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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 16 janvier 2019, n° 15-07734

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

La Mode en Images (SAS)

Défendeur :

Traitement peinture au pistolet (SARL), Jeanne (ès qual.), Blériot (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Pachalis, Tahar, Buret, Hery

T. com. Paris, du 30 mars 2015

30 mars 2015

Faits et procédure

La société La Mode en Images (ci-après LMI) conçoit et produit des événements dédiés à la mode et au luxe parmi lesquels les défilés de grandes maisons de couture.

La société Traitement Peinture au Pistolet (ci-après TPP) a pour activité la peinture à la laque au pistolet haut de gamme. A partir de 2009 et ce jusqu'en 2011, la société LMI a passé commande, de façon modeste au départ puis de façon plus importante, auprès de la société TPP, pour ses propres clients organisant des défilés lors de deux " Fashion Weeks '' annuelles en février/mars et en septembre/octobre. Ces commandes consistaient en des travaux de peinture de bancs, d'estrades et autres éléments nécessaires à la mise en place des événements.

En 2012, au moment de la Fashion Weeks de février/mars, à la suite de l'effondrement de bancs peints par la société TPP, lors du défilé Balanciaga du 11 septembre 2011, cette relation commerciale s'est interrompue.

La société TPP a aussi reproché à la société LMI d'avoir mené une entreprise de déstabilisation de ses propres sous-traitants et d'être intervenue auprès d'eux pour leur interdire de confier à la société TPP des travaux de peinture.

Ainsi, par lettre recommandée avec accusé de réception adressée le 18 octobre 2012 à la société LMI, la société TPP a acté :

- la rupture brutale de leurs relations commerciales,

- la pratique de boycott dont elle a été victime.

Par lettre recommandée avec accusé réception du 9 novembre 2012, la société TPP a mis la société LMI en demeure de lui payer la somme de 350 000 euros à titre de réparation du préjudice subi au titre de ces deux pratiques.

Par lettre du 19 novembre 2012, la société LMI a répondu à la société TTP en niant les reproches qui lui étaient faits.

C'est dans ces conditions que la société TPP a, par acte du 3 avril 2013, saisi le tribunal de commerce de Paris pour obtenir réparation de la brutalité avec laquelle, selon elle, la société LMI a rompu sans préavis les relations commerciales, ainsi que du préjudice d'image et du préjudice lié aux pratiques de boycott déloyal organisées à son encontre.

Par jugement du tribunal de commerce de Bobigny, du 7 août 2014, la société TPP a été placée en redressement judiciaire. Maître Philippe Blériot administrateur judiciaire a alors sollicité le tribunal pour qu'il accueille son intervention volontaire et, de son côté, pour rendre opposable sa demande reconventionnelle, la société LMI a assigné le représentant des créanciers de la société TPP, Maître Bertrand Jeanne, en intervention forcée et a demandé au tribunal de joindre les deux affaires.

Par jugement du 30 mars 2015, le tribunal de commerce de Paris a, sous le régime de l'exécution provisoire :

- reçu Me Philippe Blériot, ès qualités d'administrateur judiciaire de la société TPP en son intervention volontaire,

- donné acte de l'intervention forcée du représentant des créanciers de la société TPP, Me Bertrand Jeanne,

- ordonné la jonction des affaires enrôlées sous les numéros de RG 2013025000 et 2014062176 sous le seul et même numéro J2015000133,

- condamné la société La Mode en Images à payer à la société TPP la somme 37 400 euros à titre de dommages et intérêts,

- dit la société La Mode en Images mal fondée en ses demandes reconventionnelles et l'en a déboutée,

- condamné la société La Mode en Images à payer à la société TPP la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent dispositif,

- condamné la société La Mode en Images aux dépens, ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 129,24 euros dont 21,32 euros de TVA.

Le 13 avril 2015, la société La Mode en Images a interjeté appel du jugement du tribunal de commerce de Paris du 30 mars 2015.

Le même jour, la société la Mode en Images a engagé une action en référé devant le Premier Président de la cour d'appel de Paris afin de solliciter une mesure d'aménagement de l'exécution provisoire. Par ordonnance du 18 juin 2015, celui-ci a débouté la société La Mode en Images de sa demande et l'a condamnée au paiement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La procédure devant la cour a été clôturée le 30 octobre 2018.

Vu les dernières conclusions de la société La Mode en Images, appelante, déposées et notifiées le 3 novembre 2015, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- réformer le jugement du 30 mars 2015 en ce qu'il a condamné la société La Mode en Images du fait de la rupture de leurs relations,

- condamner en conséquence la société TPP à restituer à la société La Mode en Images les sommes versées en vertu de l'exécution provisoire attachée à ce jugement soit 44 400 euros avec intérêts de droit à compter du 30 juin 2015,

- accueillir la demande de la société La Mode en Images et déclarer la société TPP fautive à raison des accusations grossières et mensongères de boycott faites à son encontre, d'un abus caractérisé de droit et d'une volonté de nuire,

- fixer en conséquence le montant de sa créance à la somme de 115 000 euros à inscrire à son passif,

- débouter la société TPP de son appel incident,

- condamner solidairement les intimés à payer à la société La Mode en Images la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile à raison de la procédure devant la cour d'appel,

- condamner solidairement les intimés aux dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de la Selarl Récamier, représentée par Maître Bodin Casalis, Avocat à la cour, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions de la société TPP, intimée, déposées et notifiées le 22 décembre 2017 par lesquelles il est demandé à la cour, au visa des articles L. 442-6, I, 5° et D. 442-3 du Code de commerce, et 1382 et 1383 du Code civil, de :

- déclarer TPP recevable et bien fondé en son appel incident et de :

- dire qu'au mois de février 2012, la société La Mode en Images a brutalement rompu sans préavis écrit les relations commerciales stables et habituelles qu'elle entretenait avec la société Traitement Peinture au Pistolet depuis 2009,

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a reconnu le caractère :

* établi de la relation commerciale entre TPP et La Mode en Images,

* brutal de la rupture à l'initiative de La Mode en Images,

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné La Mode en Images à payer la somme de 6 000 euros au titre des frais irrépétibles engagés par TPP dans le cadre de la procédure de première instance,

- infirmer partiellement le jugement du 30 mars 2015 en ce qu'il a fixé les dommages et intérêts alloués à la société Traitement Peinture au Pistolet à 37 400 euros,

- infirmer partiellement le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les demandes d'indemnisation de TPP au titre de sa désorganisation et de l'atteinte à son image et à sa réputation en raison de la brutalité de la rupture,

statuant à nouveau,

- condamner en conséquence la société La Mode en Images à payer à la société Traitement Peinture au Pistolet la somme de 101 461 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la rupture brutale de leur relation commerciale,

- condamner la société La Mode en Images à payer à la société Traitement Peinture au Pistolet la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts en raison de sa désorganisation et plus précisément de la chute brutale de sa trésorerie et de sa marge consécutivement à la rupture brutale de leurs relations commerciales,

- condamner la société La Mode en Images à payer à la société Traitement Peinture au Pistolet la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice d'image subi,

- condamner la société La Mode en Images à payer à la société Traitement Peinture au Pistolet la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de la procédure d'appel,

- débouter la société La Mode en Images de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la société La Mode en Images aux entiers dépens dont recouvrement au profit de Me Buret avocat dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

Me Bertrand Jeanne n'a pas constitué avocat.

SUR CE, LA COUR,

Sur la rupture brutale

Sur le caractère établi des relations commerciales

La société TTP soutient que ses relations commerciales avec la société LMI étaient établies depuis 2009. Elle expose :

- en se fondant sur la jurisprudence selon laquelle il est nécessaire de prendre en compte le caractère prolongé, régulier, significatif et stable du courant d'affaire existant entre les parties pour laisser augurer la poursuite des relations commerciales, que la rupture brutale d'une relation établie est sanctionnée bien que celle-ci ait pu être de courte durée, dès lors que celle-ci a été stable et récurrente au cours de son existence,

- que la relation commerciale peut se déduire d'une succession de contrats qui ont créé une relation continue, en l'absence de tout contrat cadre,

- que le caractère établi est aussi retenu lorsque la relation commerciale apparaît ponctuelle mais se renouvelle chaque année.

Ainsi, elle invoque que :

- la société La Mode en Images passait chaque année des commandes pour tous ses travaux de peinture à TPP depuis 2009 pour ses propres clients organisant des défilés lors des Fashion Weeks annuelles Printemps-Eté et Automne-Hiver organisées à Paris (Fashion Week de printemps et octobre 2009, 2010, 2011),

- le chiffre d'affaires réalisé par TPP avec La Mode en Images a été en augmentation constante pour atteindre plus de 300 000 euros en 2011,

- la société La Mode en Images avait à nouveau interrogé la société TPP en vue de la Fashion Week de février 2012 en sollicitant la communication d'échantillons, ce qui confirmait qu'à nouveau pour 2012, elle projetait de travailler avec TPP,

- cette relation a permis à TPP de réaliser avec La Mode en Images plus de 20 % de son propre chiffre d'affaires global.

La société LMI conteste le caractère stable et établi des relations commerciales qu'elle entretenait avec la société TPP. Elle soutient que les relations ont été occasionnelles et non suivies car :

- elle n'a sollicité la société TPP que pour deux Fashion Weeks par an (sur quatre) et de nombreuses Fashion Weeks se sont déroulées sans qu'elle ne contacte la société TPP,

- elle n'a donc pas systématiquement sollicité la société TPP pour deux Fashion Weeks par an, ni pour les autres événements qu'elle organise et produit en dehors des Fashion Weeks,

- la part d'activité qu'elle entretenait avec la société TPP était extrêmement faible,

- les relations commerciales n'ont duré que de septembre 2009 à début octobre 2011, soit environ 24 mois, la jurisprudence ne prenant généralement en compte pour caractériser le caractère établi des relations commerciales qu'une collaboration d'une durée supérieure à au moins 5 années.

De plus, elle soutient que les relations n'étaient pas durables du fait :

- du caractère par définition ponctuel et irrégulier des interventions des prestataires aussi spécialisés qu'elle,

- du fait d'un incident ayant eu lieu le 29 septembre 2011 lors d'un défilé Balanciaga et des conséquences financières qui en sont les conséquences, à la suite duquel elle a été obligée de revoir son organisation et ses rapports avec ses sous-traitants, ce que la société TPP ne pouvait ignorer.

Selon l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce : " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, pour tout producteur, commerçant, industriel, ou personne immatriculée au répertoire des métiers : De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (...). Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ".

Une relation commerciale " établie " présente un caractère " suivi, stable et habituel " et permet raisonnablement d'anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux. C'est à l'aune de ce test de la croyance légitime à la pérennité des relations du partenaire qui se prétend évincé qu'il convient d'apprécier si la relation était ou non "établie" au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.

Or, en l'espèce, la nature particulière des prestations concernées, consistant dans des travaux de peinture dans le cadre de l'organisation d'événements dédiés à la mode ne se prête pas à une reconduction systématique et pérenne. Chaque événement est soumis aux directeurs artistiques des maisons de couture et toutes les prestations sont par nature conditionnées à une mode éphémère. Les prestations de la société La Mode en Images, et, par voie de conséquence, les prestations sous-traitées à d'autres opérateurs comme la société Traitement Peinture au Pistolet, sont donc appelées à évoluer et à changer constamment de forme et la nature des relations entre les organisateurs d'événements et les prestataires sont nécessairement précaires en raison de ces caractéristiques. Par ailleurs, toutes les décorations relatives aux défilés de mode n'impliquent pas nécessairement un traitement en peinture spécifique telle que la laque polyuréthanne au pistolet pratiqué par les sociétés spécialisées telles que la société TPP (pièce 8 de l'appelante).

La preuve de la croyance en la stabilité des relations ne saurait résulter de la passation de six commandes ponctuelles pour deux fashion weeks par an du 9 février 2009 au 6 octobre 2011, alors que la société La Mode en Images opérait sur quatre fashion weeks par an et sur d'autres prestations, sans recourir aux services de la société TPP.

Ainsi, la société TPP ne pouvait augurer le renouvellement, à son profit, chaque année, des travaux de peinture de deux fashion weeks par an.

Par ailleurs, ni la longueur des relations commerciales, ni le flux d'affaires concerné, ni la réitération du recours à TPP par La Mode en Images pour six événements sporadiques, séparés dans le temps, et pour des travaux différents, ne pouvait, en dépit du caractère saisonnier des manifestations liées à la mode, lui laisser penser que les travaux de peinture de la société La Mode en Images continueraient à lui être confiés chaque année. En dehors de ces prestations des fashion weeks, les commandes effectuées par LMI auprès de TPP ne portaient essentiellement que sur la demande d'échantillons, ainsi qu'il ressort de la pièce n° 2 de la société TPP, de telle sorte que les flux commerciaux étaient quasi inexistants entre les fashion weeks. La croissance du chiffre d'affaires réalisé en 2011 avec La Mode en Images par rapport à 2009 est imputable à un défilé Vuitton, opération ponctuelle d'un montant élevé.

Il convient donc de dire que le caractère établi des relations commerciales n'est pas démontré.

Le jugement déféré sera donc infirmé et toutes les demandes de la société TPP et de Me Blériot pour rupture brutale rejetées.

Sur la demande reconventionnelle de la société LMI

La société LMI demande, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, que la société TPP soit condamnée à lui verser la somme de 100 000 euros pour :

- s'être rendu coupable de mensonges selon lesquels elle aurait été victime d'un boycott de la part de la société LMI,

- avoir eu un comportement manifestement déloyal de manière à éviter un débat contradictoire loyal en versant tardivement aux débats un document supposé rapporter cette preuve (courriel adressé à la société Concept et Volume le 26 mars 2013),

- avouer implicitement son comportement fautif en n'étendant pas son appel incident au boycott.

La société TPP répond que la faute alléguée par la société LMI à son encontre tout comme le préjudice qu'elle prétend avoir subi, n'existent pas, car :

- cette demande n'a plus lieu d'être dans la mesure où n'ayant pas pu rassembler suffisamment d'éléments de nature à prouver la réalité et l'étendue de ces pratiques, elle a elle-même renoncé en appel à sa demande à ce titre,

- les accusations de TPP n'étaient pas mensongères et n'ont jamais été démenties par les partenaires concernés,

- elle n'a pas commis de faute en saisissant la justice afin de tenter de faire sanctionner une pratique de boycott,

- la société LMI ne démontre pas avoir subi le moindre préjudice du fait des accusations de TPP.

En tout état de cause, elle demande le débouté de LMI de cette demande puisqu'elle ne justifie en aucun cas avoir déclaré sa prétendue créance dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire ouverte à l'encontre de la société TPP le 7 août 2014.

Mais une action en justice ne dégénère en abus de droit que si, manifestement vouée à l'échec, elle ne vise en réalité qu'à nuire à la société assignée. La circonstance que la société TPP ait pu se tromper dans l'étendue de ses droits ne saurait démontrer cette intention, ni la seule circonstance qu'elle ait abandonné sa demande pour boycott contre la société LMI, faute de preuve.

La demande de la société LMI pour procédure abusive sera donc rejetée et le jugement déféré confirmé sur ce point.

Sur les dépens et frais irrépétibles

Succombant au principal, la société Traitement Peinture au Pistolet et Maître Bleriot, commissaire à l'exécution du plan, seront condamnés in solidum à supporter les dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à payer à la société La Mode en Images la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de la société La Mode en Images pour procédure abusive ; et, statuant à nouveau, déboute la société Traitement Peinture au Pistolet et Maître Bleriot, commissaire à l'exécution du plan, de toutes leurs demandes pour rupture brutale des relations commerciales établies ; condamne la société Traitement Peinture au Pistolet et Maître Bleriot, commissaire à l'exécution du plan, in solidum, à supporter les dépens de première instance et d'appel ; condamne la société Traitement Peinture au Pistolet et Maître Bleriot, commissaire à l'exécution du plan, in solidum, à payer à la société La Mode en Images la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.