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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 30 janvier 2019, n° 16-22044

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Eurenco (SA)

Défendeur :

Inversol Italia Srl (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Barousse, Giammatteo

T. com. Paris, du 31 oct. 2016

31 octobre 2016

Faits et procédure,

La société Eurenco, société de droit français, a pour activité la conception, la production et la fabrication de poudres et explosifs à usage militaire. Elle est également un des quatre producteurs européens de cétane, adjuvant destiné au carburant de moteurs diesels.

La société In. Ver. Sol Italia (ci-après Inversol), société de droit italien, intervient dans le secteur de la production de matériaux chimiques destinés à colorer les produits pétroliers et de dissolvants.

Depuis 2004, la société Eurenco vend du cétane à la société Inversol, qui approvisionne ses clients en Italie, dont la société ENI, sans que cette relation commerciale ne soit formalisée par un contrat écrit.

Dans ce cadre, la société Inversol a fourni, jusqu'en mai 2012, la société pétrolière italienne ENI en cétane, dans le cadre de contrats d'une durée de trois ans. Le prix payé par la société ENI était fixé par la société Inversol en fonction du prix qu'elle-même obtenait de la société Eurenco.

Le 24 février 2012, les sociétés Eurenco et Inversol ont conclu un contrat de représentation exclusive d'une durée de trois ans, accordant à la société Inversol la représentation exclusive de la société Eurenco pour répondre à un appel d'offres d'ENI, devant être organisé en mai 2012, au titre de six raffineries italiennes visées expressément dans le contrat. Il y était prévu une rémunération d'Inversol sous forme d'une commission égale à 3,5 % des ventes en contrepartie des services rendus.

Parallèlement, par une lettre du 23 février 2012 contresignée par les parties, il a été convenu que la société Inversol puisse participer à l'appel d'offres ENI " en tant que distributeur de tierces parties ", donc en s'approvisionnant auprès de fournisseurs tiers, à condition qu'elle remplisse parallèlement toutes les obligations lui incombant à l'égard de la société Eurenco en tant que représentant. Ce contrat autorisait la société Inversol à continuer à participer à titre individuel aux appels d'offre de la société ENI, à condition de s'approvisionner auprès d'un autre fabricant. Les relations de distribution classiques concernant les autres clients que la société ENI étaient également envisagées dans ce courrier, sous la réserve de signer un contrat de distribution.

Ainsi, la société Inversol a formulé dans le cadre de l'appel d'offre prévu au mois de mai 2012 une offre individuelle.

La société Enrenco n'a pas répondu à la consultation et le marché a été attribué par la société ENI à une autre société, distributeur d'Eurenco.

La société Eurenco, faute d'avoir pu répondre à l'appel d'offres ENI, et le contrat de représentation n'ayant jamais reçu de commencement d'exécution, a informé la société Inversol le 8 janvier 2013, qu'elle y mettait un terme en application de l'article 9.5 prévoyant expressément la possibilité de le résilier si le minimum annuel de commandes de 200 tonnes n'était pas atteint.

Par acte du 8 avril 2015, la société Inversol a fait assigner la société Eurenco devant le tribunal de commerce de Paris, estimant que la société Eurenco, par ses agissements lors de cet appel d'offres, lui avait causé un grave préjudice en rompant brutalement, au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, des relations commerciales anciennes de 10 années et en a réclamé la réparation.

De son côté, la société Eurenco répliquait que seule la loi italienne était en l'espèce applicable et que les retards de paiements récurrents depuis 2010 de la société Inversol justifiaient toute absence de préavis.

Par jugement du 31 octobre 2016, le tribunal de commerce de Paris a, sous le régime de l'exécution provisoire sans caution :

- dit l'exception soulevée par la société Eurenco sur la loi applicable recevable mais mal fondée,

- dit la loi française applicable,

- débouté la société de droit italien Inversol de sa demande relative à l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce,

- condamné la société Eurenco à payer à la société de droit italien Inversol la somme de :

* 71 641,97 euros au titre de l'absence de présentation de demandes à l'appel d'offres ENI de mai 2012,

* 10 076,49 euros, au titre des frais de représentation engagés par la société Inversol,

- condamné la société Eurenco à payer à la cociété de droit italien Inversol la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent dispositif,

- condamné la société Eurenco aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 81,90 E dont 13,43 de TVA.

Par déclaration d'appel du 4 novembre 2016, la société Eurenco a interjeté appel du jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 31 octobre 2016. L'affaire a été enregistrée sous le numéro 16/22044.

Par déclaration d'appel du 18 novembre 2016, la société Inversol a interjeté appel du jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 31 octobre 2016. L'affaire a été enregistrée sous le numéro 16/23116.

Par ordonnance du 18 avril 2017, le conseiller de la mise en état a ordonné la jonction des procédures inscrites au rôle sous les numéros 16/22044 et 16/23116, sous le numéro 16/22044, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice.

La procédure devant la cour a été clôturée le 13 novembre 2018.

Vu les dernières conclusions de la société Eurenco, appelante dans la procédure 16/22044 et intimée dans la procédure 16/23116, déposées et notifiées le 27 octobre 2018, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 31 octobre 2016 en ce qu'il a débouté la société Eurenco de sa demande au titre de la rupture brutale des relations commerciales,

- le réformer en ce qu'il a condamné la société Eurenco à payer à la société Inversol la somme de 71 641,97 euros au titre de l'appel d'offres, la somme de 10.076,49 euros au titre des frais et celle de 5 000 euros au titre de l'article 700,

et, statuant à nouveau,

- débouter la société Inversol de ses demandes,

à titre subsidiaire,

- débouter la société Inversol de sa demande de réparation, ou, à tout le moins, limiter le montant de la réparation,

- condamner la société Inversol à payer la société Eurenco à la somme 10 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Inversol aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

Vu les conclusions de la société In. Ver. Sol Italia, intimée dans la procédure 16/22044 et appelante dans la procédure 16/23116, déposées et notifiées le 9 novembre 2018, par lesquelles il est demandé à la cour, au visa des articles 1112 du Code civil, des articles L. 442-6 I 5° et D. 442-3 du Code de commerce, et de l'article 515 du Code de procédure civile, de :

à titre principal,

- confirmer le Jugement du tribunal de commerce de Paris du 31 octobre 2016 en ce qu'il a jugé que la loi française est applicable au présent litige,

- réformer le jugement attaqué pour le surplus et statuant à nouveau :

* dire que l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce s'applique aux relations contractuelles entre les parties,

* constater que le défaut de paiement des factures de la société Eurenco par la société Inversol est un fait survenu postérieurement à la rupture brutale des relations commerciales entre les parties,

* dire que l'exception d'inexécution soulevée par la société Eurenco est, en conséquence, mal fondée,

* constater, en conséquence, que la rupture brutale des relations commerciales établies, sans respect d'un quelconque délai de préavis, doit être imputée à la société Eurenco au détriment de la société Inversol,

en conséquence,

- condamner la société Eurenco à verser à la société Inversol la somme de 2 312 933,28 euros au titre de la marge brute que celle-ci aurait réalisé en l'absence d'une rupture brutale,

- condamner la société Eurenco à verser à la société Inversol la somme de 1 364 282,89 euros au titre des pertes subies du fait de la rupture brutale,

à titre subsidiaire, si par impossible la cour devait considérer que l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce n'est pas applicable au litige d'espèce :

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 31 octobre 2016 en ce qu'il a jugé que la société Eurenco était responsable de l'absence de participation à l'appel d'offres ENI du mois de mai 2012,

réformer le jugement attaqué pour le surplus et statuant à nouveau :

- constater que la société Inversol a tout mis en œuvre pour faciliter et permettre la participation de la société Eurenco à l'appel d'offres,

- dire que la société Eurenco est pleinement responsable du défaut de participation à l'appel d'offres précité ;

- condamner la société Eurenco à verser à la société Inversol la somme de 543 235 euros au titre des commissions que celle-ci aurait dû réaliser,

- condamner la société Eurenco à verser à la société Inversol la somme de 1 364 282,89 euros au titre des pertes subies du fait de la rupture abusive,

en tout état de cause :

- condamner la société Eurenco à payer à la société Inversol la somme de 25 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Eurenco aux entiers dépens ;

Sur ce, LA COUR

Sur la loi applicable

La société Eurenco expose que, quelle que soit la nature de l'action fondée sur l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, l'application de la loi française doit être écartée et que la loi italienne est applicable.

Sollicitant la confirmation du jugement, la société Inversol soutient que la loi française est applicable, s'agissant d'un litige international ayant les liens le plus étroits avec la France.

Sur la qualification de l'action,

La société Eurenco invoque la qualification délictuelle de cette action en soutenant que la jurisprudence Granarolo, qui a jugé que l'action indemnitaire relative à une rupture brutale des relations commerciales, entre deux sociétés établies dans des Etats membres de l'UE, est de nature contractuelle et non délictuelle, ce qui signifie que la compétence juridictionnelle n'est pas déterminée par le lieu du dommage, ne s'applique que quant à la détermination de la juridiction compétente et non pas à la détermination de la loi applicable.

Si la qualification délictuelle de cette action doit être retenue, la société Eurenco soutient que le Règlement Rome II exclut la loi française et, par suite, l'article L. 442-6 du Code du commerce même en présence d'une clause prévoyant l'application de la loi française. En effet, selon elle, la loi applicable à la rupture des relations commerciales Eurenco/Inversol en qualité de fournisseur et distributeur doit être déterminée en fonction de l'article 4 du Règlement au terme duquel la loi applicable est celle du pays où le dommage survient et auquel renvoie l'article 6 faisant référence à la loi du pays où le marché est affecté.

Or, en l'espèce, elle relève que le pays où le dommage consécutif à la rupture des relations contractuelles est survenu, le pays dans lequel le marché a pu être affecté par cette rupture, le pays où est domicilié Inversol qui se prétend victime de cette rupture et le pays où l'appel d'offres en cause a été lancé, est l'Italie.

De plus, elle expose que la clause relative à la loi applicable stipulée à l'article 16 du contrat de représentation signé le 24 février 2012 qui stipule que la loi applicable est celle de la société Eurenco, c'est-à-dire la loi française, n'est pas applicable. En effet :

- le contrat du 24 février 2012 ne peut s'appliquer qu'aux relations contractuelles soumises à ce contrat depuis sa signature, et non pas aux relations commerciales fournisseur/distributeur qui ont commencé plusieurs années avant ce contrat et se sont poursuivies ensuite.

- l'article 6.4 du règlement Rome II interdit de déroger à la loi applicable telle qu'elle résulte de son article 6.

S'il était jugé que la rupture brutale des relations commerciales engendrait une obligation de nature contractuelle au regard de la loi applicable au fond du litige, la société Eurenco prétend qu'il convient d'appliquer le règlement Rome I du 17 juin 2008 qui a pris la suite de la Convention de Rome du 19 juin 1980. Or, selon l'article 4.1 f) du Règlement, à défaut de choix exercé par les parties sur la loi applicable, le contrat de distribution est régi par la loi du pays dans lequel le distributeur a sa résidence habituelle. En l'espèce, selon Eurenco, c'est donc la loi italienne qui s'applique, ce qui est conforme à l'ensemble des circonstances car c'est avec l'Italie que les relations commerciales présentent les liens les plus étroits.

La société Inversol réplique que la nature délictuelle de l'action en rupture brutale des relations commerciales établies a été remise en cause par la jurisprudence récente de la CJUE et notamment par l'arrêt Granarolo et conteste l'argument selon lequel l'action indemnitaire relative à une rupture brutale des relations commerciales devrait être considérée comme une action contractuelle lorsqu'il s'agit de fixer la juridiction compétente et une action délictuelle lorsqu'il s'agit de déterminer la loi applicable.

De plus, elle invoque la jurisprudence selon laquelle les clauses attributives de juridiction et/ou déterminant la loi applicable sont applicables en matière de rupture brutale de relations commerciales établies et se prévaut plus particulièrement de l'arrêt de la Cour de cassation du 18 janvier 2011 selon lequel la nature délictuelle de la responsabilité résultant de la rupture d'une relation commerciale établie n'empêche pas l'application d'une clause attributive de compétence.

Enfin, elle excipe de la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle une société établie dans un pays hors Union européenne peut se prévaloir de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce à l'encontre d'un partenaire français afin d'obtenir une indemnisation en cas de rupture brutale de relations commerciales établies, et la loi applicable au litige, en présence d'un délit complexe est la loi du pays qui présente les liens les plus étroits avec le fait dommageable (celui du fait générateur du dommage ou celui du lieu de réalisation de ce dernier). Or, elle soutient qu'en l'espèce, la relation contractuelle entre la société Inversol et la société Eurenco préexistait depuis 8 ans et que cette relation contractuelle a été formalisée par un accord conclu à Paris qui a désigné la loi française comme loi applicable. De surcroît, selon elle, le lieu du fait générateur du dommage doit être identifié avec le siège de la société Eurenco en France, à la fois lieu d'expédition de la lettre de résiliation du 8 janvier 2013 et lieu de signature du contrat litigieux.

Sur la qualification de loi de police,

La société Inversol invoque, en se fondant sur la jurisprudence majoritaire et particulièrement sur un arrêt de la cour d'appel de Paris du 25 février 2015, la nature de loi de police de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et soutient que cet article a vocation à s'appliquer dans des litiges internationaux, même si les contractants ont choisi d'assujettir leur contrat à une autre loi que la loi française.

La société Eurenco conteste la qualification de loi de police des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce car cette disposition ne vise pas à assurer la protection d'intérêts publics liés à l'organisation économique, mais à protéger les intérêts privés des entreprises victimes d'une rupture brutale des relations commerciales, et n'entre donc pas dans la définition de loi de police prévue à l'article 9 du Règlement Rome I.

De plus, elle soutient que, selon la Cour de justice, même les lois de police doivent respecter le droit primaire communautaire qui interdit les entraves à la libre circulation des personnes, services et marchandises ou toute mesure d'effet équivalent. Or tel est le cas de l'application de l'article L. 442-6, I, 5° qui entraîne un traitement différencié entre, d'une part, les entreprises françaises qui pourront toujours se voir reprocher une rupture brutale des relations commerciales par une entreprise étrangère, et, les entreprises étrangères qui ne pourraient être sanctionnées sur ce fondement que si elles sont attraites devant une juridiction française.

Enfin, elle indique qu'une loi de police ne doit s'appliquer que si les objectifs recherchés ne sont pas déjà atteints par l'application de la loi étrangère. Or en l'occurrence, le droit italien, contient un principe de responsabilité contractuelle permettant de protéger une partie à un contrat victime d'un abus dans la rupture.

Le litige concerne le terme des relations commerciales entre les sociétés Eurenco et Inversol, à savoir :

- des relations de fournisseur/distributeur depuis 2004,

- à compter du 24 février 2012, concernant le client ENI, un contrat de représentation ; le contrat de représentation a été résilié début 2013 par la société Eurenco.

Les relations de distribution se sont arrêtées en août 2012, la société Inversol ne passant plus de commandes.

Les parties ne contestent pas l'application des règlements européens.

S'agissant de relations complexes se rattachant à la matière contractuelle, il convient de se reporter à l'article 4 paragraphe 3 du règlement (CE) n° 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I), dont les parties ne contestent pas l'application ratione temporis : " lorsqu'il résulte de l'ensemble des circonstances de la cause que le contrat présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé au paragraphe 1 ou 2, la loi de cet autre pays s'applique ".

En l'espèce, la relation entre la société Inversol, établie en Italie et la société Eurenco, domiciliée en France, est caractérisée par des ventes successives, pour lesquelles le vendeur réside en France et la marchandise est livrable en France. Cette relation a été complétée par un accord de représentation conclu à Paris, rédigé en français, qui a désigné la loi française comme loi applicable.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu l'application de la loi française.

Sur la rupture brutale

Si, aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ", la société qui se prétend victime de cette rupture doit établir au préalable le caractère suffisamment prolongé, régulier, significatif et stable du courant d'affaires ayant existé entre elle et l'auteur de la rupture, qui pouvait lui laisser augurer que cette relation avait vocation à perdurer. Par ailleurs, " les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ".

Si l'existence de relations commerciales établies n'est pas contestée, les parties s'opposent sur la responsabilité de la rupture, ainsi que sur sa brutalité.

La société Inversol soutient que la société Eurenco a brutalement mis fin à leur relation commerciale, sans préavis. La date de cette rupture doit, selon elle, être fixée au moment de l'interruption de facto, depuis mai 2012, de leurs rapports commerciaux, du fait de la défaillance de la société Eurenco lors de l'appel d'offres de mai 2012 et de son augmentation des prix en février 2012 (voir supra). Selon elle, le courrier de résiliation de la société Eurenco du 8 janvier 2013 ne fait que prendre acte d'une résiliation déjà avérée.

Ainsi, elle soutient que la rupture brutale est imputable à la société Eurenco car si elle n'a pas pu passer de commandes auprès de la société Eurenco, c'est en raison de l'absence de participation à l'appel d'offres en question.

Par ailleurs, elle invoque :

- l'exclusivité qui la liait à la société Eurenco,

- l'importance du chiffre d'affaires qu'elle réalisait dans la vente du cétane pour la société Eurenco,

- son absence de solutions alternatives : en effet, suite à l'augmentation des prix pratiquée de manière unilatérale en février 2012, elle n'a pas eu le temps matériel, à deux mois du lancement de l'appel d'offres ENI, de trouver un fournisseur alternatif pour pouvoir participer à l'appel d'offres puisque, dans le cadre d'un marché si spécifique comme celui du cétane, il n'existe que 4 producteurs de cétane dans le monde.

La société Eurenco soutient que le fait de ne pas avoir participé à un appel d'offres dont le résultat était par nature aléatoire, ne saurait caractériser une rupture brutale des relations commerciales. En outre, elle invoque d'une part, qu'elle n'a pu répondre à l'appel d'offres qu'à cause de la société Inversol et d'autre part, que la modification de ses tarifs ne pouvait avoir la moindre répercussion sur l'offre propre d'Inversol, puisque cette société devait s'approvisionner auprès de fournisseurs tiers pour constituer cette offre.

La rupture doit se manifester par un arrêt des relations commerciales. Or, celles-ci étaient constituées de relations de distribution d'une part et de représentation d'autre part, comme rappelé plus haut.

La société Eurenco expose dans ses écritures, sans être démentie par la société Inversol, que les relations de distribution se sont arrêtées en août 2012, la société Inversol ne passant plus de commandes.

Quant au contrat de représentation, il a été résilié en mars 2013 par la société Eurenco, pour non-exécution.

La société Inversol, sur laquelle repose la charge de la preuve, ne démontre pas que la rupture serait en réalité intervenue en mai 2012, lorsque l'appel d'offres d'ENI a été attribué à une société autre que la société Eurenco, par la faute prétendue de la société Eurenco, traduisant la volonté d'évincer Inversol au profit d'un autre distributeur.

Il résulte en effet des faits de la cause que :

- la signature du contrat de représentation n'entraînait pas la fin des relations fournisseur/distributeur,

- la société Inversol était investie d'une obligation d'assistance et d'information de la société Eurenco pour l'appel d'offres, en vertu de l'article 3 du contrat de représentation,

- il n'est pas établi que l'absence de réponse de la société Eurenco ait résulté de sa volonté ou d'une défaillance de sa part, les échanges de messages électroniques versés aux débats ne permettant pas de le démontrer,

- la société Inversol ne démontre pas avoir rempli ses obligations, qui impliquaient d'appeler l'attention de la société Eurenco sur l'intégralité des démarches à accomplir, le seul enregistrement sur le site d'ENI étant insuffisant pour formuler une offre sur le site internet d'ENI, en l'absence de l'attribution, par ENI, d'un Code d'accès délivré après une visite du site de production,

- les informations communiquées par Inversol à Eurenco ne l'ont été que trop tardivement pour lui permettre de soumissionner,

- Eurenco n'avait aucun intérêt à ne pas soumissionner volontairement, car elle perdait un client important, la société ENI, l'attributaire du marché choisi par ENI, la société Innospec ayant vu son contrat d'approvisionnement résilié par Eurenco en mai 2012 avec effet au 9 novembre 2013,

- Inversol avait intérêt à ce qu'Eurenco ne dépose pas d'offre car elle préférait conserver un rôle de distributeur lui permettant de dégager une marge confortable et ne voulait pas être le représentant d'Eurenco payé à la commission.

La société Inversol ne démontre pas davantage que les tarifs proposés par Eurenco dans le cadre de l'appel d'offres l'auraient empêchée d'être compétitive lors de sa propre réponse à l'appel d'offres.

En effet, la société Inversol se devait de s'approvisionner auprès de fournisseurs concurrents, et non auprès d'Eurenco, selon les termes du courrier mentionné supra du 23 février 2012.

Aucune rupture fautive n'est donc imputable à la société Eurenco au titre de l'article L. 442-6, I, 5 ° du Code de commerce.

En toute hypothèse, les retards de paiement de la société Inversol en 2010, 2011 et début 2013, attestés par de nombreux mails de relance, puis, la cessation de tout paiement à partir de mai 2012, constituaient des fautes d'une gravité suffisante pour dispenser la société Eurenco du respect de tout préavis.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de la société Inversol pour rupture brutale.

Sur la condamnation de la société Eurenco au titre de sa responsabilité contractuelle

La société Eurenco invoque, tout d'abord, que le juge a statué ultra petita et en violation du principe du contradictoire car il a condamné la société Eurenco à réparer une inexécution contractuelle dont il n'était pas saisi (n'ayant été saisi par Inversol que d'une demande de réparation de la rupture brutale d'une relation commerciale sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code du commerce), sans réouvrir les débats et sans lui donner la possibilité de s'expliquer sur ce point.

Sur le fond, elle soutient que la non-participation à l'appel d'offres ne lui est pas imputable car l'homologation auprès d'ENI nécessaire pour participer à l'appel d'offres a été effectuée et que c'est seulement la carence d'Inversol qui ne lui a pas permis de présenter une réponse.

La société Inversol demande que la société Eurenco soit déclarée entièrement responsable de l'absence de réponse à l'appel d'offres, sans partage de responsabilité.

Le tribunal a statué ultra petita, n'étant pas saisi de cette demande, mais exclusivement du grief de rupture brutale.

De surcroît, comme vu supra, il n'est pas établi que la société Eurenco aurait sciemment renoncé à soumissionner à un appel d'offres qui lui garantissait le maintien de l'approvisionnement d'un gros client, tout en lui permettant de supprimer l'intermédiation de la société Inversol, réduite à un rôle de commissionnaire.

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a retenu une part de responsabilité à la société appelante et l'a condamnée à payer à la société Inversol la somme de 71 641, 97 euros au titre d'une perte de chance.

La société Eurenco, non fautive dans l'exécution du contrat, ne saurait davantage supporter les frais d'homologation.

Le jugement entrepris sera donc également infirmé en ce qu'il a condamné la société Eurenco à payer à la société Inversol la somme de 10 076, 49 euros.

Sur les dépens et frais irrépétibles

Succombant au principal, la société Inversol sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer à la société Eurenco la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a dit la loi française applicable et a débouté la société Inversol de sa demande relative à l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; et statuant à nouveau, déboute la société Inversol de l'ensemble de ses demandes ; condamne la société Inversol aux dépens de première instance et d'appel ; condamne la société Inversol à payer à la société Eurenco la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.