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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 25 janvier 2019, n° 17-08241

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Comores Télécom (SA)

Défendeur :

Mourax (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lis Schaal

Conseillers :

Mmes Bel, Cochet-Marcade

Avocats :

Mes Guyonnet, Mshangama, Meillet

T. com. Paris, du 3 avr. 2017

3 avril 2017

Faits procédure prétentions et moyens des parties :

La société Comores Télécom (ci-après CT) est une société nationale comorienne dont l'Etat est l'unique actionnaire, créée par décret présidentiel en date du 1er avril 2004, dont l'objet est de développer le service public des télécommunications, assurer l'exploitation et la fourniture au public des services de télécommunications, voix, données et autres.

La société Mourax Ltd (ci-après Mourax) sise à Ebène (République de Maurice), est une société de droit mauricien. Elle est spécialisée dans la fourniture de fibre optique destinée aux télécommunications.

Le 15 octobre 2015, Monsieur X, en qualité de directeur général de la société CT et la société Mourax ont régularisé un contrat prévoyant la commande par la société CT d'un minimum, sur 5 ans, de 10 000 kilomètres de fibre à la société Mourax.

Ce contrat prenait effet dès que les 200 premiers kilomètres de fibre optique étaient livrés et payés, ce qui a été fait à compter du 20 octobre 2015, date à laquelle l'acompte a été versé par la société CT à la société Mourax à la suite d'un ordre signé par l'agent comptable principal et le directeur général de la société CT.

La commande suivante du 30 avril 2016 pour 500 kilomètres a été passée mais l'acompte n'a pas été versé et la livraison n'a pas été effectuée.

La société Mourax a réclamé le payement de l'indemnité prévue en cas de résiliation de la part de la société CT d'un montant de 14 000 000 euros.

Par ordonnance en date du 27 décembre 2016, le président du tribunal de commerce de Paris a autorisé la société Mourax à assigner à bref délai la société CT.

Faisant valoir une rupture unilatérale du contrat par la société CT en ne payant que les 200 premiers km de fibre et la stipulation d'une clause de payement du solde de commande, la société Mourax a fait délivrer assignation à la société CT devant le tribunal de commerce de Paris par acte extrajudiciaire en date du 30 décembre 2016, aux fins de voir condamner la société CT à lui verser la somme de 14 000 000 euros, condamnation assortie d'une astreinte.

La société la société CT a soulevé la nullité du contrat pour défaut de pouvoir du représentant de la société et à raison de fraudes commises lors de la formation déchéance du terme contrat. Elle a fait valoir subsidiairement le caractère déséquilibré du contrat à son préjudice. Elle a ajouté que le contrat n'a pas été résilié par la société Mourax de sorte que les conséquences de la résiliation ne peuvent avoir d'effet. Elle soutient la nullité de la clause pénale et son caractère manifestement excessif ce qui nécessite que cette clause soit déclarée nulle ou tout au moins que ses effets en soient réduits.

Par jugement contradictoire en date du 3 avril 2017, le tribunal de commerce, jugeant que Monsieur X a engagé valablement la société CT et que le contrat régularisé entre les parties est régulier et a produit tous ses effets, a condamné la société Comores Télécom à payer la somme de 700 000 euros au titre de la clause pénale contractuelle, augmentée des intérêts au taux légal assortie de la capitalisation des intérêts, la somme de 3 000 euros pour résistance abusive et la somme 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, les dépens et a débouté la société CT de sa demande de restitution de la somme payée pour les 200 kilomètres de fibre.

Le tribunal a rejeté le moyen tiré de l'exception de nullité du contrat pour défaut de pouvoir du représentant de la société contrat et a jugé manifestement excessive la clause contractuelle qu'il a réduite.

La société CT puis la société Mourax ont relevé appel du jugement.

La jonction des instances d'appel a été ordonnée le 21 septembre 2017 et l'instance poursuivie sous le numéro 17/8241.

Vu les conclusions notifiées et déposées le 6 juin 2018 par la société Comores Télécom aux fins de voir la cour :

Vu le contrat signé par Monsieur X et la société Mourax Ltd le 15 octobre 2015,

Vu les articles 3, 6, 1108, 1131, 1152 et 1343-2 du Code civil,

Vu l'article 9 du Code de procédure civile,

Vu l'article L. 442-6-1-2° du Code de commerce,

Vu les certificats de coutume établis par Me Kamardine, Avocat au Barreau de Moroni, Union des Comores,

Vu la loi comorienne 11/027 du 29 décembre 2011,

A titre principal,

Prononcer la nullité du contrat signé par Monsieur X et la société Mourax Ltd le 15 octobre 2015 pour défaut de pouvoir de Monsieur X ;

A titre subsidiaire,

Constater l'irrespect de la procédure de passation des marchés en Union des Comoreslors de la conclusion du contrat entre Monsieur X et la société Mourax le 15 octobre 2015

Prononcer en conséquence la nullité du contrat signé par Monsieur X et la société Mourax Ltd le 15 octobre 2015 pour le non-respect des procédures de passation des marchés conformément à la loi comorienne.

En conséquence,

Ordonner la restitution des sommes versées par la société nationale Comores Télécom à Mourax Ltd au titre d'une commande de 200 km de câbles de fibre optique, soit la somme de 281 536 euros, avec intérêt au taux légal à compter du jour de la notification des présentes écritures ;

A titre très subsidiaire,

Prononcer la nullité du contrat signé par Monsieur X et la société Mourax Ltd le 15 octobre 2015 pour absence de cause et pour violation de l'ordre public économique français ;

En conséquence,

Ordonner la restitution des sommes versées par la société nationale Comores Télécom à Mourax Ltd au titre d'une commande de 200 km de câbles de fibre optique, soit la somme de 281 536 euros, avec intérêt au taux légal à compter du jour de la notification des présentes écritures ;

A titre infiniment subsidiaire

Prononcer la nullité de l'article 18 du contrat signé par Monsieur X et Mourax Ltd le 15 octobre 2015 ;

A titre très infiniment subsidiaire

Rejeter, après avoir constaté l'absence de préjudice prouvé par Mourax Ltd et le caractère manifestement excessif de la clause pénale, la demande en paiement de la pénalité et, à tout le moins, en réduire les effets à la somme d'un euro symbolique ;

En toutes hypothèses

Condamner la société Mourax Ltd à verser à la société nationale Comores Télécom la somme de 200 000 euros pour procédure abusive.

Ordonner la capitalisation des intérêts dus au titre des condamnations prononcées à l'encontre de Mourax Ltd ;

Condamner la société Mourax Ltd à verser à la société nationale Comores Télécom la somme de 100 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens de la procédure.

La société appelante soutient essentiellement une exception de nullité du contrat pour défaut de pouvoir de Monsieur X, le pouvoir d'engager la société devant s'apprécier au regard de la loi comorienne.

Elle ajoute que la théorie de l'apparence n'a jamais été retenue en matière de contrats internationaux.

La société contrat fait valoir que le contrat est nul pour non-respect des procédures de passation de marchés publics en l'absence d'appel d'offres, pour défaut de cause, en raison d'un déséquilibre significatif.

La société appelante précise que les clauses du contrat stipulé unilatéralement en faveur de la société Mourax démontrent le caractère déséquilibré du contrat, la nullité du contrat pour violation des dispositions de l'ordre public français et absence de cause.

Vu les conclusions notifiées et déposées le 16 novembre 2017 par la société Mourax Ltd aux fins de voir la cour :

Vu les articles 1134 ancien et suivants du Code civil Français et les articles 1103 nouveau et suivants du Code civil Français,

Vu l'article 1153 ancien du Code civil Français et 1231-6 et suivants du Code civil Français,

Vu l'article 1184 ancien du Code civil Français et 1224 nouveau et suivant du même Code,

Vu les articles 1154 ancien et suivants et 1343-2 nouveau et suivants du même Code,

Vu les articles L. 131-1 et suivants du Code des procédures civiles d'exécution Français,

Constater, et à défaut Prononcer, la résiliation du contrat du 15 octobre 2015,

Condamner la société Comores Télécom à lui payer la somme de 14 000 000 d'euros en principal, assortie des intérêts au taux légal à compter du 22 décembre 2016 ;

Subsidiairement,

Condamner la société Comores Télécom à lui payer la somme de 7 000 000 d'euros en principal, assortie des intérêts au taux légal à compter du 22 décembre 2016 ;

En tout état de cause,

Ordonner la capitalisation des intérêts en application de l'article 1343-2 du Code Civil ;

Assortir cette condamnation d'une astreinte de 2 000 euros par jour de retard si la société Comores Télécom ne s'exécutait pas dans les quinze jours de la signification de la décision à venir ;

Condamner la société Comores Télécom à lui payer la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ; et 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi

Condamner la société Comores Télécom aux entiers dépens.

La société intimée fait valoir qu'en commandant et en ne payant à la livraison que les 200 premiers kilomètres, la société CT a rompu unilatéralement le contrat qui prévoyait la commande d'un total de 10 000 kilomètres de fibre sur 5 ans.

La société Mourax indique que l'article 14 du contrat en date 15 octobre 2015 comporte une clause attributive de compétence à la loi française précisant que " le contrat est soumis au droit français " écartant l'application du droit comorien.

La société intimée soutient que la jurisprudence a reconnu et a appliqué la théorie du mandat apparent s'agissant de contrats internationaux.

A cet égard, le contrat a été signé par le directeur général de la société CT, Monsieur X, avec le cachet de la société CT permettant à la société Mourax de légitimement croire que ce dernier disposait des pouvoirs nécessaires. Selon les statuts de la société CT, Monsieur X n'a aucune limitation de pouvoir susceptible d'être opposée aux tiers.

La société CT soutient que le contrat a déjà été partiellement exécuté puisque les bons de commandes et paiements réalisés par la société CT ont été validés par le directeur général et par l'agent comptable et comportaient leurs deux cachets montrant que cette exécution est incontestable.

L'exécution partielle et spontanée vaut ratification et nul ne peut exciper de la nullité d'un contrat qu'il a partiellement et spontanément exécuté.

La société intimée fait valoir que l'article 18 du contrat en date du 15 octobre 2015 prévoit que l'inexécution entraîne la résiliation. L'inexécution du contrat est établie et non contestée par la société CT et a entraîné la résiliation du contrat.

Motifs,

LA COUR renvoie, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, à leurs écritures précitées.

1. Sur l'exception de nullité du contrat pur défaut de pouvoir du représentant d'engager la société :

En matière de contrat international, il incombe au co contractant de vérifier que le dirigeant de la société avec laquelle il contracte dispose effectivement des pouvoirs d'engager la société de sorte que le moyen tiré du mandat apparent est en voie de rejet.

L'appréciation des pouvoirs des dirigeants sociaux pour engager une société relève de la loi nationale de la société concernée.

La société CT est une société de droit comorien soumise à la loi de ce pays.

Il s'ensuit que le moyen tiré de l'irrecevabilité de l'exception la nullité du contrat pour défaut de pouvoir d'engagement du Directeur général, à raison d'une exécution partielle, est rejeté.

Pour prétendre au défaut de pouvoir du Directeur Général, l'appelante produit notamment deux certificats de coutume établis par Maître Kamardine Mohamed, Avocat à la Cour, inscrit au barreau de Moroni.

Le certificat mentionne : "le Conseil d'administration des sociétés nationales de droit comorien dispose d'un pouvoir général de décision".

Or selon les mentions des textes, reproduites par l'auteur du certificat, il résulte de la loi n° 06-001/AU adoptée le 25 janvier 2006 (et deux principaux décrets n° 11-155/PR du 28 juillet 2011 modifiant le décret n° 07-151/PR du 3 septembre 2007 et n° 05-048/PR en date du 11 juin 2005 remplaçant, modifiant et abrogeant certaines dispositions du décret n° 04-042/PR du 1er avril 2004, ce dernier portant statuts de la société nationale Comores Télécom) en son article 7, que "le Conseil d'administration délibère sur toutes les affaires rentrant dans l'objet de la société notamment le vote du budget annuel et l'approbation des comptes", cette énonciation textuelle contredisant la mention susdite de sorte qu'il ne sera pas tenu compte de celle-ci.

L'auteur du certificat poursuit : " le Directeur Général de Comores Télécom ne peut signer des contrats au nom et pour le compte de la société nationale Comores Télécom, qu'en exécution d'un budget approuvé par le Conseil d'administration ou en vertu d'une autorisation préalable et spéciale du Conseil d'administration ".

L'article 10 de la loi édicte : "les Directeurs nationaux et généraux agissent dans le cadre des compétences qui leur sont attribués par les statuts de la société ou de l'établissement public concerné".

Or il n'est pas contesté qu'aucun Président directeur général n'a été nommé à ces fonctions et que le Directeur général, nommé par décret présidentiel ainsi Monsieur X nommé par décret du 22 septembre 2015, exerce les pouvoirs du Président directeur général, à défaut d'un tel exercice, la société ne pouvant avoir de fonctionnement.

L'article 10 des statuts est ainsi rédigé : "Il est l'ordonnateur principal du budget de la société. Il peut à ce titre signer tout contrat ou marché entrant dans le cadre du budget adopté par le Conseil d'administration. Pour tout autre engagement, l'autorisation préalable du Conseil d'administration est nécessaire".

Les pouvoirs donnés par les statuts ne sont pas les pouvoirs limités que l'auteur du certificat de coutume tente vainement de démontrer. Il suffit en effet que le montant du contrat entre dans le budget voté par le Conseil d'administration.

Monsieur X disposant du pouvoir de signer tout contrat ou marché entrant dans le cadre du budget adopté par le Conseil d'administration et l'appelant ne faisant pas la démonstration que le marché litigieux n'entrait pas dans le cadre du budget d'une part, et l'appelant n'établissant pas d'autre part que la conclusion du marché litigieux constitue "tout autre engagement" nécessitant de recourir à l'autorisation préalable du Conseil d'administration, c'est vainement que l'appelante tente de faire valoir l'absence de procès-verbal transcrivant l'autorisation donnée par le Conseil d'administration pour l'engagement de la dépense.

Le payement de la première commande à la suite de l'accord donné par l'agent comptable de la société CT le 20 octobre 2015 établit au surplus le pouvoir d'engagement de la société.

L'auteur du certificat conclut : " A l'issue de cet examen, je confirme que ce contrat ne fait partie d'aucun budget adopté par le Conseil d'administration et n'a pas été soumis à l'approbation spéciale et préalable du Conseil d'Administration de la société Comores Télécom, seul organe habilité à permettre un tel engagement.

J'ajoute que mon examen n'a révélé aucune convocation du Conseil d'Administration portant à son ordre du jour l'approbation de ce contrat. Eu égard aux lois et décrets en vigueur en Union des Comoresrelatifs au mode juridique de fonctionnement des sociétés d'Etat à l'instar de Comores Télécom, Monsieur X aurait dû être préalablement autorisé par le Conseil d'Administration de la société Comores Télécom à signer le contrat du 15 octobre 2015 avec la société Mourax Ltd. A défaut d'une telle autorisation de son Conseil d'Administration, la société Comores Télécom n'est pas valablement engagée par la seule signature de Monsieur X

Conformément aux dispositions prévues par les textes législatif et réglementaire cités ci-dessus portant sur la réglementation d'administration des sociétés nationales et de la société Comores Télécom, le contrat signé par Monsieur X le 15 octobre 2015 avec la société Mourax Ltd sans autorisation du Conseil d'Administration de la société Comores Télécom est nul ".

En prenant prend clairement partie sur l'objet du litige l'auteur du certificat de coutume sort de son rôle d'attestation sur l'existence et l'interprétation d'une loi étrangère, dont l'auteur se doit de présenter une apparence d'impartialité objective, en l'espèce défaillante ce que relève la société Mourax.

Les échanges de courriels entre les parties pendant les mois qui ont suivi le défaut de règlement de l'acompte, confirment le pouvoir d'engagement de Monsieur X, la société CT ne faisant pas mention dans ses correspondances avec Mourax d'un défaut de pouvoir du directeur général mais de la survenance de difficultés financières qui faisaient désormais obstacle à la poursuite du contrat, ainsi que le mentionne la responsable juridique de la société CT, Madame Y le 11 novembre 2016, élément non valablement combattu par la production d'une attestation du 18 janvier 2017, rédigée par la comptable de cette société arguant de sa solidité financière.

L'attestation du Directeur Général de la société appelante est écartée.

C'est dès lors à bon droit que le premier juge a retenu que le Monsieur X a pu valablement engager seul la société CT.

2. Sur l'exception de nullité du contrat pour non-respect des procédures de passation des marchés publics :

L'appelante soutient le non-respect des procédures de passation des marchés publics applicable aux Comores, ce qui entraînerait la nullité du contrat au regard de la loi comorienne.

Le contrat du 15 octobre 2015 étant soumis au droit français par application l'article 14 selon lequel : " Le contrat est soumis au droit français " il s'ensuit que le défaut éventuel de respect des procédures en droit comorien ne constitue pas une cause de nullité du contrat litigieux, lequel est soumis au droit français des obligations.

L'appelante à qui incombe la preuve du moyen tiré d'une fraude commise dans la conclusion du contrat, par l'allégation d'une violation grossière de l'intérêt social de la société nationale CT, et la signature précipitée du contrat, quelques jours seulement après la prise de fonctions de Monsieur X, non autrement juridiquement circonstanciées, échoue à en faire la preuve et à démontrer ce en quoi ces faits prétendus sont susceptibles d'entraîner la nullité du contrat.

3. Sur l'exception de nullité du contrat pour absence de cause :

Le commencement d'exécution du contrat litigieux n'a pas présenté un caractère dépourvu d'équivoque en présence d'un moyen de nullité tiré du défaut de pouvoir de la personne qui a engagé la société de sorte que les moyens de nullités soutenus sont recevables.

L'appelante soutient que le déséquilibre significatif des engagements des parties prive de cause l'engagement de la société nationale CT, et doit conduire à l'annulation du contrat, sur le fondement de l'article L. 442-6 I, 2 du Code de commerce selon lequel :

"I. - Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties"

L'appelante énonce que diverses clauses du contrat présentent un déséquilibre significatif :

- l'article 1 " Objet ", la " fibre optique terrestre ou aérienne ", sans précision des spécificités techniques du matériel hormis l'annexe 2 mentionnant deux références " GYTA53 " et " GYXTC8S ", l'absence de description des obligations principales de Mourax Ltd étant particulièrement troublante à propos d'un contrat international portant sur la livraison d'un matériel de haute technologie évalué à plus de 14 millions d'euros d'engagement minimum.

- à l'article 3.2, il est indiqué que le " Client " a l'obligation de verser un acompte représentant un minimum de 60 %, non remboursable : " Tout acompte versé fait acte de commande et sera non remboursable au Client " ;

- à l'article 3.3, Mourax Ltd se réserve le droit discrétionnaire " de demander au Client le paiement intégral du prix indiqué sur le Bon de commande dès la commande, ou avant livraison " ;

- à l'article 4.2, Mourax Ltd a imposé une clause pénale précisant une majoration exigible du taux d'intérêt de 10 points, outre une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement ;

- à l'article 10, Mourax Ltd impose une exclusion de garantie totale relative à la commercialité, à la qualité ou à la compatibilité réglementaire des équipements fournis : " Mourax Ltd ne donne aucune garantie et ne fait aucune déclaration explicite ou implicite de droit ou de fait, réglementaire ou autre, en matière du caractère commercialisable, de qualité adéquate ou d'adéquation pour une utilisation particulière de l'Equipement fourni au Client " ;

- à l'article 12, Mourax Ltd impose une double limitation de responsabilité : en montant, avec un plafond dérisoire de 15 000 euros (art. 12.1), et en excluant tous les dommages constitués par " des pertes de chiffre d'affaires, de profits, de revenus ou de salaires " (art. 12.2)

- à l'article 14-4, Mourax Ltd fait interdiction à Comores Télécom de revendre l'équipement acheté ;

- à l'article 15-2, la force majeure est abusivement réduite aux seules catastrophes naturelles, avec cette conséquence d'aggraver l'obligation d'achat du " client " pour un minimum de 10 000 km de câbles et, de manière générale, toutes les autres obligations mises à sa charge, notamment les clauses pénales ;

- à l'article 18, Mourax Ltd se réserve un droit de résiliation abusivement étendu à tous cas de non-respect du contrat par le Client, sans faire appel à une quelconque hiérarchie des obligations ni à une appréciation de la réalité, de la durée et de la gravité du manquement reproché.

L'intimée conteste au fond tout déséquilibre significatif ; elle réplique que CT, ne fait pas la démonstration d'un rapport de force déséquilibré entre les parties, d'aucune interdiction de s'acheter auprès d'un autre fournisseur, d'aucune dépendance à l'égard de Mourax ; elle fait valoir la négociation intervenue entre les deux sociétés, des " prix négociés " selon le contrat, ainsi qu'il résulte explicitement dans le préambule du contrat que "Comores Télécom a décidé de négocier un contrat-cadre avec Mourax", la relation commerciale ayant permis la négociation de ce contrat a débuté en 2014, et sous la supervision de l'ancien Directeur Général, Monsieur Z.

Elle soutient qu'il existe une contrepartie, si tenté [sic] qu'existe un quelconque déséquilibre, dans les clauses suivantes :

L'article 1.2 du Contrat qui prévoit une remise exceptionnelle pour la société Comores Télécom si celle-ci venait à passer des commandes d'un quatum supérieur à celui auquel il s'était engagé ;

L'article 3.3 du Contrat qui permet à la société Comores Télécom de bénéficier d'une tarification meilleure si celui-ci règle, à la demande la société Mourax, l'intégralité du prix au moment de la commande ;

L'article 4.2 du Contrat qui permet à la société Comores Télécom de bénéficier d'une remise de 15% du prix par rapport à la tarification habituelle de la société Mourax.

L'article 5.2 énonce que le lieu de livraison est choisi par le Client,

L'article 5.3 énonce que le Client peut émettre des réserves lors de la livraison en cas de produit endommagé ou manquant il peut encore, après la livraison, faire état de non-conformité auprès de la société Mourax (article 5.4) ;

Le transfert de risque s'effectue lors de la livraison (article 8.2) ;

Le vendeur garantit le bon état de fonctionnement du matériel livré (article 7.1), et prévoit par ailleurs une " garantie relative à la réparation et/ou au remplacement des Equipements défectueux " (article 9.2) L'exclusion de Garantie ne porte que sur les utilisations particulières que le Client, avisé des spécificités techniques du matériel vendu, souhaiterait mettre en œuvre (articles 7.1 et 10.1).

Elle ajoute que l'appelante ne précise pas non plus les clauses, tout à fait classiques, et qui prévoient que :

Chaque partie peut se prévaloir de la résiliation du contrat en cas d'inexécution de l'autre (article 11 du contrat) ;

Les évolutions de la tarification sont encadrées et varient en fonction de critères indépendants de la volonté de la société Mourax (prix des matières premières et taux de change, évolution du marché, Article 4.4 et Annexe 2).

L'appelante, qui est une société nationale détenue entièrement par l'Etat des Comores, n'allègue aucun état de dépendance économique à l'égard de son fournisseur Mourax, ne démontre pas l'existence d'un rapport de force économique déséquilibré d'au préjudice de CT, élément constitutif de la soumission ou tentative de soumission.

L'intimée fait la preuve au surplus par les énonciations du contrat-cadre du 15 octobre 2015, les annexes au contrat, de l'offre commerciale du 25 mai 2015, de l'existence de négociations en particulier sur les prix pratiqués, de la modification des prix en raison de circonstances extérieures aux parties ainsi que par des courriels entre les parties.

Elle démontre l'existence de contreparties aux clauses litigieuses, outre la stipulation de clauses habituelles en matière de prix, de garantie, de résiliation.

Il en résulte que CT, n'établit pas la preuve de l'existence d'une soumission ou tentative de soumission de CT par Mourax. Le moyen d'une violation de l'ordre public économique français, d'un déséquilibre significatif, est rejeté.

Sur le fondement du droit commun, l'appelante soutient que la simple lecture du contrat confirme un déséquilibre significatif d'une ampleur telle qu'il prive de cause l'obligation de payer de la société nationale Comores Télécom, que l'obligation de la société nationale Comores Télécom est inconditionnelle, manifestement excessive et totalement déconnectée des réalités économiques les plus élémentaires, puisque l'objet des paiements n'est pas défini, les paiements ne peuvent être suspendus en raison des engagements minimums et de l'absence de clause de renégociation ainsi que de la réduction des effets de la clause de force majeure.

Elle ajoute qu'à l'inverse, Mourax Ltd s'exonère de la définition des caractéristiques des matériels qu'elle doit livrer, s'exonère de toute garantie de commercialité, de qualité ainsi que de toute responsabilité, et s'octroie encore le droit de percevoir des pénalités exorbitantes du droit commun, qu'elle chiffre elle-même à plus de 14 millions d'euros.

Les modalités du payement présentent un caractère courant par le payement d'un acompte lors de la commande et le payement des montants restant dus à la livraison. Le retard dans le payement est contractuellement sanctionné et le prix peut être révisé, s'agissant d'un contrat à exécution successive, en fonction d'éléments extérieurs aux parties.

Il en résulte que les clauses de prix sont valides pour n'être pas dépourvues de cause.

L'obligation d'exécuter le contrat par le débiteur, en l'espèce l'obligation de passer commande et de payer, ne constituant pas une obligation illicite, seule la cause étrangère qui ne peut lui être imputée exonérant le débiteur de son inexécution, il n'est pas démontré que le contrat est dépourvu de cause de ce chef.

L'appelante n'établit pas davantage que la clause pénale est dépourvue de cause, l'intimée faisant la preuve qu'elle subit un préjudice dans le cas d'une rupture anticipée du contrat.

Il en résulte le rejet de l'exception de nullité pour défaut de cause.

L'inexécution du contrat par CT, conduit à prononcer la résiliation du contrat du 15 octobre 2015.

4. Sur le caractère manifestement excessif de la clause pénale :

L'article 18 du contrat stipule que "la société CT, s'engage à verser une indemnité égale au nombre de km de fibre optique commandée et non réglé multiplié par le prix moyen de la fibre optique déjà réglé par CT, à la société Mourax depuis la première commande de 2015 portant sur 200 km, soit en l'espèce 14 000 000 euros".

Constitue une clause pénale la clause d'un contrat par laquelle les parties évaluent forfaitairement et d'avance l'indemnité à laquelle donnera lieu l'inexécution de l'obligation contractuelle.

La clause litigieuse évaluant forfaitairement le dommage, il en résulte que cette clause doit s'analyser en une clause pénale.

C'est exactement que le tribunal a retenu le caractère manifestement excessif de la clause au regard du préjudice effectivement subi, l'acompte perçu permettant à Mourax de commander la fibre optique auprès d'un fabricant pour chaque commande ferme passée par la société CT, ce qui procure à Mourax un chiffre d'affaires comprenant la marge brute qui lui revient, Mourax ne démontrant pas avoir subi un préjudice autre que l'absence de commande auprès de son fabricant.

En l'absence de production par Mourax d'élément de sa comptabilité propre à établir un préjudice subi au-delà de la somme allouée par le premier juge d'une part et de démonstration d'un préjudice autre que celui subi par le défaut de payement de la commande passée, la cour évalue le préjudice subi au montant du préjudice retenu par le tribunal, soit la somme de 700 000 euros.

La demande d'astreinte est sans objet au regard de la décision de cantonnement de la saisie conservatoire à la somme de 700 000 euros prononcée par le juge de l'exécution par jugement du 7 avril 2017.

Le montant des dommages et intérêts pour résistance abusive est confirmé par motifs adoptés.

La demande en dommages et intérêts formée par CT, est sans objet à raison de la succombance.

Par ces motifs, LA COUR, confirme le jugement dont appel en toutes ses dispositions ; ajoutant, rejette l'exception de nullité pour défaut de cause ; prononce la résiliation du contrat du 15 octobre 2015 ; vu l'article 700 du Code de procédure civile, condamne la société Comores Télécom à payer à la société Mourax Ltd la somme de 6 000 euros ; rejette toute demande autre ou plus ample ; condamne la société Comores Télécom aux entiers dépens.