CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 17 janvier 2019, n° 16-12867
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Cedel Pharma (SARL)
Défendeur :
Natural Nutrition (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Birolleau
Conseillers :
Mmes Soudry, Moreau
Avocats :
Mes Pejout-Chavanon, Galinat, Ohana
Faits et procédure
La société Cedel Pharma, qui a pour objet la promotion et la vente de produits pharmaceutiques ou de pharmacie auprès de pharmacies ou de magasins de produits parapharmaceutiques et qui est inscrite au registre spécial des agents commerciaux, a conclu le 1er juin 2006 avec la société Natural Nutrition, qui commercialise des compléments alimentaires, un contrat d'agence commerciale lui donnant mission de promouvoir et de vendre les produits de la société Natural Nutrition.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 26 octobre 2011, la société Natural Nutrition, faisant valoir divers manquements graves de la société Cedel Pharma, dont la violation des dispositions de l'article 4 du contrat, en raison de la commercialisation de produits concurrents à ceux de la société Natural Nutrition, mais également le manquement par ladite société à son obligation de loyauté ainsi que le non-respect des conditions commerciales prévues à l'article 2 du contrat, a résilié le contrat avec prise d'effet au 30 novembre 2011.
Par lettre du 16 novembre 2011, réitérée le 16 janvier 2012, la société Cedel Pharma a contesté ces griefs et a mis en demeure la société Natural Nutrition de rectifier l'erreur matérielle concernant la date de la rupture du contrat, de lui communiquer l'intégralité des factures émises à compter du 1er janvier 2011 sur la clientèle objet de l'exclusivité consentie par le contrat, de lui payer l'ensemble des commissions ainsi que l'indemnité de rupture et de cesser toute concurrence déloyale auprès des pharmacies et parapharmacies.
Estimant la rupture du contrat d'agence commerciale non conforme aux dispositions de l'article L. 134-11 du Code de commerce et nullement justifiée par ses manquements, Cedel Pharma a fait assigner la société Natural Nutrition devant le tribunal de commerce de Versailles, par acte en date du 8 août 2012, notamment en paiement d'une indemnité compensatrice visée à l'article L. 134-12 du Code de commerce, cette juridiction s'est déclarée incompétente au profit du tribunal de commerce de Paris par jugement du 12 février 2014.
Par jugement rendu le 22 février 2016, le tribunal de commerce de Paris a :
- débouté la société Cedel Pharma de ses demandes, fins et conclusions fondées sur la rupture brutale de la relation commerciale, la rupture abusive du contrat, le paiement de l'indemnité compensatrice due aux agents commerciaux,
- condamné la société Natural Nutrition à payer à la société Cedel Pharma les commissions non réglées au jour du présent jugement, en deniers ou quittance valable, égales à 30 % du montant des factures émises du 1er janvier 2011 au 30 novembre 2011 et ce avec intérêts de droit à compter du jour de la mise en demeure du 16 novembre 2011,
- condamné la société Cedel Pharma à payer à la société Natural Nutrition la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- débouté les parties de leurs autres demandes, fins et conclusions,
- condamné la société Cedel Pharma aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 euros dont 13,52 euros de TVA.
Vu l'appel interjeté le 10 juin 2016 par la société Cedel Pharma à l'encontre de cette décision ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 2 mai 2018 par la société Cedel Pharma, par lesquelles il est demandé à la cour, au visa des articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce, de l'article L. 134-12 du même Code, de l'article 1382 du Code civil, de :
- ordonner le report de l'ordonnance de clôture au jour des plaidoiries,
- la déclarer recevable et bien fondée en son action à l'encontre de la société Natural Nutrition,
- infirmer la décision du tribunal en ce qu'elle la déboute de ses demandes sur la rupture brutale de la relation commerciale,
- infirmer la décision du tribunal en ce qu'elle la déboute de ses demandes sur la rupture abusive du contrat,
- infirmer la décision du tribunal en ce qu'elle la déboute de ses demandes fondées sur la paiement de l'indemnité compensatrice,
- infirmer la décision du tribunal en ce qu'elle la condamne à payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- infirmer la décision du tribunal en ce qu'elle la condamne aux dépens,
- ordonner à la société Natural Nutrition de fournir l'intégralité des factures de produits Natural Nutrition émises à la clientèle de France Métropolitaine, pour la période du 1er janvier 2011 au 30 novembre 2011, ladite clientèle étant l'objet de l'exclusivité contractuelle consentie à la société Cedel Pharma, En conséquence,
- condamner la société Natural Nutrition à lui payer une commission égale à 30 % du montant de l'ensemble de ces factures,
- condamner la société Natural Nutrition à lui régler les sommes qui lui sont dues au titre de ces factures non communiquées, outre intérêts au taux légal à compter du 16 novembre 2011, date de la mise en demeure,
- condamner la société Natural Nutrition à lui payer les sommes qui lui sont dues au titre des deux factures impayées s'élevant à la somme de 3 186,04 euros, outre intérêts au taux légal à compter du jour de l'assignation,
- dire et juger que la date de rupture du contrat est celle du 31 janvier 2012, conformément aux dispositions contractuelles, En conséquence,
- condamner la société Natural Nutrition à fournir l'intégralité des factures des produits Natural Nutrition vendus à la clientèle, objet de l'exclusivité contractuelle consentie à la société Cedel Pharma pour la période du 1er décembre 2011 au 31 janvier 2012,
- condamner la société Natural Nutrition à lui verser une commission égale à 30 % du montant de ses factures,
- condamner la société Natural Nutrition à lui payer au titre de la réparation de la rupture unilatérale abusive et injustifiée, l'indemnité compensatrice visée par l'article L. 134-12 du Code de commerce, dont le montant ne saurait être inférieur à deux années de commissions soit 1 155 742,64 euros TTC en principal majoré des intérêts légaux calculés à compter du 31 janvier 2012 et sous réserve de la connaissance du montant des factures manquantes, En tout état de cause,
- condamner la société Natural Nutrition à lui payer la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,
- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir nonobstant appel et sans caution.
MOYENS :
La société Cedel Pharma fait valoir que la société Natural Nutrition ne lui a pas transmis, pour l'année 2011, l'intégralité des factures relatives aux commandes qu'elle a passées pour la société Natural Nutrition, ni celles au titre des commandes prises par la société Natural Nutrition directement auprès de la clientèle métropolitaine de la société Cedel Pharma sur laquelle elle bénéficiait d'une exclusivité s'agissant de la promotion et de la vente des produits Natural Nutrition, en application des dispositions de l'article 4 du contrat.
Elle s'estime dès lors fondée à solliciter la communication desdites factures, et non pas seulement d'un simple listing, ainsi que le paiement des commissions dues en application des dispositions de l'article 5 du contrat, fixées à hauteur de 30 % du montant du chiffre d'affaires net hors taxe facturé à la clientèle visitée par la société Cedel Pharma ou ses collaborateurs et calculées à partir des commandes prises par la société Cedel Pharma pour le compte de la société intimée, un expert judiciaire pouvant au besoin être désigné.
Elle ajoute qu'elle est également fondée, en application des dispositions de l'article 6 du contrat prévoyant le remboursement des frais engagés par elle et ses collaborateurs dans la réalisation de leur mission de promotion et de vente des produits de la société intimée, à demander le paiement de deux factures de montants respectifs de 2 468,44 euros et 717,60 euros.
Elle fait valoir que la durée du préavis a été fixée arbitrairement à un mois par la société Natural Nutrition, alors qu'en application des dispositions de l'article L. 134-11 du Code de commerce et compte tenu de la durée du contrat d'agence commerciale de 5 ans, le préavis aurait dû être fixé à au moins trois mois, qu'elle a ainsi été abusivement privée entre le 1er décembre 2011 et le 31 janvier 2012 de son droit à percevoir les commissions dues au titre des ventes conclues par la société Natural Nutrition avec la clientèle sur laquelle elle bénéficiait d'une exclusivité, fixées sur la base de 30 % du chiffre d'affaires net hors-taxes réalisé par la société Natural Nutrition pendant cette période les deux années précédentes.
La société Cedel Pharma considère que la rupture du contrat par la société Natural Nutrition est abusive et nullement justifiée par ses prétendues fautes graves dont la violation des dispositions des articles 2 et 4 du contrat, et le manquement à son obligation de loyauté. Elle soutient qu'elle est étrangère à la création prétendue par MM. X et Y, VRP de la société Cedel Pharma, d'une société concurrente Phytalessence, qu'en outre, les contrats la liant à ces VRP ne sont pas signés ni datés et ne lui sont pas opposables et la société Natural Nutrition ne rapporte pas la preuve de tels agissements, les propos téléphoniques retranscrits que celle-ci produit aux débats ne revêtant pas de caractère probatoire. Elle soutient que la société Natural Nutrition lui reproche vainement d'avoir prétendument distribué depuis le 1er janvier 2009 les produits de la marque Glisodine, commercialisation dont l'intimée avait connaissance depuis le mois de mars 2009 et qui n'a eu aucun impact sur son chiffre d'affaires. Elle ajoute que la société Natural Nutrition n'est pas davantage fondée à lui faire grief d'avoir pris des parts dans la société Eden Pharma qui n'est pas une société concurrente de la société Natural Nutrition. Elle affirme qu'aucun manquement à son obligation de loyauté n'est démontré, notamment au titre des agissements de MM. X et Z, dont elle ne peut être tenue responsable, et dès lors qu'elle n'a commis aucune concurrence déloyale, au contraire de la société Natural Nutrition qui a tenté de capter la clientèle qu'elle avait constituée et développée pour le compte de cette dernière. Enfin, elle conteste la violation des dispositions de l'article 2 du contrat relatif à l'objet de la convention et à la politique commerciale à adopter, le chiffre d'affaires réalisé par la société intimée après son intervention étant nettement supérieur et confirmant le respect de son obligation de visites régulières, aucune liste d'actions n'ayant été transmise par la société intimée. Elle prétend que cette dernière a, pour sa part, manqué à de multiples reprises à ses engagements en supprimant notamment des chèques Kadeos, des primes de cadeaux envers les clients de la société Cedel Pharma et en refusant des livraisons de commandes passées par ses VRP, et que l'intimée a également procédé au " pillage "de son réseau commercial par débauchage de ses collaborateurs, en violation de l'article 3 alinéa 3 du contrat, lui causant conséquemment un préjudice important.
Dès lors que la société Naturel Nutrition ne rapporte pas la preuve de manquements graves de sa part, la société Cedel Pharma s'estime bien fondée à solliciter le paiement d'une indemnité compensatrice de rupture du contrat d'agence commerciale en application des dispositions de l'article L. 134-12 du Code de commerce, et dont le montant ne saurait être inférieur à deux ans de commissions.
Vu les dernières conclusions signifiées le 16 mai 2018 par la société Natural Nutrition, par lesquelles il est demandé à la cour, sur le fondement des dispositions des articles L. 134-11 et suivants, L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, et des articles 1134, 1147 et 1384 du Code civil, de :
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 22 février 2016 en ce qu'il a :
- débouté la société Cedel Pharma dès ses demandes fondées sur la rupture brutale de la relation commerciale, la rupture abusive du contrat, le paiement d'une indemnité compensatrice due aux agents commerciaux,
- condamné la société Cedel Pharma à payer à la société Natural Nutrition la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens,
- réformer le jugement rendu en ce qu'il a :
- condamné la société Natural Nutrition à lui payer les commissions non réglées au jour du prononcé du jugement, en deniers ou en quittance valable, égales à 30 % du montant des factures émises du 1er janvier 2011 au 30 novembre 2011 et ce avec intérêts de droit à compter du jour de la mise en demeure du 16 novembre 2011,
- l'a déboutée de sa demande de paiement de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la société Cedel Pharma,
- dire et juger que la société Cedel Pharma a été intégralement remplie de ses droits financiers,
- débouter la société Cedel Pharma de l'ensemble de ses demandes,
- condamner la société Cedel Pharma à lui payer la somme de 500 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de tous les chefs de préjudices subis,
- condamner la société Cedel Pharma à lui payer à la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société Cedel Pharma aux entiers dépens.
MOYENS :
La société Natural Nutrition fait valoir qu'elle a rompu le contrat d'agence commerciale la liant avec la société Cedel Pharma au vu des manquements graves de ladite société dans l'exécution de ses obligations contractuelles, tels que la violation de l'obligation de non-concurrence, le manquement de loyauté, et le non-respect de l'article 2 du contrat.
Sur la violation de la clause de non-concurrence prévue à l'article 4 du contrat, la société Natural Nutrition, en se fondant sur le fait que l'employeur est responsable des agissements commis par ses salariés, fait valoir, d'abord, que MM. X et Y, VRP de la société Cedel Pharma, dont celle-ci est responsable des agissements, et qui étaient les seuls interlocuteurs de ses clients sur le secteur, la société Cedel Pharma bénéficiant d'une exclusivité territoriale, ont créé une société Phytalessence et reconnu commercialiser par le biais de celle-ci des produits de la marque Pharm Nature, concurrents aux siens, et ont procédé à des actes de concurrence déloyale par le détournement de la clientèle des commandes qui devaient lui être destinées. Elle ajoute que la société Cedel Pharma, en violation de ses engagements contractuels, a commercialisé une autre marque concurrente Glisodine, de nature à créer également une confusion auprès de sa clientèle, ce d'autant plus que l'appelante a fait bénéficier de produits de cette marque gratuits pour l'achat de produits Natural Nutrition.
Sur la violation de l'obligation de loyauté, la société Natural Nutrition prétend que la société Cedel Pharma n'a proposé aucune solution au titre du règlement du litige concernant le comportement de ses salariés, profitant au contraire de son exclusivité, et qu'elle a également procédé à des détournements de chèques cadeaux.
Concernant le non-respect de l'article 2 du contrat aux termes duquel la société Cedel Pharma s'engage à respecter les stratégies commerciales fixées par la société Natural Nutrition, elle fait valoir que la société Cedel Pharma, qui avait connaissance de sa politique commerciale, n'a pas respecté les conditions de vente des produits Natural Nutrition, ces manquements s'illustrant notamment, d'une part, par la pratique adoptée par la société Cedel Pharma de proposer 3 euros de chèque cadeau par boîte au lieu de 2 euros et de proposer 2 euros de chèque cadeau au lieu d'un euro, d'autre part, par la mise en place, non pas de manière ponctuelle tel que cela était voulu par la société Natural Nutrition, mais de façon permanente, d'opérations commerciales au cours desquelles les clients bénéficiaient d'un certain nombre de produits gratuits pour un nombre déterminé de produits achetés. Elle conteste l'ensemble des griefs formulés à son encontre par la société Cedel Pharma, qu'elle n'estime nullement démontrés. Elle souligne à ce titre qu'aucune obligation légale ou contractuelle ne l'oblige à transmettre à l'appelante l'intégralité de ses factures, que la société Cedel Pharma n'a formulé aucune demande à ce titre en 2011, que le tableau récapitulatif et les factures afférentes dont elle justifie démontrent que la société Cedel Pharma a été remplie de ses droits financiers sur la période du 1er janvier au 30 novembre 2011, date de la rupture du contrat, qu'elle a bien communiqué les factures 5619 et 5911 qui concernent la reprise des produits et que les autres factures dont la communication est sollicitée ne relèvent pas du champ contractuel. Elle ajoute que les deux factures s'élevant à 2 468,44 euros et 717,60 euros, dont le paiement est réclamé par la société Cedel Pharma, correspondent à de prétendues prestations réalisées postérieurement à la rupture du contrat et ne sont donc pas dues. Elle ajoute que le grief selon lequel elle aurait refusé de livrer les commandes de MM. X et Z à compter du 1er mai 2011 n'est pas fondé dès lors que dès le mois de février 2011, elle a demandé à la société Cedel Pharma de cesser de faire apparaître leurs noms sur ses factures. Elle précise qu'elle n'a nullement tenté de démarcher la clientèle de la société Cedel Pharma par le biais d'un centre d'appels téléphoniques situé à Saint-Rémy de Provence, s'étant bornée à intervenir ponctuellement dans les secteurs de MM. X et Z pour retenir sa clientèle. Elle conteste avoir débauché plusieurs collaborateurs et le personnel de la société Cedel Pharma, et avoir prétendument eu pour objectif de s'emparer du fichier clients de sa cocontractante, lesquelles allégations ne sont nullement démontrées.
Elle fait valoir que la gravité des manquements de la société Cedel Pharma justifiaient la résiliation du contrat d'agence commerciale les liant sans préavis, étant précisé qu'elle a rompu ledit contrat le 26 octobre 2011 avec prise d'effet au 30 novembre 2011 soit avec un délai de préavis d'un mois, délai raisonnable qu'elle n'était pas tenue respecter. Elle ajoute que compte tenu de cette date de rupture, elle n'est pas tenue de communiquer les factures sur la période du 1er décembre 2011 au 31 janvier 2012 ni de procéder au paiement d'une commission de 30 % du montant de celles-ci.
Elle soutient que la gravité des manquements de la société Cedel Pharma justifiait également le non-versement de l'indemnité de rupture prévue à l'article L. 132-12 du Code de commerce. Elle relève en outre qu'une telle indemnité sert à compenser la perte de commissions à l'avenir du fait de la cessation du contrat et qu'en raison de son inertie la société Cedel Phama est responsable de la disparition de 400 000 euros du chiffre d'affaires annuel en provenance du secteur confié à MM. X et Y, la société Cedel Pharma ayant dès l'année 2011 commencé à commercialiser la marque concurrente Nature Attitude en lieu et place des produits Natural Nutrition et ne subissant donc aucun préjudice du fait de l'arrêt de la commercialisation desdits produits.
Elle s'oppose aux demandes de la société Cedel Pharma aux fins de paiement de commissions sur la période du 1er janvier au 30 novembre 2011, dont les factures afférentes sont versées aux débats et, pour la majorité d'entre elles, n'entrent pas dans le champ contractuel dès lors qu'elles résultent d'une prospection accomplie par le centre d'appel téléphonique auquel elle a eu recours pour conserver sa clientèle face aux agissements concurrentiels des VRP de la société Cedel Pharma, laquelle n'a donc aucun droit sur ces factures en vertu du principe de l'exception d'inexécution.
Enfin, elle fait valoir que les manquements commis par la société Cedel Pharma lui ont causé un préjudice financier et économique correspondant à une perte de chiffre d'affaires de l'ordre de 366 414 euros pour l'année 2011 et qui a continué à baisser les années suivantes, et s'estime dès lors fondée à solliciter une indemnité de 500 000 euros à titre de dommages et intérêts.
MOTIFS :
Sur la demande de report de l'ordonnance de clôture :
La clôture ayant été prononcée le 24 octobre 2018 et la société Cedel Pharma ne sollicitant pas la production de nouvelles pièces, il n'y a pas lieu d'ordonner le report de la clôture au jour des plaidoiries.
Sur la rupture brutale de la relation commerciale établie :
L'appelante sollicite dans le dispositif des écritures l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au titre de la rupture brutale de la relation commerciale, mais ne fait aucun développement à ce titre.
En outre, et ainsi que l'a jugé avec pertinence le tribunal de commerce, les dispositions de l'article L. 442-6 I. 5° du Code de commerce ne sont pas applicables à la rupture d'un contrat d'agence commerciale.
Le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef.
Sur le caractère abusif de la rupture du contrat d'agence commerciale :
Selon l'article L. 134-11 du Code de commerce, " (...) Lorsque le contrat d'agence est à durée indéterminée, chacune des parties peut y mettre fin moyennant un préavis. Les dispositions du présent article sont applicables au contrat à durée déterminée transformé en contrat à durée indéterminée. Dans ce cas, le calcul de la durée du préavis tient compte de la période à durée déterminée qui précède. La durée du préavis est d'un mois pour la première année du contrat, de deux mois pour la deuxième année commencée, de trois mois pour la troisième année commencée et les années suivantes. En l'absence de convention contraire, la fin du délai de préavis coïncide avec la fin d'un mois civil.
Les parties ne peuvent convenir de délais de préavis plus courts. Si elles conviennent de délais plus longs, le délai de préavis prévu pour le mandant ne doit pas être plus court que celui qui est prévu pour l'agent.
Ces dispositions ne s'appliquent pas lorsque le contrat prend fin en raison d'une faute grave de l'une des parties ou de la survenance d'un cas de force majeure ".
Il résulte de ces dispositions que les délais de préavis à l'article L. 134-11 du Code de commerce ne s'appliquent pas en cas de faute grave de l'une des parties au contrat. La faute grave est celle qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du contrat.
Le 1er juin 2006, la société Cedel Pharma a conclu avec la société Natural Nutrition un contrat d'agence commerciale lui donnant mission de promouvoir et de vendre les produits de la société Natural Nutrition, en exclusivité en France métropolitaine, par le biais d'une équipe de VRP multicartes et d'agents commerciaux.
Selon l'article 4 dudit contrat, " Il est entendu que les collaborateurs rattachés à Cedel Pharma en charge de la promotion et de la vente de produits Natural Nutrition ne pourront en aucun cas promouvoir des produits ou spécialités qui pourraient lui être concurrentes, Cedel Pharma et ses collaborateurs s'engagent à informer Natural Nutrition des marques qu'ils prennent en charge (...). A l'inverse, la société Natural Nutrition s'engage à confier, en exclusivité en France métropolitaine, la promotion et la vente de ses produits auprès des pharmacies ou parapharmacies individuelles qu'à Cedel Pharma sur le territoire défini par le présent contrat ".
Il résulte de ces dispositions que le respect de l'obligation de non-concurrence est une obligation essentielle du contrat dès lors qu'elle constitue la contrepartie de l'exclusivité consentie à la société Cedel Pharma sur l'ensemble du territoire de la France métropolitaine.
MM. X et Y, VRP multicartes, ont reconnu dans leurs conclusions déposées dans une procédure en concurrence déloyale les opposant, ainsi que la société Phytallessence, à la société Natural Nutrition (pièce 112), qu'ils ont respectivement collaboré avec la société Cedel Pharma à compter du mois d'avril 2007 et du mois de janvier 2008 en qualité de VRP multicartes, sans toutefois signer de contrat écrit avec la société Cedel Pharma, qu'en parallèle de leur activité de VRP multicartes, ils se sont associés avec un troisième partenaire en la personne de M. W afin de créer la société Phytalessence, immatriculée au Registre du commerce et des sociétés de Lorient à compter du 18 octobre 2010, afin de commercialiser des produits de compléments alimentaires à l'aide d'une gamme spécifique, qu'ils ont ainsi assuré concomitamment la commercialisation de produits de trois sociétés concurrentes dans le secteur des compléments alimentaires, soit la société Natural Nutrition, la société Isocell et la société Pharm Nature.
Cet aveu judiciaire de MM. X et Y suffit à établir qu'alors qu'ils commercialisaient des produits Natural Nutrition en leur qualité de VRP multicartes de la société Cedel Pharma, ils ont créé une société concurrente de la société Natural Nutrition et ainsi commercialisé des produits concurrents, que les pharmaciens, opérant une confusion, ont d'ailleurs enregistrés au sein du compte de la société Natural Nutrition (pièce 27). La société Cedel Pharma, informée de ces agissements par la société Natural Nutrition le 4 février 2011, n'y a pas aussitôt mis fin, engageant une procédure de licenciement de M. X le 26 décembre 2011, soit postérieurement à la rupture du contrat d'agence commerciale.
Dès lors que selon l'article 4 du contrat, la société Cedel Pharma s'est engagée à ce que ses collaborateurs et VRP en charge de la promotion et de la vente de produits Natural Nutrition ne puissent promouvoir des produits ou spécialités qui pourraient être concurrents à la société Natural Nutrition, il lui appartenait de contrôler son réseau commercial afin de s'assurer du respect de ses engagements. La société Cedel Pharma est donc responsable envers la société Natural Nutrition des agissements des VRP auxquels elle a confié la commercialisation des produits Natural Nutrition en exécution du mandat d'agence commerciale, dont elle n'a pas informé la société Natural Nutrition conformément à l'article 4 du contrat, dont elle a eu connaissance à tout le moins depuis le 4 février 2011 et auxquels elle n'a pas mis immédiatement fin, peu important, comme elle le fait valoir, qu'elle ait, ou non, signé avec lesdits VRP des contrats de travail pour la commercialisation desdits produits, qu'elle ait estimé que les éléments communiqués par la société Natural Nutrition ne constituaient pas des motifs de licenciement suffisants et qu'elle ait été condamnée pour licenciement sans cause réelle et sérieuse de M. X.
Les premiers juges ont relevé avec pertinence qu'en tardant ainsi à faire respecter ses engagements de non-concurrence par ses VRP, la société Cedel Pharma a permis le développement de la commercialisation des produits concurrents de la société Phytalessence au détriment des produits de la société Natural Nutrition.
La circonstance que par jugement du 12 novembre 2015, le tribunal de grande instance d'Avignon ait débouté la société Natural Nutrition de son action en concurrence déloyale exercée à l'encontre de la société Phytalessence (au motif qu'aucun manquement à leur obligation de loyauté envers la société Natural Nutrition n'était caractérisé) est indifférente, dès lors que l'article 4 du contrat interdit à la société Cedel Pharma, à ses collaborateurs et ses VRP de promouvoir des produits ou spécialités qui pourraient être concurrentes à la société Natural Nutrition, et donc l'exercice d'une activité concurrentielle, sans que celle-ci soit nécessairement juridiquement qualifiée de concurrence déloyale.
Les manquements, par la société Cedel Pharma, à l'obligation de non-concurrence, obligation essentielle du contrat, et à l'obligation de loyauté, pour avoir laissé se poursuivre en connaissance de cause les agissements concurrentiels de ses VRP, sont donc caractérisés.
De même, la société Cedel Pharma a de nouveau manqué à son obligation de non-concurrence en commercialisant, sans justifier en avoir informé la société Natural Nutrition conformément aux dispositions de l'article 4 du contrat, des produits de la marque concurrente Glisodine qu'elle a associés aux produits de la marque Natural Nutrition dans ses offres de fidélité permettant l'obtention de produits gratuits (pièce 38), la circonstance, alléguée par la société Cedel Pharma, selon laquelle le chiffre d'affaires de la société Natural Nutrition n'a pas souffert de la commercialisation de ces produits étant indifférente.
La société Cedel Phama a encore manqué à son obligation de non-concurrence en commercialisant, sans justifier en avoir informé la société Natural Nutrition conformément aux dispositions de l'article 4 du contrat, des compléments alimentaires Pharm Nature à compter du mois de février 2010, comme l'illustre le message électronique du 25 février 2010 qu'elle a adressé à ses commerciaux et contenant des modèles de bons de commande Pharm Nature (pièce 113), lesquels produits sont concurrents de ceux de la société Natural Nutrition, peu important que certains d'entre eux soient commercialisés sous forme d'ampoules et non pas seulement sous forme de comprimés comme ceux de la société Natural Nutrition.
Les autres manquements à l'obligation de loyauté invoqués par l'intimée, tels que la prise en charge d'une formation destinée à un VRP recruté pour travailler pour la société Eden Pharma, les liens entre la société Cedel Pharma et la société Eden Pharma ainsi le détournement de chèques cadeaux par la société Cedel Pharma ne sont pas établis par les pièces versées aux débats.
Les manquements par la société Cedel Pharma à son obligation de non-concurrence et à son devoir de loyauté tels que ci-avant caractérisés, qui portent atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rendent impossible le maintien du contrat compte tenu de la perte de confiance nécessairement engendrée par ceux-ci, caractérisent une faute grave justifiant la rupture du contrat sans préavis en application des dispositions de l'article L. 134-11 du Code de commerce, sans qu'il soit besoin pour la cour de se prononcer sur la caractérisation du surplus des manquements contractuels invoqués par la société Natural Nutrition.
De son côté, la société Cedel Pharma ne justifie pas des agissements déloyaux de la société Natural Nutrition à laquelle elle reproche d'avoir refusé de délivrer les commandes prises par certains de ses collaborateurs, sans plus de précisions, l'intimée précisant à ce titre s'être seulement opposée à ce que lui soient facturées les prestations de MM. X et Y lorsqu'elle a eu connaissance de leurs agissements. L'appelante fait également vainement grief à la société Natural Nutrition d'avoir indûment tenté de l'évincer et de capter directement sa clientèle en violation de la clause d'exclusivité, alors que la société Natural Nutrition, dans le contexte de la violation de l'obligation de non-concurrence du fait des VRP de la société Cedel Pharma et que celle-ci a laissé perdurer, a seulement essayé de conserver sa clientèle par le recours aux services d'une plate-forme téléphonique dans le secteur dont MM. X et Y avaient la charge. L'appelante n'établit pas davantage que la société Natural Nutrition aurait violé les dispositions de l'article 3 alinéa 3 du contrat, faisant interdiction à un délégué de la société Cedel Pharma de devenir un salarié ou employé de la société Natural Nutrition, les faits de débauchage qu'elle allègue sans en justifier par les seules pièces qu'elle produit aux débats, étant postérieurs à l'envoi de la lettre de résiliation du contrat d'agence commerciale. Les manquements contractuels de la société Natural Nutrition ne sont donc pas établis.
Dans ces conditions, la rupture du contrat d'agence commerciale est imputable à la seule société Cedel Pharma et justifiée par la gravité de ces manquements contractuels.
La société Natural Nutrition ayant notifié à la société Cedel Pharma la rupture du contrat d'agence commerciale par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 26 octobre 2011, avec prise d'effet au 30 novembre 2011, en respectant un préavis de plus d'un mois alors qu'elle était dispensée de préavis compte tenu des manquements graves commis par la société Cedel Pharma, ladite rupture ne présente aucun caractère abusif et la société Cedel Pharma n'est pas fondée à prétendre au respect d'un préavis de trois mois.
L'article L. 134-13 du Code de commerce prévoyant que l'indemnité de rupture n'est pas due lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial, la société Cedel Pharma n'est pas davantage fondée à solliciter le paiement d'une indemnité de rupture.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la société Cedel Pharma de ses demandes fondées sur la rupture abusive du contrat d'agence commerciale et de paiement de l'indemnité compensatrice due aux agents commerciaux.
Sur la communication de factures et le paiement de commissions :
La société Natural Nutrition produit aux débats un tableau récapitulatif de sa facturation émise portant sur la vente des produits du 1er janvier au 30 novembre 2011 ainsi que les factures afférentes, de sorte que la demande de production de celles-ci est devenue sans objet. Il n'y a pas lieu de la condamner, en outre, à fournir l'intégralité des factures relatives aux ventes des produits durant la période du 1er décembre 2011 au 31 janvier 2012, soit après la résiliation du contrat d'agence commerciale.
Le tribunal de commerce de Paris à bon droit condamné la société Natural Nutrition à payer à la société Cedel Pharma, conformément aux dispositions de l'article 5 du contrat, une commission de 30 % du montant de l'ensemble de factures émises du 1er janvier 2011 au 30 novembre 2011, soit durant la période contractuelle, et ce avec intérêts au taux légal à compter du 16 novembre 2011, date de mise en demeure, la société Natural Nutrition n'étant pas fondée à retenir la facturation à la clientèle présente dans les secteurs prospectés par MM. X et Z compte tenu de l'exclusivité dont bénéficiait la société Cedel Pharma, étant relevé qu'elle n'établit pas, à l'époque, s'être prévalue de l'exception d'inexécution pour justifier de ce défaut de paiement.
Ainsi que l'a jugé avec pertinence le tribunal de commerce de Paris, la société Cedel Pharma est mal fondée à solliciter le paiement de la facture n°2010 0101 en date du 31 décembre 2011, portant sur un montant de 2 468,44 euros, et de celle n° 2012 0102 du 31 décembre 2011, d'un montant de 717,60 euros, ces factures étant afférentes à des prestations accomplies en décembre 2011 soit postérieurement à la rupture du contrat d'agence commerciale.
Le jugement entrepris sera donc confirmé pour l'ensemble de ces points.
Sur la demande de dommages et intérêts de la société Natural Nutrition :
Les comptes de résultat de la société Natural Nutrition établissent que celle-ci a réalisé un chiffre d'affaires de 1 524 812 euros et un résultat net avant impôts de 12 949 euros en 2009, un chiffre d'affaires de 1 627 608 euros et un résultat net avant impôts de 29 080 euros en 2010, un chiffre d'affaires de1 378 186 euros et un résultat net avant impôts de 3 248 euros en 2011, un chiffre d'affaires de 944 631 euros et un résultat net avant impôts de 96 268 euros en 2012, un chiffre d'affaires de 1 019 406 euros et un résultat net avant impôts de 39 883 euros en 2013, un chiffre d'affaires de 996 882 euros et un résultat net avant impôts de 201 023 euros en 2014, un chiffre d'affaires de 1 019 406 euros et un résultat net avant impôts de 125 298 euros en 2015, et confirment certes que son activité a fortement baissé en 2011, à une époque concomitante avec la création, par MM. X et Y de la société concurrente Phytalessence, immatriculée au Registre du commerce et des sociétés de Lorient à compter du 18 octobre 2010, puis que son activité a de nouveau augmenté à compter de 2012, sans toutefois atteindre son niveau de 2009, ce qui établit que cette baisse est également conjoncturelle. La société Natural Nutrition, qui ne produit pas les chiffres d'affaires réalisés en particulier sur le secteur confié à MM. X et Y, ne démontre pas dans quelles mesures la violation de la clause de non-concurrence lui a causé une perte de chiffres d'affaires.
La société Natural Nutrition ne justifiant pas du préjudice allégué a donc été à bon droit déboutée de sa demande indemnitaire.
Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile :
Les dispositions du jugement entrepris relatives aux dépens et aux dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile seront confirmées.
La société Cedel Pharma échouant dans ses prétentions sera condamnée aux dépens exposés en cause d'appel et à payer à la société Natural Nutrition une indemnité de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, confirme le jugement du tribunal de commerce de Paris du 22 février 2016 dans l'ensemble de ses dispositions, Y ajoutant, condamne la société Cedel Pharma à payer à la société Natural Nutrition une indemnité de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, condamne la société Cedel Pharma aux dépens exposés en cause d'appel.