CA Versailles, 12e ch., 8 janvier 2019, n° 18-00776
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Bolle brands (SAS)
Défendeur :
Skis rossignol - club rossignol (SASU)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Andrieu
Conseillers :
Ardisson, Rosenthal
Par conséquent,
* condamner la société Bushnell au versement de la somme de 68.700 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi,
À titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour considérait que la société Bushnell n'est pas l'auteur des actes de contrefaçon,
* constater que la société Bushnell a, en tout état de cause, manqué aux obligations découlant du contrat de sponsoring signé avec M. T. ;
* condamner la société Bushnell au versement de la somme de 150 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi,
En tout état de cause,
* confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Bushnell de sa demande reconventionnelle,
* débouter la société Bushnell de l'ensemble de ses moyens, fins et prétentions,
* condamner la société Bushnell au versement de la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
Vu les dernières conclusions en date du 7 novembre 2018, aux termes desquelles la société Bollé Brands, anciennement dénommée Bushnell Outdoor Products, prie la cour, confirmant le jugement querellé en toutes ses dispositions de :
* dire que la société Rossignol ne rapporte pas la preuve de faits de contrefaçon qui lui seraient imputables et auxquels celle-ci aurait pu participer, non plus que d'actes de parasitisme,
* dire qu'elle a immédiatement réagi en rompant avec effet immédiat le contrat de sponsoring qui le liait à son skieur et qu'il ne saurait lui être reproché une quelconque passivité ou complaisance dans l'exécution de bonne foi du contrat,
* débouter, en conséquence, la société Rossignol de l'ensemble de ses prétentions,
Y ajoutant,
* dire que les pièces produites en cause d'appel par la société Rossignol établissent sa véritable volonté de nuire à son encontre à travers la présente instance,
* condamner, en conséquence, au vu de ces éléments nouveaux, la société Rossignol au paiement des sommes de 100 000 euros à titre de dommages intérêts pour procédure abusive et 100 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral,
* condamner la société Rossignol au versement de la somme de 40.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de la procédure;
SUR CE, LA COUR,
Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties ; qu'il convient de rappeler que :
* la société Skis Rossignol est une société française créée en 1947 et spécialisée dans la conception, la fabrication et la commercialisation d'articles de sports dédiés aux sports de montagne,
* elle est titulaire de la marque verbale française 'ROSSIGNOL' n°1314649, déposée le 26 juin 1985 pour désigner les produits de la classe 28 et notamment les articles de sport et de sport d'hiver,
* cette société fabrique et commercialise un casque haut-de-gamme, destiné aux compétitions vendues sous l'appellation 'HERO' et sur le décor duquel figure la marque 'ROSSIGNOL', soulignée par des éléments graphiques,
* la société Skis Rossignol se serait aperçue que, lors de plusieurs épreuves de coupe du monde de ski, et notamment lors des épreuves de descente du 24 janvier 2015 à Kitzbuhel et du 21 février 2015 à Saalbach, le skieur Adrien T., sponsorisé par la société Bushnell Outdoor Products, portait un de ses casques 'HERO' sur lequel la marque 'ROSSIGNOL' avait été retirée, remplacée par un nouveau décor et la marque 'BOLLÉ',
* le 18 mars 2015, la société Skis Rossignol a adressé à la société Bushnell Outdoor Products une lettre recommandée sollicitant de celle-ci toute information afin de vérifier une violation éventuelle de ses droits,
* la société Bushnell Outdoor Products a répondu par deux courriers successifs, le premier du 16 avril 2015 réfutant toute violation des droits de la société Skis Rossignol, le second du 13 mai 2015 indiquant que les modifications apportées au casque avaient été exclusivement réalisées par Adrien T., qu'elle n'en était pas responsable et avait résilié le contrat de sponsoring la liant à ce skieur,
* dans un courrier en réponse du 10 juin 2015, la société Skis Rossignol considérait que Adrien T. n'avait pu à lui seul modifier les visuels présents sur le casque et que la société Bushnell Outdoor Products était à l'origine d'actes de contrefaçon et de concurrence déloyale,
* elle ajoutait dans ce courrier que la société Bushnell Outdoor Products commercialiserait un casque de ski destiné à la compétition commercialisé sous l'appellation 'PODIUM' reprenant le graphisme 'BOLLÉ' appliqué sur le casque contrefaisant,
* le 7 décembre 2015, la société Skis Rossignol a assigné la société Adrien T. devant le tribunal de grande instance de Nanterre en contrefaçon de marque, en acte de parasitisme, subsidiairement en manquement aux obligations découlant du contrat de sponsoring signé avec Adrien T.,
* la société Bushnell Outdoor Products s'est opposée à ces prétentions, formant des demandes reconventionnelles en dommages et intérêts pour préjudice moral,
* c'est dans ces circonstances, qu'est intervenu le jugement déféré ;
Sur les actes de contrefaçon :
Considérant que l'article L.713-2-b du code de la propriété intellectuelle dispose que sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, la suppression et la modification d'une marque régulièrement apposée :
Considérant que la société Skis Rossignol expose que lors des épreuves de coupe du monde de ski du 24 janvier 2015 à Kitzbuhel et du 21 février 2015 à Saalbach, le skieur Adrien T., sponsorisé par la société Bushnell Outdoor Products, portait un de ses casques 'HERO' sur lequel la marque 'ROSSIGNOL' avait été retirée et remplacée par la marque 'BOLLÉ'et un nouveau décor ;
Qu'elle reproche à la société Bollé Brands, anciennement dénommée Bushnell Outdoor Products, des actes de contrefaçon de la marque 'ROSSIGNOL', soutenant que cette société est à l'origine de la suppression de cette marque sur le casque en cause ;
Qu'elle allègue que les actes de contrefaçon ne peuvent être le fait exclusif d'Adrien T., qu'ils consistent en la réalisation et l'application d'un décor sur la structure du casque ne pouvant avoir été réalisées que par un professionnel, qu'en sa qualité de sponsor, cette société devait vérifier le matériel de son sportif, qu'en tout état de cause, si elle n'était pas responsable du maquillage, elle aurait dû rompre immédiatement le contrat de sponsoring au lieu de laisser Adrien T. porter le casque jusqu'en juin 2015 ;
Qu'elle verse aux débats les échanges de correspondances avec la société Bushnell Outdoor Products, à savoir les lettres des 18 mars et 10 juin 2015 (Skis Rossignol), 16 avril, 15 mai et 5 juillet 2015 (Bushnell), ainsi qu'une copie d'écran du site internet adrien-t..com où figure une photographie du skieur portant le casque litigieux au départ d'une compétition et un extrait du compte Twitter de ce sportif comportant trois clichés postés les 17, 23 avril et 4 juin 2015 ;
Qu'elle produit en outre, en cause d'appel, un courrier électronique interne à la société, daté du 22 avril 2015, qui relaterait, selon elle, le verbatim d'une conversation téléphonique que son dirigeant aurait eu avec celui de la société Bushnell Outdoor Products, admettant sa responsabilité ;
Considérant que la société Bollé Brands, réfutant formellement tout contact téléphonique préalable, réplique que la seule et première réaction de la société Skis Rossignol est contenue dans sa lettre du 18 mars 2015 ; qu'elle ne dément pas la matérialité de la suppression de la marque mais, déniant toute responsabilité, elle conteste en être l'auteur, affirmant que Adrien T. avait, à sa seule initiative, maquillé le casque aux couleurs de la marque 'BOLLÉ' ;
Considérant que la charge de la preuve des actes de contrefaçon incombe à la société Skis Rossignol ;
Considérant que force est de constater que le courrier du 18 mars 2015 n'évoque aucune conversation téléphonique antérieure, qu'aucun des échanges de courriers postérieurs à cette première approche n'en fait mention ;
Que le contenu même de la lettre de la société Skis Rossignol du 18 mars 2015 démontre au contraire qu'il n'y a jamais eu le moindre contact préalable entre les parties : Nous avons constaté que, lors de plusieurs épreuves de Coupe du Monde de ce début d'année, en particulier lors des épreuves de descente à Kitzbühel le 24 janvier 2015 et à Saalbach le 21 février 2015, Adrien T. portait un casque à l'effigie et au design de votre marque BOLLÉ mais à la forme identique à un modèle de casque fabriqué et commercialisé par notre société. (')
Ce casque très spécifique et aisément reconnaissable fait partie de notre propriété intellectuelle et industrielle et son utilisation par un tiers sans autorisation est constitutive d'un acte de contrefaçon. Nous présumons de cet état de fait incontestable que vous avez apposé votre marque et votre design sur des casques ROSSIGNOL utilisés par Adrien T... Nous vous demandons en conséquence de nous fournir par retour, tous les renseignements nous permettant de vérifier si nos droits ont été d'une quelconque manière contrefaite. (');
Qu'en effet, cette lettre ne renferme aucune mention, ni même allusion à une conversation téléphonique préalable, pas plus qu'à la moindre approche informelle ; qu'elle ne fait pas davantage référence à une reconnaissance de responsabilité et a de prétendus engagements qu'auraient pris les dirigeants de la société Bushnell Outdoor Products ;
Qu'au contraire, cette prétendue reconnaissance est démentie par les courriers en réponse de la société Bushnell Outdoor Products:
- courrier du 16 avril 2015 : Veuillez toutefois noter que la société Bushnell conteste avoir porté atteinte à un quelconque droit privatif dont la société Rossignol pourrait être titulaire (...) ;
- courrier du 13 mai 2015 : Je reviens vers vous dans l'affaire visée en marge. A la suite de votre correspondance du 18 mars 2015, la société BUSHNELL a procédé à une enquête. Celle-ci a permis d'établir que Monsieur Adrien T., skieur sous contrat de partenariat avec la société BUSHNELL, a violé ledit contrat en maquillant aux couleurs de la marque BOLLÉ et en apposant ladite marque sur un casque n'appartenant pas à la société BUSHNELL ;
Dans ces conditions, la société BUSHNELL a rompu avec effet immédiat le partenariat qui la liait à ce sportif. La société BUSHNELL n'a donc porté aucune atteinte à un quelconque droit privatif dont la société ROSSIGNOL pourrait être titulaire. La société BUSHNELL, par ailleurs, ne saurait être tenue pour responsable d'une situation née de manœuvres déloyales effectuées par un tiers à son insu ;
Considérant que la société Bollé Brands expose, sans être sérieusement contredite, avoir mené, après avoir pris connaissance de la lettre de la société Skis Rossignol du 18 mars 2015 l'alertant de faits de contrefaçon, une enquête interne n'ayant fait l'objet d'aucun formalisme particulier, ni d'aucune consignation écrite ;
Qu'elle relate que le déroulement de cette enquête menée en interne avec toute la discrétion nécessaire a permis de déterminer que Adrien T. avait, à sa seule initiative, maquillé le casque litigieux aux couleurs de la marque 'BOLLÉ' ;
Considérant qu'il importe peu que cette enquête n'ait pas été communiquée à la société Skis Rossignol, dès lors que la société Bushnell, actuellement Bollé Brands a produit aux débats la lettre recommandée avec avis de réception du 8 juin 2015, dénonçant la rupture sans préavis du contrat de sponsoring qui la liait à Adrien T., laquelle indiquait :
La société ROSSIGNOL nous a notifié que vous portiez un casque de sa marque lors des épreuves de Coupe du Monde de descente des 24 janvier et 21 février 2015 à Kitzbühel et Saalbach. Après vérifications, il est certain que le casque qui arborait les couleurs et la marque BOLLE que vous portiez durant ces compétitions, n'est pas un casque de la société BUSHNELL OUTDOOR PRODUCTS. (') En conséquence, nous vous notifions par la présente la résiliation à effet immédiat dudit contrat de sponsoring ;
Que si cette rupture avait présenté un caractère abusif, Adrien T. n'aurait pas manqué de saisir les juridictions compétentes pour obtenir réparation de son préjudice et dénoncer les manœuvres imaginées par la société Bushnell Outdoor Products;
Considérant, ainsi que l'a relevé le premier juge, que la circonstance selon laquelle les modifications du casque ne peuvent être que le fait de professionnels ne prouve nullement que la société Bushnell, aujourd'hui dénommée Bollé Brands, en soit l'auteur, que la seule existence du contrat de sponsoring n'induit pas la connaissance par cette dernière des actes de contrefaçon, étant relevé que la société intimée a mis fin à ce contrat dès le 8 juin 2015, soit, après enquête interne, seulement un peu plus de deux mois après réception du courrier du 18 mars 2015 ;
Considérant dès lors, la société Skis Rossignol manque à démontrer que la société Bollé Brands serait à l'origine des actes de suppression de la marque 'ROSSIGNOL' sur le casque en cause, de sorte qu'elle a justement été déboutée de ses demandes.
Sur les actes de parasitisme :
Considérant que la société Skis Rossignol reproche à la société Bollé Brands des actes de parasitisme, alléguant que cette société, anciennement Bushnell, a commercialisé un casque haut de gamme destinée à des compétitions de ski, sous la référence 'PODIUM', reprenant le graphisme du casque porté par André T. qu'elle a fabriqué ;
Mais considérant que le casque de la société Bushnell Outdoor Products de marque 'BOLLÉ', modèle 'PODIUM', est commercialisé depuis le mois de janvier 2014, c'est-à-dire plus d'un an avant les faits litigieux, ainsi que l'atteste le catalogue BOLLÉ Hiver 2014 ;
Considérant dès lors, qu'aucun agissement parasitaire n'est caractérisé, le jugement étant confirmé sur ce point ;
Sur le non-respect du contrat de sponsoring :
Considérant que subsidiairement, la société Skis Rossignol prétend que la société Bollé Brands, anciennement Bushnell Outdoor Products, a manqué à ses obligations contractuelles dans le cadre du contrat de sponsoring et que cette défaillance lui a causé un dommage ;
Or considérant qu'aucun élément ne vient conforter la thèse de la société Skis Rossignol selon laquelle la société Bushnell Outdoor Products aurait fourni le matériel contrefaisant ou contribué à permettre sa réalisation, aurait laissé en toute connaissance de cause Adrien T. porter un casque maquillé ;
Que par ailleurs, il n'est justifié d'aucun contact préalable, ni aucune approche informelle, avant la lettre recommandée avec avis de réception adressée par la société Skis Rossignol à la société Bushnell le 18 mars 2015; que cette dernière a réagi aussitôt après avoir été informée des faits litigieux, a mis fin et avec effet immédiat au contrat de sponsoring après une enquête interne, seulement un peu plus de deux mois après réception de cette lettre recommandée ;
Que de sorte, confirmant le jugement, aucune faute ne saurait être reprochée à la société Bushnell Outdoor Products, actuellement Bollé Brands.
Sur les autres demandes:
Considérant que la société Bollé Brands ne caractérise pas, à la charge de la société Skis Rossignol, la mauvaise foi, l'intention de nuire ou la légèreté blâmable susceptible d'ouvrir droit à l'allocation de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Que le jugement sera confirmé sur le rejet de cette prétention ;
Considérant que le premier juge a exactement statué sur le sort des dépens et les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile dont il a fait une équitable application ;
Qu'en vertu de ce texte, il y a lieu de faire partiellement droit aux prétentions de la société Bollé Brands, au titre de ses frais irrépétibles exposés à l'occasion de ce recours, contre la société Skis Rossignol qui succombe en son appel et doit supporter la charge des dépens ;