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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 23 janvier 2019, n° 16-16856

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Automobiles Palau (SAS), Conseil National des Professions de l'Automobile

Défendeur :

Mazda Automobiles France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Régnier, Bourgeon, Lallement, Henry

CA Paris n° 16-16856

23 janvier 2019

Faits et procédure

La société Automobiles Palau (ci-après Palau) est entrée en 2003 en relation commerciale avec la société Mazda Automobiles France (ci-après Mazda) en charge de l'importation en France des véhicules automobiles du constructeur japonais Mazda.

Deux contrats ont été conclus le 15 décembre 2003 :

- un " Contrat de Concessionnaire Agréé " portant sur la vente des véhicules neufs Mazda,

- un " Contrat de Réparateur Agréé " portant sur leur entretien et leur réparation ainsi que la vente des pièces de rechange nécessaires à cette fin.

Aux termes de ces deux contrats, conclus pour une durée indéterminée, la société Palau a été agréée pour assurer la vente et l'après-vente des véhicules neufs Mazda à partir de différents sites : en dernier lieu, Bruges (au nord de l'agglomération bordelaise, site ayant remplacé Mérignac en 2008) et Saintes (au sud du département de la Charente Maritime).

Conclus dans le cadre du règlement CE 1400/2002, règlement d'exemption spécifique applicable aux accords de distribution automobile du 1er octobre 2002 au 31 mai 2013, ces contrats sont de nature juridique différente :

- un contrat de distribution sélective qualitatif et quantitatif s'agissant du " Contrat de Concessionnaire Agréé ", qui s'insère dans un réseau de distribution autorisant la société Mazda à n'agréer qu'un nombre limité de distributeurs parmi tous les opérateurs répondant aux critères qualitatifs requis pour la vente des véhicules neufs Mazda,

- un contrat de distribution sélective purement qualitatif pour l'après-vente dans le cadre d'un système de distribution dans lequel tout professionnel répondant aux critères qualitatifs définis par la société Mazda comme nécessaires pour cette activité (" standards " énoncés en annexe 1 du Contrat de Réparateur Agréé) doit être agréé, sans limite de nombre.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 12 juin 2014, la société Mazda a notifié à la société Palau la résiliation des contrats de " Concessionnaire Agréé " et de " Réparateur Agréé " pour les sites de Bruges et Saintes avec un préavis de deux ans en application de leurs articles 18.1 et 15.1. Tenue, en vertu des articles 18.6 et 15.6 des deux contrats, d'énoncer les " raisons objectives et transparentes " de ses décisions, la société Mazda a indiqué dans sa lettre du 12 juin 2014 : " Monsieur, nous faisons suite à notre rendez-vous qui a eu lieu le 6 juin courant en nos locaux et souhaitons à nouveau vous remercier de votre présence à cette réunion. Celle-ci aura démontré, à l'instar de nos échanges précédents que nos relations commerciales sont altérées de manière irréversible par des opinions profondément divergentes. Nous sommes attachés à ce que notre réseau s'inscrive dans une démarche de partenariat constructif dans un souci de développer de manière réciproque la Marque et son image de façon pérenne. Or, l'absence d'intérêt que vous manifestez à l'égard de notre Marque, votre opposition à toute discussion, négociation en ce compris pour vos objectifs de vente malgré nos nombreuses relances et mains tendues pour maintenir un dialogue nécessaire entre partenaires commerciaux, les désapprobations et critiques systématiques que vous faites des stratégies que nous mettons en place quand vous daignez établir un contact avec nous, nous amènent à considérer que vous ne percevez notre Marque que comme une variable d'ajustement. Ce désintérêt pour la marque se traduit par une absence de partenariat constructif qui nous prive de toute perspective d'évolution positive, de développement de la Marque et de sa notoriété sur la zone d'influence de Bordeaux. Il est également la cause directe d'un manque de performances commerciales persistant. En conséquence, conformément aux articles 18.1 et 15.1 de vos contrats de concessionnaire et de réparateur agréé nous vous notifions leur résiliation à échéance de deux ans, motivée par une absence de partenariat constructif et du désintérêt manifesté par votre société à l'égard de la Marque. Cette résiliation prenant effet à compter des présentes deviendra effective le 12 juin 2016 ".

Postérieurement, par lettre du 18 mai 2015, la société Mazda a mis la société Palau en demeure de remédier à des manquements à certaines de ses obligations au titre du " Contrat de Concessionnaire Agréé " sur le fondement de son article 18.4., puis a notifié à la société Palau la résiliation à effet immédiat de ce contrat, à effet rétroactif au 18 août 2015, par lettre du 27 août 2015.

Un " accord exceptionnel aménageant les relations post-contractuelles de concessionnaire agréé Mazda " a été conclu simultanément à l'envoi de la lettre de résiliation de la société Mazda du 27 août 2015, organisant la poursuite des relations entre la société Palau et la société Mazda au titre du seul site de Bruges jusqu'au 11 septembre 2015, sous condition suspensive de la cession, par la société Palau, de sa branche de fonds de commerce vente et après-vente Mazda du site de Bruges, la relation se poursuivant entre les deux parties pour la réparation agréée Mazda sur le site de Saintes.

Une " Convention Unique Annuelle " a été proposée par la société Mazda à la société Palau en octobre 2015, conformément à la loi Hamon du 18 mars 2015, fixant les conditions commerciales applicables dans le cadre du " Contrat de Réparateur Agréé " " pour la période du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2016 " ; cette convention a été signée par la société Palau le 8 novembre 2015.

Par courriel du 19 janvier 2016, la société Mazda a rappelé à la société Palau la fin au 12 juin 2016 du contrat de réparateur de Saintes, c'est-à-dire à l'expiration du délai de deux ans notifié le 12 juin 2014.

Par courrier du 21 janvier 2016, la société Palau a fait part de son incompréhension, estimant que l'accord exceptionnel entre les parties avait réservé la poursuite de l'activité de réparateur agréé et signifiant à la société Mazda son souhait de poursuivre cette activité sur Saintes, en soulignant qu'elle remplissait les critères d'agrément et en offrant de se conformer aux nouveaux " standards " après-vente éventuellement exigibles à compter du 12 juin 2016 ainsi que de consentir une caution de 20 000 euros. Par courrier du 5 février 2016, la société Mazda a rappelé les termes de la résiliation du contrat de réparateur agréé du 12 juin 2014 au 12 juin 2016.

Autorisée par ordonnance du 17 février 2016, la société Palau a assigné à bref délai la société Mazda devant le tribunal de commerce de Paris le 19 février 2016, afin qu'il soit enjoint à la société Mazda de l'agréer ou que l'Autorité de la concurrence soit saisie.

Par jugement du 29 juin 2016, le tribunal de commerce de Paris a, sous le régime de l'exécution provisoire :

- dit que le refus de la société Mazda d'agréer la société Automobiles Palau était un acte unilatéral qui ne relève pas du droit des ententes et qu'en conséquence, les dispositions des articles 101 § 1 du TFUE et L. 420-1 du Code de commerce ne sont pas applicables en l'espèce,

- dit que la société Mazda était en droit de ne pas conclure un contrat de réparateur agréé Mazda avec la société Automobiles Palau à compter du 13 juin 2016,

- débouté la société Automobiles Palau de sa demande de renouvellement de son contrat de réparateur agréé pour le site de Saintes au-delà du 12 juin 2016,

- condamné la société Automobiles Palau à payer à la société Mazda la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs autres demandes,

- condamné la société Automobiles Palau aux dépens.

Vu l'appel interjeté le 1er août 2016 par la société Automobiles Palau et les dernières conclusions, déposées et notifiées le 4 octobre 2018, pour elle et le Conseil National des Professions de l'Automobile (CNPA), par lesquelles il est demandé à la cour de :

- dire la société Automobiles Palau recevable et bien fondée en son appel,

- dire le CNPA recevable en son intervention,

Vu les articles 101-1 du TFUE, L. 420-1 du Code de commerce,

Vu les critères sélectifs qualitatifs requis par la société Mazda Automobiles France pour être réparateur agréé Mazda,

- enjoindre à la société Mazda Automobiles France sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir, d'agréer à nouveau la société Automobiles Palau en tant que réparateur agréé pour le site de Saintes et de conclure un contrat de réparateur agréé au titre de ce site,

- condamner la société Mazda Automobiles France à payer à la société Automobiles Palau, en réparation du préjudice découlant de l'interruption de l'activité de réparateur agréé Mazda du site de Saintes, la somme de 3 985 euros par mois écoulé à compter du 13 juin 2016 jusqu'à la date de l'arrêt à intervenir, subsidiairement, enjoindre à la société Mazda Automobiles France de communiquer :

- pour les exercices 2013, 2014 et 2015 la valeur des pièces de rechange qu'elle a facturées aux réparateurs agréés de son réseau, ainsi que la valeur des services d'entretien et de réparation facturés par les réparateurs agréés Mazda résultant des rapports de gestion que la société Mazda Automobiles France exige que ses réparateurs agréés lui communiquent,

- les immatriculations de véhicules particuliers Mazda par canal de vente pour les années 2005 à 2015, très subsidiairement, saisir l'Autorité de la concurrence, conformément à l'article L. 462-3 du Code de commerce, pour recueillir son avis sur :

- le marché pertinent sur lequel doit s'apprécier la part de marché après-vente détenue par la société Mazda Automobiles France,

- l'importance de cette part de marché,

- la nature exacte des restrictions quantitatives que la société Mazda Automobiles France prétend appliquer pour l'organisation de son réseau de réparateurs agréés, ainsi que la réalité des avantages économiques et le caractère indispensable des restrictions de la concurrence qui en découleraient, pour parvenir à d'éventuels gains d'efficience,

- condamner la société Mazda Automobiles France au paiement de la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, d'une part, à la société Automobiles Palau, d'autre part, au CNPA,

- condamner la société Mazda Automobiles France aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

Vu les dernières conclusions de la société Mazda Automobiles France, intimée, déposées et notifiées le 9 octobre 2018, par lesquelles il est demandé à la cour de :

vu les articles 101 § 1 du TFUE ou L. 420-1 du Code de commerce,

1) A titre principal,

- confirmer le jugement du 29 juin 2016 du tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions,

- juger que la société Mazda Automobiles France était en droit de ne pas conclure un contrat de réparateur agréé Mazda avec la société Automobiles Palau à compter du 13 juin 2016,

- juger en effet qu'aucun texte de droit interne ou de droit européen n'oblige la société Mazda Automobiles France à conclure un contrat de réparateur agréé avec la société Automobiles Palau,

- juger notamment que ni l'article 101 § 1 du TFUE, ni l'article L 420-1 du Code de commerce ne permettent de sanctionner un refus de contracter car il s'agit d'un comportement unilatéral qui ne relève pas des articles susvisés qui concernent le droit des ententes,

- juger en tout état de cause que la société Mazda Automobiles France n'a commis aucune infraction anticoncurrentielle en refusant de conclure un contrat de réparateur agréé avec la société Automobiles Palau,

- juger que l'intervention du CNPA n'est pas recevable,

- débouter la société Automobiles Palau et le CNPA de toutes leurs demandes,

2) Subsidiairement,

- juger que la société Automobiles Palau ne peut pas demander la conclusion forcée d'un contrat à compter de l'arrêt à intervenir mais qu'elle peut seulement demander à ce qu'un audit des critères de sélection qualitatifs soit effectué, -juger que le préjudice pécuniaire de la société Automobiles Palau n'est pas justifié et que, en tout état de cause, ce préjudice doit être limité aux frais exposés inutilement en vue de contracter,

- juger en outre que le montant de l'astreinte n'est nullement justifié et qu'en tout état de cause celle-ci ne pourrait courir avant l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

3) En tout état de cause,

- condamner solidairement la société Automobiles Palau et le CNPA à verser à la société Mazda Automobiles France la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner solidairement la société Automobiles Palau et le CNPA en tous les dépens dont distraction au profit de la Selarl BDL Avocats conformément à l'article 699 du Code de procédure civile ;

Sur ce, LA COUR,

Sur l'intervention du CNPA

La société Mazda soutient que le CNPA ne peut agir au nom et pour le compte des distributeurs Mazda au motif que, selon l'adage " nul ne plaide par procureur ", une partie ne peut donner mandat à un tiers pour le faire. Elle relève également que le CNPA ne peut agir dans l'intérêt collectif des distributeurs automobiles dans la mesure où il doit justifier d'une atteinte à toutes les catégories d'adhérents qu'il représente et non pas seulement à une seule catégorie d'adhérents.

Les appelantes répliquent que le CNPA n'a pas agi au nom et pour le compte des distributeurs Mazda mais à la demande de ses adhérents et dans l'intérêt collectif de la profession de réparateurs automobiles.

L'action du CNPA est fondée sur l'article L. 2132-3 du Code du travail qui dispose : " Les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice. Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent ".

L'action introduite par le CNPA vise la défense de l'intérêt des concessionnaires et réparateurs agréés, donc la défense de l'intérêt collectif de professions qu'il représente.

Son action est donc recevable.

Sur le caractère prétendument unilatéral du refus d'agrément dans un réseau de distribution sélective

La société Palau estime que le tribunal a méconnu le droit des ententes en qualifiant de pratique unilatérale le refus d'agrément qui lui a été opposé. Elle expose que dans le cadre d'un accord de distribution, la Cour de justice ne subordonne pas l'application de l'article 101 § 1 du TFUE à la preuve d'un accord exprès entre la tête de réseau et un ou plusieurs distributeurs, contrairement à ce que soutient la société Mazda, qui se fonde sur un arrêt de la Cour de justice du 13 juillet 2006 (Volkswagen, n° 74/04 P).

La société Mazda réplique que :

- la pratique qui lui est reprochée n'a pas fait l'objet d'un accord entre elle et les réparateurs agréés,

- ceux-ci ont certes accepté les conditions contractuelles, mais ils ne peuvent être considérés comme ayant accepté à l'avance tout comportement individuel de la tête de réseau,

- le refus de contracter étant un acte unilatéral, il ne peut être appréhendé sur le fondement du droit des ententes qui suppose un accord entre au moins deux parties visant à restreindre ou à fausser le jeu de la concurrence.

Si le droit des ententes trouve à s'appliquer, ce qui est contesté par la société Mazda, les parties ne contestent pas l'application du droit de l'Union.

En vertu de l'article 101, alinéa 1 du TFUE : " Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché intérieur, et notamment ceux qui consistent à (...) ".

De même, l'article L. 420-1 du Code de commerce prévoit-il que : " Sont prohibées même par l'intermédiaire direct ou indirect d'une société du groupe implantée hors de France, lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à : (...) " la constitution d'une entente anticoncurrentielle présuppose la réunion d'un élément subjectif, un concours de volontés entre au moins deux opérateurs, et un élément objectif, la restriction de concurrence.

Il résulte du contrat de réparateur agréé Mazda que le réseau mis en place par Mazda est un réseau de distribution sélective qualitative, les réparateurs devant satisfaire à la liste des " standards réparateur agréé Mazda " en annexe 1 au contrat, comprenant également 4 appendices détaillés. Aucun critère de sélection quantitatif n'est prévu dans ce contrat.

L'adhésion des distributeurs à un système de distribution sélective, concrétisée par la signature d'un contrat entre le fournisseur-tête du réseau et les distributeurs, traduit l'existence d'un accord de volontés entre le fabricant-fournisseur tête de réseau et chacun de ses distributeurs. La mise en œuvre d'une clause anticoncurrentielle, comme une clause de prix imposée, contenue dans le contrat, révèle donc une entente répréhensible sur le fondement du droit de la concurrence.

Lorsque le fabricant-fournisseur invite ses distributeurs à commettre une pratique anticoncurrentielle non contenue dans le contrat de distribution, par exemple, lorsqu'un fabricant automobile adresse à ses concessionnaires agréés une circulaire dans laquelle il fixe les prix de vente d'un de ses modèles en exigeant d'eux de ne pas consentir de remises, ce qui est le cas dans l'arrêt Volkswagen, cité par la société Mazda (CJCE, 13 juillet 2006, Volkswagen, C-74/04 P), la recherche de l'accord des distributeurs à cette invitation apparemment unilatérale du fournisseur nécessite un examen factuel plus poussé, d'autant que, dans cette affaire, les distributeurs n'avaient pas appliqué les consignes du fabricant.

Après avoir rappelé que, pour constituer un accord au sens de l'article 101, § 1, TFUE, "il suffit qu'un acte ou un comportement apparemment unilatéral soit l'expression de la volonté concordante de deux parties au moins, la forme selon laquelle se manifeste cette concordance n'étant pas déterminante par elle-même", la Cour a précisé dans cet arrêt qu'en l'absence de dispositions contractuelles pertinentes, l'existence d'un accord au sens de l'article 101 § 1 suppose l'acquiescement, explicite ou tacite, de la part des concessionnaires à la mesure adoptée par le constructeur automobile, cet acquiescement pouvant par exemple être démontré par la pratique effective, par les concessionnaires, de l'invitation du fabricant.

Cette jurisprudence européenne a mis fin à la pratique décisionnelle passée de la Commission européenne qui consistait à considérer que toute invitation unilatérale prise par le fournisseur s'insérait automatiquement dans le cadre des relations commerciales continues de ce fournisseur avec ses distributeurs agréés, et était ainsi, de facto, considérée comme acceptée par avance par les distributeurs lors de la signature du contrat de distribution et donc susceptible d'être qualifiée d'entente.

En définitive, la Cour a jugé que, contrairement à la thèse défendue par la Commission, toute invitation adressée par un constructeur à ses concessionnaires ne constitue pas nécessairement un accord au sens de l'article 101 § 1 (ancien article 81 § 1) et ne dispense pas de démontrer l'existence d'un concours de volontés des parties au contrat de concession dans chaque cas particulier.

Pour autant, contrairement aux allégations de la société Mazda, la jurisprudence Volkswagen n'a pas remis en cause la qualification d'un refus d'agrément de distributeurs par le fournisseur comme entente au sein du réseau, admise par la Cour de justice dans un arrêt AEG du 25 octobre 1983 (§ 107/82).

En effet, les systèmes de distribution sélective ne sont considérés comme conformes à l'alinéa 1 de l'article 101 du TFUE qu'à condition que le choix des revendeurs s'opère en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif relatifs à la qualification professionnelle du revendeur, de son personnel et de ses installations, et que ces critères soient fixés d'une manière uniforme à l'égard de tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire. Selon la Cour, " il s'ensuit que la mise en œuvre d'un système de distribution sélective fondé sur des critères autres que ceux précités constitue une infraction à l'article 85, paragraphe 1 (devenu 101, alinéa 1 du TFUE). Il en est de même pour le cas où un système en principe conforme au droit communautaire est appliqué dans la pratique d'une manière incompatible avec celui-ci " (§ 36). " En effet, une telle pratique doit être considérée comme illicite, lorsque le fabricant, en vue de maintenir un niveau de prix élevé ou d'exclure certaines voies de commercialisation modernes, refuse d'agréer des distributeurs qui répondent aux critères qualitatifs du système " (§ 37). " Une pareille attitude de la part du fabricant ne constitue pas un comportement unilatéral de l'entreprise qui, comme le soutient AEG, échapperait à l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, du traité. Elle s'insère, par contre, dans les relations contractuelles que l'entreprise entretient avec les revendeurs. En effet, dans le cas d'admission d'un distributeur, l'agrément se fonde sur l'acceptation, expresse ou tacite, de la part des contractants, de la politique poursuivie par AEG exigeant, entre autres, l'exclusion du réseau de distributeurs ayant les qualités pour y être admis, mais n'étant pas disposés à adhérer à cette politique " (§ 38) (la cour souligne).

Un refus d'agrément non discriminatoire constitue donc un concours de volontés entre fabricant et distributeurs qui consentent par avance, en signant les contrats, aux critères de sélection et au principe de leur application non discriminatoire, qui veut que ne soient admis dans le réseau que les distributeurs qui en remplisssent les critères et qu'inversement ceux qui ne les remplissent pas en soient exclus. Il n'est pas envisageable qu'au regard de la jurisprudence Volkswagen, un refus d'agrément non discriminatoire soit considéré comme un concours de volontés alors qu'un refus d'agrément discriminatoire ne le serait pas, car cela viderait les règles de licéité des réseaux de toute efficacité, puisque seuls pourraient être alors sanctionnés les refus d'agrément opposés par des fabricants disposant d'une position dominante. Des refus anticoncurrentiels d'agrément rendant le réseau illicite au sens de la jurisprudence Metro sus rappelée ne pourraient être réprimés.

Comme la Commission l'avait objecté dans l'affaire AEG : " Si on admettait la conception de la requérante (AEG) selon laquelle les conditions de l'article 85, paragraphe 1, ne sont pas réunies du fait qu'il s'agirait ou dans la mesure où il s'agirait d'actions unilatérales, on devrait conclure qu'une politique discriminatoire d'admission dans le cadre d'un système de distribution sélective est compatible avec l'article 85 et que le principe établi par la Cour de justice dans l'arrêt Metro du 25 octobre 1977 de la sélection des revendeurs sur la base de critères objectifs d'ordre qualitatif et de l'application non discriminatoire des conditions d'admission n'a aucune valeur juridique " (§ 1 in fine) (la cour souligne).

La cour note à cet égard que les arrêts Pierre Fabre (CUE, 13 octobre 2011, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique SAS, C-439/09) et Coty (CUE, 6 décembre 2017, Coty Germany GmbH, C-230/16) ont récemment rappelé les critères de la jurisprudence Metro.

La conclusion de la Cour de justice dans l'arrêt AEG, selon laquelle " Il y a donc lieu d'estimer que même les refus d'agrément sont des actes qui relèvent des relations contractuelles avec les distributeurs agréés, en tant qu'ils visent à garantir le respect des ententes limitatives du jeu de la concurrence qui sont à la base des contrats entre les fabricants et les distributeurs agréés (...) " (§ 39) n'est donc pas remise en cause par l'arrêt Volkswagen.

La société Mazda ne peut déduire de la suite du paragraphe 39, aux termes de laquelle " Les refus d'agréer des distributeurs qui répondent aux critères qualitatifs ci-dessus mentionnés fournissent donc la preuve de l'existence d'une application illicite de ce système, lorsque leur nombre suffit pour exclure qu'il s'agisse de cas isolés ne relevant pas d'un comportement systématique ". Cette phrase ne signifie pas que le concours de volontés ne serait caractérisé qu'en cas de pluralité de refus, mais plutôt que ce concours de volonté ne constituerait une entente anticoncurrentielle qu'en cas de pluralité de refus discriminatoires, seuls à même de caractériser un comportement du fournisseur dont l'objet est anticoncurrentiel.

Il résulte de ce qui précède que :

- le seul fait d'être membre d'un réseau de distribution ne vaut pas acquiescement même tacite à une invitation apparemment unilatérale du fournisseur à commettre certaines pratiques, d'autres indices devant démontrer cet acquiescement, comme par exemple, l'application, par les distributeurs, de la pratique souhaitée par le fournisseur ;

- il en va autrement lorsque ce comportement concerne la politique d'agrément des distributeurs par le fournisseur selon les critères du réseau prévus dans les contrats de distribution sélective, condition fondamentale de la licéité même du réseau au sens de l'article 101, alinéa 1 du TFUE.

Aucun des arrêts de la cour d'appel de Paris ou de la Cour de cassation, cités par la société Mazda ne vient sérieusement remettre en question cette conclusion.

La cour d'appel de Paris, aux termes d'un arrêt du 27 février 2017 (CA Paris, 27 février 2017, n° 15/12029) a jugé précisément que le refus d'agrément d'un agent réparateur automobile par un concessionnaire (membre d'un réseau de distribution sélective) ne peut en lui-même constituer une faute de nature à engager sa responsabilité dès lors qu'il n'existait aucune obligation pour le concessionnaire d'agréer un candidat remplissant les critères de sélection en raison du principe de liberté contractuelle et dès lors que ce refus d'agrément ne constituait pas une pratique anti-concurrentielle au sens de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

Dans son arrêt du 8 juin 2017 (n° 15-28.355), la Cour de cassation a certes récemment rappelé, à propos d'un refus de contracter avec un distributeur sélectif que " sauf abus de droit, nul n'est tenu de renouveler un contrat venu à son terme ; que le moyen, qui postule le contraire sans invoquer d'abus de droit, n'est pas fondé ". mais elle n'a pas examiné le refus d'agrément au regard de l'article 101, de sorte que cet arrêt est sans conséquence pour la résolution du présente litige : " que le litige ne portant pas sur le refus d'un nouvel agrément du distributeur à l'issue du non-renouvellement de son contrat mais sur la cessation de celui-ci, c'est à juste titre que la cour d'appel a retenu que le respect ou non par M. X... des conditions d'agrément était inopérant et que ce dernier invoquait à tort les dispositions des articles 101 TFUE et L. 420-1 du Code de commerce ".

Enfin, l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 30 septembre 2015 (n° 13-07915) ne fait que rappeler les principes selon lesquels il peut être mis fin à tout moment à un contrat, et a estimé que la pratique discriminatoire n'était pas constituée.

Cette même cour avait déjà souligné, dans un arrêt du 19 octobre 2011 (CA Paris, 19 octobre 2011, n° 09/17282), ces principes fondamentaux en ces termes : "Considérant (...) que, sauf à méconnaître le principe de la liberté du commerce et de l'industrie et l'aléa économique inhérent à la vie des affaires, le concessionnaire ne dispose d'aucun droit acquis à la poursuite indéfinie du contrat de concession ; (...) que, plus généralement, le concessionnaire n'a nul droit acquis à la poursuite des relations contractuelles avec le concédant à l'issue du préavis de résiliation d'un précédent contrat de concession auquel il a été régulièrement mis fin et il appartient en effet à tout opérateur économique, conformément au principe de la liberté du commerce et de l'industrie ainsi que de l'autonomie contractuelle, de choisir en toute indépendance ses partenaires commerciaux".

Le seul arrêt allant dans le sens de la position de la société Mazda est l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 13 avril 2005 (n° 03/05939) qui a jugé que : "Considérant qu'il appartient à celui qui se prévaut d'un refus de vente, qui ne constitue plus par lui-même une faute civile depuis l'abrogation des dispositions de l'article 36, alinéa 1er, paragraphe 2, de l'ordonnance du 1er décembre 1986, (...) d'établir la réalité de l'éventuel abus de droit que celui-ci peut néanmoins constituer ; (...) Que la société Concurrence, à laquelle incombe la charge de la preuve de l'abus qu'aurait commis la société JVC en refusant à la fin de l'année 2000 d'engager à nouveau des relations commerciales (....) n'en justifie pas ; Qu'il n'est pas établi (...) que ce refus résulterait d'une concertation au sens de l'article L. 420-1 du Code de commerce (....) les termes du courrier du 10 octobre 2000 de la société JVC notifiant unilatéralement ce refus à la société Concurrence, renouvelés dans un courrier du 21 août 2001, ne contenant ni n'impliquant aucune référence à une concertation quelconque avec des tiers (...)". Cet arrêt est cependant resté isolé. Le refus d'agrément litigieux constitue donc un accord de volontés et non une pratique unilatérale.

Il y a donc lieu d'infirmer le jugement entrepris sur ce point.

Sur la licéité du refus d'agrément au regard de la liberté du commerce et de l'industrie

La société Mazda fait valoir qu'il n'y a pas à faire prévaloir les règles de concurrence sur les principes de liberté de contracter et de négocier, conséquences du principe de la liberté du commerce et de l'industrie. mais la société Palau réplique à juste raison que la liberté du commerce et son corollaire, la liberté de contracter, trouvent leurs limites dans les règles de concurrence, d'ordre public. Sur l'appréciation du refus d'agrément au regard du droit des ententes

Le refus étant daté de février 2016, il y a lieu de faire application du règlement (UE) n° 461/2010 de la Commission du 27 mai 2010 concernant l'application de l'article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile, applicable à compter du 1er juin 2010 et du règlement (UE) n° 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010 concernant l'application de l'article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées applicable à compter de la même date.

Selon la société Palau, rappelant les critères de l'arrêt Pierre Fabre, le refus d'agrément discriminatoire constituerait en soi une restriction de concurrence par objet, rendant le réseau illicite, de sorte que l'analyse devrait s'arrêter là. La société Mazda serait obligée de l'agréer en tant que réparateur agréé parce que l'activité de réparation agréée Mazda est fondée sur un système de distribution sélective purement qualitative, qui interdit à la société Mazda de refuser la conclusion d'un contrat dès lors que le candidat à la conclusion dudit contrat remplit les critères qualitatifs.

La société Mazda réplique que la société Palau fait fi de la liberté contractuelle et que celle-ci prétendrait, en matière de distribution sélective, à un droit perpétuel à se maintenir dans le réseau en l'absence de manquement contractuel, peu important que le contrat arrive à échéance.

La Cour de justice a rappelé dans un arrêt Pierre Fabre que les accords qui constituent un système de distribution sélective influencent nécessairement la concurrence dans le marché commun et sont à considérer, à défaut de justification objective, en tant que " restrictions par objet ". Cette justification objective peut résider dans des exigences légitimes, telles que le maintien du commerce spécialisé capable de fournir des prestations spécifiques pour des produits de haute qualité et technicité, qui justifient une réduction de la concurrence par les prix au bénéfice d'une concurrence portant sur d'autres éléments que les prix. Les systèmes de distribution sélective constituent donc, du fait qu'ils visent à atteindre un résultat légitime, qui est de nature à améliorer la concurrence, là où celle-ci ne s'exerce pas seulement sur les prix, un élément de concurrence conforme à l'article 101, paragraphe 1, TFUE. À cet égard, la Cour a déjà relevé que l'organisation d'un tel réseau ne relève pas de l'interdiction de l'article 101, paragraphe 1, TFUE, pour autant que le choix des revendeurs s'opère en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif, fixés d'une manière uniforme à l'égard de tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire, que les propriétés du produit en cause nécessitent, pour en préserver la qualité et en assurer le bon usage, un tel réseau de distribution et, enfin, que les critères définis n'aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire (arrêts du 25 octobre 1977, Metro SB-Großmärkte/Commission, 26/76, Rec. p. 1875, point 20, ainsi que du 11 décembre 1980, L'Oréal, 31/80, Rec. p. 3775, points 15 et 16).

Les refus d'agrément discriminatoires sont donc de nature à rendre le réseau illicite au regard des critères Metro et à constituer une entente verticale anticoncurrentielle entre le fournisseur et les membres de son réseau s'ils ont a un objet ou un effet anticoncurrentiel, c'est-à-dire s'ils s'insèrent dans une politique générale du fournisseur visant à exclure une ou des formes déterminées de distribution qui seraient aptes à distribuer les produits en cause, à créer des barrières artificielles à l'entrée sur le marché de la distribution des produits concernés ou à éliminer des distributeurs menant une pratique de prix bas.

mais, en l'espèce, la pratique soumise à la cour consiste dans un refus isolé d'agrément opposé par la société Mazda à la société Palau en février 2016, à la suite de la résiliation ordinaire du contrat de réparateur agréé au 12 juin 2016.

Sur l'objet

Le refus d'agréer la société Palau, à la suite de la résiliation à effet au 12 juin 2016 est justifié par la société Mazda par une absence de partenariat constructif du réparateur et le désintérêt manifesté par la société Palau à l'égard de la marque, motifs de la résiliation des contrats énoncés dans le courrier du 14 juin 2014 : "Nos relations commerciales sont altérées de manière irréversible par des opinions profondément divergentes. Nous sommes attachés à ce que notre réseau s'inscrive dans une démarche de partenariat constructif (...). Or, l'absence d'intérêt que vous manifestez à l'égard de notre Marque, votre opposition à toute discussion (...), nous amènent à considérer que vous percevez notre marque comme une variable d'ajustement. Ce désintérêt pour la marque se traduit par une absence de partenariat constructif qui nous prive de toute perspective d'évolution positive, de développement de la Marque et de sa notoriété sur la zone d'influence de Bordeaux. Il est également la cause directe d'un manque de performances commerciales persistant". Cette motivation de la résiliation du contrat permet de vérifier que la société Mazda n'a pas résilié l'accord, et refusé un nouvel agrément à la suite de cette résiliation au motif que la société Palau aurait adopté un comportement favorisant la concurrence, consistant, par exemple, dans des ventes actives ou passives à des clients étrangers, le multimarquisme ou la sous-traitance des services de réparation et d'entretien.

Le refus est donc justifié par ce désintérêt pour la marque, et non par une volonté de porter atteinte à la concurrence.

En outre, la société Palau a commis des manquements contractuels dans l'exécution de son préavis au titre du contrat de concessionnaire agréé, dénoncés par la société Mazda par courrier du 18 mai 2015 (pièce Palau n° 4), tels que, le refus d'exposer tout nouveau modèle de la marque et de mettre en véhicules de démonstration (VD) ces nouveaux modèles à la disposition de la clientèle (Mazda 62015, CX-5 2015, CX-3, Mazda 2), l'absence de communication et le refus de participer aux formations du nouveau Mazda CX-3. Même si ces manquements étaient relatifs au contrat de concession de ventes de véhicules, il en résultait nécessairement une perte de confiance justifiant le refus de renouveler le contrat de réparateur agréé.

De plus, si la société Palau expose que la société Mazda a déjà opposé un refus d'agrément à un autre réparateur agréé, la société Pelletan, de sorte que le refus qui lui a été opposé s'insère dans une stratégie du fabricant tendant à réserver les services de réparation aux concessionnaires agréés assurant la vente des véhicules de la marque, elle n'en rapporte pas la preuve.

Le refus d'agrément n'a donc pas d'objet anticoncurrentiel.

Sur l'effet

Pour constituer une entente par effet, un refus d'agrément doit être de nature à éliminer ou restreindre la concurrence.

A cet égard, compte tenu du nombre de réparateurs de toutes marques, des mécaniciens-réparateurs indépendants et des réseaux de franchise (Feu Vert, Midas, ...), la concurrence sur le marché de la réparation et de l'entretien des véhicules est réelle, de sorte que la circonstance qu'un réparateur agréé sorte du marché est indifférent pour les clients. Sur le marché de la réparation et de l'entretien toutes marques, les réparateurs agréés Mazda représentent une très faible part, le réseau étant constitué de 128 réparateurs agréés alors qu'il existait en France en 2010 plus de 41 000 entreprises de réparation automobile pour un chiffre d'affaires de l'ordre de 20 milliards d'euros (pièce n° 25 de Mazda), montant passé à 22 milliards en 2016 (pièces n° 21 et 26 de Mazda), alors que le chiffre d'affaires (pièces et main d'œuvre toutes marques confondues) du réseau des réparateurs agréés Mazda était inférieur à 60 000 000 euros (pièces n° 29 de Mazda).

Par ailleurs, d'après une étude du GIPA, entreprise spécialisée dans les études du marché automobile, les réparateurs agréés réparent vraisemblablement moins de 30 % des véhicules de leur marque. En l'espèce, la société Palau est non seulement concessionnaire multimarque, mais aussi réparateur multimarque. Une quarantaine de marques automobiles sont présentes en France, qui offrent la possibilité de conclure des contrats de réparateur agréé, de sorte que la perte du contrat de réparation Mazda peut facilement être compensée pour la société Palau.

En premier lieu, le marché de la réparation étant fluide, il n'est pas difficile, pour un réparateur qui se voit résilier son contrat de réparateur agréé, ou pour un candidat à l'agrément qui se voit refuser l'agrément par un constructeur, d'obtenir la représentation d'une autre marque ou enseigne.

En deuxième lieu, ainsi que le souligne l'intimée, le chiffre d'affaires réparateur agréé Mazda (pièces de rechange et atelier) pour le site de Saintes représentait un chiffre d'affaires de l'ordre de 123 000 euros (moyenne 2013 à 2015), selon la pièce n° 28, soit 0,25 % du chiffre d'affaires total de la société Palau pour la même année (48 000 000 euros environ).

Enfin, l'appelante pourra poursuivre la réparation des véhicules Mazda, bien que n'étant plus réparateur agréé Mazda, et même si les conditions sont moins favorables que celles de réparateur agréé.

Dès lors, l'appelante ne rapporte pas la preuve que le refus d'agrément au réseau serait de nature à affecter le fonctionnement concurrentiel du marché de la réparation automobile.

Le refus d'agrément litigieux, n'ayant ni pour objet ni pour effet de porter atteinte à la concurrence, est donc conforme à l'alinéa 1 de l'article 101 et à l'article L. 420-1 du Code de commerce.

Sur l'exonération automatique

Les sociétés s'opposent sur le bénéfice de l'exemption automatique.

En droit de la concurrence, le refus d'agréer un candidat remplissant les critères de sélection est exonéré au titre de l'article L. 420-4 du Code de commerce ou de l'article 101§3 du TFUE si les parts de marché des sociétés sur leur marché respectif sont inférieures à 30 %. Si la part de marché de l'une des parties excède ce seuil, l'exonération automatique du règlement d'exemption ne peut s'appliquer.

Sur le marché pertinent et la part de marché du réseau Mazda

La société Palau expose que le marché pertinent est celui de l'entretien et de la réparation propre aux véhicules particuliers Mazda et que sur ce marché, le réseau Mazda représente plus de 30 %.

La société Mazda réplique que le marché pertinent est le marché amont de l'agrément. Elle réfute l'existence d'un marché pertinent de l'entretien et de la réparation propre aux véhicules particuliers Mazda et la part de marché alléguée par la société Palau.

L'article 3 du règlement 330/2010 dont l'application est demandée prévoit que :

" L'exemption prévue à l'article 2 s'applique à condition que la part de marché détenue par le fournisseur ne dépasse pas 30 % du marché en cause sur lequel il vend les biens ou services contractuels et que la part de marché détenue par l'acheteur ne dépasse pas 30 % du marché en cause sur lequel il achète les biens ou services contractuels ".

Les biens ou services contractuels sont bien les prestations de services d'entretien et de réparation. Le marché concerné est donc celui sur lequel la société Mazda et son réseau vend les prestations d'entretien et de réparation. Les agréments, propres à chaque marque, ne constituent pas un marché pertinent au sens des faits de la cause.

La question de savoir si le marché est plus vaste que le seul marché de l'entretien et de la réparation propre aux véhicules particuliers Mazda est tranchée dans l'avis de l'Autorité de la concurrence n° 12-A-21 du 8 octobre 2012, relatif au fonctionnement concurrentiel des secteurs de la réparation et de l'entretien de véhicules et de la fabrication et de la distribution de pièces de rechange.

Aux termes de cet avis, qui, certes, ne lie pas le juge, mais auquel la société Mazda n'apporte pas de contradiction sérieuse ; selon l'Autorité, en effet : " Le secteur de l'après-vente automobile recouvre l'ensemble des biens et services destinés à assurer le maintien d'un véhicule en état après l'acte d'achat et tout au long de sa durée d'utilisation.

En France, le secteur de l'après-vente automobile représente un peu plus de 30 milliards d'euros de chiffre d'affaires au niveau de la vente au détail. Comme le fait remarquer la Commission européenne dans ses lignes directrices relatives à l'application du règlement n° 461/2010, " dans la mesure où il existe un marché pour les services de réparation et d'entretien qui est distinct de celui de la vente de véhicules automobiles neufs, il est considéré comme propre à chaque marque ". Ainsi, les réparateurs agréés d'une marque donnée de véhicules ne sont généralement pas en concurrence avec les réparateurs agréés d'une autre marque de véhicules. La seule source de concurrence vient essentiellement du canal indépendant et, dans une moindre mesure et plus rarement, de réparateurs agréés du même réseau de constructeur, à condition qu'ils soient localisés dans la même zone de chalandise et qu'ils n'appartiennent pas au même groupe de concessionnaire " (avis de l'Autorité § 26).

La société Mazda prétend qu' " A l'exception des réparations sous garantie dont la Commission ne tient d'ailleurs pas compte pour évaluer la part de marché et qui sont donc " hors marché ", la concurrence avec les autres réseaux de réparateurs agréés, les réseaux de franchise et les indépendants est réelle parce que tous les réparateurs (agréés ou non) peuvent réparer tous les véhicules quelle que soit la marque ".

Mais le client final préfère faire réparer ou entretenir son véhicule dans le réseau agréé plutôt que chez un réparateur indépendant. En outre, ceux-ci connaissent des freins dans la concurrence tenant d'une part à l'accès aux pièces de la marque, restreint par des clauses anticoncurrentielles, et d'autre part aux informations techniques de la marque.

Il n'est pas démontré que ces freins, stigmatisés par l'Autorité dans son avis, auraient disparu depuis 2010-2012.

" Sur l'ensemble de l'entretien-réparation (hors " Do-it-yourself "), les réseaux de constructeurs détiennent, en 2010, 45 % de parts de marché en volume et 53 % en valeur. Ils font face à une offre atomisée d'opérateurs indépendants se faisant eux-mêmes concurrence. Les réseaux de réparateurs agréés des constructeurs possèdent donc une position importante sur le secteur de l'entretien-réparation de véhicules de leur marque, puisqu'ils ont une part de marché en valeur supérieure à 50 % en moyenne, face à des acteurs de beaucoup plus petite taille " (§26) (la cour souligne).

" Par ailleurs, en France, bien que les constructeurs étrangers possèdent un réseau de réparateurs agréés beaucoup moins dense que celui des constructeurs français, ils ont des parts de marché relativement élevées sur l'entretien-réparation de véhicules de leur marque. Toyota détient environ [55 ; 65] % de parts de marché en volume et Volkswagen [45 ; 55] %. En comparaison, sur ce même échantillon, les constructeurs français détiennent [40 ; 50] % du marché. Les constructeurs ayant les parts de marché les plus faibles sont Ford, Opel et Fiat, avec [30; 40] % de parts de marché " (§ 28).

Ces chiffres ne sont pas utilement remis en cause par la société Mazda, sur laquelle repose la charge de la preuve que son chiffre d'affaires ne dépasse pas le seuil de 30 %.

Le refus d'agrément ne peut donc bénéficier de l'exemption automatique.

Cette conclusion n'a cependant aucun effet sur la solution à donner au présent litige, puisque la pratique est conforme à l'article 101, alinéa 1 du TFUE et à l'article L. 420-1 du Code de commerce.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté toutes les demandes de la société Palau.

Celles du CNPA seront, de même, rejetées, en l'absence de faute de la société Mazda.

Sur les demandes subsidiaires de la société Palau

La cour ne fera pas droit aux demandes de communication de pièces de la société Palau, ni de saisine de l'Autorité de la concurrence, celles-ci n'apparaissant pas nécessaires à la résolution du présent litige.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Succombant au principal, la société Palau et le CNPA seront condamnés in solidum aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la société Mazda la somme de 20 000 euros en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, Declare recevable l'action du CNPA ; Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a jugé que le refus d'agrément constituait une pratique unilatérale ; l'Infirme sur ce point, et statuant à nouveau, Juge que ce refus constitue un concours de volontés au sein du réseau Mazda et non une pratique unilatérale ; Juge que ce refus ne revêt pas le caractère d'une entente anticoncurrentielle ; Juge que le refus ne peut bénéficier de l'exemption automatique du règlement ; Rejette toute autre demande ; Condamne la société Automobiles Palau et le CNPA in solidum aux dépens d'appel ; Condamne la société Automobiles Palau et le CNPA in solidum à payer à la société Mazda Automobiles France la somme de 20 000 euros en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.