CA Amiens, 1re ch. civ., 15 janvier 2019, n° 17-02659
AMIENS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
La Louverie du Manoir (EARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bareyt Catry
Conseillers :
MM. Delbano, Adrian
Avocats :
Mes Ecombat, Denecker, Couvercelle, Delavenne, Alligne
Décision :
Début juin 2014, Madame Fanny L. a fait l'acquisition auprès de Monsieur Franck C. et de son élevage la Louverie du Manoir d'un chien de race 'loup tchécoslovaque' dénommé 'Janka d. Blanche' pour le prix de 1800 réglé le 8 juin 2014 en espèces selon un contrat écrit daté du 8 juin 2014 (pièce appelant 1).
Quelques jours auparavant, 'courant mai', elle était venue choisir le chien.
Le 4 mai 2015, par l'intermédiaire de son conseil, elle se plaignait auprès du vendeur de ce que la vente n'avait pas été faite avec toutes les pièces justificatives. Puis le 19 septembre 2016 elle se plaignait de ce que l'animal qui lui avait été remis le 8 juin 2014 n'était pas le chiot qu'elle avait
choisi et que celui qui lui avait été remis était atteint d'une maladie génétique, la myélopathie dégénérative.
Faute d'accord amiable, elle assignait M. C. devant le tribunal d'instance de Saint Quentin le 7 mars 2017. M. C. ne comparaissait pas.
Le tribunal d'instance par jugement du 19 mai 2017, dont appel a été régulièrement relevé par M. C. et l'EARL La Louverie du Manoir :
- condamnait M. C. à restituer une somme de 1500 'au titre de l'absence de conformité du chien vendu le 5 juin 2015",
- condamnait M. C. à payer à la demanderesse 2000 de dommages et intérêts : 1000 au titre de son préjudice matériel et 1000 au titre de son préjudice moral.
Dans ses conclusions du 10 octobre 2017, M. C. et l'EARL demandent à la cour :
- dire irrecevable l'action dirigée en première instance contre M. C. seul,
- en conséquence infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- subsidiairement sur le fond, débouter Mme L. de ses demandes,
- la condamner à lui payer 1000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Mme L. a constitué avocat devant la cour et a conclu le 14 novembre 2017, pour solliciter la confirmation du jugement, sauf à augmenter le montant des condamnations aux sommes de 2000 pour la non conformité et 4000 pour les préjudices accessoires, outre 4000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Sur ce
1. Sur l'irrecevabilité tirée de ce que l'action n'a été dirigée que contre M. C..
Les propositions de vente de chiots publiées sur internet sont faites au nom personnel de 'Franck C.' et le contrat produit en appel (pièce appelant 1) indique comme vendeur 'C. F.' et seulement sur la ligne du dessous, sans indiquer d'entité juridique, 'Louverie du manoir' ; c'est donc bien M. C. qui est le vendeur du chien, quelques soient ensuite ses rapports avec l' EARL La Louverie du Manoir.
Le moyen n'est pas fondé.
2. Sur l'action en nullité pour dol.
Devant la cour, Mme L. met en avant à titre principal, pour éviter les problèmes de prescription, le fait que l'éleveur aurait fait un échange de chiens entre celui qui lui a été présenté lors d'une visite préalable courant mai 2014, faite avec sa meilleure amie et le père de celle ci, et celui qui lui a été remis le jour de la vente.
Lors de cette visite, M. C. lui aurait présenté un chien en lui donnant le nom du père 'Fantastik Wolwerine', père de 'Janka' mais le jour de la vente, il lui aurait remis un autre chien affecté du gène, ce que conteste formellement M. C..
Mme L. renvoie à la pièce n° 8 comme à une preuve, sans autre explication, mais il n'est pas possible d'en tirer une telle conviction.
L'attestation faite par le père de son amie, M. M. (pièce intimé 2C), n'est pas signée et n'est pas écrite de sa main et ne fait que décrire la visite préalable.
L'autre attestation émane d'elle même et n'a pas de valeur probante légale.
Les photos du chiot de Mme L. n'offrent pas de comparaison avec le chiot choisi lors de la première visite.
La prétention de dol ou de défaut de conformité intentionnel manque en fait et doit être rejetée.
3. Sur la garantie des vices cachés et le défaut de conformité.
Il est certain au vu d'une analyse génétique produite aux débats par l'intimé dont la facture est datée du 2 février 2015 (pièce intimé 5), qui a convaincu le premier juge, que le chien 'Janka' dont elle dispose est atteint d'une myopathie dégénérative, maladie génétique qui entraînera la paralysie du train arrière du chien entre ses 8 ans et ses 14 ans selon les documents versés aux débats et qui est transmissible à 100% à sa descendance selon le certificat de Mme M. ingénieur en génétique.
M. C. ne conteste pas cette réalité mais soutient que le développement de la paralysie n'est pas certain, 'c'est un risque' ; quoiqu' il en soit, c'est assurément un vice ou un défaut substantiel de l'objet acheté et l'absence de cette pathologie dans la liste des maladies des articles L 213-1 et suivants du code rural est sans conséquence dès lors que ces textes établissent une présomption de vice qui n'est pas exclusive d'autres vices.
Toutefois, l'action en garantie des vices cachés prévue par le code rural, articles L 213-1 et suivants, qui s'exerce dans des délais très courts est prescrite.
A juste titre, M. C. soutient il que la jurisprudence est bien fixée pour tirer de l'existence de cette garantie spécifique une exclusion de l'application du droit commun des articles 1641 et suivants du code civil, dont acte.
Toutefois, l'article L. 213-1 du code rural a été réécrit pour faire place à la protection du consommateur lorsque la vente est conclue entre un professionnel, ce qui est le cas de M. C., comme l'a bien relevé le premier juge, et un consommateur, ce qui est encore indéniablement le cas de Mme L., et le texte applicable à l'époque du contrat renvoyait déjà à la 'garantie de conformité' des articles L 211- 1 et suivants du code de la consommation, ce qu'admettent les parties.
Le premier juge a appliqué ces textes, alors que M. C. n'avait pas comparu et n'avait pas soulevé la prescription de deux ans, ce qu'il fait en appel.
L'article L 211-12 dispose que cette garantie de conformité 'se prescrit par deux ans à compter de la délivrance du bien' alors que l'article 1648 du code civil fait partir ce délai de 'la découverte du vice'. L'assignation étant du 7 mars 2017, M. C. soutient que l'action est prescrite de sorte que le jugement doit être 'entièrement réformé'.
Mme L. fait valoir en réponse que sa première mise en demeure adressée par son premier conseil à M. C. date du 5 mai 2015 (pièce intimé 9), quelques mois après l'analyse génétique qui a révélé la maladie du chien et avant l'expiration du délai de deux ans à compter de la délivrance du bien intervenue le 2 ou le 5 juin 2014.
Seule la première page, le recto de cette mise en demeure (pièce intimé 9) est versé aux débats, et il ne peut en être tirée une sommation ferme tirée de la maladie dont le chien est affecté alors que le texte de la lettre n'évoque qu'un manque de documents accompagnant la vente, de sorte que la question de savoir si elle pourrait être assimilée à une demande en justice ne peut même pas être posée.
Force est d'admettre que l'action a été intentée tardivement le 7 mars 2017 et que l'action est prescrite.
L'action principale étant prescrite, les demandes complémentaires en dommages et intérêts ne peuvent pas être reçues non plus.
Le jugement sera réformé.
3. Sur les demandes accessoires relatives aux dépens et aux frais non compris dans les dépens.
La réformation du jugement doit conduire à mettre les dépens de première instance et d'appel à la charge de Mme L..
Il n'est pas inéquitable en l'espèce que chacune des parties conserve la charge de ses frais non compris dans les dépens.
Par ces motifs LA COUR, statuant publiquement par arrêt réputé contradictoire rendu en dernier ressort, Réforme le jugement rendu par le tribunal d'instance de Saint Quentin le 19 mai 2017, Statuant à nouveau, Déclare irrecevables comme prescrites les actions en garantie des vices cachés et en garantie de conformité, Déboute Madame Fanny L. de son action fondée sur le dol du vendeur, Condamne Madame Fanny L. aux entiers dépens de première instance et d'appel, laisse à chacune des parties la charge de ses frais non compris dans les dépens.