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Décisions

Cass. 1re civ., 9 janvier 2019, n° 17-22.581

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Lecoq

Défendeur :

Crédit du Nord (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Batut

Rapporteur :

M. Avel

Avocats :

SCP Boutet, Hourdeaux, SARL Cabinet Briard

Paris, pôle 5 ch. 6, du 19 mai 2017

19 mai 2017

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 mai 2017), que, suivant offre de prêt acceptée le 8 novembre 2011, la société Crédit du Nord (la banque) a consenti à M. Lecoq (l'emprunteur) un prêt immobilier remboursable en deux-cent-quarante mensualités ; qu'invoquant l'existence d'irrégularités lors de la souscription et de l'exécution du contrat, la banque a prononcé l'exigibilité anticipée du prêt, déposé une plainte auprès du procureur de la République et assigné l'emprunteur en paiement ;

Sur le premier moyen : - Attendu que l'emprunteur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande visant à la réputation de non-écriture de la clause contenue à l'article 9.1 des conditions générales du contrat de prêt, et de le condamner à paiement envers la banque, alors, selon le moyen : 1°) que les juges doivent s'abstenir de dénaturer les éléments de la cause ; qu'en l'espèce, pour juger que la clause 9.1 des conditions du contrat de prêt de la banque n'était pas abusive, la cour d'appel a énoncé que " cette stipulation limi[tait] expressément la faculté de prononcer l'exigibilité anticipée d'un prêt non à la fourniture de renseignements inexacts sur un élément quelconque de la situation de l'emprunteur, mais seulement sur l'un de ceux déterminant du consentement du prêteur dans l'octroi du crédit " tandis que la clause 9.1 stipulait l'exigibilité par anticipation en cas de " fourniture de renseignements inexacts sur la situation de l'emprunteur dès lors que ces renseignements étaient nécessaires à la prise de décision du prêteur " ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a dénaturé la clause 9.1 du contrat de prêt en substituant à la notion de renseignements nécessaires à la prise de décision du prêteur la notion de renseignements déterminants, c'est-à-dire décisifs, ce qui a eu une incidence sur l'appréciation portée sur le caractère abusif de la clause ; que la cour d'appel en statuant ainsi a violé l'article 1192 du Code civil, tel qu'il résulte de l'ordonnance du 10 février 2016 ; 2°) qu'est abusive la clause qui stipule que le prêteur de deniers, en dehors de toute défaillance de l'emprunteur, peut de plein droit exiger le remboursement anticipé du prêt lorsque l'emprunteur a fourni des renseignements inexacts sur sa situation ; qu'une telle clause est abusive quand bien même elle prévoirait, de façon abstraite, que les renseignements inexacts qui entraînent l'exigibilité sont ceux nécessaires à la prise de décision du prêteur ; qu'en l'espèce, la clause 9.1 des conditions générales du contrat de prêt de la banque prévoyait que le prêt deviendrait " immédiatement et de plein droit exigible par anticipation sans que le prêteur ait à remplir une formalité judiciaire quelconque " notamment dans le cas de la " fourniture de renseignements inexacts sur la situation de l'emprunteur dès lors que ces renseignements étaient nécessaires à la prise de décision du prêteur " ; que, pour affirmer qu'une telle clause n'était pas abusive, la cour d'appel a énoncé que la faculté pour le prêteur d'exiger le remboursement anticipé était limitée " non à la fourniture de renseignements inexacts sur un élément quelconque de la situation de l'emprunteur, mais seulement à ceux déterminant son consentement dans l'octroi du crédit " ; qu'en statuant ainsi, tandis que la clause n'était en aucune façon limitée puisqu'elle ne définissait pas les renseignements qui étaient jugés nécessaires à la prise de décision et permettait ainsi arbitrairement à la banque de se prévaloir d'une quelconque inexactitude, créant ainsi un déséquilibre significatif au détriment de l'emprunteur, la cour d'appel a violé l'article L. 132-1 du Code de la consommation, dans sa rédaction alors applicable aux faits de l'espèce ; 3°) qu'est abusive la clause qui stipule que le prêteur de deniers, en dehors de toute défaillance de l'emprunteur, peut de plein droit exiger, sans avoir recours à un juge, le remboursement anticipé du prêt lorsque l'emprunteur a fourni des renseignements inexacts sur sa situation ; qu'en l'espèce, la clause 9.1 des conditions générales du contrat de prêt de la banque prévoyait que le prêt deviendrait " immédiatement et de plein droit exigible par anticipation sans que le prêteur ait à remplir une formalité judiciaire quelconque sauf accord écrit de sa part " notamment dans le cas de la " fourniture de renseignements inexacts sur la situation de l'emprunteur dès lors que ces renseignements étaient nécessaires à la prise de décision du prêteur " ; que, pour affirmer qu'une telle clause n'était pas abusive, la cour d'appel a énoncé que la banque avait saisi le juge et que cette clause ne privait en rien l'emprunteur de lui-même recourir au juge en cas de litige ; qu'en statuant ainsi tandis que cette clause avait pour effet de faire croire à l'emprunteur que l'exigibilité anticipée du prêt pouvait être réalisée sans qu'un juge puisse intervenir sauf à obtenir l'accord écrit de la banque, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à écarter l'existence d'une clause abusive, a violé l'article L. 132-1 du Code de la consommation, dans sa rédaction alors applicable aux faits de l'espèce ;

Mais attendu que l'arrêt relève que la stipulation critiquée limite la faculté de prononcer l'exigibilité immédiate et de plein droit du prêt aux seuls cas de fourniture de renseignements inexacts portant sur des éléments déterminants du consentement du prêteur dans l'octroi du prêt ; qu'il retient que cette faculté ne prive en rien l'emprunteur de recourir à un juge pour contester l'application qui serait faite de la clause à son égard ; que, de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a déduit, à bon droit, sans commettre de dénaturation, que la clause litigieuse, qui sanctionne l'obligation de contracter de bonne foi, existante au moment de la souscription du prêt, ne crée pas un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties et ne revêt pas un caractère abusif ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen : - Attendu que l'emprunteur fait grief à l'arrêt de le condamner à paiement au titre du prêt immobilier, alors, selon le moyen : 1°) que le juge doit s'abstenir de dénaturer les éléments de la cause ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a énoncé qu'il importait peu que l'emprunteur n'ait pas été l'auteur matériel et principal des falsifications des documents " dès lors qu'il ne conteste pas les avoir transmis à la banque ou [à] un mandataire, dont il doit répondre " tandis que l'emprunteur a contesté depuis le début de la procédure avoir falsifié les documents litigieux ou avoir transmis des documents falsifiés à un mandataire ou à la banque ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article 4 du Code de procédure civile ; 2°) que le contrat doit être exécuté de bonne foi ; qu'en l'espèce, l'emprunteur faisait valoir dans ses conclusions que la banque n'avait pas exécuté de bonne foi le contrat, car, d'une part, elle n'avait effectué aucun contrôle même minimum au moment de la constitution du dossier qui lui aurait permis de s'apercevoir aisément que des pièces avaient été falsifiées, d'autre part, elle avait fait peser sur l'emprunteur l'origine des falsifications tandis qu'une enquête interne et une enquête pénale avaient permis de mettre en évidence que de nombreux dossiers de prêts comportaient, comme celui de l'emprunteur, des relevés fiscaux et des relevés de compte bancaire provenant de la Société générale qui avaient été falsifiés ; qu'en jugeant que " les circonstances ne fai[saient] apparaître aucune exécution de mauvaise foi du contrat de prêt de la part du crédit du Nord ", sans rechercher, comme il lui était demandé, si en mettant en œuvre la clause de remboursement anticipé qui pénalisait l'emprunteur, celui-ci ayant toujours honoré le paiement des mensualités tandis que les falsifications provenaient d'une absence de contrôle et d'une fraude massive, la banque avait méconnu l'obligation d'exécuter de bonne foi le contrat, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1134 du Code civil dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce ;

Mais attendu que l'arrêt retient que la circonstance que l'emprunteur, qui aurait eu recours à des intermédiaires, ne serait pas l'auteur matériel des falsifications est indifférente, dès lors qu'il ne conteste pas avoir transmis les documents à la banque ou à un mandataire dont il doit répondre, pour son compte, et que l'éventuelle participation d'un préposé de la banque à une infraction pénale en lien avec les faits litigieux ne saurait permettre à ceux qui en ont bénéficié d'opposer ce fait à la banque qui en a été victime ; qu'il ajoute que la fourniture, à tout le moins pour le compte de l'appelant qui a signé, de documents inexacts ne permet pas à l'emprunteur de se prévaloir d'une négligence de la banque, pour tardiveté dans l'examen des pièces produites, à propos desquelles elle n'était astreinte à aucune vérification particulière ; que, de ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui a effectué la recherche prétendument omise, a, sans commettre de dénaturation, exactement retenu l'exigibilité anticipée des sommes dues en capital et intérêts ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen : - Attendu que l'emprunteur fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes tendant à la nullité de la clause d'intérêt conventionnel et à la déchéance du droit aux intérêts, alors, selon le moyen : 1°) que la déchéance du droit aux intérêts prévue à l'article L. 312-33 du Code de la consommation est encourue lorsque la mention d'un taux effectif global (TEG) irrégulier figure dans l'offre de prêt ; que l'emprunteur établissait au moyen de deux simulations, qui comportaient les éléments de calculs à partir desquels elles avaient été réalisées, que le TEG applicable au contrat de prêt souscrit était de 5,19 % pour la première simulation et de 5,185 % pour la seconde et non de 5,069 % comme retenu par la banque ; que l'emprunteur exposait de plus que la différence de taux s'expliquait par le fait que la banque n'avait pas pris en compte le coût de l'assurance ; que, pour écarter la demande de l'emprunteur de déchéance du droit aux intérêts, la cour d'appel a affirmé que les simulations présentées " étaient radicalement impropres à établir la réalité du calcul ", " ne présentaient aucune garantie de fiabilité " et ne mentionnaient pas " les facteurs pris en compte pour la détermination du TEG " ; qu'en se déterminant de la sorte, par des motifs disqualifiant par principe l'offre de preuve faite par l'emprunteur, tandis que ces simulations mentionnaient les éléments pris en compte pour calculer le TEG et sans vérifier si le TEG mentionné dans l'offre de prêt était ou non erroné, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 312-8, L. 312-33, L. 313-1, du Code de la consommation, dans leur rédaction applicable à la cause ; 2°) que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motif ; qu'en l'espèce, l'emprunteur exposait que la différence de taux entre celui mentionné dans l'offre de prêt de la banque (5,069 %) et ceux obtenus sur les sites spécialisés (5,19 % et 5,185 %) provenait du fait que la banque n'avait pas intégré à ses calculs le coût de l'assurance tandis qu'elle le devait ; que la cour d'appel pour rejeter la demande de déchéance relative aux intérêts s'est bornée à énoncer que les simulations présentées " étaient radicalement impropres à établir la réalité du calcul " " ne présentaient aucune garantie de fiabilité " et ne mentionnaient pas " les facteurs pris en compte pour la détermination du TEG " ; qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de l'emprunteur qui faisait valoir que le caractère erroné du TEG mentionné par la banque provenait de la circonstance qu'elle n'avait pas intégré le coût de l'assurance, indépendamment même des deux simulations produites, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;

Mais attendu que, par motifs propres et adoptés, l'arrêt retient que le taux effectif global a été calculé en prenant en considération les intérêts conventionnels, les frais de dossier, les frais de constitution de garantie et les frais relatifs à l'assurance de groupe, aboutissant ainsi à un taux d'intérêt de 5,069 %, sans qu'il soit établi, ni allégué, que d'autres frais auraient dû être ajoutés ; qu'il énonce que les deux simulations réalisées sur des sites internet, dont l'une ne mentionne pas les facteurs pris en compte et qui se contredisent entre elles, ne présentent aucune garantie de fiabilité et ne permettent pas de vérifier leur conformité aux données financières contractuelles ; que, de ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui a répondu aux conclusions prétendument délaissées, a pu souverainement déduit que la preuve de l'inexactitude du taux effectif global retenu n'était pas rapportée par l'emprunteur ; que le moyen n'est pas fondé ;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi.