée chez de nombreux autres distributeurs, ce qui lui permettait d'aborder les négociations commerciales dans un rapport de force qui n'était pas en sa défaveur,

- elle ne subissait aucune contrainte qui lui aurait imposé d'accepter des conditions commerciales inacceptables puisqu'elle disposait d'une réelle faculté de report, tant dans le domaine de la grande distribution qu'auprès de distributeurs spécialisés alors que la société AMC n'a ni le positionnement, ni le comportement des leaders du secteur de la grande distribution,

- les conditions commerciales résultaient d'une négociation équilibrée ayant abouti à un échange de consentements éclairés de part et d'autre,

- il y a pas eu de contrat d'adhésion pré-imprimé,

- les services proposés par la société AMC ont été arrêtés entre les parties, comme les taux de rémunération qui n'ont pas manqué d'être négociés et revus à la baisse quand cela ne convenait pas à l'appelante,

- de plus, la société Financière d'Aguesseau analysait l'impact des services qui lui étaient rendus sur les ventes et leur utilité et choisissait ou non d'en faire bénéficier ou non les enseignes, d'une année sur l'autre,

- s'agissant des clauses de retour d'invendus, il y a lieu de se référer à un courrier de début 2009 portant sur les accords formalisant la mise en place des nouvelles ristournes appliquées après la loi LME, dans lequel la société Financière d'Aguesseau a refusé qu'une clause de retour d'invendus proposée par la société Casino régisse la relation contractuelle,

- s'agissant des conditions de livraison, il apparaît que dans les accords commerciaux de 2010 et 2011, la société Financière d'Aguesseau a fait le choix et a voulu appliquer des conditions de livraison franco mais avec la réserve d'un montant minimum de commande de " 1 150 euros ", qu'elle s'interrogeait donc sur les conditions d'approvisionnement, émettait des réserves et appréciait dans le cadre des négociations menées ce qui convenait à son activité et à sa relation commerciale avec AMC,

- les échéanciers d'acomptes de ristournes attestent de l'existence de négociations entre les parties tout au long de la relation et illustrent la capacité de la société Financière d'Aguesseau à faire valoir ses vues sur les conditions de paiement qui lui semblaient être les plus avantageuses pour elle,

- pour les taux de rémunération (taux de ristourne et de remise), les conditions générales de vente de la société Financière d'Aguesseau constituaient, conformément à la loi, le socle de la négociation commerciale entre les parties et reflétaient le niveau des rémunérations choisi entre les parties,

- la société Financière d'Aguesseau était parfaitement à même d'apprécier le caractère raisonnable de ces coûts compte tenu de sa connaissance du marché,

- elle avait connaissance de l'ensemble des différents services associés aux accords commerciaux et aux rémunérations versées à ce titre, pour les avoir négociés d'une-part et en avoir bénéficié pendant des années d'autre part sans la moindre remise en cause,

- les catégories de services décrites dans l'accord de 2009 ont été renouvelées par la suite dans chacun des accords commerciaux, bien qu'elles soient regroupées sur une seule et même rubrique intitulée " Ristournes CPV optimisation marketing ",

- les prestations facturées à hauteur de 1 338 262 euros n'étaient pas fictives au niveau des retombées commerciales directes en ce que notamment, le chiffre d'affaires réalisé par la société Financière d'Aguesseau est passé de 1 165 027 euros en 2009 à 1 427 396 euros en 2012, soit une augmentation de + 22,5 % sur une période de 4 ans, et ce, grâce à la stratégie d'implantation de la société AMC, qui se traduisait par l'élaboration et la diffusion de plannogrammes afin d'influer directement sur les comportements des clients.

Ceci étant exposé, c'est par de justes motifs que la cour adopte, aucun élément de fait ou de droit de nature à les remettre en cause n'étant produit en appel, que les premiers juges ont considéré que la société MJ Synergie ès qualités ne rapportait pas la preuve d'une soumission ou d'une tentative de soumission conduisant à un déséquilibre significatif au sens de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce.

En effet, il ressort des pièces produites que dans le cadre de l'établissement des accords commerciaux, les parties ont mené de véritables négociations au cours desquelles la société Financière d'Aguesseau a été en mesure de faire valoir son point de vue sur les services proposés et les taux de rémunération dès lors que notamment :

- dans le cadre de l'accord de 2009, elle a obtenu la suppression d'une clause de reprise des invendus souhaitée par la société EMC, ce dont elle l'a remerciée ( " Nous vous remercions de nous avoir déjà répondu positivement à notre demande dans votre réponse du même jour ") en lui confirmant les motifs de son refus (ses prix ne tiennent pas compte d'un retour éventuel, elle a recours à un factor, cela compromettrait gravement l'équilibre financier de son entreprise (lettre recommandée du 6 février 2009 pièce intimées n° 6),

- dans le cadre de l'accord de 2011, elle a obtenu une baisse significative du " total remises " qui est passé de 23 % à 22,1 %, et qu'une ristourne de 1 % pour la mise en place d'une opération commerciale spécifique ne s'applique qu'au seul profit de l'enseigne Casino, à l'exclusion des autres enseignes.

Il est donc établi que les conditions contractuelles étaient discutées entre les parties et que la société Financière d'Aguesseau était en mesure d'obtenir que des modifications, non négligeables, y soient apportées.

En outre, les premiers juges ont justement relevé que la société financière d'Aguesseau qui achetait les produits qu'elle distribuait et pouvait ainsi en apprécier le prix de revient, ne produisait aucun élément permettant d'évaluer dans quelle mesure les remises consenties l'obligeaient à un effort économique susceptible de caractériser le déséquilibre économique qu'elle invoquait. La cour observe qu'elle n'en produit pas plus en appel et qu'en outre, elle n'établit pas, ni même n'allègue, avoir contesté précédemment les ristournes consenties entre 2010 et 2012, ses premières contestations datant de décembre 2014. Enfin, il convient de relever, comme le soulignent à raison les sociétés intimées, la bonne connaissance du marché de la société Financière d'Aguesseau, qui fournissait les principaux grands distributeurs (notamment la société Carrefour), et était parfaitement en mesure d'apprécier les taux de rémunérations consentis par rapport aux services rendus.

En conséquence de l'ensemble de ces éléments, il n'est pas démontré que les sociétés intimées aient imposé ou tenté d'imposer à la société Financière d'Aguesseau des clauses créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. Par suite, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté la société MJ Synergie, ès qualités, de sa demande d'indemnisation sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce.

Enfin, il ne ressort d'aucune des pièces produites que la société Financière d'Aguesseau ait été soumise par les sociétés intimées à la menace d'une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales établies de sorte que la société MJ Synergie, ès qualités, sera déboutée de sa demande d'indemnisation formée sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 4° du Code de commerce.

Sur la demande de publication

Eu égard à la nature et à l'importance de l'affaire, et au caractère particulièrement pédagogique de l'arrêt à intervenir, la société MJ Synergie, ès qualités, sollicite également l'autorisation de publier la décision à intervenir en entier ou par extraits dans 2 journaux quotidiens et 3 magazines hebdomadaires au choix de la demanderesse et aux frais des sociétés Casino et AMC dans la limite globale de 20 000 euros HT.

Mais, des mesures de publication n'apparaissent pas nécessaires pour assurer une plus ample réparation du dommage. Par suite, la société MJ Synergie, ès qualités, sera déboutée de la demande formée à ce titre.

Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a condamné les sociétés intimées aux dépens et à verser à la société MJ Synergie, ès qualités, la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Les sociétés intimées qui succombent également en appel, en supporteront in solidum les dépens et devront verser à la société MJ Synergie, ès qualités, la somme supplémentaire de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, leurs propres demandes formées à ce titre étant rejetées.

Par ces motifs LA COUR, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté la société MJ Synergie, ès qualités de liquidateur de la société Financière d'Aguesseau, de sa demande de remboursement d'une somme de 107 956,21 euros au titre de la facture du 20 janvier 2010 ; L'infirme sur ce point ; statuant à nouveau, Condamne in solidum les sociétés Achats Marchandises Casino (AMC) et Distribution Casino France à restituer à la société MJ Synergie, ès qualités de liquidateur de la société Financière d'Aguesseau, la somme de 107 956,21 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 3 décembre 2014 au titre de la facture du 20 janvier 2010 ; Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 ancien du Code civil ; et y ajoutant, Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ; Condamne in solidum les sociétés Achats Marchandises Casino (AMC) et Distribution Casino France aux dépens de l'appel ; Condamne in solidum les sociétés Achats Marchandises Casino (AMC) et Distribution Casino France à verser à la société MJ Synergie, ès qualités de liquidateur de la société Financière d'Aguesseau, la somme supplémentaire de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.