CA Versailles, ch. 3, 24 janvier 2019, n° 17-06793
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Renault (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Boisselet
Conseillers :
Mmes bazet, Derniaux
Avocats :
Mes Martel, Chupin, Lisse-Besson
M. Sylvain R. a acheté à un particulier le 23 avril 2007 un véhicule d'occasion de marquer Renault Laguna II mise en circulation pour la première fois le 22 octobre 2002 et affichant 51 000 kms au compteur, pour un prix de 8 500 euros.
En juin 2008, M. R. a fait procéder au remplacement de la courroie de distribution.
Le 8 août 2011, le véhicule de M. R., qui avait fait l'objet d'une révision quelques jours auparavant, est tombé en panne à la suite de la défaillance brutale du moteur.
Informée de cette avarie, la société Renault a, par mail du 16 février 2012, indiqué à M. R. qu'aucune prise en charge n'était possible sur la pièce défectueuse, une poulie damper affectée d'une usure au regard du kilométrage et de l'âge du véhicule.
Le véhicule a été rapatrié au garage Renault de Carquefou et une expertise amiable a été réalisée, à la requête de l'assureur de M. R., par la société CCEA Expertise. Celle-ci a conclu dans son rapport établi le 5 décembre 2011 à une détérioration prématurée de la poulie damper qui a provoqué l'usure de la courroie de distribution.
M. R. a obtenu par ordonnance de référé du 3 octobre 2013 la désignation d'un expert judiciaire, M. C., qui a déposé son rapport le 7 avril 2014.
Par acte du 17 août 2015, M. R. a assigné la société Renault en réparation du préjudice subi.
Par jugement du 15 juin 2017, le tribunal de grande instance de Nanterre l'a débouté de ses demandes, et l'a condamné à payer à la société Renault la somme de 3 000 euros en indemnisation de ses frais irrépétibles, ainsi qu'aux dépens de l'instance.
Par acte du 15 septembre 2017, M. R. a interjeté appel et prie la cour, par dernières écritures du 3 mai 2018, de :
- confirmer le jugement en ce qu'il l'a déclaré recevable en ses demandes,
- l'infirmer sur le surplus :
- condamner la société Renault à lui payer les sommes de :
* 8 617,44 euros au titre de la remise en état du véhicule,
* 19 450 euros au titre de son préjudice de jouissance, arrêté au 8 décembre 2017, sauf à parfaire sur la base de 10 euros par jour du 8 décembre 2017 jusqu'au jour de l'arrêt à intervenir,
* 3 000 euros au titre des frais non répétibles de première instance et 5 000 euros au titre des frais non répétibles d'appel,
- condamner la société Renault aux dépens de première instance et d'appel, qui comprendront les frais de l'expertise judiciaire, avec recouvrement direct,
- débouter la société Renault de ses demandes plus amples ou contraires.
Par dernières écritures du 13 juillet 2018, la société Renault prie la cour de :
- déclarer les demandes de M. R. fondées sur la garantie des vices cachés irrecevables car prescrites,
À titre subsidiaire,
- constater que la preuve d'un vice caché n'est pas rapportée,
- juger les demandes de M. R. mal fondées,
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
En tout état de cause,
- condamner M. R. à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 novembre 2018.
SUR QUOI, LA COUR
Le tribunal a jugé que la prescription n'était pas acquise, M. R. n'ayant eu connaissance du vice affectant la 'poulie damper' qu'au jour du rapport amiable, le 5 décembre 2011, et ayant assigné en référé dans les deux ans, soit le 4 juin 2013, puis, au fond et après dépôt du rapport d'expertise judiciaire le 17 août 2015.
Au fond, retenant les conclusions du rapport d'expertise judiciaire, le tribunal a jugé que la panne était imputable, chez un véhicule âgé de 10 ans, à l'usure normale de la poulie damper, dont rien ne démontrait qu'elle était d'origine, et qu'ainsi la preuve de l'existence d'un vice caché n'était pas rapportée.
M. R. expose que la poulie damper n'est pas une pièce d'usure et qu'aucune préconisation de remplacement de cette pièce ne figure au carnet d'entretien. Son véhicule ayant toujours été entretenu dans le réseau Renault, il est certain que la pièce défectueuse est la pièce d'origine. Or l'usure anormale et répétée de la distribution, qui a conduit au changement à deux reprises avant la panne de la courroie étant imputable à la poulie damper, l'usure prématurée de cette pièce constitue bien un vice caché.
Sur la prescription, il fait valoir que le délai prévu par l'article L110-4 du code de commerce n'est pas applicable, puisqu'il a acheté la voiture à un particulier, et l'action en garantie des vices cachés étant par ailleurs autonome. Il ajoute qu'il ne pouvait agir avant d'avoir connaissance du vice.
Renault fait valoir que l'action en garantie des vices cachés doit être exercée avant l'expiration du délai de prescription de droit commun, soit avant les dix ans de la vente pour les ventes antérieures au 19 juin 2003, et qu'ainsi l'action était prescrite en 2012, soit avant l'assignation en référé, en application de l'article 26 II de la loi du 17 juin 2008.
Au fond, elle expose que la poulie litigieuse a été soumise à une usure normale, ce qui n'a pas à être indiqué au carnet d'entretien, et qu'ainsi aucun vice caché n'est établi.
M. R. a fait le choix de ne pas assigner son propre vendeur, comme la loi lui en offre la faculté. Ce faisant, exerçant l'action d'un précédent acquéreur contre le vendeur initial, il ne peut arguer de ce qu'il n'a eu connaissance du vice qu'après être lui-même entré en possession de la voiture, et était ainsi empêché d'agir.
En effet, dans le contrat de vente, la garantie des vices cachés est attachée à la chose dont elle constitue l'accessoire nécessaire. Lorsqu'une chose a été vendue à plusieurs reprises, le sous acquéreur peut, dans la chaîne ininterrompue des contrats, rechercher la responsabilité contractuelle de l'un quelconque des vendeurs, et exercer contre eux, y compris le vendeur initial, une action directe. Toutefois, le sous acquéreur ne pouvant prétendre à plus de droits que celui ou ceux qui l'ont précédé dans la chaîne des contrats, le vendeur initial ne peut être tenu envers lui au-delà de son engagement, et peut lui opposer tous les moyens de défense qu'il aurait pu invoquer contre son propre cocontractant, parmi lesquels celui tiré de la prescription.
Il est ainsi de principe que le délai de deux ans prévus à l'article 1648 du code civil est enfermé dans le délai de droit commun et ne se substitue pas à lui. Renault est ainsi bien fondée à opposer à M. R. l'article L.110-4 du code de commerce qu'elle aurait pu opposer à son propre acquéreur, et M. R. ne peut utilement se prévaloir du fait qu'il a acheté la voiture à un vendeur intermédiaire non commerçant.
L'article L. 110-4 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription, et applicable lorsque le constructeur a vendu le véhicule litigieux mis pour la première fois en circulation le 22 octobre 2002, disposait que 'les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non commerçants se prescrivent par dix ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions plus courtes'. Cette prescription, dont le point de départ est la date de la livraison de la chose vendue, était toujours en cours lors de l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 qui a ramené de dix à cinq ans le délai de droit commun prévu aux articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce. Un nouveau délai a donc commencé à courir à compter du 19 juin 2008, date d'entrée en vigueur de la loi. Néanmoins, selon son article 26 II portant dispositions transitoires, les dispositions de cette loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter de son entrée en vigueur sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. Ainsi, le véhicule ayant été vendu par Renault au plus tard le 22 octobre 2002, l'action était prescrite le 22 octobre 2012, et l'assignation en référé n'ayant été délivrée que le 4 juin 2013 n'a pu interrompre un délai qui était déjà écoulé.
Le jugement sera donc infirmé, et les demandes de M. R. seront déclarées irrecevables comme prescrites.
Les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées.
M. R., qui succombe, supportera les dépens d'appel, le jugement étant confirmé sur la charge des dépens de première instance.
Par ces motifs, LA COUR, infirmant le jugement en toutes ses dispositions, excepté sur les dépens de première instance, le confirme de ce seul chef, statuant à nouveau sur le surplus, déclare irrecevables les demandes de M. Sylvain R., rejette les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. Sylvain R. aux dépens d'appel, avec recouvrement direct. - prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Madame Véronique BOISSELET, Président et par Madame Lise BESSON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.