CA Douai, 1re ch. sect. 1, 17 janvier 2019, n° 17-05334
DOUAI
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Houdan cuisines (SA)
Défendeur :
Montepulciano (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Masseron
Conseillers :
Mmes Boutié, Aldigé
Avocats :
Franchi, Vandamme, Buffetaud
La S. C.I Montepulciano a confié à la S. A.R. L F. D.C Rénovation des travaux de rénovation et la division en lots de deux immeubles récemment acquis à Tourcoing, l'un sis 50 rue Faidherbe, l'autre 28 rue de Wailly. Concernant ce dernier immeuble, suivant devis en date du 26 juin 2014, le marché a été conclu pour le prix de 550 000 euros TTC, que le maître de l'ouvrage a intégralement acquitté par le versement de onze acomptes entre le 1er octobre 2014 et le 24 août 2015.
Le 5 décembre 2014, la S. A.R. L F. D.C Rénovation a ouvert un compte client auprès de la S. A. Houdan Cuisines, société fabriquant et commercialisant du mobilier de cuisine à destination exclusive des professionnels de l'habitat. Elle a versé un acompte à valoir sur le paiement de ces éléments de 3 000 euros. Le 5 février 2016, la S. A. Houdan Cuisines a livré huit éléments de cuisines équipées pour le chantier de Wailly.
La S. A.R. L F. D.C Rénovation a été placée en liquidation judiciaire par décision du tribunal de commerce de Lille Métropole du 4 janvier 2016.
Alléguant que la gérante de la SCI Montepulciano s'était engagée à lui payer à la place de la S. A.R. L F. D.C Rénovation le solde des factures impayées, la S. A. Houdan Cuisines l'a assignée par acte en date du 9 août 2016 devant le tribunal d'instance de Lille aux fins d'obtenir sa condamnation, sur le fondement de l'article 1371 du code civil, à lui payer la somme de 9 137,35 euros augmentée des intérêts au taux de trois fois le taux d'intérêt légal, conformément à l'article 3 alinéa 2 des conditions générales de vente.
Par jugement en date du 7 juillet 2017, le tribunal d'instance a débouté la demanderesse de ses prétentions et l'a condamnée à payer la somme de 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
La S. A. Houdan Cuisines a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 23 février 2018, l'appelante fait essentiellement valoir que la notion de quasi contrats n'est pas réservée aux seuls cas prévus par le code civil ; la jurisprudence ayant ainsi admis l'existence de quasi contrats innomés, notamment en matière de loterie publicitaire où elle a appliqué les dispositions de l'article 1371 du code civil en considérant que le fait d'annoncer un gain à personne dénommée sans mettre en évidence l'existence d'un aléa constitue un fait volontaire dont il résulte l'engagement de délivrer le gain, ainsi qu'en matière d'engagement pris par une société repreneuse dans le cadre d'un plan de cession. Elle soutient que l'existence d'un quasi contrat innommé est établie dans la mesure où :
La gérante de la S. C.I Montepulciano s'est engagée de manière volontaire et non équivoque, sans aucune réserve, à régler le solde des factures restant dû par la S. A.R. L F. D.C Rénovation pour la livraison des cuisines sur le chantier de Wailly aux termes d'un courriel en date du 15 janvier 2016 et par la signature d'un contrat cadre le 18 janvier 2016 dans le but de permettre la facturation à son nom des éléments fournis à la S. A.R. L F. D.C Rénovation; et cet engagement constitue "un fait volontaire de l'homme" au sens de l'article 1371 code civil ;
En absence de toute pose des éléments des cuisines, le contrat de fourniture s'analyse en un contrat de vente, et non pas de sous traitance, de sorte qu'elle n'avait aucun agrément à solliciter du maître de l'ouvrage ;
La S. C.I Montepulciano ne peut opposer une prétendue "erreur de bonne foi" alors qu'au moment de son engagement, elle ne pouvait ignorer ni la liquidation judiciaire de la S. A.R. L F. D.C Rénovation (avec qui elle entretenait des relations étroites ayant en communs deux associés gérants), ni sa qualité de tiers au contrat de fourniture conclu entre le cuisiniste et la S. A.R. L F. D.C Rénovation, ni qu'elle avait acquitté l'intégralité du chantier à la S. A.R. L F. D.C Rénovation ;
Elle a attendu que le délai de déclaration de créance soit écoulé pour revenir sur son engagement de payer pris avant la publication du jugement prononçant l'ouverture de la procédure collective, la privant de ce fait de la possibilité de déclarer sa créance ;
Le devis et les factures communiqués par l'appelante ne mentionnent pas la pose de cuisine ; l'engagement de paiement pris par la S. C.I Montepulciano l'a été spontanément et volontairement sans aucune pression exercée à son encontre.
Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 24 janvier 2018, l'intimée demande la confirmation du jugement entrepris et la condamnation de l'appelante à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
L'intimée fait essentiellement valoir que :
Suite à la déconfiture de la S. A.R. L F. D.C Rénovation, Mme D. a assumé seule la gérance, et c'est seulement huit jours à peine après le changement de gérance qu'elle sera contactée par un représentant de la S. A. Houdan Cuisines lui demandant de payer le solde des factures ;
Sous la pression exercée par le commercial, la gérante était convaincue, à tort, qu'il existait un rapport contractuel direct entre la S. C.I Montepulciano et le cuisiniste, et elle ignorait que les matériels livrés avaient d'ores et déjà été réglés à S. A.R. L F. D.C Rénovation ;
Ce n'est qu'après avoir récupéré les éléments comptables qu'elle se rendra compte, d'une part, que la S. C.I Montepulciano avait réglé à la S. A.R. L F. D.C Rénovation la totalité des sommes réclamées à concurrence de 545 000 euros au titre du chantier de Wailly pour la livraison d'un immeuble constitué de douze lots, clés en main, en ce compris la fourniture et la pose de cuisine, et, d'autre part, que la S. C.I Montepulciano avait été victime des agissement de la S. A.R. L F. D.C Rénovation qui avait appelé le règlement des factures au regard d'un état d'avancement des travaux mensongers, et son préjudice constitué par les travaux payés mais non réalisés s'élève à plus de 230 000 euros ;
C'est donc légitimement que la S. C.I Montepulciano a refusé de payer deux fois la même prestation et elle est fondée à opposer " l'exception d'erreur de bonne foi ";
elle n'est contractuellement tenue d'aucun engagement vis-à- vis de la S. A. Houdan Cuisines ; il n'existe aucun quasi contrat dans la mesure où, en premier lieu, la proposition de règlement qu'elle a formulé le 15 janvier 2016 procède d'une erreur, qui a été immédiatement rectifiée, et ne saurait constituer "un fait volontaire" au sens de l'article 1371 du code civil ; en second lieu, elle n'a jamais en toute connaissance de cause volontairement et sans équivoque accepté de se substituer à la S. A.R. L F. D.C Rénovation ; en troisième lieu, il n'existe aucune gestion d'affaire, paiements indu ou enrichissement sans cause.
MOTIVATION
Sur l'existence d'un quasi contrat.
A titre liminaire, il y a lieu de préciser qu'il sera fait application des dispositions du code civil dans leur version antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve de l'obligation.
En vertu de l'article 1371 du code civil, les quasi contrats sont les faits purement volontaires de l'homme, dont il résulte un engagement quelconque envers un tiers, et quelquefois un engagement réciproque des deux parties
Sur ce
En l'espèce, Mme Sabine M. épouse d'Arras, gérante de la SCI Montepulciano, a adressé un courriel à la SA Houdan Cuisines le 15 janvier 2016 indiquant :
" FDC RENOVATION a actuellement un solde à vous régler pour des cuisines livrées 28 rue de Wailly à Tourcoing.
Pouvez-vous svp me faire parvenir la facture libellée au nom de :
SCI MONTEPULCIANO
91 rue de Croix 59510 Hem
Je vous enverrai notre règlement par chèque dès réception."
Il apparaît, aux termes de ce courriel dont le contenu est clair et dénué de toute ambiguïté, que la SCI Montepulciano s'est engagée spontanément et volontairement à payer à la SCI Houdan Cuisines le solde restant dû par la société FDC Rénovation. Il est ainsi prouvé que la gérante de la S. C.I Montepulciano n'ignorait aucunement qu'elle s'engageait à payer la dette de la S. A.R. L F. D.C Rénovation et que la S. C.I Montepulciano avait bien qualité de tiers au contrat liant cette dernière à la S. C.I Houdan Cuisines. Elle ne justifie aucunement de l'erreur alléguée ou des pressions invoquées dont elle aurait fait l'objet.
L'engagement pris volontairement par-là de payer la date de la S. A.R. L F. D.C Rénovation est matérialisé non seulement par ce courriel aux termes non équivoques mais également par la signature, par la gérante de la S. C.I Montepulciano, le 18 janvier 2016 d'un contrat cadre auprès de la S. C.I Houdan Cuisines. Or, il ressort des courriels échangés entre la S. C.I Montepulciano et S. A.R. L F. D.C Rénovation que la signature de ce contrat de cadre avait pour seul objet de permettre la création d'un compte client au nom de la S. C.I Montepulciano pour rendre possible la facturation à son nom des éléments fournis à la société FDC Rénovation. Ces circonstances factuelles confirment le fait que la volonté de la S. C.I Montepulciano de payer le solde des factures de la S. A.R. L F. D.C Rénovation n'était entaché d'aucune erreur.
Par ailleurs, au moment où la S. C.I Montepulciano a pris cet engagement, elle ne pouvait légitimement ignorer la liquidation judiciaire de la S. A.R. L F. D.C Rénovation intervenue le 4 janvier 2016 en raison de la communauté d'intérêts qu'elle partageait avec cette société et du fait que ces deux sociétés avaient des associés communs. Ainsi, la SCI Montepulciano était cogérée par Mme Sabine M. épouse d'Arras, M. Jean Pierre B., M. Guillaume P. jusqu'au 8 janvier 2016, date à compter de laquelle MM. Jean Pierre B. et Paris ont démissionné de leurs fonctions de gérants, restant associés. Or, M. Jean Pierre B. était également le gérant de la S. A.R. L F. D.C Rénovation.
Au surplus, Mme Sabine M. épouse d'Arras qui cogérait la société depuis ses origines ne saurait valablement prétendre qu'elle ignorait la situation comptable de sa société, et notamment le fait que celle-ci avait payé l'intégralité des factures présentées par la S. A.R. L F. D.C Rénovation pour les travaux de rénovation, la dernière datant du 28 août 2015, soit plusieurs mois avant l'engagement volontaire pris par la gérante de la S. C.I Montepulciano auprès de la S. C.I Houdan Cuisines. Il sera d'ailleurs observé sur ce point que la S. C.I Montepulciano, qui a bénéficié du matériel de cuisine fourni dans les immeubles dont elle est propriétaire, n'établit nullement comme elle l'allègue avoir déjà payé à la S. A.R. L F. D.C Rénovation les factures correspondant à la fourniture de ce matériel dans la mesure où ni le devis du 26 juin 2014 ni les factures ne comprennent de lot afférent à l'installation de cuisines aménagées.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, il apparaît que l'engagement pris par la S. C.I Montepulciano de payer le solde des factures dues par la S. A.R. L F. D.C Rénovation à la S. C.I Houdan Cuisines pour la fourniture des éléments de cuisines équipées pour le chantier afférent à l'immeuble dont elle est propriétaire constitue un fait volontaire de l'homme dont il résulte un engagement à l'égard de la S. A. Houdan Cuisines au sens de l'article 1371 du code civil.
En conséquence, la S. C.I Montepulciano sera condamnée à payer à la S. A Houdan Cuisines la somme de 9 137,35 euros.
L'appelante sera en revanche déboutée de sa demande de condamnation aux intérêts contractuels à compter de la date d'échéance des factures prévus aux conditions générales de vente puisque l'engagement de la S. C.I Montepulciano ne résulte pas du contrat mais d'un quasi contrat.
S'agissant d'une obligation de paiement, cette condamnation sera augmentée des intérêts au taux légal à compter du 9 août 2016, date de l'assignation.
Au final, le jugement déféré sera infirmé en l'intégralité de ces dispositions, et la cour, statuant à nouveau, condamnera la S. C.I Montepulciano sera condamnée à payer à la S. A Houdan Cuisines la somme de 9 137,35 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 9 août 2016.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
En application des articles 696 et 700 du code de procédure civile, la partie perdante est, sauf décision contraire motivée par l'équité ou la situation économique de la partie succombante, condamnée aux dépens, et à payer à l'autre partie la somme que le tribunal détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Il y a lieu d'infirmer la décision déférée du chef des dépens et des frais irrépétibles.
La S. C.I Montepulciano, partie perdante, sera condamnée au paiement des entiers dépens du premier degré et d'appel et à payer à la S. A Houdan Cuisines la somme de 2 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens.
Par ces motifs, LA COUR, infirme le jugement déféré en l'ensemble de ses dispositions ; statuant à nouveau : vu l'article 1371 du code civil dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 ; condamne la S. C.I Montepulciano à payer à la S. A Houdan Cuisines la somme de 9 137,35 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 9 août 2016 ; déboute la S. A Houdan Cuisines du surplus de ses demandes ; condamne la S. C.I Montepulciano au paiement des entiers dépens du premier degré et d'appel et à payer à S. A Houdan Cuisines la somme de 2 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens.