CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 24 janvier 2019, n° 18-14599
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Artclair Editions (SAS)
Défendeur :
Umberto Allemandi & Co SpA (Sté), U. Allemandi & Co Publishing Limited (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chevalier
Conseillers :
Mmes Dellelis, Bodard-Hermant
Avocats :
Mes Hardouin, Baechlin
La société Artclair Editions, qui vient aux droits de la société ICS, publie en France, la revue Le Journal des Arts. La société de droit italien Umberto Allemandi & C SpA publie, en Italie, la revue Il Giornale dell'Arte et la société de droit anglais Umberto Allemandi & Co Publishing Ltd publie, en Angleterre, la revue The Art Newspaper.
Un contrat conclu le 26 novembre 1993 entre la société ICS, aux droits de laquelle vient la société Artclair Editions et les sociétés Allemandi (ci-après le contrat), prévoit, au bénéfice de la société Artclair Editions :
- l'exclusivité d'exploitation en langue française des titres " Le journal de l'Art " et/ou " Le journal des Arts " déposés à l'INPI, ainsi que du concept et du contenu éditorial des revues Il Giornale dell'Arte et The Art Newspaper, concédée par les sociétés Allemandi sur le territoire de la France, la Belgique et la Suisse, moyennant paiement d'une redevance de 3 % du chiffre d'affaires HT résultant des ventes du Journal des Arts,
- un partenariat publicitaire lui conférant l'exclusivité de démarchage en France, Belgique et Suisse des publicités à paraître dans les revues des sociétés Allemandi, à charge pour ces dernières de prospecter dans les autres pays des publicités à paraître dans le Journal des Arts, chacun encaissant la totalité du prix des annonces qu'il a démarchées et en reversant 65 % à la revue qui les publie.
Les règlements entre les parties se faisaient par compensation des factures réciproques et les décomptes correspondants ont donné lieu à un litige tranché par un jugement du tribunal de commerce de Paris du 20 mars 2013 confirmé par arrêt de la cour d'appel de Paris du 29 janvier 2016.
Par lettre du 21 mai 2015, reçue le 28 mai 2015, l'entité anglaise d'Allemandi a notifié à la société Artclair Editions la résiliation du contrat en toutes ses dispositions, sous préavis de six mois à compter de cette date, la priant de, notamment, cesser d'exploiter le titre le Journal des Arts à compter du 21 novembre 2015. L'entité italienne résiliait de même le contrat avec effet à cette date, par lettre de même date reçue le 22 juin 2015.
Par acte du 10 juillet 2015, la société Artclair Editions a fait assigner les sociétés Allemandi devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fins de :
Vu les articles L. 442-6, I, 5 et L. 442-6 IV du Code de commerce,
Vu les articles 872 et 873 du Code de procédure civile,
Vu l'article 1134 du Code civil,
constater que :
- les sociétés Allemandi ont, brutalement et de manière fautive, rompu la relation commerciale qu'elles entretenaient depuis de près de 22 ans avec elle ;
- elles sont, pourtant, tenues de respecter un délai de préavis d'au moins quarante-quatre (44) mois à compter de la rupture, eu égard à la nature et à la durée de cette relation commerciale ;
- leur attitude déloyale consistant à entraver son activité, en plus de l'absence de délai de préavis, constitue une rupture brutale et fautive des relations commerciales au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce ;
- elle a subi, du fait du comportement illicite des sociétés Allemandi, un trouble manifeste et un dommage réel qui continue à s'aggraver, justifiant une procédure de référé ;
- en outre ce comportement illicite lui a causé un préjudice que cette dernière est en mesure de quantifier dans la mesure où celui-ci résulte de la violation régulière et continue par les sociétés Allemandi de la clause d'exclusivité territoriale prévue au contrat ;
En conséquence, de :
- ordonner aux sociétés Allemandi, sous astreinte du paiement d'une somme de cinq mille (5 000) euros par jour de retard à compter du prononcé de la présente décision, de poursuivre sa relation commerciale avec elle résultant du contrat pendant une période de préavis ne pouvant être inférieure à quarante-quatre (44) mois et commençant à courir à compter de l'ordonnance à intervenir, ladite durée ne pouvant, en tout état de cause, expirer avant la date de la décision au fond à intervenir entre les parties ;
- ordonner notamment aux sociétés Allemandi, pendant cette période, sous astreinte du paiement d'une somme de cinq mille (5 000) euros par jour de retard à compter de l'expiration des délais visés ci-après, de :
- exécuter l'ensemble des obligations résultant du contrat, et tout particulièrement,
- respecter la clause d'exclusivité territoriale prévue au contrat et donc de ne pas conclure de ventes directes avec des annonceurs relevant du territoire d'Artclair à savoir : la France, la Belgique et la Suisse ;
- et par voie de conséquence, de leur enjoindre de rediriger vers elle les annonceurs relevant de son territoire ;
- de publier les ordres d'insertion qu'elle leur adressera pour le compte de ses clients ;
- condamner solidairement les sociétés Allemandi à lui verser, à titre provisionnel, une somme globale de 266 248 euros au titre de la violation de la clause d'exclusivité territoriale ;
En tout état de cause,
- se réserver la liquidation des astreintes ;
- condamner solidairement les sociétés Allemandi aux dépens et à lui verser la somme de quinze mille euros ( 15 000) euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ordonnance de référé rendue le 4 septembre 2015, le président du tribunal de commerce de Paris :
- s'est déclaré compétent,
- a dit n'y avoir lieu à référé, renvoyant les parties à se mieux pourvoir et réservant au juge du fond, éventuellement saisi, de statuer sur les demandes des parties, en ce compris celles fondées sur l'application de l'article 700 du Code de procédure civile
- et a condamné la société Artclair Editions aux dépens.
Sur appel de la société Artclair Editions, le pôle 1 chambre 8 de cette cour :
- a déclaré recevables les conclusions transmises en appel par les sociétés Allemandi ;
- les a déboutées de leur demande de caducité de la déclaration d'appel de la société Artclair Editions ;
- dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer ;
- confirmé l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a déclaré le président du tribunal de commerce de Paris compétent et dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de provision;
- infirmé l'ordonnance entreprise en ses autres dispositions ;
Et statuant à nouveau,
- ordonné aux sociétés Allemandi, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du prononcé de la présente décision, de poursuivre leur relation commerciale avec la société Artclair Editions résultant du contrat aux conditions contractuellement prévues entre les parties pendant une période supplémentaire de préavis de dix-huit mois commençant à courir à compter de la présente décision, soit jusqu'au 20 mai 2017 ;
- dit n'y avoir lieu à se réserver la liquidation de l'astreinte,
- dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens en première instance,
et y ajoutant,
- déclaré la loi française applicable au litige;
- débouté les parties du surplus de leurs demandes;
- rejeté la demande présentée par les sociétés Allemandi sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamné in solidum les sociétés Allemandi aux dépens et à payer à la société Artclair Editions la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
La Cour de cassation, par un arrêt de sa Chambre commerciale du 13 septembre 2017 (RG 13-13.062) a - au visa de l'article 7, 1) et 2) du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 du Conseil et du Parlement européen concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (le règlement Bruxelles I bis) - cassé et annulé cet arrêt du 20 novembre 2015 en ce qu'il a retenu que la responsabilité engagée par l'auteur de la rupture est de nature délictuelle, sauf en ce qu'il déclare recevables les conclusions transmises en appel par les sociétés Allemandi et rejette leur demande de caducité de la déclaration d'appel de la société Artclair Editions, renvoyant l'affaire devant la cour d'appel de Paris autrement composée.
Le pôle 1 chambre 2 a été saisi sur ce renvoi le 4 juin 2018 par la société Artclair Editions qui, par conclusions communiquées par voie électronique le 3 août 2018, demande à la cour, sur le fondement des articles 7 et 35 du règlement Bruxelles I bis, des articles 4 et 9 du règlement (CE) n° 593/2008 Rome I, des articles L. 442-6 I 5° et L. 442-6 IV du Code de commerce, des articles 872 et 873 du Code de procédure civile, des articles 960 et 961 du Code de procédure civile, de l'article 1134 du Code civil, de :
constater que :
- ses demandes à l'encontre des sociétés Allemandi sont de nature contractuelle ;
- le juge des référés du tribunal de commerce de Paris est compétent pour statuer sur le présent litige ;
- les sociétés Allemandi ont, brutalement et de manière fautive, rompu la relation commerciale qu'elles entretenaient depuis de près de 22 ans avec elle;
- elles sont, pourtant, tenues de respecter un délai de préavis d'au moins quarante-quatre (44) mois à compter de la rupture, eu égard à la nature et à la durée de cette relation commerciale ;
- leur attitude déloyale consistant à entraver son activité, en plus de l'absence de délai de préavis, constitue une rupture brutale et fautive des relations commerciales au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce ;
- la rupture brutale des relations commerciales lui cause un dommage imminent qu'il convient de prévenir, ainsi qu'un trouble manifestement illicite auquel il convient de remédier dans les plus brefs délais ;
en conséquence
- confirmer l'ordonnance rendue le 4 septembre 2015 par M. le Président du tribunal de commerce de Paris en ce qu'elle a déclaré M. le Président du tribunal compétent pour statuer sur le litige qui lui était soumis ;
- la réformer dans toutes ses autres dispositions ;
et statuant à nouveau :
- débouter les sociétés Allemandi de leurs demandes ;
- déclarer la loi française applicable au présent litige ;
- ordonner aux sociétés Allemandi de poursuivre sa relation commerciale avec elles résultant du contrat pendant une période de préavis ne pouvant être inférieure à quarante-quatre (44) mois et commençant à courir à compter de la date de résiliation du celui-ci ;
en tout état de cause,
- condamner solidairement les sociétés Allemandi aux dépens et à lui verser la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Artclair Editions soutient :
- le juge français saisi est compétent pour statuer sur ses demandes, de nature contractuelle, au visa de l'article 7 1) b) du règlement de Bruxelles I bis si le contrat est un contrat de prestation de services, subsidiairement, compte tenu des doutes résultant à cet égard de la jurisprudence de la CJUE, de son article 7 1) a), puisque c'est en France que les sociétés Allemandi lui permettent d'exploiter sa marque "Le Journal des Arts", laquelle est déposée en France,
- en tout état de cause, il est compétent en vertu de l'article 35 de ce règlement, puisque :
* la poursuite du contrat est sollicitée à titre conservatoire, peu important la compétence juridictionnelle au fond,
* la loi française, donc l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, est applicable au contrat en application de l'article 4 du règlement Rome I, dès lors que la France est le pays où elle a son siège social et avec lequel le contrat présente les liens les plus étroits
* cet article L. 442-6 I 5° du Code de commerce est en tout état de cause une loi de police,
- la rupture intervenue dans le contexte de la cession des sociétés Allemandi à un tiers, Mme X, qui veut au plus vite et par tous les moyens mettre un terme au contrat, est brutale eu égard à l'ancienneté du contrat, soit plus de 22 ans et à la dépendance économique dans laquelle elle se trouve dès lors que l'interdiction de publier " Le Journal des Arts " compromet irrémédiablement sa pérennité. Elle doit disposer d'un préavis de 44 mois pour pouvoir réorganiser son activité, dans le secteur fragile de l'édition, laquelle dépend du contrat à hauteur en moyenne de 60 % de son chiffre d'affaires.
Les sociétés Umberto Allemandi & C SpA et Umberto Allemandi & Co Publishing Limited, intimées, ont constitué avocat mais n'ont pas conclu dans le cadre de la présente instance. Le conseil des intimées ayant indiqué n'avoir aucune nouvelle de ses clientes, l'affaire a été clôturée le 28 novembre 2018.
En application de l'article 1037-1 du Code de procédure civile, les sociétés Umberto Allemandi & C SpA et Umberto Allemandi & Co Publishing Limited sont réputées s'en tenir aux moyens et prétentions contenus dans leurs conclusions communiquées par RPVA le 13 novembre 2015 dans le cadre de l'instance enregistrée sous le numéro RG 15/18265 devant le pôle 1 chambre 8 dont l'arrêt du 20 novembre 2015 a été cassé.
La cour renvoie aux décisions et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions de la société Artclair Editions, conformément à l'article 455 du Code de procédure civile.
Sur ce LA COUR
En vertu de l'article 873 alinéa 1er du Code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut toujours, dans les limites de la compétence de ce tribunal, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le trouble manifestement illicite désigne toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou non, constitue une violation évidente de la règle de droit et le dommage
imminent s'entend de celui qui n'est pas encore réalisé mais qui se produira sûrement si la situation dénoncée perdure.
Sur la compétence internationale du juge saisi et la loi applicable au litige
La cour de cassation, dans l'arrêt précité, a jugé au visa de l'article 7 1) et 2) du règlement de Bruxelles 1 bis dont les dispositions doivent être interprétées de façon autonome que la demande de prorogation de la relation contractuelle en examen est de nature contractuelle.
Cet article 7 est ainsi libellé:
"Une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre peut être attraite dans un autre Etat membre:
1) a) en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande
b) aux fins de l'application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande est :
- pour la vente de marchandises, le lieu d'un Etat membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées,
- pour la fourniture de services, le lieu d'un Etat membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis;
c) le point a) s'applique si le point b) ne s'applique pas";
Le for spécial de cet article 7 1) b), qui vaut, sauf convention contraire non invoquée en l'espèce, quel que soit l'objet de la demande (CJUE, Kareda, 15 juin 2017, C-249-16, point 29), conduit à qualifier le contrat en litige.
Selon la jurisprudence issue des arrêts Falco (CJCE, 23 avril 2009, C-533/07) et Corman Collins (CJUE, 19 décembre 2013, C-9/12) si la notion de fourniture de services implique que la partie qui les fournit effectue une activité déterminée, à l'exclusion de simples abstentions, en contrepartie d'une rémunération, entendue non pas au sens strict du versement d'une somme d'argent mais comme un ensemble d'avantages pouvant représenter une valeur économique, la concession du droit d'exploiter un droit de propriété intellectuel n'est pas un service au sens du règlement Bruxelles I bis.
Le for de l'article 7.1 a) s'applique à défaut de contrat de vente de marchandises, non invoqué en l'espèce, ou de prestation de service.
Tel qu'interprété par la jurisprudence résultant des arrêts Tessili et de Bloss (CJCE 6 octobre 1976, aff 12/76 et 14/76), cette disposition prévoit un for spécial de la contestation particulière en litige, celui du lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande, "en considération de l'existence, dans certaines hypothèses bien déterminées, d'un lien de rattachement particulièrement étroit entre une contestation et la juridiction qui peut être appelée à en connaître, en vue de l'organisation utile du procès" (point 13). Le tribunal saisi peut se déclarer compétent sur toutes les demandes lorsque l'accessoire suit le principal (Shenavai CJCE, 15 janvier 1987, aff. 266/85). Il doit identifier l'obligation à prendre en considération, puis, en vertu de la règle de conflit du for, la loi applicable à ce rapport juridique et définir, en vertu de cette loi, le lieu de son exécution.
Eu égard à la date du contrat, cette règle de conflit est la convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, en particulier ses articles 2 à 4 selon lesquels, à défaut, comme en l'espèce, de choix de loi par les parties, le contrat est régi par la loi du pays, quel qu'il soit, avec lequel il présente les liens les plus étroits. Cette convention crée en outre une présomption en ce sens en faveur du pays du siège social, au moment du contrat, de la société débitrice de la prestation caractéristique du contrat.
Au terme du préambule du contrat :
"La société Allemandi (ci-après désignée par A) publie actuellement en Italie Il Giornale dell'Arte et en Angleterre The Art Newspaper dont elle détient la pleine propriété. Dans l'optique d'un développement international, elle envisage de céder à des tiers 1e contrôle de son édition anglaise, et souhaite trouver des accords de coopération éditoriale avec différents partenaires pour la publication sur les principaux marchés de journaux nationaux de même formule et de même qualité.
La société ICS (ci-après désignée par B) souhaite de son côté éditer en France un journal de même type, destiné aux lecteurs des pays de langue française et adapté aux besoins spécifiques de leurs marchés, appuyé sur l'expérience de la société A. et utilisant pour sa partie internationale les informations recueillies par cette dernière directement ou dans le cadre du réseau de coopération internationale qu'elle se propose d'établir.
Dans ce contexte, les deux parties ont convenu de coopérer étroitement pour l'édition d'un journal destiné aux marchés Francophones et ont arrêté les dispositions suivantes : (...)".
Le contrat confère ainsi à la société Artclair Editions, un "droit exclusif d'exploitation en langue française des titres le Journal de l'Art et/ou le Journal des Arts déposées par elle auprès de l'INPI, du concept et des programmes correspondants", (article 1er). Ce droit lui est concédé par les sociétés Allemandi sur les territoires de la France, de la Belgique et de la Suisse (article 7), moyennant paiement d'une redevance représentant 3 % du chiffre d'affaires HT résultant des ventes de ces titres. La société Artclair Editions dispose ainsi (article 2) du droit de traduire, adapter et publier dans les colonnes de ses deux titres en litige l'intégralité du contenu éditorial des deux journaux précités des sociétés Allemandi..
Quant au volet publicitaire du contrat, il organise une coopération entre les parties à cette fin (article 13), qui impose à chaque partie d'assurer en exclusivité la prospection active de la publicité sur son territoire pour l'ensemble des journaux litigieux, en y consacrant tous les moyens nécessaires et en contrepartie d'une rémunération à hauteur de 35 % des montants encaissés à ce titre.
Ainsi, le contrat organise la fourniture d'une concession d'exploitation de licence qui permet à la société Artclair Editions d'éditer le Journal des Arts et/ou Journal de l'Art depuis son siège parisien. Si cette concession parait exclure la qualification de prestation de services au sens de l'article 7 1) b) du règlement Bruxelles I bis, elle est néanmoins la prestation caractéristique du contrat, comme en atteste son préambule. Dans cet optique, les partenariats éditorial et publicitaire sont donc accessoires. Enfin, les modalités d'exécution du contrat démontrent les liens très étroits qu'il présente avec la France, et plus particulièrement Paris, où s'exécute la prestation caractéristique : le contrat est rédigé en français, langue d'échange des parties, il organise l'exploitation en France d'un journal en français, il prévoit une clause d'arbitrage qui désigne la CCI, même si les parties y ont renoncé, toutes les procédures contentieuses diligentées entre les parties l'ont été en France et en français (Annexe A du BPC), enfin les factures sont libellées en euros.
Il en résulte :
- que la loi française régit le contrat en vertu des articles 2 à 4 de la convention de Rome précitée, dès lors que le siège social de la société Artclair Editions qui doit en fournir la prestation caractéristique est en France ou dès lors, subsidiairement, que le contrat présente avec la France des liens plus étroits qu'avec ceux, au Royaume Uni ou en Italie, sièges respectifs des intimées si cette prestation caractéristique devait y être située,
- et que la juridiction parisienne saisie est compétente en vertu de l'article 7 1) a) du règlement Bruxelles I bis susvisé pour connaître du litige tendant à la poursuite de ce contrat comme étant celle du lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande.
L'ordonnance entreprise doit donc être confirmée du chef de la compétence.
Au principal
Vu l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce,
En vertu de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, "engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, (...) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. (...) les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations (...)".
Il est constant que ces dispositions du Code de commerce ne s'opposent pas à la saisine du juge des référés, qui selon l'article L. 442-6 IV de ce Code peut ordonner, au besoin sous astreinte, la cessation des pratiques abusives ou tout autre mesure provisoire, sauf à respecter les conditions d'application des dispositions des articles 872 et 873 du Code de procédure civile qui fonde sa compétence.
Il est acquis aux débats que les sociétés Allemandi ont notifié à la société Artclair Editions par lettres du 21 mai 2015 la résiliation, sans motif, écrit, à effet du 25 novembre 2015, du contrat daté du 26 novembre 1993 qui ne contient pas de délai de préavis.
Au terme de cette résiliation, la société Artclair Editions ne peut plus publier "le Journal des Arts" ni, en conséquence, percevoir les revenus en résultant. Elle lui a été notifiée avec un délai de préavis de six mois, manifestement insuffisant pour lui permettre de réorganiser son activité eu égard à la durée de près de 22 ans de ce contrat, à la spécificité du partenariat éditorial qu'il instaure telle qu'elle résulte de ce qui précède et à l'état de dépendance économique vis-à-vis de ce dernier dans laquelle cette société se trouvait lors de la résiliation.
A cet égard et au vu des pièces produites, la société Artclair Editions dont il n'est pas contesté qu'elle diffusait son Journal des Arts lors de la résiliation à 10 000 exemplaires et disposait de 400 annonceurs justifie avec l'évidence requise en référé qu'elle a réalisé un chiffre d'affaires moyen au titre de ce contrat, pour la période 2012-2014, de l'ordre 60 % de son chiffre d'affaires global.
Il résulte par ailleurs de l'article L. 442-6 I 5° précité que la brutalité de la rupture ne préjuge pas de son imputabilité sauf à établir, avec l'évidence requise en référé, l'inexécution par la société Artclair Editions de ses obligations. Ainsi et contrairement à ce que les sociétés Allemandi ont pu soutenir dans les instances précédentes, l'existence d'un contentieux relatif au paiement des commissions dues par chacune des parties, initié depuis le 17 novembre 2010, ne rend pas en soi la rupture du contrat prévisible et ne dispense pas du respect d'un délai de préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce.
La rupture litigieuse de relations commerciales établies depuis près de 22 ans avec la société Artclair Editions en vertu du contrat est donc à l'évidence brutale.
Elle constitue en conséquence un trouble manifestement illicite auquel il convenait de mettre un terme en ordonnant aux sociétés Allemandi de poursuivre leur relation contractuelle avec la société Artclair Editions dans les termes du contrat pendant une période de préavis fixée à 24 mois à compter de la date de sa résiliation, tenant compte de la durée du contrat, de la dépendance économique de la société Artclair Editions vis-à-vis de ce dernier et de la spécificité de l'activité interrompue, telles que relevées ci-dessus.
Conformément aux articles 696 et 700 du Code de procédure civile, les sociétés Allemandi, partie perdante, doivent supporter la charge des dépens et l'équité commande de les condamner à une indemnité de procédure dans les termes du dispositif qui suit.
Par ces motifs, vu les articles 2 à 4 de la convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicables aux obligations contractuelles, vu l'article 7 1) du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 du Conseil et du Parlement européen concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, vu l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, dit que le contrat est régi par la loi française; infirme l'ordonnance entreprise sauf du chef de la compétence; statuant à nouveau et y ajoutant, dit qu'il convenait d'ordonner aux sociétés Umberto Allemandi & C SpA et Umberto Allemandi & Co Publishing Limited de poursuivre leur relation commerciale avec la société Artclair Editions résultant du contrat du 26 novembre 1993 pendant une période de préavis de 24 mois à compter de la date de sa résiliation ; condamne les sociétés Umberto Allemandi & C SpA et Umberto Allemandi & Co Publishing Limited aux dépens de première instance et d'appel et à payer à la société Artclair Editions une indemnité de procédure de 12 000 euros.