CA Rennes, ch. com. 3, 15 janvier 2019, n° 16-03797
RENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Entrepôts et transports barbe (SA)
Défendeur :
Fauveder (SAS), Philippe fauveder et compagnie (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Calloch
Conseillers :
Mme Jeorger le gac, M. Garet
Avocats :
Mes Chaudet, Bourayne, Renaudin, Gourvennec, Geslin Omnes, Louis Dit Bizeau
Par jugement du 4 mai 2016, le tribunal de commerce de Saint Nazaire a :
Débouté la société FAUDEVER de sa demande de sursis à statuer, débouté la société FAUDEVER de sa demande visant à ordonner à la société SEAFRIGO de communiquer son registre d'entrée et de sortie du personnel,
Débouté la société SEAFRIGO de toutes ses prétentions, rejeté les demandes de dommages et intérêts des sociétés FAUDEVER, condamné la société SEAFRIGO à payer à chacune des sociétés FAUDEVER la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Ordonné l'exécution provisoire, condamné la société SEAFRIGO aux dépens.
Appelante de ce jugement, la SAS ENTREPOTS ET TRANSPORTS BARBE dite SEAFRIGO, par conclusions du 10 octobre 2018, a demandé que la Cour :
Infirme le jugement déféré, lui donne acte de ce qu'elle se désiste de ses prétentions contre la SAS FAUDEVER, ordonne à la société FAUDEVER sous astreinte de 5.000 par jour de retard passé un délai de huit jours suivant la signification de l'arrêt de cesser d'employer ensemble M. Arnaud L. et Mme Ekaterina S. d'une part, et Mme Thi Huyen N. et Mme Anne Marie M. d'autre part,
Condamne la société FAUDEVER à lui payer à titre de dommages et intérêts :
128 227 euros au titre du gain manqué, 711 579 euros au titre du manque à gagner, 116 505 euros au titre de la perte de productivité, 50 000 euros au titre de l'atteinte à la marque,
Subsidiairement ordonne une expertise pour déterminer son préjudice, ordonne la publication de l'arrêt à intervenir en langue français ou anglaise aux frais de la société FAUDEVER, dans trois journaux ou revues nationales ou internationales au choix de la société SEAFRIGO, dans la limite de 20 000 euros HT,
Ordonne l'affichage du dispositif de l'arrêt durant trois mois à compter du 8ème jour de la signification de l'arrêt sur la page d'accueil du site internet de la société FAUDEVER ainsi que sur sa page FACEBOOK, en ce en langue française et anglaise, dans un encadré occupant toute la partie haute de la page et un tiers de la hauteur de la page, en caractères gras de taille suffisante pour occuper tout l'espace de l'encadré qui lui est réservé, sous astreinte d 5 000 euros par jour de retard,
Autorise la société SEAFRIGO à adresser à l'ensemble de ses clients ayant eu recours à ses services durant les 24 derniers mois pour des services de groupage reefer LCL ou FCL à
Destination ou en provenance de l'ASIE/AUSTRALIE/NOUVELLE ZELANDE une lettre circulaire reprenant en totalité ou par extraits l'ordonnance à intervenir, dise que cette lettre circulaire pourra faire l'objet d'une traduction en anglais et/ou toute autre langue étrangère,
Condamne la société FAUDEVER à lui payer la somme de 45 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La condamne aux dépens avec droit de recouvrement pour ceux dont il a été fait l'avance.
Par conclusions du 16 octobre 2018, la SAS FAUDEVER et la SA PHILIPPE FAUDEVER et COMPAGNIE ont sollicité que la Cour :
Confirme le jugement déféré, condamne la société SEAFRIGO à payer à la SAS FAUDEVER la somme de 30 000 euros de dommages et intérêts et à la SA FAUDEVER et COMPAGNIE celle de 50 000 euros,
Déboute la société SEAFRIGO de toutes ses demandes, subsidiairement, modifie la mission l'expert désigné pour évaluer le préjudice, condamne la société SEAFRIGO à leur payer à chacune la somme de 15 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, la Cour renvoie aux conclusions susvisées.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur la procédure :
Il convient d'ores et déjà de constater que la société TRANSPORTS BARBE (SEAFRIGO) se désiste de ses prétentions contre la SAS FAUDEVER.
S'agissant de la demande de dommages et intérêts présentée par cette dernière, aucun préjudice n'est démontré en dehors de l'engagement de frais irrépétibles et sa demande indemnitaire pour procédure abusive est par conséquent rejetée.
La société SEAFRIGO, qui l'a attraite en première instance et en cause d'appel bien qu'il ait été explicite depuis l'origine que seule la SA PHILIPPE FAUDEVER et COMPAGNIE était l'employeur des quatre salariés litigieux est condamnée à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Sur la concurrence déloyale :
La société SEAFRIGO fonde son action en concurrence sur trois griefs : l'embauche et le maintien en fonction de deux anciens salariés tenus par une clause de non concurrence, le débauchage de quatre salariés ayant conduit à une désorganisation massive du service, le détournement de clientèle. L'embauche et le maintien dans leurs fonctions de deux salariés tenus par une clause de non concurrence :
Ces deux salariés sont M. Arnaud L. et Mme S...
M. L. a été embauché comme technico-commercial en 1998 et par avenant du 18 décembre 2013, son contrat de travail a été modifié : il est devenu Directeur commercial export Europe Zone Asie/Australie, moyennant une rémunération mensuelle brute de 5 678 euros, un poste fixé au Havre, et une clause de non concurrence rédigée comme suit : 'compte tenu de la nature de ses fonctions et des informations commerciales dont M. Arnaud L. dispose, il s'engage, en cas de rupture du contrat de travail, pour quelque cause que ce soit, à ne pas s'intéresser directement ou indirectement à titre onéreux ou gratuit à la clientèle de la société SEAFRIGO, à ne pas entrer au service d'une société concurrente. Cette interdiction de concurrence est applicable pendant une durée d'un an au secteur géographique suivant : au nord d'une ligne Brest Mulhouse et sur la Chine et le Japon. Cette interdiction concerne la commercialisation de prestations de plateformes et commissions de transport pour des produits sous température dirigée, en toutes qualités (salarié ou indépendant). Elle s'appliquera du jour du départ effectif de M. B..'
M. L. a démissionné le 21 février 2015 de la société SEAFRIGO et été embauché à compter du 24 février 2015 par la société FAUDEVER sur son site de Montoir de Bretagne (44) en qualité de Directeur du développement R. (nb : transport de produits sous température dirigée) pour promouvoir cette activité, ouvrir de nouvelles destinations et développer la clientèle, notamment agroalimentaire, moyennant un salaire annuel brut de 80 000 euros par an (6.666 euros brut par mois) outre une part variable basée sur les nouveaux clients et dossiers.
Le contrat de travail de M. L. au sein de la société FAUDEVER comporte la mention suivante :'M. Arnaud L. accepte cet engagement et déclare formellement n'être lié à aucune entreprise et avoir quitté son emploi libre de tout engagement'.
Il en résulte que la société FAUDEVER a vérifié auprès de M. L. qu'il n'était tenu à aucun engagement envers un précédent employeur, et il ne peut lui être reproché de ne pas avoir remis en cause la réponse de son nouveau salarié, une présomption de bonne foi régissant les rapports de parties à un contrat.
La société SEAFRIGO prétend toutefois que la société FAUDEVER aurait tenté de cacher les véritables fonctions de M. L. en le présentant comme 'responsable qualité', ce qui démontrerait qu'elle avait connaissance de l'existence de sa clause de non concurrence.
Cette allégation repose sur une constatation de l'huissier ayant réalisé la mesure de constat du 20 mai 2015 dans les bureaux du Havre, selon laquelle : 'sur la dernière photo écran, n°8, une fiche indique qu'un dénommé Arnaud, à la rubrique Alias, est responsable qualité au sein de la SA FAUDEVER et Cie à Montoir de Bretagne' aucun fait tangible raccrochable à M. L. ne peut être déduit d'une telle constatation.
Par ailleurs, le 08 Juin 2015, il a été saisi lors d'un autre constat, réalisé à Montoir de Bretagne, un courriel (le constat ne fait pas apparaître sa date) adressé par M. L. à un client, se présentant comme 'Directeur Développement Reefer', sous l'adresse ReeferDev. [email protected], adresse parfaitement explicite quant aux fonctions exercées par M. L...
Il en résulte qu'il n'est pas démontré que la société FAUDEVER ait embauché M. L. en toute connaissance de cause de l'existence d'une clause de non concurrence dans son ancien contrat de travail.
En l'absence de mise en demeure de la société SEAFRIGO, il doit être considéré que la société FAUDEVER a eu connaissance de cette clause le 20 mai 2015 lorsque lui a été présentée l'ordonnance sur requête permettant à l'huissier d'effectuer une mesure de constat.
Contrairement à ce qu'indique la société SEAFRIGO, la société FAUDEVER n'était tenue d'aucune obligation de licencier M. L. pour ce motif, et devait simplement veiller à ce qu'à compter de cette date, il respecte la clause litigieuse. Ce point sera examiné plus bas.
Il en résulte que le grief tenant à l'embauche illicite de M. L. n'est pas établi.
Mme Ekaterina S. a été embauchée par la société SEAFRIGO à compter du 02 août 2010, en qualité de commerciale ; son contrat a été modifié le 22 mai 2014 et elle a été promue au poste de responsable commerciale zone Chine/Taiwan/Australie, avec un statut cadre et une rémunération brute mensuelle de 3 500 euros.
Son contrat contenait la clause de non concurrence suivante : 'Compte tenu de ses fonctions de responsable commerciale ainsi que des informations stratégiques de nature commerciales et opérationnelles auxquelles elle a accès au sein de notre société ainsi que des liens privilégiés avec notre clientèle, Mme Ekaterina S. s'interdira à l'expiration du présent contrat d'entrer au service d'une société concurrente ou exerçant une activité concurrente, soit la commission de transport en général, relative aux produits agroalimentaires sous température dirigée et d'exercer directement ou indirectement, toute activité de commerce sur les zones dont elle aura la charge à la rupture de son contrat, qui sont, au jour de la rédaction du présent avenant: Chine/Taiwan/Australie à l'export, relative aux produits alimentaires sous température dirigée et auprès de la clientèle et des interlocuteurs dont elle avait la gestion au jour de la notification de la rupture du contrat, et ce pendant une durée de douze mois, et quelques soient les motifs et l'origine de la rupture. Cette clause de non concurrence est limitée géographiquement aux régions suivantes : Haute Normandie, Basse Normandie, Ile de France, Bretagne, Bouches du Rhône. Il est précisé que la date effective de cessation d'activité constitue le point de départ de l'exécution de la clause de non concurrence par le salarié'.
Mme S. a démissionné le 23 octobre 2014 et durant sa période de préavis a bénéficié d'un arrêt de travail pour maladie et de congés payés.
Elle a été embauchée à compter du 17 février 2015 par la société FAUDEVER sur le site de Montoir de Bretagne en qualité de responsable commerciale du développement reefer, ses fonctions consistant en la promotion globale de l'offre de service reefer, ouverture de nouvelles destination reefer et développement d'une nouvelle clientèle reefer, notamment agroalimentaire, moyennant un salaire fixe brut de 55.000 euros par an (4 583 euros brut par mois) et une part variable en fonction des nouveaux dossiers et clients.
Mme SERDIUKOVA a certifié, en signant son nouveau contrat de travail qu'elle acceptait 'cet engagement et déclare formellement n'être liée à aucune entreprise et avoir quitté son précédent emploi libre de tout engagement'.
Pour les mêmes motifs que pour M. L., il ne peut être considéré que l'employeur devait se livrer à d'autres vérifications, ne pas se contenter de la parole de son employée, et avoir eu l'obligation de la licencier dès qu'il a eu connaissance de son mensonge.
La société SEAFRIGO expose que Mme S. aurait cherché à camoufler son identité en envoyant des emails à des clients sous l'identité 'Caroline', comme le démontreraient deux courriels saisis lors du constat du 08 juin 2015 ; toutefois, le constat ne mentionne pas qu'une mesure d'investigation ait été effectuée sur l'ordinateur de Mme S. et ne précise pas sur quel poste ont été saisis ces courriels, adressés depuis une adresse [email protected], qui ne permet pas d'en connaître l'auteur. Le 'camouflage' de Mme S. n'est ainsi pas établi.
Il en résulte que le premier grief, à savoir l'embauche en toute connaissance de cause de salariés liés par une clause de non concurrence, n'est pas fondé.
Sur le grief de débauchage massif ayant entraîné la désorganisation de l'entreprise :
Deux autres salariés (sur un effectif de 161 personnes au 31 décembre 2014) ont rejoint la société FAUDEVER.
Mme Anne Marie M., qui exerçait au Havre les fonctions d'agent logistique, a démissionné le 09 février 2015 et a quitté ses fonctions le 09 mars 2015, après un mois de préavis ; elle n'était pas liée à son ancien employeur par une clause de non concurrence ; elle a été embauchée au sein de la société FAUDEVER pour exercer ses fonctions en télétravail.
Cette dernière verse aux débats une attestation de Mme M., qui demeure désormais en Loire Atlantique et qui expose que travaillant au Havre, elle était séparée de son compagnon qui travaillait en Loire Atlantique ; elle atteste avoir demandé à la société SEAFRIGO de la muter à Montoir de Bretagne, ce que cette dernière a refusé, de même qu'une rupture conventionnelle demandée par la suite. Elle indique s'être alors tournée vers la société FAUDEVER qui disposait de bureaux à Montoir de Bretagne.
Est versée aux débats pour corroborer ses dires le courrier lui ayant été adressé le 25 septembre 2014 par la société SEAFRIGO pour lui refuser la rupture conventionnelle qu'elle avait sollicité.
Parallèlement, aucun acte concret de débauchage n'est justifié pour cette salariée par la société SEAFRIGO, ce dont il résulte que la concernant, le grief de débauchage n'est pas fondé, Mme M. ayant eu des motifs légitimes de vouloir quitter son ancien employeur.
Enfin, le compagnon de Mme M. ayant été muté dans son entreprise, le couple a quitté la région et en août 2016, Mme M. a bénéficié d'une rupture conventionnelle avec la société FAUDEVER.
Mme Thi Huyen N. a démissionné le 10 février 2015 de son poste d'assistante commerciale (sous les ordres de M. L.) chez SEAFRIGO, à effet du 27 février 2015. Elle n'était pas liée par une clause de non concurrence à son ancien employeur et a été embauchée par la société FAUDEVER.
La société SEAFRIGO ne précise pas quelles sont ses fonctions exactes au sein de la société FAUDEVER, cette dernière précisant pour sa part que Mme N. travaille sur le site du Havre alors que M. L., Mme S. et Mme M. travaillent à Montoir de Bretagne.
Elle ne précise pas non plus à quelles manœuvres se serait livrée la société FAUDEVER pour la débaucher, dans une période où cette dernière démontre que la société SEAFRIGO a connu au moins douze autres départs, dont trois de directeurs commerciaux (Messieurs M., T., L.) et/ou de huit salariés sur la zone Asie, sans que ceux-ci soient embauchés par la société FAUDEVER ; une telle situation démontre l'importante mobilité des salariés du secteur, y compris à des postes de direction, et ne permet pas d'imputer, à défaut de toute démonstration d'acte positif de débauchage, le départ de Mme N. à une faute de la société FAUDEVER.
S'agissant de l'embauche de Mme S., la société SEAFRIGO plaide que l'importante augmentation de salaire dont cette dernière a bénéficié démontrerait le caractère déloyal de son débauchage.
Pour autant, les salariés n'appartiennent pas à leur employeur et il est heureux qu'ils puissent chercher à être mieux rémunérés en en changeant.
D'autre part, la société FAUDEVER a versé aux débats un courriel lui ayant été fourni par Mme S. qui démontre que dès le mois d'août 2014, soit deux mois avant sa démission de la société SEAFRIGO, elle était en contact avec un cabinet de recrutement qui lui faisait passer des entretiens.
Il est ainsi démontré que Mme S. cherchait à quitter la société SEAFRIGO nonobstant toute manœuvre de la société FAUDEVER.
D'autre part, les mesures de constat autorisées sur requête sont probantes à la fois pour ce qui y est découvert et ce qui ne l'est pas: en d'autres termes, alors que la société SEAFRIGO disposait d'une ordonnance lui permettant diverses recherches en lien avec l'embauche de Mme S. et a eu accès aux ordinateurs et fichiers de la société FAUDEVER, l'huissier n'a pu trouver aucune pièce qui établisse ne serait-ce qu'une présomption de débauchage (notamment des contacts antérieurs à l'embauche), sachant que la charge de la preuve repose sur l'appelante et non sur les moyens de défense développés par l'intimée (quant à son processus d'embauche).
Ensuite la société SEAFRIGO reproche à Mme S. d'avoir volontairement saboté l'ordinateur fixe mis à sa destination par la société, pour y ôter toutes les données en rapport avec son activité.
Mme S. a adressé sa lettre de démission le 23 octobre 2014 et a pris des congés du 06 au 16 janvier 2015, puis s'est trouvée en congés maladie jusqu'au 05 février 2015 ; elle était donc absente des locaux de l'entreprise durant un mois; à son retour, qui se situe donc avant son embauche par la société FAUDEVER, l'attendait un huissier de justice qui lui a fait ouvrir avec son mot de passe son ordinateur fixe (resté dans les locaux de la société) pour découvrir que l'ensemble des données, sauf celles accessibles par le réseau de l'entreprise, en avaient été effacées, la dernière intervention sur l'appareil étant notée comme ayant eu lieu le 24 janvier 2014, soit une année auparavant!
Outre le fait qu'une telle manière de procéder pour un employeur est inhabituelle et témoigne d'un contexte social délétère dans l'entreprise, un tel constat est insuffisant à démontrer que Mme S. soit à l'origine de la déperdition des données, son poste de travail étant resté durant un mois dans l'entreprise sans qu'elle y soit présente.
Par ailleurs, dans toute société, les données importantes de chaque poste sont accessibles par le réseau et stockées sur une sauvegarde commune, dont la société SEAFRIGO ne fait pas mention.
En tout état de cause, aucun 'sabotage' de Mme S. n'est démontré.
S'agissant de M. L., il doit être rappelé que le fait de lui avoir proposé une augmentation notable de rémunération n'est pas en soi un acte de débauchage et que les mesures de constat autorisées par ordonnance sur requête n'ont pas révélé la moindre pièce laissant présumer d'acte déloyal de la société FAUDEVER lors de son embauche.
Il reste donc à considérer dans quelle mesure l'embauche concomitante de ces quatre personnes a pu conduire à désorganiser le département ASIE/AUSTRALIE de la société SEAFRIGO.
Sur ce point, les arguments développés par les parties dans l'instance prud'hommales relative à M. L. et notamment les conclusions développées par la société SEAFRIGO devant le Conseil des Prud'hommes du Havre, permettent d'établir que quelques semaines après que Monsieur L. ait été nommé au mois de Décembre 2013 directeur commercial à l'export de la zone Asie Australie, ce secteur a été profondément remanié. D'une part le dirigeant numéro 2 du groupe SEAFRIGO s'est établi en Asie en 2014, avec centralisation des achats (négociation des tarifs et demandes de conteneurs) autrefois dévolus aux équipes commerciales. D'autre part, le secteur commercial de M. L. a été redistribué et divisé entre trois personnes, M. L., M. L. et Mme S... Ensuite, a été désignée une coordonnatrice des directeurs commerciaux. Enfin, la 'responsabilité opérationnelle' de la zone Asie a elle-même été divisée entre trois autres responsables (M. F., Mme L. et Mme J.), les conclusions de la société SEAFRIGO évoquant même des ajustements supplémentaires.
Par ailleurs, selon les mêmes conclusions, M. L. a eu sous ses ordres un personnel mobile (CDD, stagiaires, apprentissage, salaires mutés), et selon l'entreprise, chaque directeur commercial n'avait besoin que de deux ou trois assistants fixes.
Ces circonstances de fait démontrent que contrairement à ce qu'affirme la société SEAFRIGO, les compétences spécifiques au secteur de l'Asie/Australie n'étaient pas détenues par une petite équipe commerciale qui aurait été composée des quatre salariés litigieux; d'une part, M. L. et Mme S. ne travaillaient plus ensemble, d'autre part, la réorganisation survenue en 2014 avait conduit à réduire leurs compétences respectives (notamment à ne plus être chargés de la négociation des tarifs et conteneurs), avec dispersion de leurs connaissances entre différents acteurs, et notamment un dirigeant Asie, basé sur place, et une coordinatrice intervenant pour sa part en France.
Il en résulte que la désorganisation alléguée, notamment au regard de l'importance du nombre de salariés de la société SEAFRIGO à l'époque des faits (160 au total) - à rapporter à l'absence de compétence spécifique de deux des salariés litigieux (Mesdames M. et N.) - ainsi que la profonde réorganisation dont le service venait de faire l'objet, conduisant à un partage des compétences au sein de l'entreprise, ne permettent pas de conclure à la désorganisation de l'activité R. pour l'Asie et l'Australie.
Dès lors, la démonstration d'un débauchage illicite et massif ayant conduit à la désorganisation totale de la branche référé pour l'Asie et l'Australie n'est pas apportée.
Le détournement de clientèle :
Sur ce point, la responsabilité de la société FAUDEVER ne peut se confondre avec la violation par M. L. de la clause de non concurrence insérée à son contrat de travail.
Il est en effet acquis aux débats, compte tenu des termes de l'arrêt de la Cour d'Appel de Rouen du 23 mai 2017 que M. L. a commis trois infractions à la clause de non concurrence insérée à son contrat de travail en effectuant des démarchages au Japon de la société UNIX CORPORATION, d'autres clients en Chine et au Japon, et de la société CASCINE E.
Pour retenir la responsabilité de la société FAUDEVER il doit être établi que cette dernière l'a laissé en toute connaissance de cause violer la clause litigieuse et la Cour a dit plus haut qu'il n'était pas démontré qu'elle en ait eu connaissance avant le premier constat du 20 mai 2015.
Par ailleurs, M. L., compte tenu de la clause litigieuse, ne pouvait pas démarcher un client situé en zone interdite alors même que celui-ci aurait été un ancien client de la société FAUDEVER ; pour autant, dans un tel cas de figure, la société FAUDEVER en poursuivant ses relations avec ce client postérieurement à l'embauche de M. L. ne commet aucune faute; en effet, FAUDEVER est-elle même une entreprise établie dans le transport de marchandises, dont le reefer n'est qu'une branche spécifique.
Ensuite, le détournement de clients d'un concurrent est parfaitement licite du moment qu'il ne s'accompagne d'aucun acte déloyal, sachant que la société FAUDEVER a démontré par diverses pièces de nature générale (presse spécialisée ou locale) que le secteur du R. connaît un développement considérable à l'heure actuelle, avec mise en place d'investissement majeurs par des groupes d'importance mondiale (notamment le groupe BOLLORE) ; il en résulte immédiatement qu'aucune déduction ne peut être tirée d'une diminution de chiffre d'affaires de l'un des acteurs du secteur, la concurrence étant manifestement agressive.
Pour démontrer l'existence d'actes de concurrence déloyale imputables à la société FAUDEVER, la société SEAFRIGO se sert principalement des données résultant des constats effectués en mai et juin 2015.
Elle établit sa démonstration autour des clients SILL, FB SOLUTIONS, CLASSIC FINE FOODS, IMPORT OF FRANCE, ELVIR, seuls clients communs pour lesquels elle ait pu trouver des documents lors des deux constats précités, et cite quelques autres clients sans développer réellement de moyens autour d'eux.
Les données saisies lors des constats démontrent que les sociétés SILL et FB SOLUTIONS étaient déjà clientes de la société FAUDEVER en 2014, soit avant l'embauche de M. L...
S'agissant des sociétés CLASSIC FINE FOODS, IMPORT OF FRANCE, ELVIR, la société SEAFRIGO démontrent qu'elles étaient ses clients mais ne justifie que la société FAUDEVER les aient détournés, les courriels versés aux débats étant à cet égard insuffisants.
Elle admet d'ailleurs dans ses conclusions que certains clients continuent de faire appel aux deux sociétés.
Au demeurant, une action en concurrence déloyale ne peut raisonnablement être fondée sur le détournement même avéré d'une dizaine de clients lorsque l'on est soi-même une société réalisant un chiffre d'affaires de plus de 100 millions d'euros par an en exerçant dans un secteur soumis à une concurrence mondiale.
L'ensemble de ces motifs justifie que le jugement déféré soit confirmé et que la société SEAFRIGO soit déboutée de toutes ses demandes.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
La société SEAFRIGO, qui succombe, supportera la charge des dépens d'appel et paiera à la société FAUDEVER la somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.