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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 31 janvier 2019, n° 17-09157

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

La Populaire (SAS)

Défendeur :

Veolia Eau - Compagnie Générale des Eaux (SCA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mmes Soudry, Moreau

Avocats :

Mes Souid, Dupouy, Thorrignac

T. com. Bordeaux, du 6 mars 2017

6 mars 2017

Faits et procédure :

Le 6 avril 1989, la société Compagnie générale des eaux, aux droits de laquelle vient la société Véolia eau - Compagnie générale des eaux (ci-après désignée la société Véolia eau), a conclu, avec la société La Populaire, un contrat relatif au curage des réseaux d'assainissement dans le département du Lot et Garonne, d'une durée de cinq ans renouvelable d'année en année à l'issue de la période quinquennale initiale, et aux termes duquel la société La Populaire se chargeait d'accomplir les travaux suivants :

- curage des collecteurs principaux et secondaires et des regards des réseaux publics d'assainissement affermés à la Compagnie générale des eaux, notamment dans les villes de Tonneins, Marmande et Aiguillon, où la société La Populaire devait accomplir des travaux sur les réseaux d'eaux usées et ceux d'eaux pluviales, ainsi qu'à Cocumont, où elle devait effectuer des travaux sur les seuls réseaux des eaux usées,

- évacuation à la décharge publique ou tout lieu autorisé des déchets résultant des opérations susvisées,

- tous autres travaux programmables à l'avance, suivant l'accord des parties.

L'article 9 du contrat prévoyait une clause de révision du prix le 1er janvier de chaque année, dont la formule prend en compte divers paramètres, et notamment l'évolution du prix de vente à la pompe du litre de gasoil zone D, connu à la date de l'année concernée.

Par courrier en date du 21 novembre 2014, la société Véolia eau a notifié à la société La Populaire sa volonté de mettre un terme au contrat, avec effet au 1er janvier 2015.

C'est dans ces conditions que, par acte délivré le 13 janvier 2015, la société La Populaire a fait assigner la société Véolia eau devant le tribunal de commerce de Bergerac afin de voir condamner cette dernière à un rappel de facturation en application de la clause de révision du prix, à l'indemniser de son préjudice subséquent pour non-paiement, ainsi que de son préjudice au titre de la rupture brutale et abusive du contrat et de son préjudice au titre de la perte de notoriété.

Ledit tribunal a ordonné une expertise judiciaire et nommé M. X en qualité d'expert judiciaire.

Par jugement du 26 août 2016, le tribunal de commerce de Bergerac a constaté le dépôt du rapport d'expertise intervenu le 15 octobre 2015 et a décliné sa compétence au profit du tribunal de commerce de Bordeaux.

Par jugement du 8 mars 2017, le tribunal de commerce de Bordeaux a :

- condamné la société Véolia eau à payer à la société La Populaire la somme de 125 078 euros outre intérêts au taux légal à compter du 13 janvier 2015,

- condamné la société Véolia eau à payer à la société La Populaire la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- débouté la société La Populaire de ses autres demandes pour rupture abusive et dommages et intérêts pour perte de notoriété,

- condamné la société Véolia eau à payer à la société La Populaire la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire du jugement ;

- condamné la société Véolia eau aux dépens, en ce compris les frais d'expertise, dont frais de greffe liquidés à la somme de 68,02 euros, dont TVA 11,34 euros.

Vu l'appel interjeté le 3 mai 2017 par la société La Populaire à l'encontre de cette décision ;

Vu l'appel incident de la société Véolia eau ;

Vu les dernières conclusions notifiées le 13 novembre 2017 par la société La Populaire, appelante, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- la recevoir en ses présentes écritures ;

Y faisant droit,

Sur l'appel incident,

A titre principal,

Vu les articles L. 442-6 et D. 442-3 du Code de commerce, ensemble, et les articles R. 311-3 du Code de l'organisation judiciaire 620 du Code de procédure civile,

- juger irrecevable l'ensemble des demandes incidentes de la société Véolia eau ;

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 6 mars 2017 ayant condamné la société Véolia eau à lui payer les sommes de 125 078 euros et 20 000 euros ;

A titre subsidiaire,

Vu l'article 1134 (ancien) du Code civil,

- débouter la société Véolia eau de l'ensemble de ses demandes ;

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 6 mars 2017 ayant condamné la société Véolia eau à lui payer les sommes de 125 078 et 20 000 euros ;

Sur l'appel principal,

- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 6 mars 2017 en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes pour rupture abusive et de dommages intérêts pour perte de notoriété;

Statuant à nouveau,

Vu l'article L. 442-6, 5° (sic) du Code de commerce,

Vu l'article 565 du Code de procédure civile,

Vu la jurisprudence,

- condamner la société Véolia eau à lui payer la somme de 576 276 euros à titre de dommages et intérêts suite à la rupture brutale des relations commerciales entre les parties ;

- condamner la société Véolia eau à lui payer la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts en indemnisation du préjudice de notoriété ;

- condamner la société Véolia eau à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société Véolia eau aux dépens.

Moyens :

A titre principal, la société La Populaire soulève l'irrecevabilité des demandes incidentes de la société Véolia eau devant la cour, faute de compétence pour celle ci à en connaître. Elle fait valoir que l'appel principal est fondé sur le rejet, en première instance, de ses demandes fondées sur la rupture brutale de la relation commerciale établie, de sorte que la cour n'a compétence que pour connaître des demandes fondées sur les articles L. 442-6 et D. 442-3 du Code de commerce, et non pas des demandes formées sur appel incident de l'intimée, fondées sur le droit commun, celle ci sollicitant l'infirmation du jugement l'ayant condamnée au paiement d'une somme de 125 078 euros en application de la clause contractuelle de révision du prix et une somme de 20 000 euros en compensation du préjudice subi du fait de l'inapplicabilité de cette clause.

A titre subsidiaire et au fond, elle conclut au débouté des demandes incidentes de la société Véolia eau. Elle soutient tout d'abord que la révision conventionnelle du prix n'est pas optionnelle, mais doit obligatoirement intervenir le 1er janvier de chaque année, et qu'elle a été effectuée chaque année, devenant ainsi automatique. Au cas où la cour ne retiendrait pas l'automaticité d'une telle révision, elle relève que la révision devait avoir lieu "si l'application de la formule ci dessus donne un coefficient de révision inférieur ou supérieur de 0,5", et que l'expert a retenu un coefficient systématiquement supérieur à 2. Elle fait valoir que dans tous les cas, cette révision conventionnelle du prix a été effectuée sans prise en compte de l'évolution de l'indice du prix du gasoil, à laquelle elle n'a pas renoncée. Elle ajoute que contrairement à ce qu'allègue la société Véolia eau, les parties ne sont nullement convenues de la suppression, parmi les critères de révision du prix de la prestation, de l'indice lié au prix de vente à la pompe du litre de gasoil en zone D, disparu en 1998 et qui représentait 15 % de la formule contractuelle permettant de déterminer le prix, mais de son remplacement par le nouvel indice INSEE, correspondant à la moyenne des prix du gasoil à la pompe au niveau national. Elle soutient qu'exiger une réévaluation de ses tarifs en tenant compte de l'évolution du prix du gasoil aurait eu de lourdes conséquences sur l'avenir de sa relation commerciale avec la société Véolia eau, qui a brutalement rompu celle ci à la suite d'un refus de baisse de ses tarifs, et qu'elle pratiquait bien des tarifs avantageux auprès de la société Véolia eau que celle ci n'a toutefois pas estimé satisfaisants.

Sur son appel principal, la société La Populaire soutient que contrairement à ce qu'a jugé le tribunal de commerce de Bordeaux, la société Véolia eau a rompu brutalement la relation commerciale établie qu'elles entretenaient depuis 25 ans, au sens des dispositions de l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce. Elle fait valoir à ce titre que l'intimée n'a pas respecté le délai de préavis contractuel, de trois mois avant l'expiration de la période en cours, celle ci ayant dénoncé le contrat le 21 novembre 2014 pour le 1er janvier 2014, et à peine plus d'un mois et demi avant le terme du contrat. Elle ajoute que la rupture était imprévisible, aucun élément ne laissant présager une telle rupture. Elle précise que le courrier du 13 avril 2013, que les premiers juges ont retenu pour rejeter le caractère brutal de la rupture de la relation commerciale établie, ne peut servir de point de départ sur le délai de préavis, dès lors qu'il s'inscrit dans le cadre de négociations habituelles entre partenaires commerciaux depuis 25 ans, est particulièrement flou sur la volonté réelle de la société Véolia eau de mettre fin à ladite relation, ladite société louant la qualité de ses prestations, et n'a été suivi d'aucun effet immédiat, le contrat ayant été renouvelé par tacite reconduction deux fois en octobre 2013 et octobre 2014. Elle soutient encore que la rupture était soudaine et violente à défaut de respect du préavis contractuel, la société Véolia eau l'ayant ainsi laissée espérer que la relation allait se poursuivre à tout le moins jusqu'au 31 décembre 2015.

Elle fait valoir que le délai de préavis contractuel n'ayant pas été respecté, le contrat a couru pour une nouvelle période d'une année, soit jusqu'au 31 décembre 2015, et que l'intimée ne saurait lui être redevable d'une somme inférieure à 192 092 euros, correspondant à une année de marge brute.

Compte tenu de l'ancienneté de la relation commerciale de 25 ans, et de l'impact financier gigantesque sur ses comptes et sur son organisation qu'a eu la décision de la société Veolia eau, elle fait cependant valoir que son préjudice n'est pas d'un an de marge brute comme l'a retenu l'expert judiciaire, mais de trois années de marge brute, correspondant à la somme de 576 276 euros. Elle ajoute que la rupture brutale de la relation commerciale lui a causé la perte de chantiers et donc une importante baisse de son chiffre d'affaires du fait de l'information de son déférencement, et une perte de notoriété, voire des suspicions quant à sa capacité à remplir ses missions, préjudice qu'elle évalue à la somme de 100 000 euros.

Vu les dernières conclusions signifiées le 19 janvier 2018 par la société Véolia eau - Compagnie générale des eaux, intimée, par lesquelles il est demandé à la cour de :

Rejetant toutes conclusions contraires comme injustes et, en tout cas, mal fondées,

Vu les articles 1147 et 1382 du Code civil,

Vu les articles 143 et suivants et 232 et suivants du Code de procédure civile,

Vu l'article L. 442-6-5 (sic) du Code de commerce,

Vu l'article D. 442-3 du Code de commerce,

Sur l'appel limité de la société La Populaire,

- confirmer la décision dont appel en ce qu'elle a débouté purement et simplement la société La Populaire de l'intégralité de ses demandes, mal fondées,

Si par extraordinaire une indemnité était allouée à la société La Populaire sur le fondement de la rupture abusive de son contrat,

- limiter cette indemnité à la perte de marge brute correspondant à un mois et 20 jours d'activité,

Sur l'appel incident de la société Véolia eau,

- réformer la décision en ce qu'elle a alloué à la société La Populaire la somme de 125 078 euros au titre de la clause de révision non appliquée,

- réformer la décision en ce qu'elle a alloué la somme de 20 000 euros à la société La Populaire à titre de dommages et intérêts,

En toute hypothèse,

- condamner la société La Populaire à lui verser la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Moyens :

En premier lieu et sur son appel incident, la société Véolia eau conteste les condamnations prononcées à son encontre au titre de la clause de révision, soit du prétendu "rappel de facturation" de la société La Populaire et du préjudice économique subséquent de celle ci. Elle fait valoir, d'une part, que la clause de révision du prix n'est qu'optionnelle, à la demande de l'une ou l'autre des parties, et consiste en un panachage entre une clause d'indexation, automatique à chaque date anniversaire, et une clause de renégociation. Elle ajoute que le rappel de facturation n'est pas fondé, dès lors qu'aucune facture n'a été émise par la société La Populaire entre 2009 et 2014, et que les tarifs ont été librement fixés par celle ci. Elle prétend qu'à compter de 1998, date à laquelle le paramètre "variation du prix du gasoil à la pompe en zone D", qui figure dans la clause de révision contractuelle, a disparu, les parties n'ont défini aucun nouveau mode de calcul du prix, et ont fixé le prix en faisant abstraction de l'indice disparu. Elle soutient que la société La Populaire a accepté cette situation, dès lors qu'elle n'a nullement sollicité le remplacement de l'indice contractuel disparu par un nouveau critère et qu'elle a librement procédé à la facturation de ses prestations sur la période de 1999 à 2014 en s'accommodant de la disparition de cet indice. Elle précise que le contrat n'est pas devenu lésionnaire pour la société La Populaire, qui a pratiqué les tarifs habituels du marché et qui a opportunément sollicité l'application de cet indice disparu à l'occasion de sa demande de renégociation du contrat en 2013, de sorte que les sommes obtenues en première instance constituent un enrichissement sans cause.

Sur l'appel principal, elle fait valoir que la rupture de la relation commerciale nouée avec la société La Populaire depuis 1989, par lettre du 21 novembre 2014 avec effet au 1er janvier 2015 compte tenu de la situation de blocage générée par le refus de la société La Populaire de faire évoluer ses tarifs, n'était pas brutale bien qu'elle n'ait pas respecté le préavis contractuel de trois mois. Elle soutient à ce titre que le contrat à exécution successive conclu avec l'appelante était précaire et pouvait être rompu chaque année, ce que l'appelante a elle même rappelé dans sa lettre du 20 avril 2013, datée par erreur du 20 mars 2013, et qu'elle a informé la société La Populaire de ce risque de rupture un an auparavant, par lettre du 12 avril 2013, en cas de refus de faire évoluer le prix de ses prestations.

Elle conteste le préjudice invoqué par la société La Populaire au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie, désormais sollicité à hauteur de 576 276 euros, correspondant à trois années de marge brute, et non plus à la somme de 250 000 euros initialement demandée. Elle expose que la société La Populaire ne saurait prétendre à une somme supérieure à celle correspondant à un an de marge brute, somme généralement accordée, et qu'elle n'est fondée à réclamer que la réparation du préjudice inhérent à la rupture de la relation commerciale et non pas la totalité du bénéfice qu'elle aurait retiré en l'absence de rupture, l'appelante ayant seulement perdu la possibilité de bénéficier d'un mois et 20 jours de préavis supplémentaire pour pouvoir se réorganiser, étant relevé que la société La Populaire savait depuis avril 2013 qu'elle risquait de voir le contrat rompu en raison de son refus de faire évoluer le prix de ses prestations.

S'agissant des modalités de chiffrage de la perte de marge brute, elle fait valoir que, pour les entreprises de services, la marge sur coûts directs, applicable aux lieu et place de la notion de marge brute, est déterminée sur la base des prestations fournies au cours de l'exercice, déduction faite des coûts de réalisation de ces prestations, qui correspondent aux coûts variables. Elle en déduit que le préjudice financier subi par la société La Populaire est limité aux seules charges fixes, lesquelles ne sont plus couvertes par la marge sur coût direct générée par la facturation du contrat liant les parties.

Enfin, en réponse au moyen d'irrecevabilité soulevé par l'appelante, elle prétend que son appel incident est recevable, la cour étant saisie de l'intégralité du litige, dès lors que le tribunal de commerce de Bordeaux, compétent pour connaître des demandes fondées sur l'article L. 442-6, I 5° du Code de commerce, s'est estimé compétent pour statuer sur l'ensemble du litige, sans faire de distinction avec les différentes demandes présentées par la société La Populaire, qui sont connexes et qui doivent être traitées ensemble pour une bonne administration de la justice.

Motifs

Sur la recevabilité de l'appel incident :

Il résulte des dispositions des articles L. 442-6 et D. 442-3 du Code de commerce, ensemble, et de l'article R. 311-3 du Code de l'organisation judiciaire que seuls les recours formés contre les décisions rendues par les juridictions spécialement désignées par l'article D. 442-3 du Code de commerce sont portés devant la cour d'appel de Paris, les recours contre les décisions rendues par des juridictions non spécialement désignées, y compris dans l'hypothèse où elles ont, à tort, statué sur l'application de l'article L. 442-6 du même Code, relevant des cours d'appel dans le ressort desquelles ces juridictions sont situées, conformément à l'article R. 311-3 du Code de l'organisation judiciaire.

La cour étant saisie d'un recours formé contre un jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux, juridiction spécialement désignée par l'article D. 442-3 du Code de commerce, est compétente pour connaître de l'ensemble du litige sur lequel il a été statué par ladite juridiction, qu'il s'agisse de demandes formées sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ou des demandes connexes formées sur le fondement du droit commun des contrats.

L'appel incident formé par la société Véolia eau, portant sur une partie du dispositif du jugement entrepris afférent à l'application du droit commun des contrats, est donc recevable.

Sur la clause de révision :

Selon l'article 1134 du Code civil, dans sa version applicable aux faits de l'espèce, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et doivent être exécutées de bonne foi.

Le contrat conclu entre les parties le 6 avril 1989 prévoit en son article 9 une clause de révision du prix le 1er janvier de chaque année, dont la formule prend en compte divers paramètres, notamment l'évolution du prix de vente à la pompe du litre de gasoil zone D, connu à la date de l'année concernée.

Cet article précise qu' "une révision de prix est prévue le 1er janvier de chaque année", et que "pour maintenir la rémunération de l'entreprise en harmonie avec ses charges ou pour suivre les conditions économiques du matériel et l'évolution des techniques, la rémunération peut être révisée à la demande de l'une ou l'autre des parties :

- si l'application de la formule ci dessus donne un coefficient de révision inférieur ou supérieur de 0,5,

- si le volume des prestations indiqué à l'article 7 a évolué en plus ou moins de 50 % ".

Il résulte de ces dispositions contractuelles que la révision du prix était optionnelle, et pouvait intervenir le 1er janvier de chaque année à l'initiative de l'une ou l'autre des parties en fonction du seuil de variation du coefficient de révision obtenu, ou du seuil de variation des commandes.

Par lettre du 2 décembre 2014, faisant suite au courrier de résiliation du contrat adressé par la société Véolia eau le 21 novembre 2014, la société La Populaire a sollicité l'application de la revalorisation tarifaire en fonction de l'évolution du prix du gasoil, soutenant que depuis des années, la société Véolia eau ne respectait pas la clause contractuelle de révision du prix.

L'expert judiciaire relève, à la lecture des calculs d'indexation en application de la formule de révision, une mise à niveau des valeurs à partir de 1998 et en particulier de 2009 à 2014, période non couverte par la prescription. Il constate que l'indice appliqué dans la formule d'indexation est toujours l'indice contractuel de l'évolution du prix de vente à la pompe du litre de gasoil zone D, connu à la date de l'année concernée, tel que fixé en 1998, date à laquelle cet indice a disparu, alors que le nouvel indice INSEE, correspondant à la moyenne du prix du gasoil à la pompe au niveau national, a connu une augmentation croissante durant cette période.

Ainsi, depuis 1998, et en particulier de 2009 à 2014, période non couverte par la prescription, la société La Populaire, qui a procédé à la révision de ses tarifs, a appliqué la formule de révision comprenant l'indice contractuel correspondant au prix du gasoil dans une zone géographique déterminée, tel qu'il était déterminé au jour de sa disparition en 1998, et sans lui substituer le nouvel indice INSEE correspondant à la moyenne du prix du gasoil à la pompe au niveau national.

Il n'est justifié d'aucun écrit des parties s'accordant sur la modification de la clause de révision telle que prévue dans le contrat, compte tenu de la disparition de l'indice contractuel.

La circonstance qu'à compter de la disparition, en 1998, de l'indice contractuel de l'évolution du prix de vente à la pompe du litre de gasoil zone D, connu à la date de l'année concernée, et jusqu'en 2014, la société La Banque Populaire, qui procédait elle même à sa propre facturation, ait révisé ses prix selon la formule de révision contractuelle, en maintenant l'indice de l'évolution du prix du gasoil connu en 1998, et que la société Véolia eau ait réglé cette facturation sans la contester, caractérise la volonté des parties de maintenir la clause de révision telle que définie au contrat, sans remplacer l'indice contractuel par le nouvel indice INSEE relatif à l'évolution du prix du gasoil.

La société La Populaire, qui fixait ses propres tarifs et a procédé d'elle même à leur révision, invoque vainement qu'elle n'était pas en mesure d'appliquer le nouvel indice INSEE compte tenu du refus de tarification supérieure par la société Véolia eau, ne produisant aux débats aucun courrier démontrant sa volonté de remplacer l'indice contractuel disparu par ce nouvel indice et le refus opposé par l'intimée.

La société La Populaire ayant persisté à appliquer l'indice contractuel disparu en accord avec la société Véolia eau, ne justifie pas que les parties se seraient accordées pour que cet indice contractuel soit remplacé par le nouvel indice INSEE afférent à l'évolution du prix du gasoil dont elle sollicite l'application pour la période de 2009 à 2014 non couverte par la prescription.

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a condamné la société Véolia eau à payer à la société La Populaire la somme de 125 078 euros outre intérêts au taux légal à compter du 13 janvier 2015 au titre du "rappel de tarification" outre une indemnité de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice économique et financier du fait du retard de paiement, la cour, statuant de nouveau, déboutant la société La Populaire de l'ensemble de ses demandes à ce titre.

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies :

Selon l'article L. 442-6, I 5° du Code de commerce dispose "Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (...)

5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. (...) Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure".

Constitue une rupture brutale de la relation commerciale établie une rupture effectuée sans préavis écrit tenant compte des relations commerciales antérieures ou des usages reconnus par des accords interprofessionnels.

Le caractère prévisible de la rupture d'une relation commerciale établie ne prive pas celle ci de son caractère brutal si elle ne résulte pas d'un acte du partenaire manifestant son intention de ne pas poursuivre la relation commerciale et faisant courir un délai de préavis.

Les parties ne discutent pas qu'elles entretenaient une relation commerciale établie, étant liées par un contrat conclu le 6 avril 1989 tacitement renouvelé depuis lors.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 21 novembre 2014, la société Véolia eau a notifié à la société La Populaire la rupture du contrat avec effet au 1er janvier 2015, appliquant ainsi un préavis de un mois et de 10 jours. Ce courrier, par lequel la société Véolia eau a manifesté sa volonté de rompre sa relation commerciale établie avec la société La Populaire, constitue le point de départ du préavis visé à l'article L. 442-6 I.5° du Code de commerce.

Contrairement à ce qu'ont jugé les premiers juges, la société La Banque Populaire n'a pas bénéficié d'un délai de préavis de 19 mois. Le préavis n'a en effet pas couru à compter de la réception de la lettre que la société Véolia eau a adressée à la société La Populaire le 12 avril 2013, par laquelle elle l'informait que le refus de revoir sa tarification ne pouvait "qu'obérer la poursuite de (leur)s relations", et lui proposait de reprendre les négociations, à défaut de quoi elle verrait "alors comment reprendre cette activité à (son) compte", ce courrier ne manifestant pas l'intention de la société Véolia eau de rompre la relation commerciale, laquelle a d'ailleurs été poursuivie, le contrat ayant été renouvelé par tacite reconduction en octobre 2013 et en octobre 2014.

Le délai de préavis suffisant s'appréciant en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances au moment de la notification de la rupture, la société La Populaire est mal fondée à faire valoir que le préavis suffisant aurait à tout le moins dû courir jusqu'au 31 décembre 2015, compte tenu du renouvellement par tacite reconduction du contrat irrégulièrement dénoncé.

Compte tenu de l'ancienneté de la relation commerciale établie nouée entre les parties, d'une durée de 25 ans au moment de la rupture, de la spécificité de l'activité de curage des réseaux d'assainissement, qui relève d'un marché étroit, et de la facturation réalisée avec la société Véolia eau, représentant en moyenne 20 % du chiffre d'affaires de la société La Populaire les trois dernières années précédant la rupture, la durée de préavis suffisant pour permettre à la société La Populaire de trouver de nouveaux débouchés aurait dû être d'un an, conformément à ce qu'a retenu l'expert judiciaire qui a conclu, dans son rapport du 8 juin 2015, qu'un tel délai était nécessaire à la société La Populaire pour lui permettre de se réorienter, soit à la baisse, soit vers de nouveaux marchés spécifiques ensuite de la rupture de la relation commerciale avec la société Véolia eau, et que l'ensemble des frais et charges de la société La Populaire resteraient, durant cette période d'un an, quasiment inchangés.

L'appelante ne justifie pas du nécessaire respect d'un préavis supérieur, d'une durée de 3 ans, auquel elle prétend, le rapport d'expertise ayant déjà exploité les éléments comptables repris dans l'attestation de l'expert comptable de la société La Populaire en date du 30 septembre 2015 sur laquelle celle-ci fonde ses prétentions, et ayant aussi nécessairement pris en compte la lettre de licenciement d'un employé de la société La Populaire en date du 23 décembre 2014 pour calculer la durée de préavis suffisant et le préjudice subi par l'appelante.

La société Véolia eau ayant appliqué un délai de préavis de un mois et 10 jours, la société La Populaire est bien fondée à solliciter la réparation de son préjudice résultant de la brutalité de la rupture de la relation commerciale, et correspondant à la perte de marge brute durant la période de 10 mois et 20 jours.

La société Véolia eau conteste vainement ce préjudice en faisant valoir la faculté unilatérale de résiliation du contrat sans motif, celle-ci n'étant pas exclusive du respect du préavis suffisant tel que défini à l'article L. 442-6 I.5° du Code de commerce.

L'intimée ne discute pas plus utilement du calcul de la marge brute effectué par l'expert sur la base des éléments comptables qui lui ont été fournis et que l'expert a confirmé malgré ses dires. Elle ne justifie pas de la nécessité de recourir à une nouvelle mesure d'expertise pour analyser la comptabilité analytique communiquée par la société La Populaire et dont elle ne produit aucune étude, même succincte, qui serait de nature à contredire les conclusions de l'expert judiciaire, étant relevé, en outre, qu'elle ne formule cette demande que dans le corps de ses écritures.

Compte tenu de ces éléments, le préjudice de la société La Banque Populaire, lié à la brutalité de la rupture de la relation commerciale, doit être évalué à la somme de 186 756 euros sur la base des 170 747 euros retenus par l'expert au titre de la perte de marge brute pour une période d'un an (192 092/12 x10 + 192 092/12/30 x 20).

En revanche, la société La Banque Populaire ne justifie nullement du préjudice de perte de notoriété qu'elle invoque et sera déboutée de sa demande à ce titre.

Le jugement entrepris sera donc infirmé sur l'ensemble de ces points, sauf en ce qu'il a débouté la société La Banque Populaire de sa demande au titre du préjudice de notoriété, la cour, statuant de nouveau, condamnant la société Véolia eau à payer à la société La Banque Populaire la somme de 170 747 euros en réparation de son préjudice au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie.

Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile :

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Véolia eau aux dépens exposés en première instance et à payer à la société La Banque Populaire une indemnité de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il convient, en outre de condamner la société Véolia eau aux dépens exposés en cause d'appel, ainsi qu'au paiement d'une indemnité de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, Statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, Infirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 8 mars 2017 dans l'ensemble de ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté la société La Populaire de sa demande au titre du préjudice de notoriété, et condamné la société Véolia eau - Compagnie générale des eaux aux dépens en ce compris les frais d'expertise judiciaire ainsi qu'à payer à la société La Populaire une indemnité de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Y ajoutant, Dit la société Véolia eau - Compagnie générale des eaux recevable en son appel incident, Statuant de nouveau, Déboute la société La Populaire de sa demande de rappel de facturation au titre de la clause de révision du prix et de sa demande en dommages et intérêts en réparation de son préjudice économique et financier du fait de ce non paiement, Condamne la société Véolia eau - Compagnie générale des eaux à payer à la société La Populaire la somme de 170.747 euros en réparation de son préjudice au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie, Condamne la société Véolia eau - Compagnie générale des eaux à payer à la société La Populaire la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Véolia eau - Compagnie générale des eaux aux dépens exposés en cause d'appel.