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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 25 janvier 2019, n° 17-15416

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

L'Elanion Blanc (Sarlu)

Défendeur :

Association de formation des salariés agricoles et ruraux

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gaber

Conseillers :

Mmes Renard, Lehmann

Avocats :

Mes Cacheux, Tordjman, Rouche-Tordjman

TGI Paris, 5e ch. sect. 2, du 29 juin 20…

29 juin 2017

Vu le jugement contradictoire du 29 juin 2017 rendu par le tribunal de grande instance de Paris,

Vu l'appel total interjeté le 27 juillet 2017 par la société l'Elanion Blanc,

Vu les dernières conclusions (n° 6) remises au greffe, et notifiées, par voie électronique, le 12 septembre 2018 de la société l'Elanion Blanc, appelante et incidemment intimée,

Vu les dernières conclusions (n° 3) remises au greffe, et notifiées, par voie électronique, le 7 septembre 2018, par l'Association de Formation des Salariés Agricoles et Ruraux (ci-après ASFOSAR), intimée et incidemment appelante,

Vu l'ordonnance de clôture du 13 septembre 2018,

Sur ce, LA COUR,

Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.

Il sera simplement rappelé que la société L'Elanion Blanc immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Paris depuis le 6 novembre 2006 a pour unique associée et gérante Madame X et pour activité déclarée toutes opérations commerciales relatives aux conseils en management et autres.

Elle indique offrir prestations de services dans le domaine de la formation, du conseil et de l'audit et en cela poursuivre l'activité qui avait auparavant été exercée depuis l'an 2000 par madame Béatrice J. en nom personnel.

L'ASFOSAR est un syndicat professionnel régi par les articles L. 2131-1 et suivants du Code du travail ayant pour objet la promotion de la formation des salariés de la Mutualité Sociale Agricole Française (MSA).

L'ASFOSAR a fait appel aux services de Madame X depuis l'an 2000, d'abord dans le cadre d'une activité exercée à titre personnel, puis à compter de la création de société L'Elanion Blanc par le biais de celle-ci.

Les relations s'établissaient par la signature de contrats à durées déterminées autonomes constituant un flux d'affaires et une relation habituelle et suivie.

A compter de mars 2011, les relations entre l'ASFOSAR et la société L'Elanion Blanc et Madame X ont cessé.

La société L'Elanion Blanc expose que cette situation est consécutive à l'arrivée d'une nouvelle responsable du département formation en la personne de mMadame Y et précise qu'elle n'a bénéficié d'aucun nouveau contrat à compter de 2012 ne réalisant en 2012 qu'un chiffre d'affaires résiduel et plus rien à compter de 2013.

Le 15 octobre 2013, l'avocat de la société L'Elanion Blanc reprochait à l'ASFOSAR une rupture brutale des relations contractuelles établies avec sa cliente Madame X exerçant la profession de consultante sous l'enseigne L'Elanion Blanc et l'utilisation fautive des présentations des synopsis et des contenus des formations élaborées par Madame X.

Par lettre officielle du 13 février 2014, l'avocat de l'ASFOSAR répondait que :

- l'Association était parfaitement libre du choix de ses prestataires, d'autant que ceux-ci sont sélectionnés dans le cadre de la procédure légale de passation des marchés publics ;

- le travail de L'Elanion Blanc s'était dégradé ;

- ses formations ne constituaient pas des œuvres protégeables.

Par acte du 6 juillet 2015, la société L'Elanion Blanc a assigné l'ASFOSAR devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de la voir condamnée à lui payer les sommes de 219 424 euros au titre de la rupture brutale des relations commerciales, de 172 800 euros au titre de la concurrence déloyale et de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Suivant jugement en date du 1er juin 2015, le tribunal de commerce de Paris s'est déclaré incompétent et a renvoyé l'affaire devant le tribunal de grande instance de Paris.

Aux termes du jugement déféré, le tribunal de grande instance a condamné L'ASFOSAR à payer à la société L'Elanion Blanc la somme de 20 000 euros à titre de dommages intérêts sur le fondement de l'article 1240 du Code civil, la somme de 2 000 euros pour les frais irrépétibles et l'a déboutée du surplus de ses demandes.

Sur la rupture abusive des relations commerciales

La société L'Elanion Blanc argue de relations commerciales établies entre 2000 et 2011 avec l'ASFOSAR précisant qu'elle vient aux droits de Madame X auxquelles il aurait été mis fin de manière brutale et fautive.

Elle fonde son action visant à obtenir une indemnisation à hauteur de 219 424 euros à titre principal sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce et à titre subsidiaire sur l'article 1240 du Code civil.

Le jugement critiqué a jugé que l'ASFOSAR n'était pas visée par l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce mais qu'elle n'en était pas pour autant dispensée de faire œuvre de précaution à l'égard de la société L'Elanion Blanc et de respecter les règles de droit commun régissant la responsabilité extracontractuelle, qu'en n'informant pas la société L'Elanion Blanc de son insatisfaction et de ses attentes, elle avait fait preuve de légèreté à l'égard de ce partenaire avec qui elle avait une relation longue de 11 ans et de confiance.

L'ASFOSAR rappelle que la société L'Elanion Blanc n'existe que depuis le 6 novembre 2006 et que dès lors l'ancienneté de la relation à prendre en compte ne peut remonter antérieurement à cette date et conteste toute rupture brutale ou fautive. Elle demande la confirmation du jugement en ce qu'il a jugé inapplicable à l'espèce L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et son infirmation sur le fondement de l'article du Code civil.

L'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce dispose :

" I. - Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

(...)

5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'Economie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas ; (...) "

La cour retient qu'il ressort des éléments mis aux débats que de nombreux contrats à titre onéreux ont, pendant une période de 11 années été conclus entre L'ASFOSAR et d'une part Madame X à compter de l'an 2000, puis d'autre part la société L'Elanion Blanc à compter de 2006, d'autre part, que ce soit de gré à gré, ou dans le cadre des règles de la soumission publique.

Même si chaque contrat ainsi conclu à durée déterminée conservait sa propre autonomie, il s'est, au fil du temps, instauré entre les parties un flux d'affaires constitutif d'une relation commerciale habituelle et suivie.

Ce courant d'affaires s'est tari à compter de mars 2011 sans information préalable, ni mise en demeure, ni préavis.

Le jugement du tribunal doit cependant être infirmé en ce qu'il a jugé que l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce n'avait pas vocation à s'appliquer dès lors que ce texte ne vise que les ruptures imputables à des producteurs, commerçants, industriels ou personnes immatriculées au répertoire des métiers, qualités que ne possède pas l'ASFOSAR, syndicat professionnel régi par les articles L. 2131-1 et suivants du Code du travail, dont l'objet civil par nature, est de promouvoir la formation du personnel des caisses et organismes de mutualité sociale agricole qui y adhèrent.

En effet, il est admis que toute relation commerciale établie a vocation à entrer dans le champ d'application de cet article sans que ni le régime juridique des parties, ni le caractère non lucratif de leur activité, ne soient de nature à les exclure de ce champ dès lors qu'elles procèdent à une activité de production, de distribution ou de services, ce qui est bien le cas en la cause.

La durée du préavis doit tenir compte des usages à défaut d'accord interprofessionnel applicable et de la durée de la relation commerciale, qui doit en l'espèce être retenue pour 11 années, la société L'Elanion Blanc ayant poursuivi avec L'AFSOAR l'activité initiée par sa gérante et associée unique Madame X, ce qui permet de considérer que la relation commerciale est établie avec une seule et même entité économique.

Ce préavis doit, compte tenu de ces éléments être fixé à 6 mois, délai nécessaire pour que la société L'Elanion Blanc puisse se tourner vers d'autres clients et/ou d'adapter les formations proposées.

La société L'Elanion Blanc énonce, sans être contredite, avoir réalisé entre 2000 et 2011 avec l'ASFOSAR un chiffre d'affaire total de 921 055 euros duquel il convient de déduire la somme de 126 610 euros relative à des marchés publics n'entrant pas dans le champ d'application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.

Au vu de ces éléments, la cour est à même de fixer à la somme de 40 000 euros le montant des dommages intérêts dus en réparation du préjudice de la société L'Elanion Blanc résultant de la rupture brutale opérée par l'ASFOSAR.

La demande de dommages et intérêts fondée sur l'article 1240 du Code civil étant présentée à titre subsidiaire, elle ne sera pas examinée.

Sur les actes de parasitisme et/ou de concurrence déloyale

La société L'Elanion Blanc expose que Madame X a réalisé des stages sur mesure pour les besoins du public MSA et que tant leur contenu que leur présentation est original, qu'ils doivent être protégés au titre du droit d'auteur en vertu de l'article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle.

Elle soutient que l'ASFOSAR a dès lors commis à son encontre des actes de parasitisme et/ou de concurrence déloyale en reproduisant et commercialisant dans le catalogue 2013/2015 les stages " Développer une écoute active pour professionnaliser sa relation ", " Développer son intelligence émotionnelle dans son management ", " Management systémique et dynamique du groupe ", " Manager une unité de travail " protégés par le droit d'auteur.

L'article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que l'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous, comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial.

Ce droit est conféré, selon l'article L. 112-1 du même Code, à l'auteur de toute œuvre de l'esprit, quels qu'en soit le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination.

Il se déduit de ces dispositions le principe de la protection d'une œuvre sans formalité et du seul fait de la création d'une forme originale.

Néanmoins, lorsque cette protection est contestée en défense, l'originalité d'une œuvre doit être explicitée par celui qui s'en prétend auteur, seul ce dernier étant à même d'identifier les éléments traduisant sa personnalité.

L'originalité d'une œuvre doit s'apprécier de manière globale de sorte que la combinaison des éléments qui la caractérise du fait de leur agencement particulier lui confère une physionomie propre qui démontre l'effort créatif et le parti pris esthétique portant l'empreinte de la personnalité de l'auteur.

En l'espèce, c'est à juste titre que le tribunal a retenu que les quatre intitulés de stages et les textes de leur présentation revendiqués par la société L'Elanion Blanc comme protégeables au titre du droit d'auteur sont insusceptibles de protection, dans la mesure où d'une part ils présentent et décrivent des contenus de formations, certes très spécialisées, mais ne présentant aucune originalité particulière, et où d'autre part ils ont été avant la publication du catalogue 2010, décrits dans des communications ayant reçu une large diffusion par voie de publications, ainsi qu'en justifie l'ASFOSAR par la production d'une littérature ancienne en la matière et de programmes émanant d'autres sociétés.

Dès lors la demande indemnitaire présentée par la société L'Elanion Blanc comme découlant d'une reprise contrefaisante dans son catalogue de formations 2013/2015 ne saurait prospérer et le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

Sur les autres demandes

L'ASFOSAR qui succombe sera condamnée aux dépens de la procédure d'appel et au paiement d'une somme supplémentaire de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile pour ses frais irrépétibles d'appel.

Par ces motifs : Confirme le jugement sauf en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnisation pour rupture brutale prévue à l'article L. 442-6 I 5° du Code de Commerce et accueilli à hauteur de 20 000 euros la demande de dommages et intérêts pour rupture fautive fondée sur l'article 1240 du Code civil. Statuant à nouveau dans cette limite, et y ajoutant, Condamne l'Association de Formation des Salariés Agricoles et Ruraux ASFOSAR à payer à la société L'Elanion Blanc la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du Code de Commerce, La condamne aux dépens de la procédure d'appel et à payer à la société L'Elanion Blanc la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en outre les frais irrépétibles d'appel.