CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 31 janvier 2019, n° 17-10022
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Verallia France (SA)
Défendeur :
Appro du Piemont (SAS), Coopérative Agricole Alsace Appro (Sté), Comptoir Agricole d'Achat et de Vente (SCA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Birolleau
Conseillers :
Mmes Soudry, Moreau
Avocats :
Mes Auberty Jacolin, Poidevin, Kempf
Faits et procédure :
La société Saint Gobain Emballage est spécialisée dans la fabrication de verre et a notamment développé une gamme de produits pour la viticulture.
Les sociétés Alsace Appro et d'Appro du Piémont sont des coopératives agricoles alsaciennes spécialisées dans le domaine viticole. La société Appro du Piémont est spécialisée dans la commercialisation de tous produits d'approvisionnement vitivinicoles.
Ces sociétés se fournissaient en bouteilles en verre auprès de la société Saint Gobain Emballage depuis le début des années 1990 et les distribuaient auprès de leurs coopérateurs vignerons et adhérents à des tarifs négociés.
Le cadre contractuel des relations commerciales avec les deux coopératives agricoles était défini par des conventions dénommées " Charte Verre et Vigne " du 27 octobre 1998 ainsi que par des conventions de partenariat conclues le 30 octobre 2000 et le 6 mars 2003.
Dans le courant de l'année 2012, les sociétés d'Appro du Piémont, Alsace Appro et Appro du Piémont ont formé le projet de regrouper leurs achats au sein d'une société d'union d'achats et de services de sociétés coopératives, la société Vitisphère Alsace.
Plusieurs réunions se sont tenues à cet effet fin 2012/début 2013 auxquelles ont été associés leurs partenaires commerciaux.
Par lettres du 26 juin 2013, l'union de coopératives Vitisphère Alsace a confirmé à l'ensemble des fournisseurs et notamment à la société Saint Gobain Emballage la mise en place effective des opérations d'achats centralisées en son sein.
Par courriel du 26 novembre 2013, la société Alsace Appro a fait part à la société Saint Gobain Emballage de sa décision de cesser la distribution de ses produits à compter du 1er janvier 2014.
Cette volonté a été confirmée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 10 décembre 2013.
Par courriel du 9 décembre 2013, la société d'Appro du Piémont a informé la société Saint Gobain Emballage de son adhésion à l'union Vitisphère et lui a demandé de facturer les achats à ce groupement.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 10 février 2014, la société d'Appro du Piémont a précisé à la société Saint Gobain Emballage que la société Vitisphère était désormais son unique fournisseur pour l'ensemble de ses achats.
Estimant être victime d'une rupture brutale des relations commerciales, la société Saint Gobain Emballage a adressé, par lettres du 24 juillet 2015, une mise en demeure aux sociétés Alsace Appro, d'Appro du Piémont et Appro du Piémont aux fins d'obtenir le paiement par la première d'une somme de 532 226 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant d'une perte de sa marge brute, par la deuxième d'une somme de 227 275 euros à ce même titre et par la troisième d'une somme de 66 414 euros.
Ces mises en demeure étant demeurées sans effet, la société Saint Gobain Emballage a, par actes en date du 2 mars 2016, assigné la société Appro du Piémont, la société Coopérative Agricole Alsace Appro et la société Coopérative Agricole d'Appro du Piémont devant le tribunal de commerce de Paris aux fins d'obtenir la réparation de son préjudice.
Par jugement rendu le 2 mai 2017, le tribunal de commerce de Paris a :
- dit la société Appro du Piémont, la société Coopérative Agricole Alsace Appro et la société Coopérative Agricole d'Appro du Piémont mal fondées en leur exception d'incompétence,
- débouté la société Saint Gobain Emballage de sa demande au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie avec la société la société Appro du Piémont, la société Coopérative Agricole Alsace Appro et la société Coopérative Agricole d'Appro du Piémont ;
- débouté la société la société Appro du Piémont, la société Coopérative Agricole Alsace Appro et la société Coopérative Agricole d'Appro du Piémont de leurs demandes reconventionnelles,
- condamné la société Saint Gobain Emballage à payer à chacune des sociétés Appro du Piémont, Coopérative Agricole Alsace Appro et Coopérative Agricole d'Appro du Piémont la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, soit un total de 9 000 euros,
- débouté les parties de leurs autres demandes,
- ordonné l'exécution provisoire,
- condamné la société Saint Gobain Emballage aux dépens.
La société Verallia France (anciennement dénommée société Saint Gobain Emballage) a interjeté appel de cette décision le 18 mai 2017.
Dans ses dernières conclusions du 8 novembre 2018, la société Verallia France demande à la cour de :
Sur l'appel principal :
- dire et juger brutale la rupture des relations commerciales intervenue à son préjudice pour le marché de la distribution de bouteilles pour la viticulture en Alsace,
- condamner la société Comptoir Agricole d'Achat et de Vente qui vient aux droits de la société Appro du Piémont, la société Alsace Appro et la société d'Appro du Piémont, à lui payer la somme de 956.979,00 euros à titre de dommage et intérêts en réparation du préjudice né de la brusque rupture des relations commerciales établies,
- condamner la société Comptoir Agricole d'Achat et de Vente à payer l'indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile sollicitée en première instance et la condamner au paiement de 30 000 de ce chef également en appel et aux entiers dépens avec distraction au profit de Me Auberty Jacolin, avocat constitué devant la Cour,
Sur l'appel incident,
- débouter les sociétés intimées de leurs demandes incidentes,
- condamner la société Agricole Comptoir Agricole d'Achat et de Vente qui vient aux droits de la société Appro du Piémont, la société Coopérative Agricole Alsace Appro et la société Coopérative Agricole d'Appro du Piémont à lui payer la somme de 30 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens de première instance comme d'appel avec distraction au profit de Me Auberty Jacolin, avocat constitué devant la cour.
La société Verallia France fait valoir que les sociétés Appro du Piémont, Alsace Appro et d'Appro du Piémont ont brutalement rompu les relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6, I,5° du Code de commerce. Elle affirme en effet avoir eu des relations commerciales avec les sociétés intimées pendant au moins 15 ans au moment de la rupture. Elle estime que celles ci sont à l'origine d'une rupture brutale de ces relations dans la mesure où elles ont annoncé leur cessation avec un préavis de seulement 36 jours pour la société Alsace Appro et 22 jours pour la société Appro du Piémont et sans aucun préavis pour la société d'Appro du Piémont. Elle conteste que la rupture soit imputable au refus allégué de communiquer ses tarifs pour l'année 2014 et fait observer que les relations étaient déjà rompues à ce moment. Elle affirme qu'aucun refus de vente ou violation contractuelle ne peuvent lui être reprochés. Elle prétend qu'eu égard à la durée et à l'intensité des relations établies, le préavis qui aurait dû être observé devait être d'une durée de 18 mois.
La société Verallia France invoque un préjudice résultant de cette rupture brutale, consistant en un manque à gagner lié à l'absence de préavis, qui doit être calculé au vu de la marge brute moyenne réalisée à l'occasion desdites relations commerciales, et ce à hauteur de 533 290 euros pour la société Alsace Appro, de 227 275 euros pour la société d'Appro du Piémont (déduction faite d'une remise de fin d'année de 3.841 euros) et de 116 414 euros pour la société Appro du Piémont, outre un préjudice de 50 000 euros pour chacune des trois sociétés correspondant à la nécessité de réorganiser le réseau de distribution et à l'atteinte à son image et sa notoriété.
La société Verallia France conteste la décision des premiers juges qui lui ont imputé l'origine de la rupture en relevant son refus de contracter avec le groupement Vitisphère et de communiquer ses tarifs pour l'année 2014. Elle affirme que les sociétés intimées ne pouvaient lui imposer un nouveau partenaire commercial, ce qui consistait en une modification substantielle unilatérale des conditions de l'accord de distribution qu'elle était libre de refuser. Elle ajoute que devant ce refus, les sociétés intimées auraient dû poursuivre les relations dans les conditions antérieures, ce qu'elles ont refusé de faire.
La société Verallia France soutient que les sociétés intimées ne rapportent pas la preuve de l'existence d'un refus de vente qui lui serait imputable en l'absence de réunion des conditions posées à l'article L. 420-2 du Code de commerce. Par ailleurs, elle dément toute violation contractuelle dans la mesure où elle n'a reçu aucune commande. Elle ajoute que le tableau établi par les sociétés intimées elles mêmes à l'appui de leur demande de dommages et intérêts devrait être retiré des débats. Elle dément enfin tout acte de concurrence déloyale en affirmant que le fait de contacter des clients constitue un acte de concurrence normale.
La société Comptoir agricole d'achat et de vente, venant aux droits de la société Appro du Piémont, de la société Alsace Appro et de la société d'Appro du Piémont, est intervenue volontairement à l'instance par conclusions du 5 novembre 2018.
Dans ses conclusions du 5 novembre 2018, la société Comptoir agricole d'achat et de vente demande à la cour de :
- lui donner acte de son intervention volontaire aux droits des sociétés Appro du Piémont, Alsace Appro et d'Appro du Piémont,
Sur l'appel principal,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement du 2 mai 2017,
En conséquence,
- constater que les conditions de la rupture brutale ne sont pas réunies en l'espèce ;
- constater que la décision de rompre les relations été prise par la société Saint Gobain Emballage Verallia lors de la réunion du 29 janvier 2013 ;
- constater que la rupture des relations commerciales s'est matérialisée respectivement a été causée par le blocage orchestré par la société Saint Gobain Emballage Verallia, en refusant de communiquer ses tarifs pour l'année 2014, en cessant toute livraison pour la saison 2014, en démarchant directement la clientèle des sociétés intimées ;
- constater que les parties intimées ont été contraintes de rompre la relation commerciale établie en raison du blocage orchestré par la société Saint Gobain Emballage Verallia, du risque de rupture de stock et du démarchage de la clientèle ;
- constater que la société Saint Gobain Emballage Verallia a été informée dès le mois d'octobre 2012 du projet de regroupement des sociétés intimées ;
En conséquence
- dire et juger que les sociétés intimées n'ont pas rompu brutalement la relation commerciale ayant existé entre les parties
- débouter en conséquence la partie demanderesse, la société Saint Gobain Emballage Verallia, de l'intégralité de ses moyens, fins et prétentions ;
À titre infiniment subsidiaire,
- constater que la société Saint Gobain Emballage Verallia, considère qu'un préavis de trois mois est suffisant ;
- limiter en conséquence les prétentions de la partie demanderesse, la société Saint Gobain Emballage Verallia, à la somme arrêtée à 47 313,68 euros ;
Sur appel incident,
- infirmer le jugement du 2 mai 2017 en tant qu'il a rejeté la demande reconventionnelle,
Statuant à nouveau,
- condamner la société Saint Gobain Emballage Verallia, à verser des dommages et intérêts à la société Comptoir Agricole d'Achat et de Vente d'un montant de 50 000 euros pour chacune des sociétés au droit desquelles elle vient, soit un total de 150 000 euros au titre du refus de vente ;
- condamner la société Saint Gobain Emballage Verallia, à verser des dommages et intérêts à la société Comptoir Agricole d'Achat et de Vente d'un montant de 50 000 euros pour chacune des sociétés aux droits desquelles elle vient, soit un total arrêté à 150 000 euros au titre du préjudice économique subi ;
En tout état de cause
- condamner la société Saint Gobain Emballage Verallia à payer à la société Comptoir Agricole d'Achat et de Vente une somme de 9 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'à l'ensemble des frais et dépens de l'instance et de ses suites.
La société Comptoir agricole d'achat et de vente explique que le 31 mars 2017, elle a fusionné avec les sociétés Alsace Appro et d'Appro du Piémont de sorte qu'elle vient désormais à leurs droits. Par ailleurs, elle expose que le 11 septembre 2017, la société Appro du Piémont, dont elle était l'associée unique, a fait l'objet d'une dissolution.
Elle ne conteste pas que les sociétés Appro du Piémont, Alsace Appro et d'Appro du Piémont se fournissaient en bouteilles en verre auprès de la société Verallia France depuis le début des années 1990. Elle fixe la rupture des relations commerciales au 1er janvier 2014 et en impute la responsabilité à la société Verallia France. Elle explique que les sociétés intimées ont, pour des raisons d'organisation interne et de mutualisation des coûts, fait le choix de regrouper leurs achats au sein d'une société d'union d'achats et de services de sociétés coopératives agricoles, la société Vitisphère. Elle affirme que la société Verallia France a été associée à ce projet dès le mois d'octobre 2012. Elle ajoute que l'appelante a refusé, lors d'une réunion du 29 janvier 2013, de travailler avec le groupe Vitisphère Alsace pour des raisons liées à l'intégration dans le groupe Vitisphère de la société Viti.com - société se fournissant chez la société O I, l'un de ses concurrents directs, et ce, alors même qu'aucune clause d'exclusivité ne liait initialement les parties.
C'est dans ces conditions que les sociétés intimées ont continué dans un premier temps à facturer l'appelante malgré leur intégration au groupement d'achats Vitisphère Alsace sans toutefois remettre en cause leur projet de regroupement. Elle estime que la société Verallia France a opposé un blocage à la poursuite des relations en refusant de communiquer ses tarifs 2014, en cessant toute livraison en 2014 et en démarchant directement la clientèle des sociétés intimées et que face à cette attitude, celles ci n'ont eu d'autre alternative que de rompre les relations commerciales. Elle prétend que la rupture n'a pas présenté de caractère brutal puisque non seulement cette rupture est consécutive à la stratégie de blocage opérée par la société appelante, mais en outre, les discussions tendant à faire perdurer les relations commerciales ont débuté près de 14 mois avant la date d'effet de la rupture, lors de l'information donnée à la société appelante du projet de regrouper les achats au sein d'une société d'union d'achats et de service de sociétés coopératives agricoles.
À titre subsidiaire, la société Comptoir agricole d'achat et de vente invoque les fautes graves imputables à la société Verallia France justifiant la résiliation sans préavis de la relation commerciale à ses torts exclusifs. Elle fait valoir tout d'abord qu'en cessant de communiquer ses tarifs et en cessant de livrer les bouteilles, la société Verallia France est à l'origine d'un refus de vente constitutif d'un abus au sens de l'article L.420-2 du Code de commerce au regard de sa position dominante sur le marché. Elle reproche également à l'appelante une concurrence déloyale. Enfin elle se prévaut d'inexécutions contractuelles (refus de communiquer ses tarifs, refus de participer aux réunions techniques et commerciales, refus de livrer des bouteilles).
À titre infiniment subsidiaire, si la cour devait estimer que la rupture présente un caractère brutal, elle considère que la durée du préavis à observer ne pouvait être supérieure à trois mois. Elle invoque à cet effet un projet de contrat en date du 27 février 2006 qui mentionnait un préavis de trois mois. Elle conteste les difficultés alléguées par l'appelante à trouver de nouveaux clients étant donné sa position de leader mondial sur le marché et la commercialisation de bouteilles en direct auprès des clients finaux alsaciens.
Enfin, au soutien de ses demandes reconventionnelles, elle invoque le préjudice résultant du refus de vente opéré par la société Verallia France, constituant de par sa position dominante sur le marché un abus au sens de l'article L. 420-2 du Code de commerce, et le préjudice subi en raison de l'arrêt des relations commerciales avec la société appelante.
Conformément à l'article 455 du Code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures susvisées pour l'exposé complet des prétentions respectives des parties et de leurs moyens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 8 novembre 2018.
MOTIFS :
Sur la rupture brutale des relations commerciales
Considérant que l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ; que les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ;
Considérant que la relation commerciale, pour être établie au sens de ces dispositions, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel ; que le texte précité vise à sanctionner, non la rupture elle même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou l'insuffisance de préavis ;
Considérant par ailleurs que la modification unilatérale des conditions contractuelles peut caractériser une rupture brutale de la relation commerciale si cette modification est substantielle ;
Considérant qu'en l'espèce, il n'est pas contesté que la société Verallia France fournissait des bouteilles en verre aux sociétés Alsace Appro, d'Appro du Piémont et Appro du Piémont depuis le début des années 1990 ; qu'en outre, il est établi que le flux d'affaires entre ces sociétés était conséquent puisque le chiffre d'affaires moyen réalisé par la société Verallia France entre 2009 et 2013 s'élevait à 1 719 416,80 euros avec la société Alsace Appro, 881 773 euros avec la société d'Appro du Piémont et 126 822 euros avec la société Appro du Piémont ;
Considérant que les parties au litige s'opposent quant à l'imputabilité de la rupture de la relation commerciale; que la société Verallia France en attribue la responsabilité aux sociétés Alsace Appro, d'Appro du Piémont et Appro du Piémont qui ont cessé tout approvisionnement à compter du 1er janvier 2014 tandis que la société Comptoir agricole d'achat et de vente impute la responsabilité de la rupture de cette relation commerciale établie à la société Verallia France qui serait à l'origine de divers manquements contractuels;
Considérant que la société Comptoir agricole d'achat et de vente reproche tout d'abord à la société Verallia France d'avoir refusé de continuer à travailler avec la société Vitisphère Alsace ; qu'il ressort des pièces versées aux débats que les sociétés Alsace Appro, d'Appro du Piémont et Appro du Piémont ont souhaité regrouper leurs achats au sein d'une société d'union d'achats et de services de sociétés coopératives agricoles, la société Vitisphère Alsace ; qu'ainsi elles ont voulu que leurs fournisseurs, dont la société Verallia France, aient pour interlocuteur unique la société Vistisphère Alsace en leurs lieu et place ; qu'il sera relevé que ce groupement était constitué des sociétés Alsace Appro, d'Appro du Piémont ainsi que des sociétés Comptoir Agricole d'achat et de vente et Viti.com et ouvert à tous autres coopérateurs qui viendraient à adhérer ; que ce changement de cocontractant constituait donc une modification substantielle des conditions contractuelles que la société Verallia France était libre de refuser ; qu'aucune inexécution contractuelle ne saurait être reprochée de ce chef à la société Verallia France ;
Considérant que la société Comptoir agricole d'achat et de vente prétend également que la société Verallia France a refusé de communiquer ses tarifs pour l'année 2014 ; que toutefois il résulte des courriers versés aux débats (pièce 13 de la société Comptoir agricole d'achat et de vente, pièce 27 de la société Verallia France) que c'est à la société Vitisphère Alsace et non aux sociétés Alsace Appro, d'Appro du Piémont et Appro du Piémont que la société Verallia France a refusé de communiquer ses tarifs ; que par ailleurs, il apparaît que la rupture était déjà consommée au moment où la société d'Appro du Piémont a demandé la communication des tarifs pour l'année 2014 dans un courriel du 16 décembre 2014 puisqu'à cette date, elle avait déjà manifesté son intention de ne pas poursuivre la relation commerciale dans les conditions antérieures par courriel du 9 décembre 2013 ; qu'aucune inexécution contractuelle de la part de la société Verallia France n'est donc caractérisée de ce chef ;
Considérant que la société Comptoir agricole d'achat et de vente reproche encore à la société Verallia France d'avoir cessé toute livraison à compter de 2014, ce qui aurait été à l'origine d'une rupture de stock de bouteilles préjudiciable aux adhérents des coopératives ; que toutefois la société Comptoir agricole d'achat et de vente ne démontre pas que des commandes ont été passées par les sociétés Alsace Appro, d'Appro du Piémont et Appro du Piémont qui n'ont pas été honorées par la société Verallia France ; qu'il apparaît en réalité que les sociétés Alsace Appro, d'Appro du Piémont et Appro du Piémont se sont approvisionnées en bouteilles auprès de la société O I à compter du 1er janvier 2014 ainsi qu'il ressort des attestations produites par ces dernières et de la pièce 28 produite par l'appelante ; qu'il est évident que la rupture de stock alléguée par la société Comptoir agricole d'achat et de vente est liée à la cessation des approvisionnements annoncée par courriels du 26 novembre 2013 et 9 décembre 2013 ; qu'aucune inexécution contractuelle ne peut donc être imputée à la société Verallia France sur ce point ;
Considérant que la société Comptoir agricole d'achat et de vente fait enfin grief à la société Verallia France d'avoir démarché directement les clients des sociétés Alsace Appro, d'Appro du Piémont et Appro du Piémont ; que toutefois le simple fait de démarcher des clients ne saurait être constitutif d'une concurrence déloyale dès lors qu'il n'est pas démontré que ce démarchage ait été effectué par des moyens contraires aux usages loyaux du commerce ;
Considérant qu'il ressort de l'ensemble de ces éléments que la rupture des relations commerciales établies est imputable aux sociétés Alsace Appro, d'Appro du Piémont et Appro du Piémont, qui ont imposé à la société Verallia France une modification unilatérale et substantielle des conditions contractuelles, soit le recours à une société tierce, la société Vitisphère Alsace.
Considérant par ailleurs que le caractère prévisible de la rupture d'une relation commerciale établie ne prive pas celle ci de son caractère brutal si elle ne résulte pas d'un acte du partenaire manifestant son intention de ne pas poursuivre la relation commerciale et faisant courir un délai de préavis ;
Considérant que s'il est établi que les sociétés d'Appro du Piémont, Alsace Appro et Appro du piémont ont informé la société Verallia France de leur projet de regroupement dès le mois d'octobre 2012, il n'en demeure pas moins que les sociétés Alsace Appro et d'Appro du Piémont n'ont manifesté leur intention de ne pas poursuivre la relation commerciale dans les conditions antérieures que par courriels du 26 novembre 2013 et 9 décembre 2013 avant de cesser tout approvisionnement à compter du 1er janvier 2014 ; que la société Appro du Piémont a quant à elle cessé ses approvisionnements auprès de la société Verallia France à compter du 1er janvier 2014 sans lui adresser ni lettre de rupture ni préavis écrit ;
Considérant que le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné ; que les principaux critères à prendre en compte sont l'ancienneté des relations, le volume d'affaires et la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, les relations d'exclusivité, la spécificité des produits et la dépendance économique ;
Considérant qu'en l'espèce, eu égard à l'ancienneté des relations (plus de vingt ans au moment de la rupture) et de l'importance des volumes d'affaires, un préavis d'une année aurait dû être observé ; qu'ainsi les préavis de 36 et 22 jours observés par les sociétés Alsace Appro et d'Appro du Piémont, Alsace Appro étaient insuffisants ; que la société Appro du Piémont n'a quant à elle observé aucun préavis ;
Considérant que le préjudice consécutif à la brutalité de la rupture est constitué du gain manqué pendant la période d'insuffisance du préavis et s'évalue donc en considération de la marge brute escomptée durant cette période par référence à la moyenne ; que contrairement à ce que soutient la société Verallia France, il n'y a pas lieu d'exclure l'année 2013 de la moyenne annuelle de la marge brute réalisée dans les années précédant la rupture ; que dès lors, il convient d'estimer le préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations avec la société Alsace Appro à 331 688 euros, avec la société d'Appro du Piémont à 140 843 euros et avec la société Appro du Piémont à 44 276 euros sur la base de la marge brute réalisée avec ces sociétés entre 2009 et 2013 ;
Considérant que la société Verallia France revendique en outre l'indemnisation d'un préjudice lié à la nécessité de réorganiser son réseau de distribution et à la difficulté de trouver des cocontractants de substitution compte tenu du préjudice d'image et de notoriété subi du fait de la perte de deux importants distributeurs ; que toutefois le préjudice réparant la brutalité de la rupture a justement vocation à permettre à la société victime de la rupture brutale de se réorganiser ; qu'en l'absence de preuve d'un préjudice supplémentaire, la demande de réparation complémentaire sera rejetée ;
Considérant qu'en conséquence, la société Comptoir agricole d'achat et de vente sera condamnée à régler à la société Verallia France une somme de 516 807 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales ; que le jugement entrepris sera infirmé de ce chef ;
Sur l'arrêt des relations commerciales
Considérant qu'ainsi qu'il a été jugé ci dessus, la rupture des relations commerciales n'étant pas imputable à la société Verallia France, aucune demande de réparation ne peut être formée à son encontre de ce chef ; que le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de réparation du préjudice économique allégué par la société Comptoir agricole d'achat et de vente ;
Sur le refus de vente
Considérant qu'en vertu de l'article L.420-2 du Code de commerce, est prohibée, dans les conditions prévues à l'article L. 420-1, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci ; ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées ; qu'est en outre prohibée, dès lors qu'elle est susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur ; ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées, en pratiques discriminatoires visées au I de l'article L. 442-6 ou en accords de gamme ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'aucun refus de vente imputable à la société Verallia France n'est démontré ; que dans ces conditions, la demande de dommages et intérêts de la société Comptoir agricole d'achat et de vente ne saurait prospérer ; que le jugement entrepris sera confirmé sur ce point ;
Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile
Considérant que la société Comptoir agricole d'achat et de vente succombe à l'instance ; qu'elle supportera les dépens de l'instance d'appel et les dépens de première instance qui pourront être recouvrés par Maître Auberty Jacolin selon les modalités de l'article 699 du Code de procédure civile ; que le jugement entrepris sera réformé de ce chef ; que le jugement sera également infirmé en ce qu'il a condamné la société Saint Gobain Emballage à des sommes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; que la société Comptoir agricole d'achat et de vente sera condamnée à régler à la société Verallia France une somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; que la demande de la société Comptoir agricole d'achat et de vente sur ce point sera rejetée ;
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Infirme le jugement rendu le 2 mai 2017 par le tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a débouté la société Saint Gobain Emballage de sa demande au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie avec la société la société Appro du Piémont, la société Coopérative Agricole Alsace Appro et la société Coopérative Agricole d'Appro du Piémont ; Statuant à nouveau de ce chef, Condamne la société Comptoir agricole d'achat et de vente à régler à la société Verallia France une somme de 516.807 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales ; Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société la société Appro du Piémont, la société Coopérative Agricole Alsace Appro et la société Coopérative Agricole d'Appro du Piémont (désormais société Comptoir agricole d'achat et de vente) de leurs demandes au titre du refus de vente et du préjudice économique ; Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Saint Gobain Emballage à payer à chacune des sociétés Appro du Piémont, Coopérative Agricole Alsace Appro et Coopérative Agricole d'Appro du Piémont la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens de première instance, Statuant à nouveau de ce chef, Condamne la société Comptoir agricole d'achat et de vente à régler à la société Verallia France une somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Comptoir agricole d'achat et de vente aux dépens de première instance et de l'instance d'appel qui pourront être recouvrés par Maître Auberty Jacolin selon les modalités de l'article 699 du Code de procédure civile.