CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 30 janvier 2019, n° 16-20786
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Fare voyages (SARL)
Défendeur :
Galeries Lafayette Voyages (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Luc
Conseillers :
Mmes Mouthon Vidilles, Comte
Avocats :
Mes Vignes, Kremer, Hardouin, Pergament
Faits et procédure,
La société Fare Voyages exerce des activités d'agence de voyages en qualité de producteur.
La société Galeries Lafayette Voyages est un opérateur de voyages proposant à la vente, par l'intermédiaire du réseau d'agences Galeries Lafayette et du site Internet qu'elle exploite, des prestations de services liées au voyage sous forme de séjours, vols secs ou locations de vacances.
Les sociétés Galeries Lafayette Voyages et Fare Voyages ont signé un contrat initial le 12 juin 2009, puis plusieurs contrats successifs de distribution.
Le dernier contrat a été conclu le 27 juin 2013 et avait pour date d'effet le 1er novembre 2013.
La société Fare Voyages a adressé par courriel du 22 mai 2014 à la société Galeries Lafayette Voyages un nouveau projet de contrat de distribution.
Par courrier du 28 août 2014, la société Galeries Lafayette Voyages a annoncé son souhait de ne pas reconduire le contrat en cours au-delà de son terme, soit le 31 octobre 2014 et a mis fin aux relations commerciales entre les parties, avec effet au 1er novembre 2014.
En réponse à ce courrier, le 6 novembre 2014, la société Fare Voyages a indiqué à la société Galeries Lafayette Voyages qu'elle considérait que la rupture annoncée s'analysait en une rupture brutale des relations commerciales établies.
Par courrier du 20 novembre 2014, la société Galeries Lafayette Voyages a alors dénoncé une mauvaise exécution par la société Fare Voyages de ses obligations contractuelles.
C'est dans ces circonstances que, par acte du 23 janvier 2015, la société Fare Voyages a assigné la société Galeries Lafayette Voyages devant le tribunal de commerce de Paris au visa de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, l'article 1184 ancien du Code civil, en réparation d'une rupture brutale de relations commerciales établies pour absence de préavis raisonnable de la part de la société Galeries Lafayette Voyages.
Par jugement du 12 septembre 2016, le tribunal de commerce de Paris a, sous le régime de l'exécution provisoire :
- dit que le caractère établi de la relation commerciale n'est pas caractérisé au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et a débouté la société Fare Voyages de toutes ses demandes,
- condamné la société Fare Voyages à payer la société Galeries Lafayette Voyages la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- rejeté comme inopérantes ou mal fondées toutes demandes plus amples ou contraires au présent jugement et en déboute respectivement les parties,
- condamné la société Fare Voyages aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 euros dont 13,52 euros de TVA.
La société Fare Voyages a interjeté appel du jugement par déclaration au greffe du8 avril 2016.
La procédure devant la cour a été clôturée le 13 novembre 2018.
Vu les conclusions du 18 janvier 2017 par lesquelles la société Fare Voyages, appelante, invite la cour, au visa des articles L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, 1184 du Code civil, 515 et 700 du Code de procédure civile, à :
- infirmer le jugement entrepris rendu par le tribunal de commerce de Paris le 12 septembre 2016, en toutes ses dispositions,
en conséquence, statuant à nouveau,
- dire que la société Galeries Lafayette Voyages s'est rendue coupable d'agissements constitutifs d'une rupture brutale des relations commerciales établies entre le société Galeries Lafayette Voyages et elle sans respecter aucun préavis,
- dire la durée du préavis suffisant eu égard à l'ancienneté des relations commerciales établies entre la société Galeries Lafayette Voyages et elle qui aurait dû être respecté par Galeries Lafayette Voyages à 9 mois,
- en conséquence, condamner la société Galeries Lafayette Voyages au paiement de la somme de 65 694,25 euros à titre de réparation du préjudice entraîné par le caractère brutal de la rupture,
- condamner la société Galeries Lafayette Voyages au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de réparation du préjudice moral subi par elle,
- condamner la société Galeries Lafayette Voyages au paiement de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
Vu les conclusions du 14 mars 2017 par lesquelles la société Galeries Lafayette Voyages, intimée, demande à la cour, au visa des articles 1134 du Code civil et L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, de :
- dire que le caractère établi de la relation commerciale n'est pas caractérisé,
- dire que le caractère brutal de la rupture n'est pas établi au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,
- dire que la société Galeries Lafayette Voyages était fondée à mettre un terme sans préavis à la relation commerciale en raison de la mauvaise exécution du contrat par la société Fare Voyages,
en conséquence,
- débouter la société Fare Voyages de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
subsidiairement, réduire à deux mois le montant du préavis,
- condamner la société Fare Voyages à payer à la société Galeries Lafayette Voyages la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction, pour ceux-là concernant, au profit de Me Patricia Hardouin - Selarl 2H Avocats et ce, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;
Sur ce, LA COUR,
La cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.
En application de l'article 954 alinéa 2 du Code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.
Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
Aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce :
" Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (...) de rompre unilatéralement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.
Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ".
Sur le caractère établi des relations commerciales
La société Fare Voyages soutient que la relation entretenue entre les parties s'analyse en une relation commerciale établie car les contrats successifs conclus ne comportaient aucune clause excluant la reconduction tacite des contrats qui pour la plupart se sont donc poursuivis tacitement jusqu'à la signature du contrat suivant.
La société Galeries Lafayette Voyages conteste le caractère établi de ses relations commerciales avec la société Fare Voyages. Elle explique qu'elle a conclu annuellement des contrats successifs à durée déterminée de 12 mois sans clause de tacite reconduction. Elle en déduit que la stipulation d'un terme ferme associé à l'absence de clause de tacite reconduction établit la précarité de la relation commerciale.
Une relation commerciale " établie " présente un caractère " suivi, stable et habituel " et permet raisonnablement d'anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux, ce qui implique, notamment qu'elle ne soit pas entachée par des incidents susceptibles de remettre en cause sa stabilité, voire sa régularité.
En l'espèce, il ressort de l'instruction de l'affaire que les parties ont souscrit :
- un premier contrat du 12 juin 2009, conclu pour une durée d'un an, ayant pour date d'effet rétroactive le 1er janvier 2009,
- un contrat du 19 juillet 2010, conclu pour une durée de trois ans, ayant pour date d'effet rétroactive le 1er janvier 2009 pour se terminer le 31 décembre 2011,
- un contrat du 20 janvier 2012, conclu pour une durée d'un an, ayant pour date d'effet rétroactive le 1er novembre 2011 pour se terminer le 31 octobre 2012,
- un contrat du 27 juin 2013, conclu pour une durée d'un an, ayant pour date d'effet le 1er novembre 2013.
Il apparaît donc que, si aucune clause de reconduction tacite n'est formellement prévue, l'usage entre les parties démontre qu'au contraire, elles poursuivaient l'exécution des contrats pour régulariser ensuite leurs relations commerciales par des clauses d'effet rétroactif et qu'entre le 31 octobre 2012 et le 1er novembre 2013, les relations commerciales entre les parties se sont poursuivi le contrat étant exécuté malgré l'expiration du terme du contrat du 20 janvier 2012.
Dès lors, c'est vainement que la société Galeries Lafayette Voyages soutient que ses relations commerciales avec la société Fare Voyages ne sont pas établies, un flux d'affaires continu liant les parties depuis le 1er janvier 2009, et cette dernière pouvait légitimement raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires au terme de chacun des contrats.
Le jugement doit donc être infirmé sur ce point.
Sur la brutalité de la rupture
La société Fare Voyages soutient que la société Galeries Lafayette Voyages n'a respecté aucun préavis pour lui notifier la rupture de leurs relations commerciales. Le délai de préavis raisonnable, qui aurait dû être respecté, compte tenu de l'ancienneté et de l'intensité des relations commerciales, aurait dû être de 9 mois. Elle relève qu'elle pouvait raisonnablement penser qu'un nouveau contrat pour une durée déterminée d'un an serait conclu. Elle excipe que la société Galeries Lafayette Voyages n'a pas expressément manifesté sa volonté de ne pas poursuivre la relation avant le 28 août 2014.
La société Galeries Lafayette Voyages fait valoir que la société Fare Voyages ne pouvait légitimement croire à une poursuite de leur relation commerciale au-delà du terme de son contrat pour lui avoir exprimé de façon claire, dès le mois de mai 2014, son intention de ne pas renouveler la relation commerciale, et ce par plusieurs courriels et courriers. Elle souligne qu'en raison de la défaillance de la société Fare Voyages dans l'exécution du contrat, elle n'était pas tenue de respecter un préavis. En tout état de cause, elle soutient qu'elle a respecté un préavis de 5 mois en informant la société Fare Voyages de son intention de ne pas renouveler la relation commerciale dès le mois de mai 2014, avant le terme du contrat.
Il est de principe que le caractère prévisible de la rupture d'une relation commerciale établie ne prive pas celle-ci de son caractère brutal si elle ne résulte pas d'un acte du partenaire manifestant son intention de ne pas poursuivre la relation commerciale et faisant courir un délai de préavis.
Il ressort de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou de l'insuffisance de la durée de ce préavis au regard des relations commerciales antérieures. L'évaluation de la durée du préavis à accorder est fonction de toutes les circonstances de nature à influer son appréciation au moment de la notification de la rupture, notamment de l'ancienneté des relations, du volume d'affaires réalisé avec l'auteur de la rupture, du secteur concerné, de l'état de dépendance économique de la victime, des dépenses non récupérables dédiées à la relation et du temps nécessaire pour retrouver un partenaire sur le marché de rang équivalent.
La date de la notification de la rupture
Les échanges des 19 et 22 mai 2014 entre les parties démontrent qu'elles négociaient sur les nouvelles conditions du projet de contrat envoyé par la société Fare Voyages et que la société Galeries Lafayette Voyages n'était pas satisfaite des conditions du partenariat. Ils ne peuvent donc constituer la notification de la rupture.
En revanche, par courriel du 26 juillet 2014, la société Galeries Lafayette Voyages a indiqué à la société Fare Voyages " eu égard à vos délais de réalisation de brochure, je ne peux pas m'engager aujourd'hui à renouveler notre contrat de partenariat pour l'année prochaine. Nous cesserons donc notre collaboration à la fin du contrat en cours ".
Par ce courriel, la société Galeries Lafayette Voyages a signifié sans ambiguïté à la société Fare Voyages que leurs relations commerciales cesseraient à l'issue du contrat.
Dans ces conditions, il y a lieu de fixer la date de la notification de la rupture par la société Galeries Lafayette Voyages de ses relations commerciales avec la société Fare Voyages au 26 juillet 2014.
Sur les fautes de la société Fare Voyages
La société Galeries Lafayette Voyages a laissé un préavis à la société Fare Voyages, malgré les reproches qu'elle lui avait formulés.
Il apparaît donc que ces fautes reprochées par la société Galeries Lafayette Voyages, qui apparaissent par ailleurs démontrées par les différents échanges courriels dans lesquels elle lui rappelle la nécessité de régulariser les commissions en retard et le retard dans la réalisation de brochures, ne revêtent pas une gravité suffisante pour la société Galeries Lafayette Voyages afin de justifier une absence de préavis.
La durée du préavis suffisant,
Le chiffre d'affaires annuel moyen entre les sociétés Galeries Lafayette Voyages et Fare Voyages sur les 3 dernières années de relations commerciales est de 456 776 euros.
La société Fare Voyages ne porte pas à la connaissance de la cour le montant total de son chiffre d'affaires. Par ailleurs, elle ne démontre pas en quoi le secteur d'activité de l'organisation de voyages en Polynésie est spécifique.
Eu égard à ces seuls éléments soumis à l'appréciation de la cour, au secteur d'activité, à la durée de la relation de 5 ans et demi et du temps nécessaire pour que la société Fare Voyages puisse se ré organiser et re déployer son activité, le préavis aurait dû être de 3 mois de sorte que la rupture n'est pas brutale, dès lors qu'elle a bénéficié d'un délai de préavis entre le 26 juillet et le 31 octobre 2014.
Il y a donc lieu de débouter la société Fare Voyages de ses demandes fondées sur la brutalité de la rupture des relations commerciales établies, en ce compris la perte de marge et le préjudice moral.
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile
Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement sur les dépens et l'application qui y a été faite des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Fare Voyages doit être condamnée aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la société Galeries Lafayette Voyages la somme supplémentaire de 10 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.
Le sens du présent arrêt conduit à rejeter la demande par application de l'article 700 du Code de procédure civile formulée par la société Galeries Lafayette Voyages.
Par ces motifs, LA COUR, confirme le jugement sauf en ce qu'il a dit que le caractère établi de la relation commerciale n'est pas caractérisé au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; l'infirme sur ce point ; statuant à nouveau ; dit que la relation commerciale entre les sociétés Galeries Lafayette Voyages et Fare Voyages est établie ; y ajoutant ; condamne la société Fare Voyages aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la société Galeries Lafayette Voyages la somme supplémentaire de 10 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ; rejette toute autre demande.