CA Rennes, ch. com. 3, 22 janvier 2019, n° 16-01968
RENNES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Boulangerie patisserie gicquello (SARL)
Défendeur :
Fours fringand (SAS), Axa france iard (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Calloch
Conseillers :
Mme Jeorger le Gac, M. Garet
Avocats :
Mes Furlotti, Garcia, Dubray, Gruber, Orain, Kermarrec, Gaborit
Faits et procédure,
Par acte en date du 1er septembre 2008, les époux L. ont cédé à la société BOULANGERIE PÂTISSERIE GICQUELLO un fonds de commerce et artisanal de boulangerie situé à SAINT NAZAIRE pour un prix de 400 000 ventilé en 320 000 au titre des éléments incorporels et 80 000 au titre du matériel et du mobilier.
La société BOULANGERIE PÂTISSERIE GICQUELLO contestant la conformité aux règles de sécurité d'une partie du matériel vendu, et notamment du four, elle a saisi le juge des référés du tribunal de commerce de SAINT NAZAIRE qui, par ordonnance en date du 15 juillet 2009, a désigné monsieur L. en qualité d'expert judiciaire. Monsieur L. a déposé son rapport définitif le 18 avril 2012.
Par acte en date du 9 décembre 2013, la société BOULANGERIE PÂTISSERIE GICQUELLO a fait assigner les époux L. devant le tribunal de commerce de SAINT NAZAIRE afin d'obtenir l'indemnisation de son préjudice matériel à hauteur de la somme de 39 536 01, de son préjudice économique à hauteur de la somme de 70 000 et le remboursement de ses frais de remise en état à hauteur de la somme de 24 870 36. Par acte en date du 24 janvier 2014, les époux L. ont appelé en garantie la société civile professionnelle DOLLEY COLLET en qualité de liquidateur de la société PANI ATLANTIC, la compagnie AXA FRANCE IARD en qualité d'assureur de la société PANI ATLANTIC, installateur du four, et la société FOURS FRINGAND, fabriquant du four.
Suivant jugement en date du 4 novembre 2015, le tribunal a joint les deux procédures, a fixé le préjudice subi par la société BOULANGERIE PÂTISSERIE GICQUELLO au titre des désordres affectant le four aux sommes de 3 750 et 1 187 et a condamné la société AXA FRANCE IARD au paiement de ces montants et aux dépens, les époux L. étant eux condamnés à verser à la demanderesse la somme de 3 000 en application de l'article 700 du code de procédure civile et les parties étant déboutées des autres demandes.
La société BOULANGERIE PÂTISSERIE GICQUELLO a interjeté appel de cette décision par déclaration enregistrée au greffe le 9 mars 2016.
Le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de l'instruction par ordonnance en date du 18 octobre 2018 et a renvoyé l'examen de l'affaire à l'audience du 27 novembre 2018.
A l'appui de son appel, par conclusions déposées au greffe le 17 octobre 2018, la société BOULANGERIE PÂTISSERIE GICQUELLO se réfère aux conclusions de l'expert pour affirmer que le four vendu par la société FRINGAND est affecté de plusieurs défauts de conformité engageant la responsabilité des vendeurs du fonds, les époux L., et de l'installateur, la société PANI A. assurée par la compagnie AXA FRANCE IARD. Analysant le rapport d'expertise et la note du sapiteur, ils précisent que si la cause de la non-conformité n'a pu être éclaircie, la réalité de celle-ci ne peut être contestée ainsi que la mauvaise installation effectuée par la société PANI ATLANTIC. Elle invoque en conséquence d'une part la responsabilité contractuelle de l'installateur à l'égard des époux L., et en déduisent l'existence d'une responsabilité délictuelle les concernant, et d'autre part la garantie des vendeurs du fonds de commerce en application des dispositions de l'acte de cession. Sur le préjudice, elle affirme que la décision de changer le four est bien liée à sa non-conformité et évalue la perte économique liée au dysfonctionnement de l'appareil à la somme de 70 000 , outre 8 545 correspondant à la période de changement des fours. Elle invoque enfin la nécessité de mettre aux normes le système électrique en se référant là encore à l'expertise. Au terme de ces écritures, la société BOULANGERIE PÂTISSERIE GICQUELLO conclut à la confirmation de la décision ayant condamné la compagnie AXA FRANCE IARD à lui verser la somme de 3 750 et 1 187 et à régler l'intégralité des dépens, y compris les frais d'expertise, et à l'infirmation pour le surplus, la cour condamnant in solidum les époux L., la S. A.R. L. PANI ATLANTIC et la compagnie AXA FRANCE IARD à lui verser les sommes de 45 920 10 en réparation du préjudice matériel, 8 545 au titre de perte d'exploitation, 70 000 au titre du préjudice économique, et condamnant les époux L. au paiement de la somme de 11 397 au titre de la non-conformité et 9 356 27 au titre des frais de remise en conformité des installations électriques, outre 5 000 en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Monsieur et madame L., par conclusions déposées le 4 octobre 2018, rappellent que l'expert judiciaire n'a retenu aucune responsabilité à leur encontre, imputant les désordres éventuellement constatés à l'installateur. Ils contestent toute non-conformité relative à la distance entre le four et le mur, à l'absence de dalle bêton et à la hauteur de la cheminée, ce dernier point relevant en toute hypothèse de la responsabilité de la société PANI ATLANTIC. De même, la non-conformité de l'installation électrique serait imputable à cette société et devrait être prise en charge par son assureur. Ils contestent devoir prendre en charge le remplacement du four, remplacement dépendant de la seule volonté de la société appelante et n'étant pas rendue nécessaire au vu des non conformités alléguées. Les époux L. affirment que le préjudice allégué n'est pas établi par les pièces du dossier, qui ne mettent pas en lumière une insatisfaction de la clientèle. Sur les autres matériels, ils rappellent que les acheteurs ont fait effectuer un inventaire contradictoire avant la cession et dénient l'existence de véritables non conformités. Ils demandent dès lors à la cour de confirmer le jugement déféré ayant débouté la société GICQUELLO des demandes formulées à leur encontre et de l'infirmer en ce qu'il a rejeté leur propre demande pour procédure abusive, concluant à la condamnation de la société GICQUELLO de ce fait au paiement de la somme de 5 000 de dommages intérêts pour procédure abusive, outre 15 000 en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La société FOUR FRINGAND, suivant conclusions déposées au greffe le 5 juillet 2016, conclut à la confirmation de la décision en soutenant que la non-conformité du four par elle vendu n'est pas établie par le rapport d'expertise et en demandant à la cour de donner acte que la société BOULANGERIE PÂTISSERIE GICQUELLO ne formule aucune demande à son encontre. Elle rappelle que les opérations de raccordement électrique et les travaux de cheminée d'évacuation étaient expressément exclus du contrat de vente et conclut en conséquence au rejet de l'action en garantie formée à son encontre par les époux L. et la compagnie AXA FRANCE IARD. Elle sollicite enfin la condamnation de la S.A.R.L. GICQUELLO et des époux L. à verser une somme de 5 000 en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La compagnie AXA FRANCE IARD, par conclusions déposées le 10 octobre 2018, conclut à la confirmation de la décision en ce qu'elle a débouté la société BOULANGERIE PÂTISSERIE GICQUELLO de ses demandes formées au titre de la non-conformité du four, non-conformité que ne serait pas établie par le rapport de l'expert judiciaire. Elle précise qu'en outre le coût de ce remplacement ne peut être pris en charge par elle à la lecture des clauses du contrat d'assurance. Elle conteste les autres travaux de reprise allégués, les désordres et les préjudices en résultant n'étant pas démontrés. Elle s'estime fondée en toute hypothèse à demander la garantie de la société FOUR FRINGAND, un représentant de celle-ci ayant assisté aux opérations de livraison de d'installation. Elle soulève l'irrecevabilité de la demande en paiement de la somme de 8 545 au titre de la perte d'exploitation, celle-ci ayant été formulée pour la première fois en cause d'appel, et se réfère au rapport d'expertise pour conclure au caractère non fondé de la demande en paiement de la somme de 70 000 au titre du préjudice économique. Au terme de ses écritures, elle conclut en conséquence à la confirmation de la décision, sauf en ce qu'elle a rejeté sa demande en garantie à hauteur de 50 % dirigée contre la société FOUR FRINGAND. Elle conclut à titre subsidiaire à la réduction des sommes à allouer à la société BOULANGERIE PÂTISSERIE GICQUELLO, demande en toute hypothèse à être garantie par la société FOUR FRINGAND à hauteur de 50 % de toute condamnation et sollicite la condamnation de la partie succombante à lui verser une somme de 2 500 en application de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le défaut de conformité du four,
L'expert judiciaire, après s'être rendu à quatre reprises sur les lieux et avoir consulté quatre sapiteurs, a conclu ne pas avoir constaté les problèmes de cuisson invoqués par la société GICQUELLO, ni de défaillances dans l'installation ayant pour origine une non-conformité du four à son usage ; il évoque en page 22 de son rapport le non-respect de la circulation d'un mètre tout autour de l'installation, mais en relevant que ce non-respect n'a aucune conséquence préjudiciable et ne constitue pas une non-conformité justifiant le changement du four ; il évoque de même un éventuel problème de capacité de la dalle de bêton, mais précise lui-même n'avoir pu constater contradictoirement ce phénomène ; c'est sur la base de ce constat qu'en page 28, il indique dès lors que la décision par la société GICQUELLO de changer le four ne s'explique pas par l'existence de non-conformité rendant l'installation impropre à son usage, mais résulte d'une décision personnelle des acquéreurs du fonds de commerce.
Il apparaît ainsi que comme l'ont relevé les premiers juges, le four vendu avec le fonds de commerce était conforme à son usage lors de la vente par la société FOURS FRINGAND en 2005, et par conséquence lors de la vente du fonds de commerce ; c'est donc à bon droit que le tribunal a débouté les parties de toutes les demandes formées tant à l'encontre de la société FOURS FRINGAND que des époux L. au titre de la non-conformité du four proprement dit.
Sur le défaut d'installation du four,
L'expert judiciaire a relevé une non-conformité de la cheminée d'évacuation par rapport aux prescriptions du fabriquant ainsi qu'un sous dimensionnement de l'installation électrique et a relevé que ces éléments étaient de nature à perturber la cuisson du pain ; ces désordres sont imputables au seul installateur, qui ne peut en sa qualité de professionnel demander à être garanti par le constructeur du four au seul motif qu'un représentant de celui-ci était présent à la réception du matériel ; c'est dès lors à bon droit que les premiers juges ont condamné la compagnie AXA FRANCE IARD, assureur de la société PANI ATLANTIC, à payer le montant des travaux préconisés par l'expert, soit 3 750 et 1 187 ; ainsi qu'il a été indiqué plus haut, l'expert a retenu que la décision de changer le four ne pouvait s'expliquer par l'existence de non-conformité ; la société GICQUELLO ne peut en conséquence demander le remboursement de la perte d'exploitation liée à ce changement ; l'expert a indiqué qu'il existait un lien probable entre le défaut d'installation et une perte de qualité des pains produits ; il en a déduit, en tenant compte par ailleurs des répercussions de l'installation d'un nouveau concurrent, que le préjudice ainsi généré pouvait être fixé à la somme de 5 000 (page 29 du rapport) ; si les premiers juges ont pu juger que la somme de 70 000 réclamée par la société GICQUELLO n'était pas fondée, ils ont par contre à tort refusé tout dédommagement au vu des conclusions de l'expert ; il convient d'infirmer la décision sur ce point et de condamner la société AXA FRANCE IARD au paiement de la somme de 5 000 en raison de la perte d'exploitation.
Les époux L. s'étaient contractuellement engagés à livrer un matériel en bon état de marche ; ainsi qu'il vient d'être analysé, le four vendu était affecté non d'un défaut de conformité lié à sa fabrication, mais à un défaut de conformité lié à son installation par la société PANI ATLANTIC ; les époux L. devront en conséquence in solidum avec la société AXA FRANCE IARD supporter le coût de remise en état du matériel et le préjudice d'exploitation tel que déterminé par l'expert.
Sur les autres équipements et la mise en conformité électrique,
En page 26 de son rapport, l'expert estime à la somme de 11 397 le montant des réparations devant être effectuées sur les divers matériels vendus à la société GICQUELLO, à savoir un batteur mélangeur, un laminoir et un réchaud au gaz ; ce montant est basé sur un devis analysé par l'expert et correspond à des réparations non du fait de la vétusté des matériels, mais du fait de leur mauvais fonctionnement ; c'est dès lors à bon droit que la société GICQUELLO demande le remboursement de cette somme à leurs vendeurs, contractuellement tenus de leur fournir un matériel en bon état de marche.
Le rapport d'expertise judiciaire, en sa page 24, indique que l'expert n'a pu vérifier la non-conformité du tableau électrique, celui-ci ayant été remplacé depuis la vente ; contrairement à ce que soutient la société GICQUELLO le rapport SOCOTEC en date du 23 juin 2008, et notamment sa page 4, ne met pas en évidence la nécessité de remplacer ce tableau, ni d'effectuer les travaux tels que prévus dans une facture datée du 18 juin 2010 ; la société GICQUELLO n'apporte dès lors pas la preuve de l'obligation pour les vendeurs de lui rembourser la somme de 9 356 27 au titre des travaux de remise en conformité des installations électriques.
Sur la demande en garantie formée par les époux L.,
Les condamnations au titre du défaut de conformité de l'installation du four ont pour origine une faute de la société PANI ATLANTIC ; c'est dès lors à bon droit que les époux L. demandent à être garantis par la compagnie AXA FRANCE IARD des condamnations prononcées de ce chef ; en revanche, aucune responsabilité de la société PANI ATLANTIC n'est engagée du fait de la fourniture des matériels défectueux ; la demande en garantie pour la condamnation à la somme de 11 397 sera en conséquence écartée.
Sur les demandes accessoires,
Une partie des prétentions de la société GICQUELLO étant admise par la cour, il ne peut être fait droit à la demande en dommages intérêts pour procédure abusive formée par les époux L...
En raison de la solution donnée au litige et en tenant compte des circonstances tirées de l'équité, il y a lieu de condamner la compagnie AXA FRANCE IARD à verser à la société GICQUELLO somme de 2 000 en application de l'article 700 du code de procédure civile, la décision de première instance étant infirmée sur le sort des frais irrépétibles, et de débouter les autres parties de leurs demandes formées de ce chef.
Pour les mêmes motifs, les dépens seront intégralement mis à la charge de la compagnie AXA FRANCE IARD, assureur de la partie responsable des défauts de conformité ayant occasionné la procédure.
Par ces motifs, LA COUR : - infirme le jugement du tribunal de commerce de SAINT NAZAIRE, sauf en ce qu'il a condamné la compagnie AXA FRANCE IARD à verser à la S. A.R. L. BOULANGERIE PÂTISSERIE GICQUELLO les sommes de 3 750 et 1 187 et a débouté la S. A.R. L. BOULANGERIE PÂTISSERIE GICQUELLO de l'intégralité des demandes dirigées contre la SAS FOUR FRINGANT. Statuant sur le surplus, - condamne la compagnie AXA FRANCE IARD à verser à la S. A.R. L. BOULANGERIE PÂTISSERIE GICQUELLO la somme de 5 000 de dommages intérêts en réparation du préjudice d'exploitation lié au défaut de conformité de l'installation du four. - condamne monsieur et madame L. à verser in solidum avec la compagnie AXA FRANCE IARD à la S. A.R. L. BOULANGERIE PÂTISSERIE GICQUELLO les sommes de 3 750 et 1 187 ainsi que la somme de 5 000 de dommages intérêts au titre du défaut de conformité de l'installation du four. - condamne la compagnie AXA FRANCE IARD à garantir monsieur et madame L. du paiement des sommes de 3 750 , 1 187 et 5 000 . - condamne monsieur et madame L. à verser à la S. A.R. L. BOULANGERIE PÂTISSERIE GICQUELLO la somme de 11 937 en remboursement des matériels défectueux. - déboute les parties du surplus de leurs demandes. - condamne la compagnie AXA FRANCE IARD à verser à la S. A.R. L. BOULANGERIE PÂTISSERIE GICQUELLO la somme de 2 000 en application de l'article 700 du code de procédure civile. - met l'intégralité des dépens, et ce y compris les frais d'expertise, à la charge de la compagnie AXA FRANCE IARD.